Archive pour le Tag 'jean-philippe cazier'

Ce texte et autres textes. Fragments / Jean-Philippe Cazier

Ce texte sans écriture (ou trace d’un texte non-écrit), ce texte, dans vos rêves, parlera : inscrira dans ce texte, les hiéroglyphes de vos rêves, écrits ailleurs…

(Ce texte écrit pour ceux-qui-ne-savent-pas-écrire (par exemple les insectes, qui sont mes enfants, et que j’aime…)).

Ce texte, une tentative, d’une technique d’écriture nouvelle, d’écrire le rêve, à travers des images détruites, au moyen d’une technique d’écriture nouvelle : le rêve…
(ce texte, ne serait que l’émission prolongée d’un son dans l’esprit…).

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Ce texte de Mandelstam est-il une ombre ? Ce texte d’Ossip Mandelstam, peut-on le lire comme une ombre ? Peut-on le lire, s’il n’a pas été écrit ? (ce texte doit pourtant être lu, ce texte est même l’un des textes les plus nécessaires, Ossip Mandelstam…)
(n’écrivant qu’à mi-voix, Mandelstam cessa très tôt d’écrire, n’écrivant qu’à mi-voix, dans le frémissement de ses lèvres, Mandelstam…

(Ossip Mandelstam…: mort en route, camp de torture stalinien, voué à l’oubli – raison pour laquelle il n’a jamais écrit ce texte ?)
(ce texte n’est que sa propre décomposition : qu’on le lise ainsi) (« tout ce qui se passe est effroyable : décomposition dernière : tranchez-moi la gorge à coups de dents!») (pour ne plus écrire…)
(voué à l’oubli, sauf sa voix silencieuse, mort en route, dans la neige de Sibérie, sauf le frémissement de ses lèvres… (« considérez-moi comme une ombre, je suis une ombre ! » (Mandelstam…)).

(Ce texte d’un écrivain mort, nécro-texte langue aride, multiplie les destructions, de la langue et du monde
Ce texte blanc de Mandelstam, comme lire sa propre destruction (la langue aride, d’un écrivain mort : une ombre (tout écrivain est mort), écrivant l’oubli, la mort, ce texte, comme la page d’ombre, d’une parole morte).

(Ce texte : une ombre (lire ce texte : mourir) sur un chemin…

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Ce texte – «Immédiatement poétique» – caractérisé par l’explosion poétique, et la joie qui en résulte (ce texte, pour cette raison, est perceptible, même immédiatement, même par un lecteur, enfant) (d’où il résulte : 1) les enfants sont tous des terroristes ; 2) un texte dans lequel tout exploserait produirait nécessairement le maximum de joie ; 3) si tout le réel explosait, la joie serait universellement à son maximum ; 4) etc.) (questions : 1) pourquoi le réel n’explose-t-il pas ? 2) pourquoi les livres ne sont-ils pas détruits-déchirés-arrachés- brûlés? 3) un écrivain est-il un enfant-terroriste? 4) un écrivain doit-il écrire des livres ou les saccager ? 5) etc.).

Jean-Philippe Cazier

Ce texte et autres textes / 2015

Éditions Al Dante

Publié sur La Vie Manifeste

À lire :

Strass de la philosophie: Jean-Philippe Cazier ou les états superposés du texte / Véronique Bergen

Le Clavier Cannibale: Un texte en son absence: la syncope selon Cazier

couvcazier

Il n’y a pas de bon sens de l’histoire / Pierre Macherey / Chimères n°83 – Devenirs révolutionnaires

Jean-Philippe Cazier : Qu’est-ce qui serait révolutionnaire dans la façon dont Marx pense la révolution ?

Pierre Macherey : Marx ne s’est pas contenté de « penser la révolution », il s’est posé la question de savoir comment la faire concrètement, en l’intégrant au devenir réel du monde humain. Ce faisant, il s’est confronté à une difficulté dont les enjeux sont théoriques et pratiques. Il fallait concevoir les lois d’un devenir obéissant à ses nécessités propres et il fallait trouver les moyens, en faisant fond sur ces lois, d’intervenir sur ce devenir, pour en modifier le rythme ou lui imprimer une nouvelle orientation. La première exigence relève d’une logique de l’être, qui se situe dans une perspective de conservation, la seconde d’une logique du devoir-être, qui se situe dans une perspective d’innovation. Marx a cru surmonter cette contradiction avec le schéma de la dialectique hégélienne, sous condition que celle-ci soit « remise sur ses pieds ». De ce schéma se dégage la représentation d’une histoire ayant en elle-même le principe de sa Veränderung (devenir), qui ne soit pas réductible à une somme d’accidents externes, aléatoires. Pour adapter cette représentation au projet d’une politique matérialiste, il devait suffire d’assigner comme moteur à ce devenir le développement naturel des forces productives et des rapports de production, dont les interactions engendrent la lutte des classes. Le problème est que ce « renversement », ce passage d’une dialectique idéaliste à une dialectique matérialiste, laisse intacte la conception d’une histoire qui ne s’en dirige pas moins vers ses fins, à la jointure entre être et devoir-être, dans une perspective eschatologique. Ce qui est discutable, c’est la prétention de retotaliser l’ensemble des éléments qui interviennent dans le processus historique, en présupposant qu’ils doivent converger, faisant ainsi l’objet d’une représentation globale dont le fait révolutionnaire constitue l’un des moments. La question est alors de savoir si la conjoncture est ou non en soi révolutionnaire, ce qui est la condition pour qu’elle le soit aussi pour soi, en devenant la cible de l’action qui vise à la transformer. Cette question, qui se veut pratique, est en réalité purement théorique. Dans les faits, la conjoncture n’est jamais tout à fait révolutionnaire, programmée dans le cadre du devenir historique considéré dans son ensemble de telle manière que la révolution puisse ou doive y advenir. Ce qui signifie que la conjoncture est aussi toujours révolutionnaire, par un côté qui demeure à découvrir, et qui n’est pas fatalement le « bon » côté, celui qui regarde dans le sens où l’histoire, d’elle-même, est censée se diriger.
Il faut renoncer à voir les choses sous cet angle et prendre acte que, dans les faits, ça ne marche pas. L’idée de la grande Révolution, celle de la « lutte finale » qui, d’un seul coup bien placé, doit tout changer en bloc, a fait son temps. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut abandonner tout projet révolutionnaire, mais revoir l’allure générale de ce projet, en l’inscrivant dans une perspective non de globalisation et de concentration, mais de division et de dispersion. Apprendre à le décliner au pluriel, ce qui est le moyen d’en réconcilier les aspects objectifs et subjectifs, plutôt qu’assumer un projet de rupture définitive, répondant à la formule « classe contre classe » et/ou élaboré sous forme de programme ou de ligne sous la responsabilité d’une élite dirigeante. Les acteurs réels du devenir historique n’ont d’espoir de résister au système dans lequel ils sont pris dès leur naissance, et qui constitue la clé d’un assujettissement qui fait d’eux des sujets soumis au jeu clivant des normes, qu’en s’engageant dans des luttes partielles, souvent improvisées, qui profitent des occasions dans lesquelles ce système laisse émerger les équivoques et les contradictions sur lesquelles il est bâti et dont il ne parvient pas à effacer tout à fait la marque. Une politique matérialiste, pour autant qu’elle ne dispose d’aucune légitimité a priori, ne peut qu’être pragmatique, éclectique. Pour reprendre la maxime de Bonaparte : on avance et puis on voit. Que l’histoire n’aille nulle part, c’est une perspective d’ouverture, une chance dont il serait absurde de ne pas se saisir.
Pierre Macherey
Il n’y a pas de bon sens de l’histoire / 2014
Extrait de l’entretien publié dans Chimères n°83

Photo : Dan Mihaltaniu

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Ceci n’est pas une « bavure »

Le 6 décembre 1986, les voltigeurs mis en service par Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur, tuaient Malik Oussekine à Paris. Quatre jours après l’assassinat du jeune étudiant, une manifestation avait lieu à Paris à laquelle auraient participé quelques 600 000 personnes.
Depuis, ce n’est pas que la police n’ait jamais plus tué, mais jamais plus à l’occasion d’une manifestation, et ce jusqu’au 26 octobre 2014. Ce jour-là, sur le site du chantier du barrage de Sivens, les gendarmes mobiles ont tué Rémi Fraisse, jeune militant écologiste. Sept jours après cet homicide, avaient lieu deux manifestations à Paris. L’une, dite « pacifiste », appelée par l’ONG France Nature Environnement (FNE) pour laquelle militait Rémi Fraisse, aurait rassemblé moins de 600 personnes devant le mur de la paix au Champ-de-Mars, l’autre, place Stalingrad, dite « illégale » car interdite par la préfecture de police, aurait rassemblé 300 personnes plus les quelque 70 personnes interpellées par les services de police avant même d’atteindre le lieu du rassemblement.
Comment interpréter cette étrange scission entre deux rassemblements opposés dans leurs formes ? Et surtout, que s’est-il passé entre 1986 et 2014 ? Au moins autant que la violence policière, c’est peut-être bien le changement d’échelle dans la réponse populaire qui a suivi ces deux événements qui interpelle.
On nous rétorquera que les modalités de ces deux homicides ne sont pas les mêmes. Malik Oussekine est mort sous les coups de matraque acharnés de deux policiers. C’était, nous dira-t-on, une « bavure », c’est-à-dire un accident sans implications quant à la logique globale de l’usage de la force publique. Rémi Fraisse a de son côté été tué par un jet de grenade offensive. D’ailleurs Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, s’est empressé de défendre les forces de l’ordre : non, ceci n’est pas une « bavure » ! Certes, on conviendra que lancer une grenade n’implique pas le sujet agissant de la même manière que lorsqu’il matraque avec acharnement. Dans le premier cas, il n’y a pas de corps à corps. Après tout, lorsqu’on lance une grenade, comment savoir où elle atterrira ? Qui plus est face à des manifestations, qui, si l’on en croit la plupart des médias, sont de plus en plus confuses, violentes, menées par des excités qui veulent en découdre avec les forces de l’ordre ?
Le ministre a raison, mais pour d’autres raisons que celles invoquées. En effet, Rémi Fraisse n’a pas été victime d’une bavure. Pas plus ne l’ont été toutes celles et ceux qui, lors d’une manifestation, d’une interpellation ou d’une reconduite à la frontière, ont été mutilé-e-s par un tir de flash-ball, électrocuté-e-s par un taser ou étouffé-e-s. Un lancer de grenade offensive, pas plus qu’un passage à tabac, n’est pas une erreur technique. La mort de Rémi Fraisse n’est pas une bavure, mais un événement qui doit être compris dans sa dimension politique. L’absence de mobilisation d’ampleur au lendemain de l’événement est un symptôme de la banalisation de la violence policière illégitime et de sa mise en acceptabilité croissante.
Les mouvements d’opposition aux grands projets inutiles témoignent de nouvelles pratiques politiques et d’un engagement nouveau des jeunes et des moins jeunes. Ils excèdent largement les cloisonnements binaires de leur traitement médiatique majoritaire. L’usage d’une violence démesurée par les forces de l’ordre n’est en ce sens que la conséquence inévitable de l’inutilité des projets imposés, de leur mise en œuvre douteuse et de leurs conflits d’intérêt. On y reconnaît les effets de la technocratie néolibérale qui nous tient lieu de « démocratie », et qui apparaît de plus en plus, dans tous les domaines de la vie sociale, comme un processus de « dé-démocratisation ».Une fois tout dialogue rompu, comment contester ces aménagements autoritaires sans un minimum d’obstruction physique ? Dans de telles conditions, être tué ou mutilé par les forces de l’ordre n’est pas une « bavure », mais renvoie à des responsabilités institutionnelles et à des niveaux qu’il est possible et nécessaire d’établir.
Toute relativisation de la violence policière est inacceptable. Face au ressassement médiatique des épouvantails, « casseurs », « black bloc » ou autre, rappelons que le « cassage de vitrine » ne justifie pas l’utilisation d’armes de guerre, qu’il n’y a pas d’équivalence entre un dégât matériel et un homicide ou une mutilation, et que dans les faits, les dits « casseurs » subissent en général des sanctions judiciaires autrement plus importantes que les responsables de la « violence légitime ».
La mort de Remi Fraisse, tué par une grenade offensive lancée sur un groupe de manifestants, a de quoi susciter une large mobilisation collective, à laquelle on peut à bon droit associer le souvenir de toutes celles et ceux qui sont mort-e-s des mains de la « violence légitime», en rappelant que les migrant-e-s et les habitant-e-s des quartiers populaires y payent, depuis longtemps déjà, un lourd tribut en servant de cible banalisée d’une violence désormais étendue aux personnes qui contestent et désobéissent. L’atonie, la banalisation ou la justification de l’inacceptable mettent en péril l’institution même de la démocratie. Non, ceci n’est pas une bavure, et il serait fort regrettable que les lycéen-n-es, qui ont commencé à briser cette atonie, ne soient pas suivis en grand nombre.
Françoise Blum, Jean-Philippe Cazier, Samuel Churin, Laurence de Cock, Dominique Collignon-Maurin, Antonella Corsani, François Deck, Florent Gabarron-Garcia, Nacira Guénif, Remi Hess, Thomas Hippler, Elias Jabre, François Matheron, Olivier Neveux, Pascal Nicolas-Le-Strat, Ugo Palheta, Valentin Schaepelynck, Cyprien Tasset, Emmanuel Valat, Viviane Vicente, Christiane Vollaire.
Publié sur Mediapart le 12 novembre 2014

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