Pendant la préparation de ce numéro, la réforme du régime des retraites a porté un nouveau coup aux acquis sociaux, le monde arabe s’est soulevé, et le Soleil levant a recraché le feu inextinguible de la société nucléaire. Garé à Montreuil, Gigi, le camion de Z, ne démarrait plus. Nous constations plus tard qu’un inconnu s’y était installé pour y passer l’hiver. Alors, nous sommes restés là où nous étions, nous sommes même allés au plus près de nous-mêmes, fouiller dans les mondes de la précarité.
Au cœur de la ville aux mille extrémités, celle des tours de la Défense et des trottoirs de la misère, nous avons rencontré la foule – prétendument sans voix, mais assurément refoulée – des travailleurs pauvres, des chômeurs, des RSAstes ; et nous avons poussé la dérive jusqu’aux sans-abri, créchant sous la lune ou se réchauffant dans quelque centre d’hébergement.
Dans un monde où l’efficacité est le but ultime, et l’abondance le mythe régulateur, il y a une place assignée pour s’occuper de l’humanité que l’économie a rendue superflue : c’est le travail social. Z a voulu comprendre ce qui animait ces bénévoles ou ces professionnels dans leurs bricolages quotidiens – luttant pour éviter que leur pratique ne devienne, selon la tendance actuelle, une industrie de gestion de la misère humaine. Face aux assauts continus des fanatiques de la croissance, des travailleurs sociaux ou des « indignés » se mobilisent pour éviter que ce qui fait société ne cède sous les coups du « chacun-pour-soi, et sauve qui peut ». Mais au cours de nos enquêtes, un paradoxe nous a vite sauté aux yeux. Pourquoi persister à vouloir réinsérer les « exclus » à l’intérieur d’une société qui génère mécaniquement de l’exclusion ? Pourquoi dépense-t-on autant d’énergie pour aménager le capitalisme, et si peu pour transformer la structure même de notre organisation sociale, vers plus de dignité et d’autonomie ?
Pour saisir notre condition et proposer des perspectives, nous avons travaillé avec des collectifs de précaires qui mutualisent leurs forces, et tentent d’échapper à l’administration automatisée des pauvres. Nous avons croisé des Tunisiens élancés vers leurs désirs d’émancipation, et des Grecs attelés à un renouveau syndical. Nous avons recueilli les témoignages de ceux qui renouent avec l’éducation populaire, en cultivant une espèce de malice rare et contagieuse.
Bref, un numéro consacré à celles et ceux qui pensent la question sociale dans une langue étrangère à la tyrannie du management et de la gestion informatique. Dans le timbre de toutes ces voix, il nous semble avoir entendu le cri des solidarités à venir.
Z, revue itinérante d’enquête et de critique sociale
Edito du n° 5 / septembre 2011