Tout un réseau d’énoncés institués comme légitimes (être citoyen, voter, etc.) et qui instituent des sujets, c’est-à-dire leur donnent consistance et donnent consistance à un échange de parole qui permettrait de faire évoluer une action commune dans des rapports de force en assurant un lien social : ça serait ça, la politique !
L’état d’envoûtement d’une société
Quand ce réseau d’énoncés se transforme en axiomatique : il s’agit alors de jouer de ces discours afin de donner l’illusion de la politique, alors que les pouvoirs sont en réalité dissimulés dans d’autres lieux.
Mesurer le décalage entre ce réseau d’énoncés et son état de consistance révèle la puissance de dissimulation ou l’état d’envoûtement d’une société.
Par exemple : « être citoyen » devrait donner consistance à des pratiques comme « voter » : or taux d’abstention record en raison d’une incapacité à croire à l’action du vote, etc.
En parallèle, quels énoncés peuvent provoquer le désir ?
Où est-ce qu’un sujet trouve consistance pour assurer le dialogue et le lien social ?
Le premier pas de l’enquête consisterait à mettre en parallèle des réseaux d’énoncés en construisant un outil qui mesurerait leur état de consistance, c’est-à-dire leur capacité à assurer le politique :
- les énoncés institués comme légitimes pour faire de la politique mais dont l’état de consistance est déliquescent
- les énoncés dissimulés ou non qui sont les véritables lieux des pouvoirs qui donnent consistance aux sujets.
- les énoncés nouveaux qui apparaissent hors de ces lieux
Quand les énoncés politiques légitimes sont en déliquescence, surgissent les morts-vivants.
Le cynisme
Il est proportionnel au décalage entre l’investissement libidinal de valeurs dont nous sommes les héritiers et le fait que les énoncés qui les soutiennent ont été détournés ou effacés pour être rendus inopérants.
- la mauvaise conscience
- la question de la parodie
Les lieux de vie qui se segmentarisent et se transforment en lieux de rabattement
Faute d’assurer le lien social et politique, les énoncés déliquescents entraînent des phénomènes de repli.
La famille et le couple avec ses logiques névrotiques qui redoublent de violence.
L’amitié des entre-soi, tout en jouant sur le terrain du désir mimétique et donc lieu du narcissisme exacerbé.
Des communautés dites religieuses, sont en général convoquées et présentées comme permettant de retrouver d’ultimes catégories d’énonciation du sens et des valeurs.
Mais ces énoncés semblent incapables de redonner consistance aux sujets déconstruits d’aujourd’hui.
Faute de prendre consistance dans ces derniers espaces, amitiés, famille, communautés religieuses, des tributs apparaissent autour de mondes nouveaux ou archaïques plus ou moins contaminés et contenus par le capitalisme : mouvements nationalistes, sectes, etc.
En parallèle, les morts-vivants peuplent le monde
1) Alors faites du sport. Le sport qui répond au désir eugénique de la performance et permet de reconstituer du lien social autour d’enjeux de classement (W ou le souvenir d’enfance / Georges Perrec).
2) La psychanalyse pour apprendre à jouer de l’énonciation et des énoncés (jeu de lego à construire et déconstruire) dans un scepticisme indolent en assurant une position narcissique douce.
Le désir emprisonné dans les machines capitalistes, le discours de la cybernétique
Le discours de la cybernétique constitue un nouveau lieu de rabattement du désir. Dans un monde où le politique est décomposé et où les identités se cherchent, il propose de nouvelles croyances qui justifient la libération des flux du capital et associent scientisme et libération personnelle.
Les coachs et les sectes prolifèrent : PNL, Rael, scientologie…
S’interroger sur l’étrange parallélisme entre les pratiques de libération sociale des années 60, 70 et les pratiques libérales, comme si chaque question politique de refonte du lien social se transformait à chaque fois en sa parodie narcissique et cauchemardesque (Vivre et penser comme des porcs / Gilles Châtelet) .
Or :
« C’est en quoi les deux critiques du sujet proposées respectivement par les cybernéticiens et les philosophes « de la différence » sont diamétralement opposées : pour ceux-là, il s’agit de déplacer la maîtrise rationnelle de l’entropie depuis la volonté individuelle où l’avait logée le libéralisme kantien vers une instance panoptique et acentrée (qu’on l’appelle réseau ou néguentropie), de ne plus tenir compte de ce mythe de l’intériorité qui aurait trop longtemps ralenti les sociétés développées, tandis que selon ceux-ci, l’idéologie historique de la « conscience individuelle » et les sciences de la Psyché qu’elle a fait naître nous empêchent d’accéder aux flux collectifs qui nous composent, aux sujets multiples que nous abritons, aux identités nomades ou toujours-déjà décalées dont nous sommes faits. » (Cybernétique et « théorie française » : faux alliés, vrais ennemis / François Cusset).
Si le désir circule sur cette ligne frontière, bien qu’elle oppose deux univers si différents, quelles tactiques pour le refaire passer du côté de la politique ?
Le potentiel des morts-vivants
Etant donné la quantité de désir capturé ou évidé, il y a une puissance extraordinaire en réserve à faire partir des lignes de fuite dés qu’une machine de guerre arrivera à se brancher sur ce « peuple qui manque ».
Risque fasciste ?
Les nouveaux lieux d’une énonciation résistante et de la politique
La différence entre groupe sujet et groupe assujetti, la transversalité :
« (…) Toute cette analyse prend son sens en fonction de la distinction que Guattari propose entre groupes assujettis et groupes sujets.
Les groupes assujettis ne le sont pas moins dans les maîtres qu’ils se donnent ou qu’ils acceptent, que dans leurs masses ; la hiérarchie, l’organisation verticale ou pyramidale qui les caractérise est faite pour conjurer toute inscription possible de non-sens, de mort ou d’éclatement, pour empêcher le développement des coupures créatrices, pour assurer les mécanismes d’autoconservation fondés sur l’exclusion des autres groupes ; leur centralisme opère par structuration, totalisation, unification, substituant aux conditions d’une véritable « énonciation » collective un agencement d’énoncés stéréotypés coupés à la fois du réel et de la subjectivité (c’est là que se produisent les phénomènes imaginaires d’œdipianisation, de surmoïsation et de castration de groupe). Les groupes-sujets au contraire se définissent par des coefficients de transversalité, qui conjurent les totalités et hiérarchies ; ils sont agents d’énonciation, supports de désir, éléments de création institutionnelle ; à travers leur pratique, ils ne cessent de se confronter à la limite de leur propre non-sens, de leur propre mort ou rupture. Encore s’agit-il moins de deux sortes de groupes que de deux versants de l’institution, puisqu’un groupe-sujet risque toujours de se laisser assujettir, dans une crispation paranoïaque où il veut à tout prix se maintenir et s’éterniser comme sujet ; inversement, « un parti, autrefois révolutionnaire et maintenant plus ou moins assujetti à l’ordre dominant, peut encore occuper aux yeux des masses la place laissée vide du sujet de l’histoire, devenir comme malgré lui le porte-parole d’un discours qui n’est pas le sien, quitte à le trahir lorsque l’évolution du rapport de forces entraîne un retour à la normale : il n’en conserve pas moins comme involontairement une potentialité de coupure subjective qu’une transformation du contexte pourra révéler ». (Exemple extrême : comment les pires archaïsmes peuvent devenir révolutionnaires, les Basques, les catholiques irlandais, etc.) Il est vrai que si le problème des fonctions de groupe n’est pas posé dès le début, il sera trop tard ensuite. Combien de groupuscules qui n’animent encore que des masses fantômes ont déjà une structure d’assujettissement, avec direction, courroie de transmission, base, qui reproduisent dans le vide les erreurs et perversions qu’ils combattent. L’expérience de Guattari passe par le trotskisme, l’entrisme, l’opposition de gauche (la Voie communiste), le mouvement du 22 mars. Le long de ce chemin, le problème reste celui du désir ou de la subjectivité inconsciente : comment un groupe peut-il porter son propre désir, le mettre en connexion avec les désirs d’autres groupes et les désirs de masse, produire les énoncés créateurs correspondants et constituer les conditions, non pas de leur unification, mais d’une multiplication propice à des énoncés en rupture ? La méconnaissance et la répression des phénomènes de désir inspirent les structures d’assujettissement et de bureaucratisation, le style militant fait d’amour haineux qui décide d’un certain nombre d’énoncés dominants exclusifs. » (Trois problèmes de groupe / Gilles Deleuze). Alors ? Faire des groupes à partir des lieux où nous sommes déjà ? Et se multiplier ?
Publié dans l’Anti-OEdipe en question / novembre 2009