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Théâtre(s) clinique(s) / Flore Garcin-Marrou / Chimères n°80 Squizodrame et schizo-scènes

1/ Le théâtre clinique est-il un théâtre qui utilise la catharsis pour purger l’âme du spectateur, soit un théâtre métaphoriquement thérapeutique ? 2/ Le théâtre clinique est-il joué dans les institutions psychiatriques? Foucault a admirablement bien décrit dans l’Histoire de la folie à l’Âge classique cette « vieille habitude du Moyen-âge de montrer des insensés », qui devient jusqu’à la Révolution « une des distractions dominicales des bourgeois » (1). Le voyeurisme laisse place à une véritable culture de l’art dramatique lorsque le professeur Esquirol dispense une « médecine des passions » qui prend en considération la vie affective de l’aliéné, et surtout, pose le principe d’un traitement relationnel comme moyen curatif, traitement qui repose notamment sur la pratique de distractions comme le théâtre. À Charenton, en 1804, on atteste de 161 guérisons par le théâtre. 3/ Le théâtre clinique est-il un théâtre en clinique ? S’agit-il de faire improviser les patients à partir de situations conflictuelles qui rejouent les rapports affectifs problématiques devant un thérapeute, qui donne ensuite son interprétation (psychodrame) ? 4/ Le théâtre clinique est-il d’abord du théâtre, avant d’être outil d’une clinique ? À La Borde, quand Nicolas Philibert filme dans la Moindre des choses (1995) les répétitions du club-théâtre animé par Marie Leydier, les soignés sont des acteurs qui jouent des textes, jubilent et jouissent des mots d’Opérette de Gombrowicz. 5/ Le théâtre clinique est-il un théâtre du soin, qui se pratique dans les dehors du théâtre, dans les centres sociaux, les centres de détention, auprès d’adolescents difficiles, de vétérans de guerre (on renvoie à la manière dont les Trauma Studies mettent en avant un théâtre du care, théâtre de la résilience post-traumatique (2) ? 6/ Le théâtre clinique est-il un théâtre joué par des handicapés mentaux qui s’affirment sur scène tels des acteurs professionnels, vivant la vie de troupe, les tournées, l’alternance…? C’est le cas à Zurich du Theater HORA, ou de la compagnie de l’Oiseau-mouche de Roubaix : troupe permanente de 23 comédiens professionnels, personnes en situation de handicap mental, premier Centre d’Aide par le Travail artistique de France, créé en 19813. 7/ Le théâtre clinique est-il un théâtre écrit par un médecin ? On pense alors à Tchekhov et Boulgakov, médecins et dramaturges, ou à l’alliance détonante d’André de Lorde – auteur à succès de théâtre de Grand-Guignol – et d’Alfred Binet – père de la psychologie expérimentale – : auteurs à quatre mains de drames sanguinolents qui ont lieu dans des asiles psychiatriques, sur des tables d’opération de chirurgiens-bouchers-thanatophiles, dans le cabinet de médecins-fous (4) ? 8/ Le théâtre clinique est-il un théâtre qui a lieu dans des institutions psychiatriques fantasmagoriques, comme dans Marat-Sade de Peter Weiss ou Purifiés de Sarah Kane ? 9/ Peut-on résolument opposer le théâtre clinique (comme théâtre d’observation du réel) au théâtre critique (de dénonciation du réel) ?

Relation
Si Félix Guattari apporta une connaissance d’un terrain clinique, fort de sa vie et de son expérience à La Borde, Deleuze avait déjà, avant la rencontre, commencé à théoriser une certaine idée d’un théâtre clinique. Le premier pas opéré dans ce sens se repère dès Empirisme et subjectivité : pour Deleuze, alors que le théâtre de la pensée dialectique hégélienne est un « faux drame » qui donne à voir un « faux mouvement » (5), l’empirisme humien a cette capacité d’engager un vrai mouvement de la pensée, une logique des relations, où les concepts émanent de rencontres pratiques, aléatoires, fruits de l’expérience sensible. Ce théâtre de la pensée n’implique donc pas une pensée représentative, où les concepts sont des représentations fixes, des essences mais invite l’esprit à s’émanciper de la mimèsis et à penser en termes de relations. Ce théâtre de relations est dramatique : Hume compose de « véritables dialogues en philosophie », où les personnages n’ont pas de « rôles univoques » et « nouent des alliances provisoires, les rompent, se réconcilient » (6), sans que le drame ne trouve nécessairement sa résolution dans une Aufhebung. Le dialogue qui se noue entre les trois personnages des Dialogues sur la religion naturelle n’est pas de l’ordre du conflit, mais aspire à un certain réalisme de la conversation. De même, il n’aspire à aucune représentation scénique car il participe d’un drame de la pensée sans images – « collection sans album, pièce sans théâtre, ou flux des perceptions » (7). Voilà un théâtre de l’esprit, sans scène, sans spectateurs, où des entités dialoguent à bâtons rompus. Une « tranche de vie et de pensée » immanente. Ce qui distingue véritablement Hume de Hegel, c’est que la dialectique « représente des concepts » alors que l’empirisme humien « dramatise des Idées » (8). Dès lors, c’est à partir de cette première distinction (entre représentation et dramatisation) que s’ouvre l’opposition pour certains et la superposition pour Deleuze de la critique et la clinique (et par extension, du théâtre critique et du théâtre clinique).
Le théâtre clinique se joue là où il y a une dramatisation à l’œuvre. Ce postulat est présent dans Nietzsche et la philosophie (1962) et La Philosophie critique de Kant (1963). Avant d’aller plus loin dans l’élaboration d’une clinique, Deleuze met à l’épreuve la critique kantienne. Il oppose d’emblée la « fausse critique » (dont Kant est, pour lui, l’incarnation parfaite) à la « vraie critique » (9) qui s’attache à pratiquer une critique-machinerie.
Flore Garcin-Marrou
Théâtre(s) clinique(s) /2013
Extrait du texte publié dans Chimères n°80 Squizodrame et schizo-scènes
LABO-LAPS / Laboratoire des Arts et Philosophies de la Scène
autop

Félix Guattari / Autoportrait à la Artaud / collection Jean-Jacques Lebel

1 M. Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, Tel, 1972, p.161.
2 Le programme international des Trauma Studies agit en faveur d’un théâtre social, expérimenté comme méthode permettant de responsabiliser les communautés et mettre en œuvre leurs propres réponses face aux catastrophes, aux traumatismes, les menant plutôt vers le rétablissement que la résignation. Ce programme travaille avec les communautés de réfugiés de New-York, les victimes de la guerre du Kosovo, la communauté des victimes du 11 septembre. http://www.itspnyc.org/theater_arts_ against.html
3 http://www.oiseau-mouche.org/actualites/dans-les-murs
4 Je renvoie à F. Garcin-Marrou, « André de Lorde, Alfred Binet : quand le théâtre du Grand-Guignol passionne les scientifiques », revue Recherche et éducations, n° 5, 2011, p. 193-204.
5 G. Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, [1968], 1996, p. 18.
6 G. Deleuze, « Hume », L’Ile déserte. Textes et entretiens, Paris, Les Éditions de Minuit, 2002, p. 236-237. Deleuze veut parler ici des Dialogues sur la religion naturelle qui mettent en scène Déméa (figure de la religion révélée), Cléanthe (figure de la religion naturelle), Philon (le sceptique).
7 G. Deleuze, Empirisme et subjectivité, Paris, PUF, [1953], 1993, p. 4.

Dix propositions jetables sur le squizodrame / Gregorio Baremblitt / Chimères n°80 Squizodrame et schizo-scènes

Première proposition
J’ai créé le squizodrame avec une équipe en 1973 à Buenos Aires en Argentine. La généalogie de cette proposition devrait passer sans doute par la naissance du drame selon Georges Politzer et par le sociodrame de Jacob Moreno, pionniers que nous respectons.

Deuxième proposition : un assemblage de multiplicité
Cette pratique fonctionne comme un ensemble diffus de théories, pragmatiques, stratégies, tactiques, techniques et cliniques inspirées par les différentes cartographies pratiques de l’œuvre squizoanalytique (comprenant plus de cinquante textes et entretiens…). Ma lecture squizodramatique de l’œuvre de Deleuze et Guattari est singulière, particulière, comme c’est le cas souvent pour ceux qui cartographient ce plurivers avec un esprit d’invention. Cette lecture, qui se veut productive, choisit des textes ou des fragments de textes, omet et questionne des personnes ou des morceaux choisis selon des trajectoires qui rendent intelligibles chaque étape de la pratique. À cela s’ajoutent les idées, concepts, perceptions, intuitions, gestes, sensibilités, sensorialités, attitudes, sons, mouvements qui sont en réciproques mutations. Cette réflexion se nourrit de sources très hétéroclites, et surtout du théâtre. Des influences incontournables alimentent le squizodrame : Artaud, Alcântara, Boal, Beckett, Brecht, Bene, Kantor, Ionesco, Jarry, Pavlovsky, le Nô, le Kabuki… Dans l’œuvre de Deleuze et Guattari, nous privilégions la lecture de L’Anti-Œdipe et Mille Plateaux. Nous n’écartons néanmoins aucun autre écrit de ces auteurs, notamment Un Manifeste de moins de Deleuze et Bene. Nous nous appuyons aussi sur l’article de Foucault « Theatrum philosophicum » et sur l’histoire de la dramaturgie comme sur les textes des théoriciens et critiques de théâtre.
L’objectif principal du squizodrame consiste à fonctionner de manière hétérogène et hétérologue, multiple, transversale, machinique et immanente, avec des ressources dramatiques expérimentées dans de nombreuses écoles de théâtre et à s’approprier (dans le bon sens du terme) différents savoirs et travaux en cours. Le squizodrame se nourrit (théoriquement et kliniquement) d’autres sources et d’autres instruments comme la musique, la danse, le chant, les arts martiaux, les massages, les techniques de respiration. Il emprunte à la vidéo, au cinéma, aux mélanges des corps, au devenir et aux rencontres… Le squizodrame s’appuie aussi de manière critique sur les voix, considérées non pas d’après leur nature signifiante propre au sujet, mais d’après leur aspect mineur. Il est important de reconnaître explicitement, surtout à un niveau technique, que le squizodrame vole littéralement des matières premières à des systèmes psychothérapeutiques déjà connus, des rituels primitifs, des scènes de cinéma, des narrations littéraires et à tous types d’événements historiques déjà survenus ou actuels…
Il s’agit d’intervertir, par capillarité, multiplicité et intersticité, des entités superficielles d’enregistrement et de contrôle du même nom (selon les squizèmes de L’Anti-Œdipe). Employant ici une nomenclature descriptive, il s’agit de travailler les aspects physiques, chimiques, biologiques, éthologiques, sociaux, économiques, politiques, sémiotiques, subjectifs et technologiques, par le moyen de montages transdimensionnels, squizodramatiques d’intervention. Formulé en squizème opérationnel, ces aspects sont abordés pour être destratifiés, décodifiés, dé-surcodifiés, dés-axiomisés. Ce travail en négatif s’articule à une tâche affirmative provoquant des lignes flexibles et des lignes de fuite, une émission de particules, une re-fluidification de flux, une production de subjectivités désaliénées (dés-œdipianisées), concernant autant de personnes que de groupes, des courants d’organisations, des institutions… Il s’agit d’activer des micropolitiques désirantes révolutionnaires qui militent pour actualiser des virtualités qui métamorphosent les panoramas des relations actuelles entre le réel, le possible et l’impossible. Nouveaux plis, déplis et replis. Nouveaux nomades. Nouveaux territoires existentiels et universaux de valeurs. Il est clair qu’en principe, nous essayons toujours d’opérer avec une infinie prudence et une infinie audace, sans jamais oublier qu’expérimenter est toujours une chose qui se fait sur la corde raide, parfois, dans des limites incertaines. Dit selon d’autres squizèmes, nous aspirons à orienter nos théories et nos kliniques vers des régimes post-signifiants, des langues, des dramaturgies, des mouvements et des narrations mineures. Nous tentons de construire des agencements catalyseurs d’inconscients, d’alter-réalités ou chaosmotiques, produits selon des diagrammes ad hoc pour monter des complexes : des machines abstraites (de guerre, des arts, d’amours), corps sans organes, plan de consistance, de composition et d’immanence (selon les cas) et des machines abstraites-machines concrètes, composées par des dispositifs constitués par une prise en charge réciproque durable : agencements collectifs d’énonciation et agencements machiniques de corps, générateurs d’effets individualisant par heccéité (une date, un nom, un lieu, une singularité).

Troisième proposition : les opérations du squizodrame
L’intervention squizodramatique se décline en deux opérations :
A / Des opérations « négatives » (la négation, ici, n’est pas à considérer dans son sens hégélien) de « décapage » ou de « démolition » de manifestations réactionnaires, réformistes et conventionnellement « révolutionnaires ».
B / Des opérations « positives » consistant à accompagner de manière cartographique les extra-limites de prolifération. Autrement dit, il s’agit de déconstruire la réalité, ses valeurs définitives, comme le fétichisme de la marchandise, les valeurs de bénéfice, de rente, de profit et de commandement, les macro et micro-entités reproductives et anti-productives : leurs formes, leurs structures, leurs ensembles stabilisés, leurs croyances, leurs dualités confrontées à des dilemmes, leurs centralisations, leurs hiérarchies transcendantales, éminentes et captives, mais aussi leurs lignes fixes, leurs circularités concentriques et résonnantes, leurs espaces striés, leurs faux « développements », leurs subjectivités aliénées définies par leur régime signifiant, par les interprétations et les visagéités qui leur sont propres. Il s’agit de pointer du doigt, avec des stratégies, des tactiques et des techniques des plus inédites, les institutions, les organisations, les subjectivités et les individualités qui s’avèrent être des processus reproducteurs et anti-productifs, macro et micro de l’État, du Capital, de l’Œdipe, des Églises, des systèmes d’éducation en série, du système de soin inexistant ou inadapté, de la communication de masse. Il s’agit de démasquer les partis politiques et les syndicats corrompus, la famille traditionnelle bourgeoise et la vie quotidienne.
C / En somme, il est nécessaire de scruter la réalité, ses modèles, ses schèmes, ses plans et programmes, ses dispositifs de pouvoir et d’administration (légale ou illégale) de tout type y compris les dispositifs de violence. Nous nous proposons de dénoncer les faux-semblants, les aspects rêveurs et hypnotisants de l’appareil communicationnel : ce réseau omniprésent qui occulte ses fonctions essentielles de dénonciation de toute servilité à « l’ordre public », à l’ultra-consommation, au vote ignorant ou acheté, au préjugé partagé. Le squizodrame se propose d’attaquer ce pernicieux panorama, auquel s’ajoutent l’acceptation passive de la croissance anémique des salaires, l’inégalité entre les salaires, la corruption généralisée, le chômage, le travail dans des conditions esclavagistes, le travail des enfants, le travail précaire, le sous-emploi, la délinquance et la répression.
À la place de ces injustices, il s’agit d’élaborer des complexes – le terme complexe est utilisé ici comme il est employé dans les expressions « complexe industriel », « complexe d’enseignement et de recherche » – : des complexes relevant de machines abstraites (machines de guerre, artistique, écologiques) connectés à des machines concrètes (des agencements collectifs d’énonciation, des agencements machiniques de corps) sur un plan de soutien, de consistance, d’immanence, de composition, selon la singularité de son actualisation et/ou de sa réalisation par chaosmose. Ces squizèmes sont variés et forment une complexité avec le corps sans organes, un diagramme de forces, des matières sans dimension… Ce sont des productions et des fonctionnements squizémiques (théoriques) qui ne sont pas moins combatifs que le squizodrame, opérant un décapage, une déconstruction, une neutralisation des dispositifs de pouvoir, catalysant une mise au jour, une éclosion de fonctionnements chaosmiques.

Quatrième proposition : diverses formes de résistance
Dans différents textes squizoanalytiques se formule le squizème de résistance, employé autant à des fins défensives, répétitives et anti-productives dans la réalité (surface d’enregistrement et de contrôle, dans la topologie de L’Anti-Œdipe) lorsqu’il résiste au changement, que pour nommer des stratégies libertaires élaborées et actualisées émanant de puissances d’alter-réalité chaotique et chaosmique. Suivant cette distinction, il est nécessaire de différencier ces deux types de résistance. La résistance, utilisée par des dispositifs de pouvoir, contre tout type de production désirante, inventive et révolutionnaire, consiste en une série de « mécanismes » ou mieux, de machinations contre toute production d’alter-réalité.
Différemment, quand un squizoanalyste se réfère aux processus et aux fonctionnements affirmatifs, actifs et combatifs alter-réalistes, il emploie le même squizème de résistance qui implique alors des formes clandestines de combat dans les guerres civiles, internationales et des luttes de minorités singulières. Ainsi, l’ennemi est au service de l’axiomatique du Capital, de pouvoirs molaires, macro et micro, ostensiblement écrasants. Les mouvements libertaires semblent alors n’avoir plus qu’une fonction réactive. On peut partager cette impression à propos des squizèmes de ligne de fuite, de nomadisme, de devenir imperceptible… […] L’« interprétation » d’un squizoanalyste qui capture le réel peut confondre une formation organisationnelle et une orientation tactique modérée ou passive. Il arrive, par conséquent, que quelques prétendus squizoanalystes (ou néo-squizoanalystes) comprennent de manière faussée ou de façon opportuniste cette terminologie et justifient des positions de simple érudition, d’esthétisme aristocratique ou des actions « d’évasion » de type hédoniste, alors que le squizodrame n’a rien à voir avec les échappatoires désertiques des spiritualistes et des anachorètes, ne partage pas les idéalisations fanatiques de toutes les singularités minoritaires, de tout ce qui est alternatif, ni la confusion entre marginalisé et marginal, entre révolte et révolution, entre événement et miracle. Nous avons bien conscience que les efforts pour la diffusion de la squizoanalyse peuvent être détournés au profit d’un usage exhibitionniste ou lucratif, dû à la sur-exposition de certains aspirants à se faire remarquer. Le malentendu, parfois, provient d’une confusion autour de la « micropolitique », dont l’aspect micro ne doit pas être entendu comme petit, pacifique et invariablement « joyeux ». Les fêtes copieusement arrosées n’ont rien à voir avec les événements de Mai 68. Le théâtre pauvre n’ont pas nécessairement comme finalité de conduire les pauvres au théâtre.
Le squizodrame cherche à avoir toujours présent à l’esprit ces erreurs et ces distorsions. Les complexes relevant des machines abstraites et ceux relevant des machines concrètes du squizodrame (et de la squizoanalyse) sont, par définition, intenses, affirmatifs, actifs et mènent parfois à des confrontations. Le squizodrame peut être « cruel » (cruel ne s’entend pas seulement comme une formation territoriale primitive ou comme l’attribut du théâtre d’Artaud) : il est alors un démontage de processus, d’entités et de logiques névrotiques, perverses, paranoïaques et squizophrènes relevant de l’enregistrement, du contrôle, de la consommation.
Lors des opérations positives, ces complexes squizoanalytiques et squizodramatiques visent à émettre des lignes de fuite, des quanta de sensations, de vibrations, de particules et d’autres éléments infinis, inventifs, mutants, micro et macro-politiques. Émergent alors des productions de nouveaux territoires et de projets existentiels, de nouveaux univers de valeurs, des nouvelles puissances, des nouveaux événements et devenirs (sexuels, liés à l’âge, raciaux, nationaux, idiomatiques, corporels). Le squizodrame permet de gérer des inconscients alter-réels par ses dispositifs productifs-désirants-révolutionnaires-proliférants. En dehors de tout hasard, l’éternel retour des différences, la transversalité hétérologue, multiple et machinique permet une connexion avec des forces matérielles et des processus très divers, tant dans les luttes libertaires que dans les expériences de la vie. Le squizodrame peut être à l’origine d’ascèses intimes, d’expériences subjectives abyssales, tout en insistant sur le fait qu’elles soient connectées avec des machines collectives, productives, et révolutionnaires (prenons par exemple des stratégies héroïques de résistance passive, comme celles de Mandela ou de Gandhi).
Gregorio Baremblitt
Dix propositions jetables sur le squizodrame /2013
Extrait du texte publié dans Chimères n°80 Squizodrame et schizo-scènes
Illustration : Mayte Bayon en Pessoa
à voir : Techno Live Vision / Escritos de la Enajenada I et II
Mayte Bayon en Pessoa

Squizodrame et schizo-scènes / Anne Querrien, Flore Garcin-Marrou, Marco Candore / Édito Chimères n°80

En octobre 2012 paraissait à Barcelone un livre coordonné par Gabriela Berti : Félix Guattari, los ecos del pensar. La jeune philosophe de Barcelone nous proposait un tour du monde des groupes qui se réclament de la pensée de Deleuze et Guattari. Nous connaissions au Brésil Suely Rolnik et ses livres, Cartographies du désir et Micropolitiques ; nous connaissions Peter Pál Bart et le théâtre Ueinzz. Mais nous avons découvert avec stupéfaction l’activité schizoanalytique collective de Gregório Baremblitt et les différentes institutions qu’il a créées. Nous sortions d’une année de lectures collectives de Chaosmose et de philo-performances qui nous avaient alertés sur l’affinité entre certains théâtres et la pensée de Guattari. Nous avions commencé à redécouvrir le théâtre de Félix Guattari.
Apprendre que Gregório Baremblitt avait mis au point le schizodrame comme dispositif de recherche et d’intervention clinique nous semblait s’inscrire dans la suite logique des travaux en cours de Chimères. Ne peut-on percevoir notre société comme un entremêlement de schizodrames, comme un champ de forces opposées dans lequel chacun ou chaque groupe ont à construire sa propre dramatisation, sa propre ligne de fuite ? La théâtralisation récente des manifestations politiques, notamment des manifestations altermondialistes, avec l’usage de masques, de marionnettes, de slogans satiriques, indique cette nouvelle importance de la dramatisation dans le traitement des situations politiques. Nous avons proposé que ce numéro 80 de Chimères s’appelle « Schizodrames » au pluriel.
Halte-là nous a fait savoir Baremblitt en brésilien pendant que nous lui écrivions en français. – Le schizodrame, c’est du sérieux, c’est une invention que j’ai faite en composant, de manière éclectique, autour de la colonne vertébrale des travaux de Deleuze et Guattari, l’ensemble des apports de la pensée institutionnaliste et critique contemporaine. Un travail de transformation de la psychanalyse commencé avant de lire L’Anti-Œdipe – dans lequel j’ai ensuite trouvé la théorie qu’il me fallait pour créer des dispositifs d’accompagnement de militants, de créateurs d’entreprises autogérées, de travailleurs sociaux en Argentine, en Uruguay et au Brésil, mais aussi des dispositifs cliniques qui ne sont que des indications pour une pratique schizoanalytique de masse. Mais le schizodrame ne se trouve pas dans la nature sociale comme vous avez l’air de le penser, ce n’est pas une manière d’observer des pratiques hétérogènes, mais une manière bien précise de construire des dispositifs d’intervention. Le schizodrame ne se décline pas au pluriel, il n’existe qu’au singulier, comme invention théorique et pratique de Baremblitt.
Qu’à cela ne tienne ! Nous avons rebaptisé notre numéro « Squizodrame et schizo-scènes » pour rassembler dans une même production la pratique latino-américaine du squizodrame (transcrit squ-) et la diversité des tentatives théâtrales qui se sentent proches de la schizoanalyse de Deleuze et Guattari (notée sch-) sans se concevoir comme des applications. La schizodramatisation du monde est rendue ici sensible par l’exemple de la ville de Detroit, autrefois championne de l’industrie automobile et aujourd’hui, territoire d’invention d’un nouveau mode d’existence fait d’agriculture, de recyclage, de pauvreté, à la recherche d’un nouveau chemin entre des perspectives contradictoires, lieu forcé de la création. Créations théâtrales avec des prisonniers et/ou des fous, accueil de Rroms, théâtres-forums sur des questions politiques complexes, poésies, images, textes, corps, villes, rêves, concepts dialoguent avec l’interventionnisme latino-américain pour tracer une nouvelle cartographie partielle du deleuzo-guattarisme tel qu’il se pratique de part et d’autre de l’océan atlantique. Symptomatologie de dramaturgies qui nous aident à penser un « théâtre clinique », un « schizo-théâtre » et le renouveau d’un théâtre politique, dont s’emparent d’autres générations de militants, en écho aux soulèvements des populations arabes, sud-américaines, européennes, appelant à l’agencement des inconscients et à l’émancipation des consciences.
En poursuite et en lien avec une discussion ouverte ici sur le cinéma en tant que « machine asignifiante » –, en agencement avec son support papier, ce numéro de Chimères se prolonge, via son site, par la mise en ligne d’images filmées de fiction (Lipodrame), de performances (Mayte Bayón, Damien Schultz) ou sur le mode documentaire (Mukhtadara), les « schizo-scènes » ne se limitant pas au seul espace théâtral. Le sujet n’est pas épuisé : nous aurons à cœur de proposer une suite, un ou plusieurs rendez-vous, journée(s) et/ou soirée(s) de philo-performances, de lectures de textes – Sarraute, Woolf, Joyce, peut-être, et entre autres…
À suivre !
Anne Querrien, Flore Garcin-Marrou, Marco Candore
Squizodrame et schizo-scènes / novembre 2013
Edito Chimères n°80
de toutes les couleurs
De toutes les couleurs / Gérard Fromanger

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