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Devenirs révolutionnaires / édito Chimères n°83 / Christiane Vollaire, Valentin Schaepelynck, Florent Gabarron-Garcia, Jean-Philippe Cazier, Marco Candore

Pour Deleuze et Guattari, s’éloigner de « l’histoire » et de la « révolution » pour valoriser les « devenirs révolutionnaires » a consisté en une tentative de soustraire l’analyse au sempiternel « échec de la révolution » afin de rendre possible une attention au présent vivant des luttes.
La distinction faite par Deleuze entre la révolution et le devenir révolutionnaire appelle à repenser « la révolution » pour faire émerger des réalités et des possibles effectivement révolutionnaires. De manière analogue, lorsque Guattari rédige les textes qui composent La Révolution moléculaire, l’attention au révolutionnaire moléculaire n’est pas du tout coupée d’une dimension révolutionnaire générale : « Il n’y a pas d’un côté une lutte particulière à mener dans les entreprises avec les ouvriers, une autre dans les hôpitaux avec les malades et une troisième dans l’université avec les étudiants. Le problème de l’université, on l’a bien vu en 68, n’est pas celui des étudiants et des professeurs, c’est le problème de l’ensemble de la société ». Le molaire et le moléculaire ne sont pas deux réalités opposées et étanches, qui renverraient, la première, au « macro », et la deuxième au microsocial, mais ce sont les deux termes d’un mouvement par lequel le moléculaire fait fuir l’ordre molaire, où l’instituant vient subvertir l’institué.
Un tel rapport entre le molaire et le moléculaire est d’autant plus à interroger si l’on considère le travail de Guattari autour de l’écosophie, qui questionne les modalités par lesquelles il devient possible d’agir en vue de sortir de « l’impasse planétaire ». Guattari essaie ainsi de penser des conditions de mutations qui ne seraient pas tributaires d’une dialectique historique toute constituée ou de la fiction du « grand soir » : non une révolution mais un processus révolutionnaire multiple, impliquant des fractures et mutations locales, relatives, collectives et incessantes.
Ce sont ces préoccupations que rejoignent, dans ce numéro, les diverses expériences de terrain qui sont évoquées. Du côté des femmes en lutte, celles de Tunisie sont présentées par l’expérience et la réflexion de Samia Ammar au tournant des révolutions arabes. Celles du groupe « Femmes en lutte 93 », en région parisienne, racontent de quelle manière elles articulent luttes LGBT, féminisme populaire et internationalisme. Et Marc Estève présente poétiquement la liste des Sans-voix dans le 18ème arrondissement de Paris – ceux qui, venus de pays divers, veulent avoir voix au chapitre dans les décisions qui les concernent sur le territoire français.
Peut-être que ces réalités diverses trouveraient une articulation à travers le concept de précarité, que Judith Butler met en avant, comme possible dénominateur commun des mouvements populaires contemporains.
Dans le monde du travail, François Longérinas analyse l’autogestion mise en place par les Fralibs en 2010, et Philippe Borel rencontre certains de ceux qui tentent d’inventer des formes alternatives de solidarité économique et sociale. Sur le site emblématique de ND des Landes, Philippe Coutant met en évidence un rapport au politique qui n’est plus séparé de la vie, et la manière dont ce nouveau rapport s’affronte à la répression policière.
Ce qui caractérise ces luttes en cours est leur transversalité et leur conscience internationale : les Fralibs créent des relations avec des coopératives de production du Viêtnam, la Zad interagit avec les Italiens militant autour de Turin contre le tracé du TGV, les femmes du 93 se lient à toutes celles venues d’ailleurs, avec ou sans papiers, les initiatives alternatives de Romans sur Isère s’inspirent de modèles indiens ou latino-américains. Et l’on voit qu’agir contre l’implantation d’un aéroport conduit à repenser le rapport à la production, à la sexualité, au travail, à la communauté.
Saïd Bouamama, dans son livre Figures de la révolution africaine, souligne que ces croisements étaient présents dès les années 1950. L’échec historique des révolutions dont il parle est lié au fait que les interactions dont elles avaient besoin ont été empêchées, violemment bloquées, dans des processus de fragmentation intentionnellement produits par le jeu de la corruption et de l’ethnicisation, alors que s’ébranlait contre elles le rouleau compresseur de la globalisation, prenant le relais des politiques coloniales.
C’est aussi ce processus de fragmentation qu’analyse Hamit Bozarslan dans le Moyen-Orient contemporain, en Syrie ou en Libye, en montrant comment il conduit à une brutalisation du politique, s’opposant au potentiel d’un devenir révolutionnaire. La violence révolutionnaire s’avère parfois nécessaire : elle ne l’est qu’en réaction à l’ultra-violence qui fait obstruction au devenir politique. Et la foule révolutionnaire, comme l’écrit Sophie Wahnich, loin de pouvoir être rabattue sur une dimension primitive et sauvage, est aussi animée par cette forme de jubilation qui porte la vitalité d’un collectif.
C’est de tout ce potentiel moléculaire dont était porteur le Yiddishland, tel que le racontent Jean-Marc Izrine et Alain Brossat, en tant que forme de déterritorialisation révolutionnaire – à l’encontre de ce qu’est devenu l’Etat d’Israël dans sa constitution molaire, identitaire et violente.
Jon Solomon met en évidence le potentiel révolutionnaire dans le Printemps de Taïwan de 2014, analysant conjointement le sens d’une occupation du Parlement et celui d’un travail sur la traduction, sur la transmission et les modes de communication qui ne passent pas par les médias communicationnels dominants.
Le Guattari Group témoigne, par son expérience d’Occupy New York, de la reconfiguration des pensées et relations que ce mouvement a engendrée. Et c’est à ce type d’expérience que pourrait être relié ce qu’Orazio Irrera, analysant la pensée de Foucault, désigne comme une généalogie de la subjectivité militante, portée par la force des émotions et engagée dans une problématique du courage. Car le devenir révolutionnaire, comme toute forme d’opposition au pouvoir et à la domination, est marqué par le risque, et le militantisme ne peut alors se vivre sans danger. N’est-ce pas ce que dit le destin de la plupart des penseurs combattants de l’Afrique de la décolonisation, enlevés, torturés et assassinés, de Patrice Lumumba à Amilcar Cabral ? La question du risque et de l’inégalité des risques dans le militantisme est aussi ce que souligne ici Alain Brossat, revenant sur la période du coup d’Etat pinochétiste de 1973, sur l’écart entre le vécu des militants latino-américains et celui des militants européens, engagés de loin dans ce combat.
La condamnation de l’idéal et des pratiques révolutionnaires est de fait utile à la légitimation de l’ordre actuel du monde – ordre inégalitaire, injuste, raciste, hétérosexiste, mortifère et psychiquement destructeur, qui s’efforce par cette condamnation de produire les situations et subjectivités nécessaires à son existence. S’il n’est pas question de nier les échecs des révolutions qui jalonnent l’histoire, encore moins de fermer les yeux sur les vies massacrées que ces révolutions ont produites, il faut cependant se demander si ce que montre l’histoire est suffisant pour faire de nous-mêmes les complices de ce qui est fait du monde, pour nous satisfaire d’un réformisme qui ne remet finalement pas grand-chose en cause et sert le plus souvent de masque à une domination plus destructrice.
Le travail artistique de Dan Mihaltianu, auteur des images de ce numéro, et auquel est consacré un entretien, pousse ainsi à interroger une cyclicité du devenir révolutionnaire : non la forme sclérosée des « révolutions » historiques d’Europe de l’Est, pas davantage les « libérations » factices produites par la chute des régimes qui en étaient issus, mais un mouvement perpétuel de subjectivation par lequel se produit aussi une dynamique d’échanges esthétiques et politiques. Pierre Macherey propose en ce sens de valoriser les espaces d’intervention hétérodoxes qui peuvent apparaître comme de nouvelles possibilités du devenir révolutionnaire pour les subjectivités autant que pour le social. Florent Gabarron-Garcia, à travers une expérience de clinique infantile, montre que la grande Histoire s’invite au cœur des subjectivités individuelles, là où on ne l’attendait pas, mais où il faut pourtant la débusquer pour rendre possible une autre thérapeutique. Elias Jabre perçoit les intensités d’un devenir révolutionnaire dans la fiction neuronale ID-O, et René Schérer dans les multiples reconfigurations de l’affrontement au ressentiment.
Ne s’agirait-il pas aussi, en définitive, de définir l’ennemi ? Ou plutôt de s’interroger différemment sur ce qui est à affronter dans notre présent ? L’idée de révolution émerge dans un contexte historique dont elle est tributaire, contexte occidental, relatif à une représentation du pouvoir dans laquelle celui-ci est compris comme l’action d’un groupe défini sur un autre, d’une institution sur un ensemble d’individus, action qui essentiellement réprime et empêche. Il s’agirait alors, et il suffirait, pour « être révolutionnaire », de s’opposer à cet ennemi homogène, clairement identifié (l’Etat, le Capital, etc.). Mais si l’on considère les analyses du pouvoir menées par Foucault, ou celles que Guattari consacre à ce qu’il appelle le « Capitalisme Mondial Intégré », cette identification évidente de l’ennemi semble devoir être complexifiée. Si le pouvoir est diffus, s’il consiste moins à réprimer qu’à gérer et inciter, s’il enveloppe un ensemble de dimensions multiples et hétérogènes, comment identifier « l’ennemi », le combattre ?  Cette dissémination du pouvoir, dans ses dimensions actuelles, impliquerait de repenser les rapports de force et les stratégies, de repenser les formes de résistance, en reconfigurant l’idée de révolution. Il s’agit, au-delà des désenchantements, et dans une perspective critique à l’égard d’une globalisation « démocratique », catastrophique et violente, de rouvrir la question d’une pensée des devenirs, des tactiques efficaces, et d’en retrouver le tranchant.
Christiane Vollaire, Valentin Schaepelynck, Florent Gabarron-Garcia, Jean-Philippe Cazier, Marco Candore
Devenirs révolutionnaires / octobre 2014
Édito de la revue Chimères n°83

Photo Dan Mihaltianu

dan C 83

David Lynch aux confins du sens / Ange-Henri Pieraggi / Jean-Claude Polack et Marco Candore : David Lynch, Inland Empire, un cinéma de la folie et de la déterritorialisation / Inland Empire / Rabbits / David Lynch

Pour éclairer INLAND EMPIRE, peut-être est-il nécessaire d’en passer par Lewis carrol, auquel les silhouettes des lapins rendent hommage. En effet, si les aventures d’Alice commencent dans le terrier du lapin, elles se poursuivent à travers le miroir. Et c’est dans une traversée du miroir, dans l’envers du cinéma que ce film nous emmène.
Il y a d’habitude au cinéma, d’un côté, les corps (celui des acteurs, dans leur vie quotidienne), et de l’autre côté du miroir les événements qu’on attribue à ces corps (les rôles à endosser, dans la fiction). Classiquement, le rôle fait oublier l’acteur qui lui prête corps, et on demande au spectateur de croire à la fiction.
Ici, l’écran est en permanence traversé. Autant les rôles dans le film reflètent la vie quotidienne des acteurs (ils sont amants fictifs à l’écran, et il veut la séduire vraiment dans la vie), autant la vie quotidienne perturbe la composition des rôles (le mari jaloux dans la vie se manifeste aussi dans la fiction).

Un point de vue singulier
Un meurtre est là, dès le début. Qui peut être la victime ? Voilà, résumé en une phrase, le problème posé par le film. La question n’est pas, comme dans les whodunit « qui est le coupable ? » pour remonter de l’accident à sa cause. Il s’agit ici d’une logique différente. L’événement (le meurtre) peut être attribué à plusieurs victimes. Déclinons les occurrences proposées par le film.
- Carolina (l’épouse de Devon) qui, soulevant son chemisier, montre l’arme plantée dans son flanc.
- Mais aussi le mari jaloux de Nikky, qui a renversé du ketchup, dessinant une tache sanglante sur son T-shirt.
- Ou encore la jeune femme brune qui, depuis le début, regarde l’écran de télévision, trouvée éventrée dans la rue.
- Et puis Laura Dern, qui meurt à la fin d’une même blessure au ventre : elle perd son sang sur les étoiles dédiées aux acteurs du « Hollywood Walk of Fame » (« C’est un film de stars », avait dit le réalisateur Jeremy Irons au début du film. Et de fait, de nombreuses stars ont prêté leur corps à une même blessure).
- Il y a enfin une toute dernière occurrence : la blessure qui apparaît comme un rictus sanglant, dont l’image est projetée sur le visage de l’homme que Laura Dern abat (l’incarnation au cinéma reste une image) (1).
Derrière la question de l’attribution des rôles, il y a le nonsense cher à ce dernier auteur, qui met au jour les paradoxes du sens. C’est à l’examen d’une logique du sens au cinéma que nous convie David Lynch. Ce qui nous renvoie à une même question posée par Gilles Deleuze à propos de l’écriture, dans son étude sur Lewis Carrol et sur les stoïciens. (2)

La question du sens
La question ici posée, c’est la question de l’attribution de l’événement à un corps (3).
Le film est envisagé depuis l’événement (le meurtre) qui survole les corps auxquels il n’est pas encore attribué : le meurtre cherche un corps pour s’incarner. On est dans le domaine du possible. Il n’y a donc pas d’affirmation ferme de l’identité de la victime (nous avons vu plusieurs occurrences). En conséquence, le mobile du crime s’ouvre à de multiples hypothèses, telles les cartes d’un jeu, dans une cascade de mises à jour. Nous croisons à nouveau Lewis Carroll dont les personnages dans A travers le miroir, perdent leur épaisseur pour apparaître, comme le Roi et la Reine, sous la forme de cartes présentant deux faces. C’est le phénomène du double, illustré à maintes reprises (comme lorsque la blonde Laura Dern rencontre son double, la brune qui n’avait pas cessé d’observer l’écran de télévision). Mais le dédoublement intéresse aussi des séquences entières : deux versions sont présentées pour une même scène (4.) Prenons l’exemple de la scène de séduction qu’engage Devon auprès de Kitty sur la pergola (elle est censée se dérouler dans la vie). Elle est répétée, telle l’autre face d’un même plan, au coin du feu (cette fois dans leurs rôles au cinéma). Mais, mise en abyme supplémentaire, les deux séquences apparaissent comme filmées par une caméra. Un des plans, telle la carte d’un jeu, peut être avancé pour telle hypothèse, ou bien peut s’effacer pour laisser à l’autre plan la possibilité de jouer son rôle d’atout. Cascades des plans, trouvant au fil de leur dévoilement des connexions nouvelles, perturbant l’ordre des actions et la chronologie des événements.

Le dérèglement du temps
Le temps apparaît comme l’élément le plus perturbé du film. Comme le disent plusieurs protagonistes, « on ne sait plus ce qui est avant ou après » (5.) A l’instar de Lewis Carroll dont le lapin consulte en permanence la montre à gousset qu’il extrait de sa poche, David Lynch multiplie les pendules et les horloges pour illustrer ses plans.
Le point de vue adopté étant celui de l’événement (le meurtre), le temps à l’œuvre présente un double aspect. Il est encore à venir (le crime cherche sa proie) et pourtant il a déjà passé (J. Irons précise aux acteurs dès le début du film qu’un meurtre a déjà eu lieu lors d’un tournage précédent du même script). Suspendu dans un inaccompli (impassible) et pourtant déjà prescrit (destin). A la fois passé et futur, le temps de l’événement s’étire dans un infinitif, un mourir qui survole éternellement les corps : Aiôn (6.)
Arrêtons nous sur une scène cardinale. Celle où Laura Dern fait un trou de cigarette dans la soie d’une culotte (celle-ci figurant l’écran cachant un lieu matriciel). Le point de vue, passant par ce trou débouche sur une montre saisie en gros plan, dont les aiguilles affolées tournent en tous sens. La scène condense à la fois la traversée du miroir, la perturbation du temps, la symbolisation d’une incarnation (le ventre derrière une culotte, peut donner corps à un ‘‘heureux événement’’), et enfin l’image en gros plan.

L’image en gros plan
Si David Lynch use abondamment des gros plans, c’est d’abord en raison du point de vue adopté, qui est celui de la blessure. Cherchant à s’incarner, elle frôle les étoffes et glisse sur les corps. Les gros plans étant d’ailleurs plutôt des inserts que des close-up. En effet, chaque fois que les visages sont approchés, c’est en les déformant comme pour les fragmenter.
Dans L’Image-Mouvement, Gilles Deleuze classe les visages saisis en gros plan en deux types principaux. -Le visage réflexif (Griffith) dont les traits restent groupés sous la domination d’une sorte d’unité immobile qu’imposerait la stupéfaction.
- Et le visage intensif (Eisenstein), dont les traits semblent vouloir se libérer, sous l’effet d’une tension qui monte. Il nous précise par ailleurs que les visages saisis en gros plan perdent leurs connexions à l’espace et au temps de la narration, et ne sont plus à même de s’inscrire dans le développement de l’action. Ils s’autonomisent en une sorte d’entité qui n’exprime alors plus que l’affect, qui est de l’ordre du possible et non de l’actuel. (7)
Les visages ici, n’entrent pas exactement dans cette typologie. L’affect qu’ils expriment est essentiellement la peur. « J’ai peur ! Peur de devoir tuer quelqu’un », dit la femme de Devon dès le début du film. Son visage, détaillé en gros plans, ne cherche que la fuite. Ce type de gros plan appartient à une autre catégorie que celles décrites plus haut. Il est déjà engagé dans l’amorce d’une action (la fuite), sans pouvoir encore l’organiser. Il appartient à un type d’images que Gilles Deleuze appelle «l’image pulsion » (8).

Un monde pulsionnel
En effet, tout se présente comme si une pulsion délétère (la pulsion meurtrière) venait cerner les corps et les visages, qui n’ont qu’une seule tentation, celle de fuir. Le monde ainsi caractérisé est un univers chaotique où les gros plans arrachent des fragments aux sujets, et auxquels la pulsion refuse toute composition pacifiée. Et en tous cas s’emploie à la désorganiser. C’est le monde d’Empédocle avec ses éléments irréductibles, et une tension qui anime l’ensemble. Cette tension ne serait pas chez Lynch l’opposition amour-haine, qui chez Empédocle régit un monde fait de morceaux, mais l’opposition pulsion de mort-pulsion de vie. Une vie dans sa simple expression de sauvegarde face au danger : la fuite. Cette fuite étant un mouvement non raisonné, qui ne se déploie pas dans une action concertée puisqu’on ne connaît pas les motifs du crime.
INLAND EMPIRE commence dans un monde apaisé : la demeure cossue de Laura Dern, filmée en plans larges. Elle reçoit la visite de sa voisine, et très vite s’installe une inquiétude manifestée par des gros plans sur ses mains qui saisissent la tasse de thé, et sur son visage que la focale déforme en le cadrant de très près. Au fil de la projection, nous verrons les plans d’ensemble perdre l’avantage au profit des gros plans. Au terme du film, alors que Laura Dern meurt de la blessure, le monde est désarticulé. Le salon protecteur du début a laissé place à l’insécurité du trottoir où sont échoués les miséreux. Une jeune asiatique évoque les mésaventures d’une amie dont le vagin (la matrice) est ouverte sur ses intestins (les déchets) : le chaos s’est installé, la pulsion délétère a gagné.

Une circulation centrée et un éternel retour
Le film obéit à une circulation des images apparemment chaotique. Mais la nébuleuse est néanmoins régie depuis un centre névralgique. Toutes les occurrences proposées à la narration semblent en effet opérer depuis la pièce occupée par les lapins (9). Chez Lewis Carroll, le terrier du lapin est le monde des paradoxes du sens. David Lynch lui rend hommage tout en payant sa dette au théâtre, dont le cinéma procède (« il y a une dette à payer » est-il rappelé tout au long du film). Il installe donc les lapins dans un espace cubique (la scène théâtrale vers laquelle les clameurs et les rires du public remontent). Et c’est depuis cet espace conventionnel de la représentation théâtrale que Lynch fait dériver la représentation au cinéma. L’espace qui se déploie dans le film n’est plus astreint à une unité topographique. C’est par l’esprit que la cohérence peut être recomposée. Il s’agit d’un voyage paradoxal, mais obéissant néanmoins à une logique, celle du sens, opérée depuis l’intérieur (inland) de l’esprit (Axxone lit-on au seuil de plusieurs séquences (10). Le cinéma est une circulation d’images, mais c’est aussi une cosa mentale.
Au terme du film, la frénésie des images s’est calmée. La caméra recule : la scène où Laura Dern meurt sur le trottoir n’était qu’un artifice. Elle n’est pas blessée et se relève. Mais néanmoins choquée, comme habitée encore par la peur, elle quitte le plateau et les caméras, les décors, les techniciens, les acteurs : tout le substrat (le chaos initial) sur lequel s’est construit le film et auquel on est revenu. Le voyage de l’autre côté du sens (« to the other side » comme on l’entend dans une des chansons finales) peut s’arrêter…
ou recommencer : apparaissent des acteurs dont le film n’a enregistré que la parole (Laura Harring a prêté sa voix à une des silhouettes de lapin) ; ou des personnages dont le film n’a enregistré ni l’image ni la voix, et qui ont simplement été évoqués (la blonde au vagin perforé avec son singe) ; ou des personnages qui ont été acteurs dans un film précédent du même réalisateur, comme une réminiscence (11) ; ou qui ont été acteurs dans les films d’un autre réalisateur (12) ; ou qui n’ont qu’un lien anecdotique avec un personnage du film (13)… égrenant d’autres possibilités de l’attribution des événements à des corps.
Ange-Henri Pieraggi
David Lynch aux confins du sens / 2007
Publié dans la revue Positif

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http://pieraggi.com/

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David Lynch
Inland Empire / 2006

Expo Lynch à la MEP

Rabbits sur le Silence qui parle

David Lynch, Inland Empire, un cinéma de la folie et de la déterritorialisation, dialogue entre Jean-Claude Polack et Marco Candore / Revue Chimères n°80

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1 Le rictus sanglant, plaqué mais néanmoins disjoint du visage, renvoie au sourire sans chat chez Lewis Carroll.
2 Gilles Deleuze, Logique du sens, Minuit 1969
3 « Le sens c’est l’exprimé de la proposition, événement pur qui subsiste ou insiste dans la proposition » « Le sens s’attribue, mais il n’est pas du tout attribut de la proposition, il est attribut de la chose ou de l’état de chose » « L’événement c’est le sens lui-même, en tant qu’il se dégage ou se distingue des états de chose qui le produisent et où il s’effectue » (G. Deleuze, op. cit. p30, p33, p246)
4 « La puissance du paradoxe est de montrer que le sens prend toujours deux sens à la fois » (G. Deleuze, op. cit. p94)
5 La tirade du film la plus emblématique à ce propos est tenue par la nouvelle voisine qui rend visite à l’actrice (Laura Dern) au début du film : « Si aujourd’hui était demain, vous souviendriez-vous encore que vous avez une dette à payer ? », mêlant présent, passé et futur pour une proposition hypothétique.
6 « L’Aiôn, forme vide du temps, recueille l’événement dans son impassibilité, perpétuel objet d’une double question : qu’est ce qui va se passer, qu’est ce qui vient de se passer ? » (G. Deleuze, op. cit. p79)
7 G. Deleuze, L’Image-Mouvement, Minuit 1983, p125-144 ; et L’Image-Temps, Minuit 1985, p45-50
8 « L’image-pulsion est le seul cas où le gros plan devient effectivement objet partiel. » (G. Deleuze, L’Image- Mouvement, Minuit 1983, p180)
9 Les coups de fils (wire) y convergent. La pièce porte le n°47, et 47 est le titre du script original. Enfin, 47 est un nombre dont les chiffres peuvent être dessinés en miroir.
10 L’axone est le filament qui prolonge la cellule nerveuse.
11 Laura Harring, dans Mulholland Drive.
12 Nastassja Kinski.
13 Ben Harper, mari de Laura Dern dans la vie, jouant du piano.

L’an 01 des machines abstraites / Félix Guattari

Que serait une politique de l’expérimentation, une schizoanalyse ? Ce serait un retour aux lieux où les choses se passent, là où la production s’effectue vraiment. C’est-à-dire ça ne tend pas à proposer quelque chose de nouveau mais à prendre le pouvoir là où s’effectue d’ores et déjà ce qui se passe d’important, de créateur dans n’importe quel domaine. Non pas dire: « Il faudrait que », genre conversations de café du commerce, « Ah ! si j’étais au gouvernement, moi voilà ce que je ferais », mais : « Vous êtes déjà au gouvernement. Vous occupez déjà des postes très importants dans la micropolitique du désir ». Seulement, tout le problème c’est que vous faites une politique tout autre que de libération du désir. Vous faites la politique paranoïaque que vous rencontrez ailleurs et que vous subissez dans l’aliénation.
Je suis parti de l’idée qu’il y a des centres multiples, des strates d’expressions polyvoques, en évoquant des sémiotiques existant – comme dans les sociétés primitives, chez les fous, chez les enfants – hors des sémiotiques signifiantes ; c’est-à-dire hors de la dictature signifiant/signifié qui prendrait le contrôle de toutes les autres strates d’expression.
Je reprends maintenant la question sous l’angle des sémiotiques qui peuvent exister dans les systèmes de représentation et qui sont différemment centrées. Des sémiotiques scientifique, artistique ou révolutionnaire sont recentrées sur la production de signification – au sens où Althusser parle d’idéologie –, alors qu’au niveau de leur fonctionnement elles n’ont rien à faire avec ça. Il n’y a rien à y comprendre. Elles fonctionnent au sein des agencements où elles s’inscrivent, mais il n’y a rien à interpréter. Toute cette polyvocité des systèmes d’« expression » est recentrée sur le signifiant parce que toujours rapportée au point de la réalité dominante. Quoi qu’il se passe dans le monde – une découverte sensationnelle dans les sciences, une œuvre d’art qui nous amène une sémiotique tout à fait nouvelle, une révolution –, il faut toujours que ça soit rapporté au point moyen de signifiance. Rien ne doit dépasser d’un certain champ de la réalité dominante. Il faut que cela soit cadré dans cette optique-là, délimité, et c’est possible grâce à ce face-à-face entre un point de la réalité dominante et un point du système de représentation, un signifiant. Une politique de schizoanalyse, une politique de l’expérimentation consisterait à accepter les icônes pour ce qu’elles sont.
Que dire des systèmes signifiants, ceux de l’interprétation des rêves par exemple ? J’ai déjà donné un début d’illustration des deux façons de traiter des rêves (rêve AD in Cartographies schizoanalytiques). On ne peut pas revenir en arrière et faire qu’on ne baigne plus dans un système significatif. Mais ce qu’on peut faire, c’est de ne pas le prendre pour ce qu’il n’est pas, à savoir quelque chose qui contrôle effectivement, ou surcode, tous les systèmes de production. Et choisir un autre axe : le figural, qu’il faut distinguer du figuratif.
Le figural, dans la peinture moderne, renvoie à des gens qui s’attacheront moins, quand ils emploient une représentation, à la signification de cette représentation qu’à l’utilisation qu’ils en feront dans un certain agencement des figures. Il y a toutes sortes de techniques d’utilisation du figural dans l’art moderne – qui n’est pas pour autant de l’art abstrait – et qui sont l’utilisation des formes dans une tout autre politique que celle de la signification. Plutôt que de toujours recentrer les cercles de la production sémiotique, on va les laisser chacun osciller, s’élargir, sans prétendre, au nom d’une réalité dominante, délimiter leur engendrement, leur poids sur le réel. C’est le travail du signe sur lui-même, dans le champ des sciences, de l’art ou des différents champs sociaux ; c’est l’acceptation d’un polycentrisme, d’une polyvocité. Ce qui est tout le contraire des gens qui veulent prôner un art officiel, une science officielle, ou de ceux qui disent : « C’est ça qu’il faut faire pour le bien du peuple ». Le bien du peuple ou des peuples, c’est qu’il y ait le maximum de centres, le maximum d’éclatement des lignes de production sémiotique. Du point de vue de l’efficacité d’un mouvement – s’il s’agit d’un mouvement révolutionnaire ou d’une recherche –, il faut effectivement laisser les recherches sémiotiques partir dans les différentes directions où elles tendent à s’organiser, car sinon on manque absolument quelque chose. Ainsi, au plan des sciences, l’hostilité des staliniens aux théories cybernétiques a abouti à un retard considérable de l’industrie soviétique, et en particulier de l’industrie de l’armement. De même, au niveau politique, un organisme qui voudrait être mono- centriste dans une lutte – par exemple l’état-major du parti qui prétend contrôler à la fois la lutte des jeunes, des ouvriers, des femmes, des intellectuels, la lutte dans les campagnes, dans les petites villes, dans les villages, dans les HLM… – manque à chaque fois ce qui se passe effectivement comme coupure réelle au niveau des masses, comme coupure désirante. Ils prétendent représenter, coordonner, mais en fait ils ne font qu’entraver, centrer les différentes productions sémiotiques a-signifiantes. Ils veulent toujours comprendre : « Mais où est-ce que vous voulez en venir ? qu’est-ce que ça veut dire ? expliquez-nous ! ça ne cadre pas avec notre programme ». Alors, le temps qu’ils aient compris ça, évidemment les choses sont terminées. « Ça », c’est le travail de déterritorialisation des machines de signes corrélatif d’un travail de déterritorialisation des flux réels, des machines réelles.
Ça n’a pas de sens, dans cette perspective, d’opposer le réel et le signe, parce qu’un flux de signes est tout aussi réel qu’un flux matériel. Un signe, c’est un flux matériel. Inversement, un flux matériel est aussi un flux sémiotique. Ce n’est que dans le cadre traditionnel qu’on a l’opposition entre, d’un côté, des signes impuissantés dans la représentation, et, de l’autre, des choses réelles, la vraie réalité (« Assez de discours, passons aux actes »). Or le travail des machines de signes implique des machines tout aussi réelles que celles qui fonctionnent avec des flux électroniques, ou énergétiques de toute nature.
Pour saisir comment des signes écrivent à même le réel, ou comment les flux réels se servent de signes pour effectuer leur conjonction, et réaliser leur travail de déterritorialisation, il fallait bien introduire une notion de machine qui ne soit ni machine de signes ni machine de flux matériel. Je l’ai appelée, faute de mieux, machine abstraite. Le terme, j’en fais très vite cadeau si on m’en donne un autre. Mais seulement si on m’en donne un autre, parce que sinon c’est forcément le Bon Dieu ou je ne sais quelle dialectique du savoir qui va rendre compte de ce qui se passe. Car on ne comprend pas comment le fait d’écrire des équations, de faire des plans, d’établir des relations de chimie ou de physique, permet de transformer la réalité. On ne voit pas du tout quel rapport peut entretenir un système de signes et un système matériel, à moins qu’il n’y ait un tiers, une médiation, un super dialecticien qui va essayer de faire quelque chose avec tout ça. Sans ce recours aux machines abstraites, on retombe automatiquement dans les trois paralogismes : celui de l’âme avec le Dieu des représentations, celui du signifiant avec une machine à produire des significations, et puis surtout celui du réel. Pour lequel on dira qu’il faut des passages entre l’infrastructure et les superstructures, ou des systèmes parallélistes entre ce qui se passe dans le mental et ce qui se passe dans le matériel.
Mais avec les machines abstraites on n’a plus de coupure entre la représentation et la production, puisqu’elles sont aussi bien dans le champ des signes, des machines sémiotiques que dans le champ des machines fonctionnant sur des flux matériels. Comment est-ce possible ? Il manque encore un terme. Parce qu’il serait facile de dire : « Arrêtez, tout ça n’est pas vrai ! des signes, c’est sur du papier, ça ne bouge pas, et les machines, on les voit. Tout ça c’est de la blague ! » Je crois, en effet, que ça n’est pas possible si on n’introduit pas la notion de déterritorialisation.
Si, en effet, les flux matériels n’étaient que des flux de craie ou d’encre ! Mais en réalité les flux matériels sont toujours en train de se déterritorialiser. Qu’est-ce que le temps, qu’est- ce que le système de coordonnées spatio-temporelles, si ce n’est cette déterritorialisation elle-même ? Et que fait un flux de signes sinon essayer de suivre, d’accrocher ces processus de déterritorialisation. ? Qu’est-ce qu’un système de signes sinon une simulation des processus de déterritorialisation matérielle ? Quand on écrit une équation « x = fonction de… », ça paraît quelque chose de statique, mais ce sont des signes qui fonctionnent pour saisir une série de processus qui sont dans l’ordre du temps, de mouvements réels, et pour essayer d’en rendre compte. Comme si on pouvait saisir une trajectoire de la déterritorialisation, et on en saisit une, relativement, dans une séquence de temps donné. Sans la machine de signes, sans cette simulation par les signes, on n’a affaire qu’à des séquences de déterritorialisation extrêmement myope, restreinte. Donc la machine sémiotique permet de lire bien au-delà des télescopes, d’accéder, à partir d’éléments partiels, à une compréhension de ce qui se passe bien au-delà des perceptions formelles, des patterns de la perception et de tous les systèmes de lecture dits relevant des flux matériels. Autrement dit notre perception, notre rapport aux flux matériels, est toujours armé par des systèmes sémiotiques. Quelle sorte de systèmes sémiotiques ? Toute la question est de nouveau là. Ceux qui nous permettent de comprendre, de faire de la redondance et de se rassurer ? ou ceux qui mettent enjeu des petites machines, une danse des signes ? Dans cette simulation par les signes, on a les diagrammes qui suivent les processus dans l’écriture même. Ce que je veux dire avec cette idée de diagramme, de tableau, c’est que les signes saisissent les procès de déterritorialisation. C’est le moyen pour les hommes de faire des conjonctions entre des systèmes déterritorialisés de façon différente.
On peut l’illustrer avec quelque chose de très concret. On a du pétrole à un endroit, du minerai de fer à un autre. Ce sont des choses très territorialisées, c’est dans la terre. On va les extraire et, à la suite de toute une série d’arbres d’implications technologiques et autres, on va arriver à un flux électrique puis informatique. C’est quelque chose de très bien organisé, le pétrole dans la terre, du minerai de fer, et toutes sortes de transformations, d’engendrements de flux. Quels ont été les moyens qui ont permis de composer l’arbre d’implication ? Ce sont des moyens sémiotiques, des repérages, des sondages, des systèmes d’écriture, des équations, des opérations. La nature n’aurait pas trouvé toute seule, ou alors il aurait fallu encore attendre un certain temps pour qu’elle trouve des systèmes d’encodage comme ceux-là. Même si, dans toutes les sémiotiques naturelles (chez les fourmis, les abeilles…), il y a des systèmes informationnels, des systèmes d’encodage, ceux-ci ne passent pas par le détour de sémiotiques signifiantes, ou « sémiotiques de la conscience ». A quoi ont servi les sémiotiques qui, sur un versant sont celles de la conscience – c’est-à-dire aussi de l’individuation, de la douleur, de la castration, de l’effusion sentimentale – et sur un autre des machines sémiotiques ? Elles ont servi à faire des conjonctions entre des flux déterritorialisés à des degrés divers. Au départ, cela l’était relativement peu et, au fur et à mesure, ça l’était d’autant plus qu’on abordait des flux énergétiques d’une autre nature. Avec le flux informationnel on est, en effet, dans des flux tout à fait déterritorialisés. Les machines de signes sont le comble de ce qu’on peut imaginer comme déterritorialisation, puisqu’à tout prendre elles ne sont rien. Elles ne sont que des systèmes d’alternative, de choix : plus/moins, telle ou telle option. Elles sont ce qui met en jeu la déterritorialisation à l’état le plus pur, cristallisé.
La conscience de soi-même, le vide, le cogito (à condition que ce ne soit pas celui de Descartes, ni de Kant, qui était déjà un corps territorialisé) : « Je pense… mais je ne pense rien ». Cette capacité à être rien, c’est une espèce d’acide rongeur. Quand on va, par le biais de machines sémiotiques, l’introduire dans des systèmes, ce n’est plus du tout une pure contemplation, une pure représentation. C’est une véritable puissance de néantisation (pour reprendre un terme de Sartre, cette fois) qui se met en acte. Il y a donc deux façons d’utiliser la conscience. La sémiotique de la néantisation, sémiotique binaire, qui consiste à la replier sur elle-même pour l’ abolir : il n’y a vraiment rien à faire, on est foutu, d’ abord on va mourir, tout ça ne sert à rien… Et celle qui consiste à s’en servir dans des machines de signes de puissance et à les introduire dans des conjonctions de flux déterritorialisés. Autrement dit, on n’a pas un réel et un signe – grossièrement, le réel c’est ce que j’ai sous les pieds, et les signes, c’est ce que j’écris là-dessus –, on a toutes sortes de niveaux plus ou moins déterritorialisés de machines sémiotiques et plus ou moins interconnectés avec des systèmes de flux matériels déterritorialisés. L’un ne va pas sans l’autre. Qu’il s’agisse de la science, de l’art, d’un mouvement révolutionnaire, on met en conjonction, par une machine sémiotique particulière, des systèmes relativement déterritorialisés. Et qu’est-ce qui pilote la chose ? C’est que toujours on a un degré de plus.
Dans l’Histoire c’est facile à comprendre. L’Histoire va toujours dans le sens où ça va plus mal. C’est comme ça qu’on reconnaît les grandes mutations historiques. Une catastrophe a eu lieu, c’est qu’il y a eu une déterritorialisation supplémentaire. Dans les sciences, il s’agit toujours de casser un système antérieur, d’introduire un élément vraiment tout à fait imprévu, hors des systèmes représentatifs antérieurs.
C’est toujours un coefficient de déterritorialisation supplémentaire qui va créer le mouvement de remaniement, de brisure et la connexion, l’engendrement, l’élargissement de l’arbre des implications. Il n’y a plus un sujet individué de l’énonciation, mais tout un réseau où l’énonciation collective passe par des chaînons humains, machiniques, sémiotiques. Il n’y a plus cette sacro-sainte coupure, ce vertige du sujet barré. Il y a toutes sortes d’engendrements dans toutes sortes de directions.
Félix Guattari
Extrait du texte publié dans Chimères n°23
Intervention au séminaire d’été de la Columbia University
organisé par Sylvère Lotringer à Paris, en juillet 1973
Traduit librement à partir d’un enregistrement

Document intégral à télécharger fichier pdf 23chi03

Photos : Mayte Bayon

À paraître en octobre 2014 : Devenirs révolutionnaires / Chimères n°83
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