Archive pour le Tag 'psychanalyse'

Pour une histoire populaire de la psychanalyse. De quoi Ernest Jones est-il le nom ? / Florent Gabarron-Garcia

Certains manuels du champ psychanalytique n’hésitent pas à suggérer que Freud aurait été étonné de l’implication du mouvement psychanalytique français autour de mai 1968 (1). Le milieu analytique dominant contemporain estime que, depuis ces années « d’errance », la psychiatrie et la psychanalyse auraient enfin atteint « l’âge de raison » : la « malheureuse parenthèse du militantisme » dans l’histoire de la psychanalyse serait close (2). Dans un précédent article, nous avions montré comment la critique du freudo-marxisme par les disciples patentés de Freud et de Lacan relevait de l’idéologie : la psychanalyse échouait dans l’impasse du psychanalysme (3). Nous poursuivons ici notre critique en dévoilant un autre motif de ce dernier, relatif à la manière d’écrire ou de réécrire l’histoire de la discipline psychanalytique. La décrédibilisation de l’entreprise freudo-marxiste n’était pas suffisante : il fallait « purifier » la psychanalyse. Axiomatisant la notion de « l’or pur de la psychanalyse (4) », le psychanalysme impose alors un choix impossible : ou bien « l’illusion fantasmatique du politique » ou bien « l’éthique du Sujet et sa vérité ». Une fois « dégrisé des idéaux », il ne se peut pas que le psychanalyste soit (ou ait été) militant… sauf de la psychanalyse (5). Les « dangereux excès politiques » de l’Anti-Œdipe ou d’un Reich indiqueraient leur « méconnaissance de la clinique ». Il ne s’agirait, du reste, que de « figures isolées » et bien « marginales ». Jones n’avait-il pas rapporté que Freud était sans couleur politique, sinon celle de la « chair (6) » ? La position du maître viennois était donc censée relever de « l’indifférentisme », soit le « parti pris… de n’en n’avoir pas » (7). Dans le même temps, cette vulgate mettait également en avant une historiographie bien particulière relative aux rapports des analystes avec l’armée dans l’entre-deux-guerres (8). Freud ne découvrait-il pas en effet la compulsion de répétition mortifère avec le problème des traumatismes de guerre ? Dès lors, « l’indifférentisme freudien » se doublait du « pessimisme freudien », cause d’une glose infinie et convenue du psychanalysme. Mais c’est ainsi qu’étaient relégués dans l’ombre d’autres faits d’histoire pourtant cruciaux.
Quiconque se penche en effet sur les pratiques analytiques découvre une tout autre histoire que la fable unilatérale et pessimiste promue par le psychanalysme. En effet, les analystes des années 1920 baignaient dans un contexte révolutionnaire et les candidats à l’analyse, pas plus que Freud, n’étaient des conservateurs (9). C’est ainsi qu’ils fondèrent la policlinique de Berlin dont l’orientation politique s’exprime jusque dans son choix orthographique : le « i » de policlinique signifiait le politique, la cité, et l’aide à une population démunie (10). À l’instar de Berlin, plusieurs institutions voient ainsi le jour à partir de préoccupations relatives à la « justice sociale » (11). De plus, si on élargit la focale d’analyse historique de cette séquence de l’entre-deux-guerres à celle des analystes politisés de l’après-guerre française et de la fin des années 1960, on relèvera sans peine, non seulement une forme de continuité dans leurs préoccupations, mais plus encore une filiation. Freud n’aurait pas été étonné du mouvement psychanalytique autour de mai 1968. In fine, c’est bien la promotion de « l’indifférentisme » en analyse qui pose question : comment rendre compte de cette histoire occultée des pratiques analytiques ? Le traitement si particulier des figures emblématiques de la psychanalyse engagée (comme Reich ou Guattari) allait se révéler en réalité consubstantiel à une autre opération qui venait réifier la psychanalyse.
Florent Gabarron-Garcia
Pour une histoire populaire de la psychanalyse.
De quoi Ernest Jones est-il le nom ?
/ 2015
Extrait de l’article publié dans Actuel Marx 2015/2 (n° 58)
http://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2015-2-page-159.htm

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1 Mijolla Alain, Mijolla-Mellor Sophie, Psychanalyse, Paris, Puf, 1996, p. 792.
2 Déclaration de Jacques Hochmann au séminaire Utopsy.
3 Gabarron-Garcia Florent, « Psychanalyse du cuirassé Potemkine », Actuel Marx, n° 52, 2012, pp. 48-61. Pour rappel : le psychanalysme participe de la domination et de la fabrication de l’idéologie en un « sens marxiste classique » comme « ensemble des productions idéelles par lesquelles une classe dominante justifie sa domination ».
4 Il s’agirait d’opposer ainsi « l’or pur de la psychanalyse » au « plomb des psychothérapies ». Or, c’est là une erreur de traduction de Bernam du texte de Freud qui en inverse le sens, comme nous le verrons.
5 Miller Jacques-Alain, « Lacan et la politique », Cités, n° 16, 2003, pp. 105-123.
6 Jones Ernest, La Vie et l’œuvre de Sigmund Freud, Tome III, Paris, Puf, 2006, p. 389.
7 Assoun Paul-Laurent, « Freudisme et indifférentisme politique », Hermès, n° 5-6, 1989, p. 346.
8 Sokolowski Laura, Freud et les Berlinois, Paris, L’Harmattan, 2013.
9 Pappenheim Else, « Politik und Psychoanalyse in Wien vor 1938 », Psyche, n° 43, vol. 2, 1989, pp. 120-141 ; Federn Ernst, « Psychoanalyse und Politik. Ein historischer Überblick », Psychologie und Geschichte, n° 3, 1992 pp. 88-93.
10 Écrit avec un y, il se rattache à la racine du mot grec polus et désigne une clinique apte à donner des soins divers.
11 Danto Ann Elizabeth, Freud’s Free Clinics : Psychoanalysis and Social Justice, 1918-1938, New York, Columbia University Press, 2005.

Eros-rosée, l’aventure temporelle du noeud borroméen / Conférences de l’Unebévue / Claude Mercier / samedi 14 mars au cinéma l’Entrepôt – Paris

Une idée de démarrage de ce travail sur Duchamp/Lacan a été le Fulmicoton, l’expo de 1942 à New York, avec les fils de fulmicoton qui forment comme une toile d’araignée (ou labyrinthes). Duchamp dit toujours les choses essentielles, et s’il a pris du fulmicoton ce n’est pas par hasard. Il n’y a jamais eu de travail sur les fils de fulmicoton, mais ceci nous porte à l’étude des points singuliers qui ne sont vraiment formalisés que tardivement dans le XXe siècle, bien que déjà perçus fin du XIXe par un auteur qui fut ô combien sensible au diagramme : Maxwell.
Et comme le dit Duchamp : « À un moment donné, le fil a brûlé. Comme le fulmicoton brûle sans flammes, on a eu très peur ».

L’Unebévue – revue de psychanalyse

samedi 14 mars
À la galerie au premier étage de l’Entrepôt

7 à 9 rue Francis de Pressensé 75014 Paris de 14h à 16h30

Télécharger le programme : fichier pdf conf mercier 2015

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Démocratie radicale / Judith Butler / Chimères n°83 Devenirs révolutionnaires

Jean-Philippe Cazier L’œuvre de Marx est indissociable de l’idée de révolution. Dans vos textes, l’idée de révolution semble avoir disparu, disparition qui se constate d’ailleurs dans la plupart des pensées critiques actuelles. Dans votre cas, la relativisation de cette idée ne s’accompagne pas d’une résignation à l’ordre néolibéral et hétérosexiste, car est maintenue une critique des dominations ainsi que la volonté de produire des mutations positives par rapport à celles-ci. Quelles perspectives théoriques et pratiques vous semblent aujourd’hui intéressantes pour une subversion réelle ?

Judith Butler Je ne suis pas opposée à la « révolution » et dans beaucoup de cas je revendique les révolutions. Mais ce qui me semble problématique est l’idée qu’il y aurait seulement deux possibilités formant une alternative : la révolution ou la résignation au statu quo. Je pense que cette logique binaire est paralysante politiquement et qu’on doit être capable de penser des transformations politiques signifiantes qui ne « se soumettent » pas toujours à l’idéal révolutionnaire. Je ne considère pas le « réformisme » comme une bonne alternative mais, encore une fois, on peut voir facilement les cas où la seule alternative à la révolution que l’on conçoive est une « complicité » avec d’abominables régimes du pouvoir. Je pense qu’il faut parfois travailler avec et contre des formes de pouvoir dont nous souhaiterions la disparition, mais seulement parce que j’essaie, comme beaucoup d’autres, de trouver des alternatives aux formes de paralysie politique. Par exemple, j’ai constaté que ceux qui jettent l’opprobre sur toutes les formes de militantisme sauf sur celles qui sont placées sous le signe de la révolution ont tendance à adopter une distance cynique vis-à-vis des mouvements populaires, en affirmant qu’il vaut mieux rester critique et distant que s’engager dans des mouvements dont les objectifs ne sont pas suffisamment révolutionnaires. Mon point de vue est que certains mouvements – je pense ici à Occupy, à Gezi Park, à Puerta del Sol, et aux soulèvements des favelas brésiliennes – exposent et s’opposent à des formes de mises à l’écart économiques et demandent une restructuration radicale des relations économiques. Mais très souvent les « radicaux » ne jugent pas utile le recours au langage de la « révolution », chargé d’une certaine histoire, associé à des partis établis, et leur lutte populaire cherche à articuler la création de nouvelles formes de collectifs et la transformation politique. Aussi, dans ces cas, il ne s’agit pas de savoir si on est dans la révolution ou dans la résignation, ce qui reste une opposition binaire conceptuellement pauvre. Il s’agit plutôt de concevoir de nouvelles modalités pour des luttes populaires qui permettent l’expansion de formes de solidarité démocratique qui s’opposent à l’exploitation, à la marginalisation, à la dépossession et à la suspension et l’abrogation des principes de base de la citoyenneté.

Votre travail, dès Trouble dans le genre, inclut un déplacement des points de vue qui accompagnent la question du pouvoir et celle des dominations. Vous abordez ces questions en prenant comme objets les normes et l’identité et vous centrez vos analyses du pouvoir et des processus de domination sur une analyse critique des normes et de l’identité. La question du rapport entre le pouvoir, les normes et les identités, a été développée par Foucault mais vous la posez d’une façon nouvelle. Qu’est-ce que la mise en rapport du pouvoir avec les normes et les identités apporte pour la compréhension du pouvoir et des processus de domination qu’il induit ? Qu’est-ce que cela implique comme possibilités de mutation ou de subversion ?

Je suis probablement en désaccord avec Foucault, mais il s’agit de quelque chose que moi-même je ne suis pas en mesure d’analyser ou d’expliquer très facilement. J’ai une dette importante à l’égard de Foucault qui a exposé la manière dont le sujet est produit par le pouvoir et, en même temps, se constitue lui-même en relation aux termes du pouvoir. « Pouvoir » est un terme très large, et Foucault a montré clairement qu’il ne signifie pas la même chose dans tous les contextes. Aussi, quand nous pensons la façon dont un sujet arrive à se constituer lui-même ou elle-même en termes de pouvoir, nous parlons toujours des normes qui gouvernent le processus de subjectivation (assujettissement). Autrement dit, les normes sont les moyens par lesquels le pouvoir opère dans le processus de formation d’un sujet, et plus précisément dans cet aspect de la formation du sujet que nous comprenons comme une auto-constitution. Pour Foucault, ce passage vers la compréhension de la façon dont le sujet se constitue lui-même en relation au pouvoir a été un point de départ crucial dans Le Souci de soi et les travaux suivants, notamment L’Herméneutique du sujet. Il considère les deux manières dans lesquelles le « souci de soi » peut être cultivé surtout à travers une analyse des traditions ascétiques. Mais il pense aussi la façon dont le travail sur soi du sujet pourrait être approfondi, et le pouvoir être efficacement considéré comme une dimension réflexive de ce même sujet.  De cette façon, son cours Mal faire, dire vrai constitue une remise en question très importante de Surveiller et punir. Dans Surveiller et punir, le prisonnier est constitué par le pouvoir et le problème de l’auto-constitution n’est pas essentiel. Mais dans Mal faire, dire vrai il me semble que Foucault comprend comment la dimension performative de l’aveu fonctionne en tant qu’opération réflexive du pouvoir. Ceci n’est pas possible, bien sûr, sans des normes qui précisent ce que cela signifie d’être un bon criminel, comment on peut avouer être un fou ou un criminel sans effectivement chercher à coïncider avec ces normes. Les normes sont plutôt la façon dont le pouvoir émerge dans le mécanisme très spécifique de l’auto-constitution. Il est vrai que je convoque la psychanalyse pour considérer la dimension phantasmatique de ces normes et du pouvoir de ce que Freud a appelé « la culture de la pulsion de mort » dans la mesure où elle opère à travers des formes surmoïques d’autorégulation. Je sais que c’est un point qui est sujet à controverses, mais je pense que la théorie de Foucault peut être utilement intégrée par le recours à certains aspects de la psychanalyse.
Judith Butler
Démocratie radicale / 2014
Extrait de l’entretien avec Jean-Philippe Cazier
Chimères n°83 Devenirs révolutionnaires

Photo Dan Mihaltianu

dan m

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