Laurent Muhleisen et Patrice Spadoni
Daniel Guérin (1904-1988), combats dans le siècle / 1994
http://www.alternativelibertaire.org/?Daniel-Guerin-combat-dans-le
Laurent Muhleisen et Patrice Spadoni
Daniel Guérin (1904-1988), combats dans le siècle / 1994
http://www.alternativelibertaire.org/?Daniel-Guerin-combat-dans-le
Après l’Assemblée nationale, la loi sur le renseignement a donc été validée par le Sénat à une forte majorité. Les lois scélérates sont toujours votées à de « larges majorités ». C’est quelques années plus tard que l’on s’avise de l’erreur commise. Quand il est trop tard. Quand le mal est fait, et entré dans les mœurs.
La loi sur le renseignement, c’est malgré tous les dénis gouvernementaux le coup du Patriot Act, avec quatorze ans de retard. Fort heureusement, nous avons pu voir ce que cela donnait, depuis le temps. Nous sommes déjà plus d’une décennie après la « loi sur le renseignement ».
C’est donc que le but de la surveillance de masse n’est pas de déjouer des « attentats terroristes », mais la surveillance de masse elle-même ; le « terrorisme » sert de prétexte à une tout autre politique.
L’étrange raisonnement qui consiste à dire « puisque la police a telle ou telle pratique illégale, autant la légaliser » plutôt que d’en déduire, ce qui serait tout de même plus logique, qu’elle doit cesser d’avoir ces pratiques, relève d’une sidérante démission devant la souveraineté policière. Si la sous-direction antiterroriste se mettait à régulièrement torturer des suspects « afin de déjouer des attentats », dirait-on : « il n’y a qu’à légaliser la torture » ? Dire oui, c’est la guerre d’Algérie. Ou les extraordinary renditions de la CIA après le 11 septembre, dont le Sénat américain a jugé à l’automne dernier que les États-Unis y avaient « perdu leurs valeurs ». C’est, à l’autre bout, la même logique devenue folle qui fait conclure à des parlementaires que pour éviter que des manifestants ne soient blessés par la police, il n’y a qu’à leur interdire de manifester.
Considérant cette fin, il va de soi que les moyens mis en œuvre seront en rapport : manipulation, séduction, corruption, violence, menace, chantage, au terme d’un processus qui aura mis à nu toutes les facettes de l’objectif visé, pénétré son intimité, exploité toutes ses vulnérabilités ». Sommes-nous sûrs de vouloir faire un chèque en blanc à ce genre d’individu, comme le fait la loi sur le renseignement ?
La loi sur le renseignement est essentiellement faite pour que de futurs scandales à son sujet ne sortent pas, et pour verrouiller une situation sociale métastable, un contexte politique tendant vers l’ingouvernable.
Le train de lois et de propositions de lois toujours plus féroces que le gouvernement multiplie depuis les attentats de janvier s’apparente à une offensive omnilatérale profitant de l’état de choc de la population. Une conseillère du ministre du Commerce britannique, n’écrivit-elle pas à ses collègues, dans l’heure qui suivit l’attentat du 11 septembre : « C’est un très bon jour pour faire ressortir et passer en douce toutes les mesures que nous devons prendre » ? Loi Macron, Rebsamen, sur le renseignement, réforme du droit d’asile, loi anti-squat, etc., font système. Elles sont autant de fronts ouverts simultanément dans une sorte de blitzkrieg social. Dans ce dispositif, la loi sur le renseignement fonctionne comme un verrou, un verrou contre les révoltes logiques ; et puisque c’est la DGSI qui sera en charge de « gérer » les mouvements naissants, les dissidences potentielles et les futures interdictions de manifester, c’est devant ses locaux que nous proposons de manifester le jour de la fête de la musique.
Allons voir où sont ceux qui nous surveillent !
Prenons la rue à ceux qui nous préfèrent chacun chez soi !
Faisons connaissance au nez et à la barbe de ceux qui nous connaissent si bien !
Nous appelons donc tous ceux qui luttent contre les nouvelles lois, tous ceux pour qui elles ne passent pas, tous ceux qui refusent de simplement subir l’offensive gouvernementale actuelle, à se réunir pour un banquet et une vaste assemblée populaire au pied du siège de la DGSI (84, rue de Villiers, Levallois-Perret), de midi à 18h, le dimanche 21 juin.
Les signataires de l’appel
Confédération Paysanne
Solidaires
Syndicat de la Magistrature
Ligue des Droits de l’Homme
Fédération Anarchiste
Parti de Gauche
Alternative Libertaire
Syndicat National des Journalistes
Syndicat des Avocats de France
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Le 6 mai dernier, le parquet de Paris a décidé de réclamer, à l’issue de sept ans d’enquête, le renvoi pour terrorisme de trois des mis en examen de Tarnac, soupçonnés d’avoir saboté des lignes TGV en octobre et novembre 2008. Julien Coupat, son épouse, Yildune Lévy, et son ex-compagne, Gabrielle Hallez risquent ainsi d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel pour « participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».
Cette décision confirme certaines des dérives du système antiterroriste français, parfaitement mises en évidence dans l’ouvrage consacré à l’affaire de Tarnac par le journaliste David Dufresne. Dans son livre Tarnac magasin général, il décrivait comment un service policier en sursis, celui des RG, avait cru trouver sa planche de salut dans la lutte contre la menace anarcho-autonome, mot forgé pour les différencier des autonomistes bretons ou corses.
Cette prétendue nouvelle expertise avait alors rencontré la pensée d’une ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, persuadée de la résurgence de la violence d’ultragauche, un autre mot maison visant à la différencier de l’extrême gauche.
Mais la décision du parquet de Paris ajoute une affaire à l’affaire, puisque avec Julien Coupat, Yildune Lévy et Gabrielle Hallez, c’est aussi un livre, L’insurrection qui vient, publié par le Comité invisible en 2007, qui est renvoyé au tribunal et qui reste le pilier de l’accusation.
Le parquet estime que Julien Coupat, malgré ses dénégations, en est l’« auteur anonyme ou au moins la principale plume » et la procureure adjointe en fait une lecture littérale, voyant dans cet « opuscule présenté de façon faussement béate par plusieurs témoins comme un simple livre de philosophie » un programme d’action suivi à la lettre par le groupe de Tarnac.
Avec cette lecture, le parquet de Paris estime donc que « ce pamphlet expose les nécessités de provoquer une insurrection, laquelle serait conduite par des groupes isolés ayant adopté un mode de vie communautaire qui auront assuré leur clandestinité ».
Quelques mois après des manifestations rassemblant plus de 4 millions de personnes dans les rues des villes de France en défense de la liberté d’expression, la décision a de quoi surprendre, même si elle rappelle la manière dont la justice italienne inquiète aujourd’hui l’écrivain Erri de Luca, qui risque la prison pour ses propos à l’encontre des grands travaux de la ligne de train à grande vitesse Lyon-Turin.
D’où l’envie de discuter avec l’éditeur de ce livre, Éric Hazan, fondateur des éditions La Fabrique, dont un certain nombre de titres pourraient, selon la perception du parquet de Paris, valoir des accusations de terrorisme, sans compter quelques références classiques de cette maison d’édition, comme l’ouvrage Instructions pour une prise d’arme, d’Auguste Blanqui, dont il faudrait peut-être, à l’aune de la vision contemporaine du terrorisme, songer à débaptiser le boulevard qui porte son nom…
Medapart le 14 mai 2015
Propos recueillis par Joseph Confavreux et Michel Deléan
À lire sur le Silence qu parle
Alain Brossat / Tous Coupat, tous coupables
http://www.dailymotion.com/video/x2q6d7j