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Notre libération n’est précédée d’aucun testament / Alain Naze

La référence liminaire aux célèbres mots de René Char, tirés des Feuillets d’Hypnos, écrits entre 1943 et 1944, et commentés par Hannah Arendt, dans le cadre de sa non moins célèbre préface au recueil d’articles constituant l’ouvrage La crise de la culture : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » (1), vise à inscrire le propos qui va suivre dans cette « brèche » qu’Arendt situe entre le passé et le futur, pour autant que cette brisure interroge quelque chose d’essentiel quant à la possibilité même de l’action politique, en son articulation complexe avec la pensée. Arendt nous invite en effet, dans ce livre, à des exercices de pensée, comme une manière de pratiquer l’expérience inconfortable d’une endurance de la pensée, au sein de la brèche, c’est-à-dire hors de toute prescription : « Ce n’est que dans la mesure où il pense […] que l’homme dans la pleine réalité de son être concret vit dans cette brèche du temps entre le passé et le futur. […] Il se peut bien qu’elle soit la région de l’esprit ou, plutôt, le chemin frayé par la pensée, ce petit tracé de non-temps que l’activité de la pensée inscrit à l’intérieur de l’espace-temps des mortels et dans lequel le cours des pensées, du souvenir et de l’attente sauve tout ce qu’il touche de la ruine du temps historique et biographique. Ce petit non-espace-temps au cœur même du temps, contrairement au monde et à la culture où nous naissons, peut seulement être indiqué, mais ne peut être transmis ou hérité du passé ; chaque génération nouvelle et même tout être humain nouveau en tant qu’il s’insère lui-même entre un passé infini et un futur infini, doit le découvrir et le frayer laborieusement à nouveau » (2).
Il va s’agir, ici, et dans le sillage ouvert par ces mots d’Hannah Arendt, d’essayer de penser quelque chose comme une possibilité de libération, pour notre temps – ce qui ne signifie évidemment pas reproduire et épouser les prescriptions propres à notre époque, non plus que chercher à réactiver quelque noyau objectivable de passé. Il s’agirait plutôt de s’emparer d’une question contemporaine, en l’occurrence celle qu’on peut dégager des débats récents en France autour de ce qu’on a appelé le « mariage pour tous », afin de chercher à dégager une voie de libération qui, susceptible de valoir dans le cas présent pour les dits  gays et lesbiennes, pourrait être élargie à quiconque, pour autant que s’y trouveraient déployées certaines des conditions de possibilité pour une émancipation politique, c’est-à-dire pour une pratique permettant de déjouer certains des mécanismes propres aux innombrables dispositifs bio-politiques structurant les formes contemporaines du pouvoir pastoral. La brèche dans laquelle nous aurions alors à nous tenir serait celle au sein de laquelle deux forces contradictoires s’exerceraient sur nous : l’une, venue du passé, et nous incitant, en nous poussant vers l’avant, à poursuivre le mouvement, jugé intrinsèquement progressiste, des luttes de libération contre des pouvoirs essentiellement répressifs, et l’autre, venant du futur, et nous repoussant vers l’arrière, qui tendrait à nous désigner comme libératrices, en tant que telles, les évolutions politiques et sociétales par lesquelles les interdits et autres censures sont allées s’atténuant.
1 theoreme
Pourtant, il nous semble bien qu’un trésor – à l’image de celui qui faisait écrire à René Char, pris dans l’action de la Résistance : « Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor »(3) – fut un jour entre nos mains, fuyant, mais bien réel, à l’image de celui que purent connaître ces Résistants, au nombre desquels René Char, dans les moments de lutte : « Dans cette nudité, dépouillés de tous les masques […] ils avaient été visités pour la première fois dans leurs vies par une apparition de la liberté, non, certes, parce qu’ils agissaient contre la tyrannie et contre des choses pires que la tyrannie – cela était vrai pour chaque soldat des armées alliées – mais parce qu’ils étaient devenus des “challengers”, qu’ils avaient pris l’initiative en main, et par conséquent, sans le savoir ni même le remarquer, avaient commencé à créer cet espace public entre eux où la liberté pouvait apparaître »(4). Hors d’une résistance à la tyrannie, ou aux formes totalitaires de pouvoir, il existe donc bien aussi des manifestations, évidentes et pourtant informulables, de la liberté – elles n’apparaissent cependant qu’à partir d’une dimension d’autonomie, d’initiative, à la différence des formes de liberté octroyées. Sans nom, ce « trésor » échappe à toute convocation ; n’ayant pas de forme déterminée, il n’est pas susceptible d’être anticipé par la pensée ; et pourtant, l’on ne doute pas de l’avoir perdu, lorsque cela se produit, tout comme son arôme est évident au sein de l’espace partagé dans lequel il lui arrive de se manifester. Critique, le questionnement consistera donc ici à tenter de déterminer certaines des conditions de possibilité d’une pensée de la libération homosexuelle, non plus aux conditions du dispositif moderne de sexualité, mais au regard de ce qui pourrait se présenter comme son dehors. Inventer des formes de vie, expérimenter des modes de subjectivation et de désubjectivation, c’est en effet bien là des pratiques que ne précède aucun testament, et qui pourtant peuvent ouvrir sur des formes de libération réelles, et pas seulement formelles.
2 accatone-1961
En simplifiant un peu les enjeux de la discussion, on pourrait dire que l’erreur dans laquelle on est susceptible de tomber – à propos de ce qu’il faut bien appeler un « trésor » (que le commentaire du film Race d’Ep ! de Lionel Soukaz et Guy Hocquenghem tend même à rapprocher d’un âge d’or), et qui fut, pour les homosexuels occidentaux, les mouvements de libération des mœurs des années 60 et 70 -, ce serait de considérer ce moment comme susceptible d’être objectivé en sa dimension proprement libératrice. S’il y a eu de la libération pour les gays, les lesbiennes, les femmes dans ces deux décennies, l’erreur serait de considérer que le secret même de cette libération se situait dans leurs formes objectives, et non pas d’abord dans les pratiques elles-mêmes, avec les modalités subjectives d’engagement qu’elles supposent : la transgression d’un tabou n’est pas nécessairement libératrice, et si la liberté sexuelle des années 60 et 70 en est passée par de telles transgressions, on n’allait pas tarder à déboucher sur une forme de conformisme de la transgression comme nous l’indiquait déjà Pasolini. Si, dans cette optique, le cinéaste italien avouait éprouver plus de sympathie pour le personnage incarné par Jean-Pierre Léaud, dans Porcile (1969), que pour celui du grand transgresseur (parricide et cannibale) incarné par Pierre Clémenti, c’est que l’incertitude, bourgeoise, écartait le premier d’un « nouveau conformisme »(5) de la transgression, visant le « mal radical ». Ce n’est donc pas que la transgression des tabous soit, en elle-même, libératrice, mais c’est que des pratiques qui, pouvant en elles-mêmes être libératrices, sont aussi susceptibles par ailleurs de conduire parfois à transgresser des tabous – mais alors leurs qualités éventuellement émancipatrices débordent le simple fait de transgresser, se contentant d’en passer par la transgression, comme par surcroît (à l’image de ce surcroît de puissance, dont parle Nietzsche, susceptible de conduire à des formes innocentes de destruction). Plus généralement, ce n’est pas la suppression d’un interdit qui fait la liberté en tant que telle – ce qui pose déjà la question de la traduction de la logique d’une émancipation sexuelle en termes juridiques : l’interdit de se marier entre personnes dites de même sexe constitue-t-il une barrière à abattre de façon à gagner nécessairement en liberté ? On comprend bien qu’il ne s’agit pas non plus de soutenir ici que l’interdit lui-même constituerait un ingrédient nécessaire au désir, et que la suppression de l’interdit tuerait le désir – non, si l’on place sur deux plans distincts la logique des désirs et celle des interdits juridiques, on peut penser que la première se déploie indépendamment de la seconde (et toutes les lois sur l’égalité entre les citoyens qu’on pourra décréter ne changeront rien au fait que le désir se situe sur un plan tout autre que juridique et contractuel – sur un plan toujours susceptible de réintroduire des éléments essentiellement a-démocratiques).
3 leaud
On doit donc reconnaître que la question dite du « mariage pour tous », placée du côté d’une demande émancipatrice en matière de mœurs, aboutit à identifier liberté (de se marier) et égalité (le mariage possible aussi entre personnes dites de même sexe) juridiques avec une forme de liberté effective. Or, s’il est évident que la suppression d’interdits juridiques majeurs (comme l’abrogation du paragraphe 175 du code pénal allemand en 1994) participe bien d’une libération effective pour les gays et lesbiennes, c’est qu’il s’agit ici de supprimer une loi qui, en droit au moins (avec le risque, toujours présent, d’une réactivation du paragraphe), interdisait tout simplement les relations sexuelles entre personnes dites de même sexe. C’est donc négativement que le droit peut participer à une émancipation sexuelle, notamment en cessant d’interdire, ou de limiter de façon discriminatoire certaines pratiques – mais la liberté ne deviendra effective que dans les formes autonomes de ces pratiques que la loi, par définition, ne peut pas anticiper. L’autorisation du mariage entre personnes dites de même sexe en France, mais aussi dans un certain nombre d’autres pays, participe-t-elle à une libération effective des gays et lesbiennes ? L’interdit de se marier entre personnes dites de même sexe n’a, en tant que tel, aucune incidence sur les pratiques sexuelles elles-mêmes, mais seulement sur la reconnaissance sociale et symbolique des couples de personnes dites de même sexe, et donc sur les droits (dont celui d’adopter) auxquels avaient accès jusqu’ici les seuls couples hétérosexuels – mais aussi tout célibataire. Ici, on pourrait dire que l’intervention du droit n’est, en l’occurrence, négative qu’au regard de la liberté individuelle : la liberté de quiconque de se marier, quand bien même il serait homosexuel – ce qui signifie alors, avec une personne dite de même sexe, sans quoi, le maintien de l’obligation de se marier (pour qui veut se marier) avec une personne dite de sexe opposé reconduit à une discrimination évidente au regard de l’orientation sexuelle. Mais c’est bien à cela qu’il faudrait limiter l’effet libérateur de l’obtention de ce droit à se marier entre personnes dites de même sexe – une question de liberté et d’égalité juridiques, une question de principe si l’on veut, mais pas du tout une question affectant en profondeur les pratiques. Ou plutôt, si l’on voit en cette loi un élément d’émancipation – et nombre de gays et non gays ayant milité pour le « mariage pour tous » partageaient cette conception – c’est qu’on l’envisage alors comme un élément susceptible d’influer réellement sur nos pratiques. En ce cas, on tend à conduire la loi à jouer un rôle normatif, ce qui signifie donc que la revendication du droit de tous à se marier cesse alors d’être libératrice (elle l’était au moins d’un point de vue strictement juridique, et elle le reste à ce niveau). Reconnaître cette loi dite du « mariage pour tous » comme émancipatrice pour les vies gays, c’est reconnaître, de fait, son influence sur les formes d’existence elles-mêmes – en jugeant alors positivement cette influence.
Qu’il faille avoir prise sur les modes d’existence pour avoir quelque chance d’entrer dans des formes de pratiques de la liberté, c’est une évidence, mais que cette reprise en main de nos existences en passe inévitablement par la loi, c’est ce dont on est en droit de douter – la prolifération même des types de relations possibles et autonomes entre les individus indique que demander à la loi quoi que ce soit en la matière, c’est prendre le risque de devoir renoncer à ce fourmillement. Dans ces conditions, on pourrait même dire que faire appel à la loi en cette matière, c’est prendre le risque d’ouvrir la voie à un développement des formes susceptibles d’entrer dans le cadre de la loi, et participer ainsi aux progrès d’une norme dominante pour nos comportements en termes de sexualité, comme de socialité – c’est, de fait, militer pour une réduction des formes possibles d’existence, ou plus exactement pour le triomphe des formes les plus pauvres. Au mieux cette autorisation du mariage entre personnes de même sexe ne changera rien (des modes d’existence alternatifs continuant à se développer pareillement), au pire, elle constituera en norme (et donc en formes jugées désirables) les modes de vie les plus appauvris. Ce que Michel Foucault écrit, à sa manière, dans une interview de 1982 : « Qu’au nom du respect des droits de l’individu, on le laisse faire ce qu’il veut, très bien ! Mais si ce qu’on veut faire est de créer un nouveau mode de vie, alors la question des droits de l’individu n’est pas pertinente. En effet, nous vivons dans un monde légal, social, institutionnel où les seules relations possibles sont extrêmement peu nombreuses, extrêmement schématisées, extrêmement pauvres. Il y a évidemment la relation de mariage et les relations de famille, mais combien d’autres relations devraient pouvoir exister, pouvoir trouver leur code et non pas dans des institutions, mais dans d’éventuels supports ; ce qui n’est pas du tout le cas »(6). L’erreur, ici, serait certes de considérer le refus de l’existence en couple comme constituant, en tant que tel, le secret même du trésor de la libération sexuelle, mais l’erreur serait tout aussi patente de considérer cette existence en couple, maritale de surcroît, comme la forme achevée de la libération des gays et des lesbiennes. C’est dans cette dernière forme d’illusion que tombe Frédéric Martel, dans son récent ouvrage Global gay, comme on va le voir rapidement.
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Faire de la revendication du droit des personnes dites de même sexe à se marier entre elles un élément indispensable au mouvement d’émancipation des gays et lesbiennes, cela revient d’abord à s’inscrire dans une logique progressiste et unificatrice de l’histoire, mais cela signifie aussi le fait d’identifier le terme de cette histoire à un accès des gays à des formes de vie qu’on pourrait dire sécularisées, c’est-à-dire devenues indiscernables des modes d’existence majoritaires, dont le type-idéal serait le couple hétérosexuel marié avec ou sans enfant(s) – on aurait là l’aboutissement de la logique propre au « droit à l’indifférence », qui n’est en fait que l’envers d’un rejet de la différence, comme en témoigne notamment le souci de respectabilité qui a conduit certains gays à reprocher aux « folles » de donner une mauvaise image des homosexuels lors des gay pride. Dans ces conditions, comment interpréter toutes ces expériences autonomes de vie, de modalités d’existence qui ont émaillé l’histoire effective des gays, des cabarets homosexuels de l’entre-deux guerres aux pratiques de travestissement, en passant par les amours collectives, buissonnières et aérées des années 60 et 70, sinon comme autant d’étapes contenant en elles-mêmes les contradictions qui les conduiraient nécessairement aux poubelles de l’histoire – ou les réduirait aux marges, tout juste tolérées, de la société. Souvenons-nous pourtant de ces mots, extraits de La dérive homosexuelle, par lesquels Guy Hocquenghem en appelait à notre vigilance : « Je pense […] que la chance de l’homosexualité réside encore, même pour un combat de libération, dans le fait qu’elle est perçue comme délinquante. Ne confondons pas l’auto-défense avec la respectabilité » (7).
Si la brèche dans laquelle on s’est proposé de s’installer pour la présente réflexion est bien, selon les termes d’Hannah Arendt  « […] ce petit tracé de non-temps que l’activité de la pensée inscrit à l’intérieur de l’espace-temps des mortels et dans lequel le cours des pensées, du souvenir et de l’attente sauve tout ce qu’il touche de la ruine du temps historique et biographique », alors il nous faut convenir de la nécessité d’adosser notre réflexion à une pensée discontinue du temps. Le temps continu (les ruptures éventuelles n’étant plus alors que des effets de retard, ou des témoignages du mouvement dialectique à l’œuvre) de l’histoire considéré comme le mouvement même du progrès conduit en effet inévitablement à faire des éléments du passé des choses dépassées ou devant être dépassées dans le présent, des choses révolues, au moins en droit, et qui n’auraient finalement constitué que des brouillons préparant l’avenir – cet avenir, qui les réaliserait en les dépassant. Dans ces conditions, l’histoire homosexuelle dessinerait un continuum qui, dans l’esprit de Frédéric Martel (et malheureusement pas seulement dans le sien, mais aussi dans l’impensé de bien des discours), nous conduirait au mariage, institution dès lors invitée à signer la fin de cette histoire (raison pour laquelle il parlera d’un âge « post-gay »). Ecoutons quelques extraits tirés de Global gay, certes un peu longs, mais tout à fait significatifs pour la démarche dont ils témoignent, et par laquelle on en vient à unifier dans un même mouvement progrès, démocratie, modernité, capitalisme, droits de l’homme, libération gay et mariage gay : « En quittant Madian [il s'agit du patron palestinien d'un bar gay jordanien], le jour de Prophete Day, je me rends compte que le Books@Café est à la fois “pré-gay” et “post-gay”. Cette atmosphère hors temps le rend fascinant. Pré-gay, car on est ici, à l’évidence, avant la “libération gay” du monde arabe – si l’expression a un sens. Post-gay, car on est aussi au-delà, dans une modernité que j’ai vue naître à East Village à New York, à West Hollywood à Los Angeles ou dans les villes d’Europe du Nord : celle d’une vie homosexuelle moins cloisonnée et plus fluide […]. Mais un bar peut-il changer une ville ? un pays ? Peut-il changer le monde arabe ? Non, bien sûr. Le Books@Café est un lieu trop simple pour le but trop complexe auquel il participe et qui le dépasse : la modernisation arabe. […] Madian-al-Jazerh est peut-être un ouvreur de route, mais en terre d’Islam le chemin de la libération gay est encore long. […] Par le prisme de la question gay, il est possible de voir surgir l’esprit du temps […] Fil rouge de l’évolution des mentalités, la question gay devient ainsi un bon critère pour juger de l’état d’une démocratie et de la modernité d’un pays. […] Dans les restaurants de Chelsea [un quartier de Manhattan], […] on croise des couples gays épanouis, la quarantaine, barbe-de-trois-jours-poivre-et-sel-façon-George-Clooney, cravate avec col dégrafé “casual Friday”, déjà fiers d’avoir réussi leur vie dans la banque, la finance ou l’immobilier “affinitaire”. Hier, dans le Greenwich Village des années 1970, le mouvement gay se voulait radical et anticapitaliste. On provoquait. On faisait de la guérilla. A Chelsea aujourd’hui, on ne conteste plus le pouvoir : on consomme, on veut être gay dans l’armée, se marier et même être élu au Congrès. On veut le pouvoir. […] On se moque parfois de cette libération homosexuelle qui a pris du muscle, en troquant les corps efféminés pour la gonflette et la caricature. Mais le quartier mérite mieux que ces préjugés. C’est aujourd’hui une communauté gay assagie certes, mais qui sait encore faire la fête. […] A Chelsea, les gays vivent de plus en plus souvent en couple et, depuis 2011, ils peuvent se marier légalement. Du coup, ils font aussi du fundraising afin de collecter de l’argent pour les campagnes électorales ; les gays américains ont compris que c’est seulement en montrant leurs muscles qu’ils feront avancer leur cause et leurs droits. Alors, ils financent sans sourciller les combats des grands lobbys gays américains pour défendre le “same-sex marriage”, lutter contre la droite évangéliste homophobe et, en 2012, faire réélire Barack Obama »(8).
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Et voilà les luttes radicales des années 70 – après Stonewall – rapportées à des enfantillages et à des formes de provocation correspondant à une sorte de révolte adolescente, que les gays américains auraient heureusement su dépasser, mais tout en conservant (l’Aufhebung hégélienne !) le sens de la fête. Ce mouvement de globalisation et de modernisation devient dès lors le critère du degré de développement démocratique d’un pays et donc de l’avancement du processus de libération homosexuelle – libération homosexuelle et démocratie deviennent dès lors synonymes sous la plume de Martel, de même que le néo-capitalisme lui-même apparaît comme facteur de démocratisation. L’homosexualité dont nous parle ici Martel n’a bien évidemment plus rien à voir avec ce que Guy Hocquenghem pouvait désigner à travers ce terme : là où ce dernier la définissait comme non substantielle, et par là même susceptible de concerner toutes les formes de sexualité, le premier la réduit à une substance développant toutes les caractéristiques des corporatismes identitaires, quand bien même cela devrait conduire à se fondre dans les formes ordinaires de la vie sociale. Cette homosexualité « à la Martel », qui ne semble pouvoir connaître de véritable « libération » dans le « monde arabe » (autre version du jugement islamophobe d’incompatibilité entre démocratie et Islam), est bien cette homosexualité blanche, honnie par Hocquenghem, dès 1977 : « La pression normalisante va vite, même si Paris et les boîtes de la rue Ste Anne ne sont pas toute la France. Il reste encore des folles à Arabes en banlieue ou à Pigalle. N’empêche que le mouvement est lancé d’une homosexualité enfin blanche, dans tous les sens du terme. Et il est assez curieux de constater, à regarder les publicités ou les films, puis la sortie des boîtes de tantes, l’apparition d’un modèle unisexuel – c’est-à-dire commun aux homosexuels et aux hétérosexuels – proposé aux désirs et à l’identification de chacun. Les homosexuels deviennent indiscernables, non parce qu’ils cachent mieux leur secret, mais parce qu’ils sont de cœur et de corps uniformisés, débarrassés de la saga du ghetto, réinsérés à part pleine et entière non dans leur différence, mais au contraire dans leur ressemblance » (9). Cette « globalisation » vantée par l’auteur de Global gay et débouchant sur des supposés mouvements de « libération gay », s’effectue donc aux conditions mêmes de cette « homosexualité blanche ». Ce qui est alors rejeté hors de toute possibilité de salut, c’est notamment ce qui s’inscrit dans les pratiques marginales des homosexuels vivant sous des régimes réprimant l’homosexualité, du moins lorsque ces pratiques ne peuvent pas être récupérées par Martel comme des formes embryonnaires de comportements qui ne trouveront leur forme achevée qu’en régime de modernité – car l’auteur cherche bien à faire une place à des singularités irréductibles au mouvement de globalisation qu’il décrit, mais alors, soit il explique cet écart par une différence culturelle (secondaire, donc, et ne remettant pas en cause le mouvement d’ensemble), soit il rend compte de cette distance à travers la survivance d’un archaïsme, évidemment amené à disparaître. Frédéric Martel supprime ainsi la question qu’on se posait : le syntagme « libération gay » n’est aucunement pour lui le nom d’un problème, d’un questionnement théorique, mais un donné effectif, qu’il n’y a plus qu’à décrire.
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Ce que Frédéric Martel appelle ainsi « libération gay », c’est un mouvement de domination progressive, et tendant à l’hégémonie, d’une norme démocratique générale, et s’il accepte de ne pas uniformiser tout à fait ce mouvement de globalisation, c’est qu’il reconnaît qu’il peut y avoir des versions culturellement variables de cet idéal démocratique. Le devenir démocratique du monde annoncerait par conséquent la libération gay universelle… Ainsi entendue, la « libération gay » se situe donc dans un parfait rapport d’homogénéité avec la question de l’obtention de droits supplémentaires – on pourrait même dire que ces formes de revendications épousent les formes consuméristes d’un certain démocratisme contemporain. La différence n’est donc ici aucunement établie entre une forme de liberté octroyée (à travers des droits accordés), que Pasolini nommait « fausse tolérance », et une forme de liberté réelle, pour laquelle il s’agit d’inventer soi-même des espaces et des pratiques de libération. Et cette dernière forme, effective, de liberté, elle ne saurait se gagner qu’en marge des institutions, là où une politique autonome est possible, c’est-à-dire là où des gestes, en s’inventant, ouvrent un espace d’immanence pour des relations inédites et imprévues – ce qui est une manière de se déprendre d’une logique subie des positions susceptibles d’être occupées, en inventant dès lors sa propre place, non encore cartographiée. Si les années 70 pouvaient en effet relever de la guérilla, en ce qui concerne les mouvements de libération gay, ce n’est pas là un indice d’immaturité, contrairement à ce qu’en juge Martel, c’est au contraire le signe de la nécessité même d’un combat clandestin – et la libération gay aurait sans doute à renouer avec une certaine clandestinité (post coming out si l’on veut), du moins si elle ne veut pas s’effectuer dans le cadre asséchant des formes institutionnelles de la politique.
Si, par définition, les formes d’existence, de relations s’inventant hors institutions ne peuvent être anticipées en pensée – on a vu qu’elles n’étaient précédées d’aucun testament -, on peut au moins tenter de les cerner un tant soit peu en creux, comme formes toujours à venir. C’est d’ailleurs un peu ce que fait Michel Foucault, dans l’interview qu’on a évoquée tout à l’heure. En effet, au lieu d’inscrire sa démarche dans le cadre d’une revendication d’accès à des droits existants, il prône plutôt l’invention d’un nouveau type de droit, essentiellement négatif, sans prescription particulière, donc, et laissant par conséquent le champ à l’invention autonome de formes d’existence et de relations : « Plutôt que de faire valoir que les individus ont des droits fondamentaux et naturels, nous devrions essayer d’imaginer et de créer un nouveau droit relationnel qui permettrait que tous les types possibles de relations puissent exister et ne soient pas empêchés, bloqués ou annulés par des institutions relationnellement appauvrissantes » (10). Ce n’est donc pas que Foucault nie l’importance d’une reconnaissance légale et sociale des relations diverses, notamment homosexuelles, c’est seulement qu’il considère que « si l’on demande aux gens de reproduire le lien de mariage pour que leur relation personnelle soit reconnue, le progrès réalisé est léger » (11). Au fond Foucault propose d’inverser le raisonnement classique, qui triomphe d’ailleurs encore, bien que de façon inaperçue le plus souvent, dans la revendication d’un droit à se marier entre personnes dites de même sexe : « Il faut renverser un peu les choses, et, plutôt que de dire ce qu’on a dit à un certain moment : “Essayons de réintroduire l’homosexualité dans la normalité générale des relations sociales”, disons le contraire : “Mais non ! Laissons-la échapper dans toute la mesure du possible au type de relations qui nous est proposé dans notre société, et essayons de créer dans l’espace vide où nous sommes de nouvelles possibilités relationnelles”. En proposant un droit relationnel nouveau, nous verrons que des gens non homosexuels pourront enrichir leur vie en modifiant leur propre schéma de relations » (12). Si Foucault semble revenir à l’idée d’une institutionnalisation des relations entre individus, quand la citation de tout à l’heure laissait entendre qu’il préférait penser ce type de relations en marge des institutions, ce n’est pas sans effectuer de cette façon une sorte de subversion de la notion même d’institution. En effet, on retrouve dans l’idée foucaldienne d’un « droit relationnel nouveau » et l’idée d’une homosexualité qui, non substantielle, concerne tout le monde, et l’idée d’un espace inter-individuel où la liberté puisse se manifester. Aux antipodes d’une homosexualité homogénéisante « à la Martel », les réflexions de Foucault pourraient notamment nous conduire, tout au contraire, à remettre en mouvement notre rapport à l’étranger, étiqueté comme « clandestin » ou non : là où l’accès des gays au mariage ne change rien en la matière, un « droit relationnel » tel que l’envisage Foucault pourrait permettre de renverser la perspective, car alors, c’est la relation elle-même, en l’occurrence avec un étranger, qui ouvrirait sur un droit nouveau. En cela, l’établissement de la relation ne serait pas précédé par un cadre juridique, c’est ce dernier qui aurait à épouser les contours, souples et largement indéterminés, de la relation effective. Dans cet ordre d’idée, et s’intéressant aux relations d’amitié dans le monde hellénistique et romain d’avant le Christianisme, Foucault est parvenu à mettre en évidence la prise en compte institutionnelle (parfois alors fort rigide et contraignante, certes) de types de relations complexes, dont on n’aurait pas pu dire, de l’extérieur, en quoi exactement elles consistaient : « Quand vous lisez un témoignage de deux amis de cette époque, vous vous demandez toujours ce que c’est réellement. Faisaient-ils l’amour ensemble ? Avaient-ils une communauté d’intérêts ? Vraisemblablement, aucune de ces choses-là – ou les deux » (13). A travers un cadre institutionnel souple, il y aurait possibilité de prise en compte légale et sociale de relations entre amis sans que ce cadre ne soit contraignant, appauvrissant, c’est-à-dire sans que la nature des relations ne soit impliquée par le type du lien institutionnel – subvertissant l’idée d’institutions essentiellement normatives, un tel cadre se révèle alors susceptible de fournir un espace où peut prendre place une grande invention relationnelle. On pourrait penser à des formes d’adoption entre adultes par exemple, ouvrant à tous types effectifs de relations, entre un nombre en droit non limité d’individus, où l’adoptant n’aurait pas nécessairement à être l’aîné, etc.
7 uccellacci e uccellini
Cette référence à un cadre institutionnel, fût-il souple, ne doit donc pas laisser penser que pour Foucault la question des droits des gays est première dans la stratégie de bataille pour ce qu’on pourrait appeler la libération homosexuelle : à travers ce cadre institutionnel, il s’agit bien davantage, pour lui, de ménager ainsi une place sociale, une inscription sociale aux relations entre individus de même sexe, comme un préalable à des pratiques effectives de libération. Il s’en explique d’ailleurs : « Il peut y avoir une discrimination envers les homosexuels, même si la loi interdit de telles discriminations. Il est donc nécessaire de se battre pour faire place à des styles de vie homosexuelle, à des choix d’existence dans lesquels les relations sexuelles avec les personnes de même sexe seront importantes. Il n’est pas suffisant de tolérer à l’intérieur d’un mode de vie plus général la possibilité de faire l’amour avec quelqu’un du même sexe, à titre de composante ou de supplément. […] Il ne s’agit pas seulement d’intégrer cette petite pratique bizarroïde qui consiste à faire l’amour avec quelqu’un du même sexe dans des champs culturels préexistants ; il s’agit de créer des formes culturelles » (14). On trouve chez Foucault, ainsi, le refus d’une homosexualité pensée dans sa relation à l’hétérosexualité à travers une simple différence dans le choix de l’objet du désir, ce qui suffirait déjà pour ne pas faire du mariage entre individus dits de même sexe une revendication intéressante pour les gays, mais on retrouve aussi cette méfiance qui était la sienne à l’égard des étiquetages de tous types, ce qui le conduit aux antipodes de l’injonction contemporaine au coming out : de la même manière que des formes institutionnelles de relations entre individus peuvent conduire à appauvrir leurs relations effectives, tout en en garantissant une forme de publicité, de même, la pratique du coming out, si elle présente bien un intérêt comparable d’affirmation sociale, n’est pas exempte d’un revers appauvrissant, lui-même tout à fait semblable, cette fois dans la relation de soi à soi – qu’on pense seulement aux jeunes gens, incités à faire leur coming out (et donc à s’attribuer une identité et /ou une orientation sexuelle, quand ils sont probablement davantage dans un temps de découverte et d’expérimentation). Dans des formes de socialité plus souples, mais institutionnellement reconnues, il y aurait possibilité de maintenir du jeu dans les relations entre individus, mais aussi quant à sa propre identité, du point de vue de l’appartenance de sexe, de l’orientation sexuelle, des pratiques sexuelles, etc, tout en introduisant du jeu dans l’ensemble de la société, en ce qui concerne les relations aux autres et à soi-même. A travers ces formes institutionnelles souples, il y a déjà une forme d’injonction contemporaine, et fondamentalement policière, à laquelle on peut ainsi échapper : l’injonction à la transparence. En réintroduisant du flou dans l’identification des relations entre individus, on rouvre du même coup des possibilités inédites de relations, on gagne en liberté, en se déprenant, de fait, d’une injonction à tout dire, à tout avouer pourrait-on dire – avec cette contrainte supplémentaire qu’en devant tout dire, on a aussi à tout se dire à soi-même, et donc à assurer pour soi-même une relative cohérence entre ses diverses relations et ce que l’on considère comme son identité. Car c’est cette identité même qui peut être remise en mouvement, le jeu introduit dans les catégories et les pratiques réintroduisant, de fait, du jeu dans notre définition identitaire. Plutôt que de restreindre le champ de l’homosexualité aux formes compatibles avec les formes de relations sociales existantes, il s’agirait d’élargir les formes sociales de relations pour faire une place aux relations entre personnes dites de même sexe – du coup, c’est l’ensemble de la société qui pourrait profiter de cet enrichissement, quand la reprise de la forme sociale du mariage hétérosexuel par les gays constitue une forme d’appauvrissement des possibilités de relations homosexuelles, et donc, plus généralement, de toutes les formes de relations sexuelles.
Peut-être la conservation d’un trésor a-t-elle toujours partie liée avec un certain secret – tout comme ce trésor que René Char partageait avec ses compagnons de combat se serait révélé inséparable de l’arôme conservé de ces années-là. Le trésor de la lutte pour une libération homosexuelle, toute spécifique que puisse être cette dernière, serait, dès lors, peut-être lui-même inséparable d’un arôme lié à une certaine clandestinité – non pas parce qu’il s’agirait de regretter un interdit supposé fonder le désir, mais parce que la pleine lumière faite sur les relations homosexuelles (et le mariage gay constitue l’occasion d’une pleine publicité accordée à celles-ci) est de nature à faire fuir cette vibrante liberté, éprouvée au sein de rencontres, furtives, et d’abord gagnées face à l’interdit. Foucault écrit : « Le clin d’œil dans la rue, la décision, en une fraction de seconde, de saisir l’aventure, la rapidité avec laquelle les rapports homosexuels sont consommés, tout cela est le produit d’une interdiction » (15). Et ce sont bien ces formes de rencontres, aventureuses, fugaces qui conservent cet arôme si reconnaissable de la liberté, qui nous font éprouver une manifestation sensible de la liberté, parfum que les formes normalisantes de la « libération gay » ont laissé s’évaporer. Bien loin des mairies, dans des espaces hétérotopiques, la liberté continue d’être cette création sans terme ni testament – toujours à réinventer.
Alain Naze
Notre libération n’est précédée d’aucun testament / 2013
Communication au Colloque d’Istambul / voir : Ici et ailleurs
Site de Zilda
8 Zilda pier-paolo-pasolini roma
1 René Char, cité in Hannah Arendt, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972, p.11.
2 Hannah Arendt, op. cit., p.24.
3 René Char, cité in H. Arendt, op. cit., p.12.
4 H. Arendt, op.cit., p.12-13.
5 Pier Paolo Pasolini, source Internet : http://www.ina.fr/video/104154763
6 Michel Foucault, « Le triomphe social du plaisir sexuel : une conversation avec Michel Foucault », in Dits et écrits II, 1976-1988, Paris, Quarto Gallimard, 2001, p.1128).
7 Guy Hocquenghem, La dérive homosexuelle, Paris, Jean-Pierre Delage, 1977, p.130 – je souligne.
8 Frédéric Martel, Global gay. Comment la révolution gay change le monde, Paris, Flammarion, 2013, p.18-30.
9 G. Hocquenghem, op. cit., p.132.
10 M. Foucault, art. cit., op. cit., p.1129.
11 Id., p.1128.
12 Id., p.1130 – je souligne.
13 Id., p.1129.
14 Id., p.1127-1128.
15 M. Foucault, « Choix sexuel, acte sexuel », 1982, op. cit., p.1148.

Peut-on être autonome tout seul ? / Philippe Roy

Se braquer. L’Italie des années 1970.
L’étrangeté du titre de mon intervention lui vient d’une fausse évidence. Autonomie semble vouloir dire que l’on conduit sa vie tout seul, que l’on s’en donne à soi-même les règles, que l’on fait tout seul des choix. Et j’entends ici aussi l’autonomie pas seulement au sujet d’un individu mais aussi d’un collectif, d’une communauté, d’une région, d’un pays. Au point que l’autonomie tendrait à être identifiable à l’indépendance, au sens de celui qui vivrait comme bon lui semble (dans le cas d’une région selon ses coutumes, ses valeurs, ses orientations etc.), chaque individu ou chaque région serait dans une sorte d’oasis adaptée à son indépendance. Et alors rien ne s’opposerait à y inclure l’agent rationnel individualiste, cher au libéralisme, cet individu pouvant être une entreprise, une multinationale.
Ou alors, autre interprétation : si autonomie veut dire conduire tout seul sa vie, sera autonome celui qui saura en faire quelque chose de bien, qui se conduira comme quelqu’un de responsable, maître en sa maison. Evidemment, la question se pose de savoir ce qu’est alors une vie bonne, mais ce n’est pas important pour moi ici. Peu importe à quelle idée renvoie la valeur d’une vie, il n’empêche que la responsabilité sera pour chaque conception équivalent à l’autonomie.
Etre autonome au sens de conduire sa vie tout seul serait donc équivalent d’indépendance, d’individualisme ou encore de responsabilité. Toutefois on sent bien qu’on ne peut pas strictement identifier l’autonomie à l’indépendance, ou à l’individualisme ou à la responsabilité. Car se joue aussi le rapport à la liberté, à notre choix. Est-ce vraiment notre choix si les conduites que l’on adopte sont celles qu’adoptent d’autres que nous et qui nous viennent d’eux, comment d’ailleurs cela peut-il être en grande partie autrement ? Même les fameuses pratiques de soi, ou du soi, dont parle Foucault, si elles ont lieu seul, ne se font pas sans être reproduites par plusieurs, pas un ermite qui n’en imite un autre, en ce sens on n’est pas ermite tout seul… Et être responsable de sa vie, de ses actes n’est-ce pas répondre à un « tu dois être responsable » qui vient des autres, de la loi sociale, en suivant des normes propres à chaque société ?
Posons un autre problème, si je fais ce qui me plaît, je suis bien indépendant, mais n’est-il pas alors possible d’être soumis à ses désirs ? Est-ce vraiment-moi qui conduit ma vie ? Ne suis-je pas ignorant des désirs qui me déterminent comme le dit Spinoza ? Mes désirs ne sont-ils pas encore une fois d’origine extérieure, hétéronomes, imitatifs eux aussi ? Bien plus, n’est-ce pas dans ses moments où j’arrive justement à m’opposer à mes désirs que je suis le plus libre et donc le plus autonome, comme lorsque j’accomplis un acte moral ainsi que Kant le soutient ? Le sujet autonome désignant justement chez lui l’être capable de vouloir librement un acte moral, qui s’y soumet lui-même. On retrouverait alors une version plus forte du choix, de la liberté, de la responsabilité. Pas d’autonomie sans des coupures qui viennent rompre le cours de la vie du soi-disant autonome-indépendant, coupures qui attestent que l’individu, s’il conduit sa vie, n’est pas seulement celui qui se donne des règles, mais est aussi celui qui lui donne de nouvelles directions.
Dans cette optique, l’autonome responsable serait alors celui qui prend des risques, qui prend ses responsabilités, qui n’est pas un suiveur mais plutôt celui qui sait s’écarter des chemins tracés, qui sait donner des coups de volant (et même au sens propre, et en allant dans le sens de Kant, quand la loi morale me commande. Quand par exemple je choisis de donner un coup de volant pour m’arrêter sur le bord de la route et venir en aide à quelqu’un, alors que j’ai un fort désir d’arriver au plus vite chez des amis). Etre autonome n’est donc pas seulement suivre un chemin mais braquer, et même mieux, être autonome c’est se braquer. Tant braquer veut dire à la fois s’orienter (quand on tourne ses roues ou même quand on braque son fusil en visant quelque chose) et se braquer signifie s’opposer à quelque chose. Je propose donc qu’on entende à la fois ces deux sens au sujet de « se braquer ». En me braquant je m’oppose, je refuse et je laisse place à une autre orientation, à une autre tournure, une autre manière d’être. Se braquer serait donc se tourner, avec une certaine tournure, tout en se détournant. Et l’impulsion que je reçois pour ma nouvelle tournure serait en prise directe sur celle de se détourner.
Et c’est bien ce que suppose l’acte moral kantien, je refuse de suivre mes inclinations sensibles, mes désirs personnels, je m’en détourne pour, en créant une forme d’immobilité par cette opposition, m’orienter vers et par la morale, selon une certaine manière d’agir. Je rappelle juste en passant que Kant est celui qui a créé le concept d’opposition réelle, en jeu dans tout refus, j’oppose en moi une force à une autre (comme quand je me retiens de rire), et je forme par là un centre immobile, un 0 (comme celui des nombres négatifs) (Cf Le concept de grandeur négative) Et dire que je me braque implique bien un rapport à soi, dont témoigne le pronominal « se » braquer. Donc en me braquant je braque autrement ce que je suis, m’opposant en même temps à ce que je ne veux pas être. Et je laisserais volontiers résonner dans le sens de braquer, l’acte délictueux (comme quand on braque une banque), pour sortir du registre moral dans lequel l’autonomie kantienne nous cantonne.
En effet, n’y a-t-il pas liberté de la volonté quand on fait quelque chose que personne n’ose faire parce que ce n’est pas moral ? Kant en convient partiellement quand il évoque le mal radical puisque nous faisons le choix du mal. N’est-on pas encore plus autonome tout seul ? Car à s’en tenir à la seule liberté morale au sens de Kant, ce n’est pas une autonomie tout seul puisque l’impératif catégorique, qui est comme le crible pour déterminer si une action est morale suppose que celle-ci soit universalisable, c’est-à-dire que cette action puisse être effectuée par d’autres sans contradiction.
Pourrait donc être autonome tout seul celui dont les conduites sont issues de ses propres braquages. Y aurait-il alors possibilité d’affirmer, ce que je disais être cette fausse d’évidence, que l’on peut être autonome tout seul ? Je fais de suite trois remarques, je parle de conduite depuis le début mais je précise que j’entends par là autant des conduites en tant que comportements (et qui impliquent des affects en tant qu’un comportement suppose des choses qui lui conviennent et d’autres qui ne lui conviennent pas) et aussi des conduites de pensée, des manières de penser (avec leurs affects aussi). Si bien que braquer concerne autant des nouvelles pensées que des nouveaux comportements, les changements d’orientation sont des problèmes de pensée comme de corps. Deuxième remarque, qui est un rappel, encore une fois, cela s’adresse aussi à un collectif. Troisième remarque enfin. N’assimilons pas se braquer à gouverner. Gouverner suppose quelque chose à gouverner et suppose de viser asymptotiquement un certain état de cette chose corrélatif d’un certain geste gouvernemental. Il faut donc plutôt limiter les braquages, qui seraient plutôt signe de fausse route, gouverner c’est piloter. Or, un mauvais pilote c’est celui qui braque, dont la conduite est composée de gestes brusques, qui n’a pas une conduite souple. Et parfois on braque pour éviter des obstacles que l’on rencontre. Gouverner c’est plutôt anticiper les obstacles, obstacles qui sont autant extérieurs qu’intérieurs au gouverné. Car le premier obstacle pour un gouvernement est celui qui n’est pas gouvernable. Ce pourquoi un geste gouvernemental ne pourra s’effectuer que s’il est partagé par tous, que si tout le monde se gouverne (rapport intérieur au gouverné). Pas de gouvernementalité sans colonisation des gestes de chacun. Comme le disait Foucault pour les Grecs, celui qui se gouverne soi-même gouvernera les autres, comme s’ il ne fallait pas s’arrêter à soi… L’autonomie propre à la gouvernementalité est donc celle qui réduit les modalités gestuelles en mettant en variation un seul geste gouvernemental, elle ne se fait donc pas seule car ce geste nous colonise, il demande d’avoir ses compétences. C’est à se demander si on peut encore parler d’autonomie.
A l’idée que l’autonomie peut avoir lieu seul résiste donc celle de l’autonomie du braqueur. Cependant ne dira-t-on pas de quelqu’un, d’un collectif, qui n’arrêterait pas de se braquer, dont la conduite est trop brusque, que la conduite de leur vie ne serait alors pas très assurée ?, peut-être même n’auraient-ils pas le temps de tirer profit des nouvelles voies que leur offriraient leurs braquages. Un individu, un collectif ne pourra donc être autonome que s’il ne rencontre pas trop souvent d’obstacles, or comme ces obstacles ne dépendent pas de lui, on comprend qu’il ne pourra pas vraiment être autonome tout seul. Et un geste gouvernemental est un des principaux obstacles, lui inculquant ses conduites. Il est donc préférable de s’unir entre ingouvernables pour être autonomes. Cela ne veut donc pas dire que tous les autres sont que des obstacles, ils peuvent au contraire nourrir de beaux changements, où se déploient de nouvelles puissances d’exister.
Si bien que lors de certaines rencontres soit je braque avec la complicité des autres, qui eux braquent aussi, nous trouvons de nouvelles voies positives, soit je me braque, on se braque ensemble, si c’est un obstacle. Mais cette alternative est encore une fois trop exclusive, comme je proposais de l’entendre tout à l’heure. Car même dans les rencontres positives il s’agit toujours pour faire naître de nouvelles orientations de s’opposer en partie à celles que l’on suivait avant. Se braquer peut donc vouloir dire aussi se braquer contre soi, c’était le sens que je relevais chez Kant avec l’opposition à nos inclinations sensibles. Reste à savoir toutefois si cette opposition précède la nouvelle orientation. On peut en effet soutenir que c’est en trouvant une nouvelle voie, en braquant autrement ce que nous sommes, en se conduisant autrement, qu’en même temps on s’oppose à d’autres gestes qui deviennent incompatibles avec les nouvelles conduites. Et il semblerait que cela se passe plutôt comme ça dans ces rencontres positives, c’est parce que nous découvrons de nouveaux gestes que nous nous opposons aux anciens. Mais en tous les cas, bonnes ou mauvaises rencontres, les autres peuvent favoriser que l’on se braque.
Il n’y a donc pas d’autonomie tout seul, il n’y a d’autonomie qu’à plusieurs. Et je crois que ce leurre de la pensée d’une autonomie tout seul nous vient des positions républicaines, libérales, ou de responsabilisation des gouvernés, culminant avec la gouvernementalité néo-libérale. C’est un leurre entretenu pour dépolitiser le problème de l’autonomie. Et pour discréditer tout braquage, ces pouvoirs n’aiment pas que l’on se braque, ils trouvent même cela stérile (le fameux : arrête de te braquer !) alors même que c’est le germe de nouveaux gestes. Mais dire qu’on ne peut pas être autonome tout seul ne veut pas dire qu’on ne peut pas être autonome. J’aimerais alors continuer de suivre la piste que je viens d’ouvrir en évoquant ces autonomies du se braquer, du braquage en abordant une situation concrète qui répondrait au problème sur lequel je débouche : que serait un collectif autonome qui serait aussi des autonomies des groupes ou individus qui le composent ? Comment penser le rapport, les relais, entre les braquages du collectif et les braquages au niveau des individus et groupes qui le composent ? Comment ça pourrait se passer quand ça se braque de tous les côtés et à plusieurs échelles ?
Il me semble que l’on peut en avoir une idée avec cette situation exemplaire qu’a été l’Italie des années 1970 où l’autonomie a été, vous le savez, centrale. « Central » n’est peut-être pas le mot adapté, car elle a été plutôt polycentrée (1), puisqu’il y avait plusieurs autonomies qui coexistaient et vous voyez que je me rapproche alors du problème que je posais. Pour évoquer ici ces années 1970 en Italie, je m’appuierai sur le livre de Marcello Tari Autonomie ! Italie, les années 1970 paru à La fabrique en 2011 ainsi que sur le Ceci n’est pas un programme du collectif Tiqqun. Je ne dis pas que ce sont les meilleurs livres pour en parler, je n’en sais rien, et de toute façon même si cela l’était on ne pourra jamais penser que deux livres peuvent à eux seuls parler d’une période. Ce qui m’intéresse est que certaines des perspectives qu’ils ont choisi d’adopter nous apprennent des choses pour répondre au problème que je posais tout à l’heure au sujet des autonomies multiples, où ça se braque.
Un petit rappel historique pour commencer, sur ce qu’ont été dans leurs grandes lignes ces années 1970 italiennes. Tari les fait commencer en 1973, c’est l’ouverture d’une séquence dans laquelle nous sommes encore et plus que jamais plongés. Je cite Tari « En février 1973, les Etats-Unis procèdent à une nouvelle dévaluation drastique du dollar, après l’abandon de l’étalon-or décidé par Nixon en 1971. C’est un véritable acte de guerre et le début d’une nouvelle ère du capitalisme dans laquelle, à bien des égards, nous vivons encore : la spéculation financière sur les marchés mondiaux, l’accaparement des matières premières, la fragmentation extrême du travail, la domination de et par la communication sont les leviers qui ont permis aux seigneurs du monde de faire repartir l’accumulation du profit et du pouvoir, en réinventant au passage une nouvelle forme d’individualisme et de « production et de souci de soi » qui modèlera ce que Giorgio Agamben a appelé « la petite bourgeoisie planétaire ». Dès lors, « crises » et « reprises » se succèdent régulièrement, jusqu’à aujourd’hui où la crise ne présume même plus d’une vraie reprise mais seulement de son approfondissement nihiliste (2). » Où on remarque encore ici que l’autonomie du souci de soi néolibéral, soi-disant en solitaire (la production de soi par soi) est inséparable d’une forme de pouvoir qu’est justement le néolibéralisme.
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Revenons alors à l’Italie, c’est dans ce contexte qu’ « en Italie, en 1973, la lire se dévalue à toute vitesse, les importations de biens de consommation sont bloquées, les prix des produits grimpent vertigineusement. [...] d’un jour à l’autre, à cause des mesures économiques du gouvernement, les salaires réels deviennent insignifiants. Et avec la « récession » se profilent les licenciements de masse dans toutes les grandes usines et un avenir désespéré pour les jeunes générations. » (3) En mars 1973 la plus grande usine d’Italie, l’usine Fiat à Mirafiori (50000 salariés) dans la banlieue sud de Turin est bloquée trois jours par les ouvriers. Les ouvriers se braquent. Et ils se braquent aussi contre le travail, il n’est pas question d’auto-gestion, l’usine est à l’arrêt. Ou du moins certains se braquent contre le travail, pas ceux qui se disent de la classe ouvrière, chapeautés par le Parti Communiste Italien, qui veulent plutôt lutter pour l’amélioration de leur condition. Or se braquer contre le travail ne va pas être sans permettre que les ouvriers s’orientent plus franchement vers de nouvelles formes de vie que certains vivaient déjà en partie mais auquel le travail faisait obstacle. C’étaient surtout des jeunes ouvriers, immigrés et fils d’immigrés du sud de l’Italie ou piémontais, une vraie plèbe, mal vue pas les syndicats, arrivée dans les usines dès le début des années 1960 déjà très impliquée dans les grèves de 1969 (voir le livre Nous voulons tout de Nanni Balestrini), qui avant cela « ne travaillent que le temps strictement nécessaire pour acheter leur billet pour le prochain voyage, qui vivent dans des maisons collectives, qui volent de la viande dans les supermarchés [des braquages], qui ne veulent plus rien savoir du travail fastidieux, répétitif et socialement inutile de surcroît, auquel ils sont censés consacrer toute leur vie. » (4) Le geste de résistance qu’a été le blocage de l’usine n’était donc pas sans être en relation avec la résistance de gestes qu’étaient ceux de ces autres modes de vie où ça se braquait déjà.
Il ne faut pas réduire évidemment ce qui se passera alors en Italie à la seule ville de Turin, il faut rajouter Milan, Bologne, Rome, Naples et autres, de plus et surtout cela sortira très largement du cadre de l’usine occupant toutes les dimensions de la vie. Enfin, je l’ai dit et c’est cela qui nous intéresse, il n’y a pas qu’une autonomie, de multiples autonomies se sont créées, des autonomies de désubjectivation dont je vais surtout parler (désubjectivation des anciennes appartenances capitalistes des femmes, des étudiants, des prisonniers, des homosexuels) autonomies de collectifs de quartier, des comités ouvriers à quoi il faut rajouter ceux se revendiquant du courant marxiste plus connu de l’opéraïsme dont Negri et Tronti sont les figures les plus connues (Lotta Continua et Potere Operaio). Cette autonomie va trouver sa vigueur et son déploiement sous plusieurs formes entre 1975 et 1976 avant de s’intensifier, devenir plus insurrectionnelle et donner lieu au Mouvement de 1977, avec un engagement plus affirmé dans la lutte armée (certains groupes comme les Brigades rouges (BR) n’étant voués qu’à cela). On connaît la fin, l’exécution en 1978 d’Aldo Moro (président de la démocratie Chrétienne qui allait signé un compromis national avec le PCI) par les BR suivi d’une violente répression de l’Etat contre tous les autonomistes qui réagissent en se militarisant mais perdront cette guerre civile. (12000 autonomistes sont incarcérés, 600 s’exilent à l’étranger)
Cette autonomie italienne est donc une multiplicité d’autonomies. On n’a plus affaire à l’autonomie de la classe ouvrière de laquelle se revendiquent avec conflictualité certains groupes (les maoïstes, les trotskistes, les staliniens etc.) mais donc, surtout, à des autonomies de désubjectivation : « autonomie des ouvriers, autonomie des étudiants, autonomie des femmes, autonomie des homosexuels, autonomie des enfants, autonomie des prisonniers » (6). Et ces autonomies se déclarent plus par des manières d’agir, le « comment » et non le « qui », elles se déclarent par des gestes singuliers et non par une certaine orthodoxie ou des gestes normalisés. Ainsi écrit Tari « à la gestualité normative des groupes répondait une rafale de gestes irréductiblement singuliers, et même lorsqu’ils se muaient en habitude, c’était encore avec un goût de l’excès de signification qui a préservé ces expériences de toute opération de récupération. » (7) Est intéressante cette idée de Tari que les gestes sont considérés excessifs car on ne peut pas dire ce qu’ils signifiaient, ils nous font plus parler qu’on ne peut parler d’eux. Ces gestes trouent les savoirs, les discours en place. Je donne un exemple, Tari cite Félix, un jeune militant du Sud : « Je ne veux pas être récupéré par la normalité hétérosexuelle parce que je ne crois pas en elle. Mais je ne crois pas non plus en un modèle homosexuel et alors, conscient de mes limites, je veux progresser dans ma libération pour faire exploser tout ce que j’ai refoulé et me changer moi-même et n’être ni homosexuel ni hétérosexuel et, plus que bisexuel, être ce que nous ne savons pas encore, parce que c’est réprimé. » (8) C’est en se braquant en lui-même contre lui-même que naissent les gestes de Félix du rapport à sa sexualité, en libérant d’autres gestes qui sont réprimés, sans qu’il sache avant leur libération que la répression portait sur eux. Comme si on ouvrait des portes sans savoir qu’il y avait des prisonniers dans la pièce dans laquelle donnaient ses portes. En libérant un geste d’autres viennent à la suite, libérés, formant des lignées de gestes.
C’est ici l’autonomie sexuelle d’un individu mais les gestes sont aussi collectifs comme ceux qui ont été appelés des gestes d’autoréductions (visant la gratuité, on réduit soi-même les prix) qui consistaient en des braquages pour répondre aux besoins élémentaires. Deux exemples de gestes d’autoréduction : des collectifs « montent dans les bus, sabotent les oblitérateurs et distribuent des tracts, ou ils montent en groupe et attendent l’arrivée du contrôleur pour lui arracher tout son bloc de contraventions et en sortant, ils inscrivent des slogans sur les flancs du bus. Ou encore [...] ils se présentent en grand nombre dans un supermarché et ils invitent les gens à s’approprier la marchandise, ce que tout le monde s’empresse de faire : l’expropriation ne dure pas plus d’une minute. » (9)
Je reviens à la conjonction des deux sens de braquer, car il est manifeste maintenant que les gestes singuliers de chaque autonomie, qui la braque toujours dans de nouvelles voies avec de nouvelles manières d’être étaient aussi des gestes pour se braquer contre, des sépar/actions (Separ/azione) disait-on alors. Le « contre » est aussi un « pour ». « Notre non à la société des sacrifices est un droit à occuper des immeubles et des « centres sociaux » » (10) . Ceci est marqué avec insistance par Tiqqun « L’Autonomie [...] n’est qu’une succession d’actes de naissance comme autant d’actes de sécession. C’est donc l’autonomie des ouvriers, l’autonomie de la base par rapport aux syndicats, de la base qui dès 1962, à Turin, saccage le siège d’un syndicat modéré à Piazza Statuto. Mais c’est aussi l’autonomie des ouvriers par rapport à leur rôle d’ouvrier : refus du travail, sabotage, grève sauvage, absentéisme, étrangeté proclamée par rapport aux conditions de leur exploitation, par rapport à la société capitaliste. C’est l’autonomie des femmes : refus du travail domestique, refus de reproduire en silence et dans la soumission la force de travail masculine [etc.] C’est l’autonomie des jeunes, des chômeurs et des marginaux qui refusent leur rôle d’exclus, ne veulent plus se taire ». Et comme le remarque avec pertinence Tiqqun « Contrairement à ce que laissera entendre la connerie sociologisante, toujours avide de réductions rentables, le fait marquant, ici, n’est pas l’affirmation comme « nouveaux sujets », politiques, sociaux ou productifs, des jeunes, des femmes, des chômeurs ou des homosexuels, mais au contraire leur désubjectivation violente, pratique, en acte, le rejet et la trahison du rôle qui leur revient en tant que sujets. Ce que les différents devenirs de l’Autonomie ont en commun, c’est de revendiquer un mouvement de séparation par rapport à la société, par rapport à la totalité. » (11)
Ce qui est donc intéressant est qu’on ne se braque pas pour être reconnu mais pour le contraire, pour ne plus être reconnu socialement. On n’arrête pas de braquer autrement ce que nous sommes, on se braque contre soi-même pour encore plus être soi-même. Comme l’écrit Carla Lonzi en 1978 : plus je suis quelconque, plus je suis moi-même. (12) De plus on saisit que ces autonomies sont en relation, ne serait-ce déjà car elles se séparent ensemble d’une même totalité, d’une même société, d’où les grandes manifestations qui jalonneront cette période (telle celle de Bologne en 1976) et les luttes armées. Et cette totalité, cette société contre laquelle on se braque est celle de la gouvernementalité, c’est-à-dire de conduites, de gestes qu’on ne veut plus habiter. Cela s’étendant aussi et surtout, jusqu’au coeur des relations familiales, de l’administration du foyer, d’où le rôle très important des femmes dans ce mouvement d’autonomie.
Construire de nouveaux territoires consiste de prime abord à ne plus habiter certains gestes pour en habiter d’autres. La revendication d’autonomie qui est aussi celle du territoire commence par là. Ce pourquoi Tari a tout à fait raison de dire que plus que conquérir des territoires il faut déjà arracher des territoires au contrôle étatique, c’est-à-dire à des gestes gouvernementaux que l’on habitait. « A Milan et à Rome, des centaines de familles prolétaires occupaient des immeubles entiers où elles mettaient en place des crèches, des dispensaires, des centres de consultation pour les femmes. A Naples et dans le Sud, les listes de chômeurs étaient gérées directement par les assemblées autonomes et non par les bureaucrates du Bureau du travail, et tout le monde commença à réfléchir à l’organisation de la vie des quartiers, y compris en régulant par le bas le prix des marchandises et en expulsant les fascistes et les spéculateurs. » (13) Les autonomies se joignent à travers la composition de leurs gestes, c’est en habitant ensemble des gestes différents qu’on construit un territoire, la conquête du territoire en son sens propre en est alors le corrélat. Même occuper un logement est en premier lieu habiter le geste d’occuper.
Pour résumer, l’autonomie italienne des années 1970, était donc des autonomies se produisant chacune par des gestes singuliers, on peut parler ici d’une libération de gestes et non d’une liberté d’un sujet. On se braque en libérant des gestes. Ces gestes singuliers pouvant être ceux d’autoréductions qui sont aussi des braquages en son sens délictueux. Et dans cette Italie des années 1970, on se braque, Sépar/action, sécession (contre le travail, la reproduction de la domination domestique etc.), contre la gouvernementalité qui unit tout ce contre quoi on se braque. Si bien que les autonomies s’unissent. Le se braquer à l’échelle de chaque autonomie est un se braquer à l’échelle de toutes les autonomies, à l’échelle de l’Autonomie. En un premier sens l’unité de l’Autonomie vient donc en miroir du Un qu’est l’ennemi : la gouvernementalité néo-libérale. Et cette gouvernementalité est aussi ce qui conduit la transformation du territoire de la ville en métropole, ce pourquoi le numéro d’avril 1976 du journal Rosso titrera : « Ouvriers contre la métropole » (14). Cela introduit à la question du territoire et à un autre sens de l’unité des autonomies lié à celui-ci.
En effet, selon un deuxième sens l’unité est celle du territoire par cohabitation des gestes singuliers qui se composent, se coordonnent ou parfois rentrent en conflit (il importait aussi de se braquer entre autonomes). Or, comme ces gestes singuliers entraînent la libération de nouveaux gestes, on peut dire que chaque libération d’un geste par une autonomie n’est pas sans retentir en libérant un geste d’une autre autonomie puisqu’il y a cohabitation des gestes. Par exemple les gestes liés au refus du travail sont dans un rapport de retentissement avec les nouveaux gestes des femmes dans le foyer domestique.
Une conclusion s’impose donc : plus on est autonome à plusieurs plus on l’est mieux tout seul. Ou autre formulation en entendant se braquer comme je le propose depuis le début, s’opposer et se réorienter avec d’autres manières d’être : c’est parce que nous nous braquons que je me braque et c’est parce que chacun se braque que nous nous braquons, que nous devenons donc autonomes. On comprend enfin au terme de ce petit parcours toute la différence qu’il peut donc y avoir entre se braquer et résister. On devient autonome en se braquant alors que l’on essaye seulement de conserver une forme d’autonomie en résistant. Il n’y a pas de production de soi par la résistance. D’où le rapport différent au pronominal. On peut dire qu’on se braque mais non qu’on se résiste. Au point même que l’on valorise plus le fait d’être irrésistible que résistible.
Alors, même si cela ne peut se décréter : soyons irrésistibles, braquons nous.
Philippe Roy
Peut-on être autonome tout seul ? / 2014
Publié sur Ici et ailleurs
Lire également les Conditions de l’autonomie / Alain Brossat
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1 Marcello Tari, Autonomie ! Italie, les années 1970, La fabrique, 2001, p. 71.
2 Autonomie ! Italie, les années 1970, p.13.
3 Autonomie ! Italie, les années 1970, p.14.
4 Citation de Bifo par Tari, ibid., p. 26.
5 Ibid., p. 129
6 Ibid., p. 53.
7 Ibid., p. 50.
8 Ibid., p. 157.
9 Ibid., pp. 184-185.
10 Ibid., p. 186
11 Tiqqun, Ceci n’est pas un programme, p. 53.
12 Autonomie ! , p. 142.
13 Ibid., p. 123.
14 Ibid., pp. 180-184.

Pourparlers sur le théâtre / Flore Garcin-Marrou

Nous avons voulu apprécier ici la puissance de Pourparlers à affecter notre pensée. Même si ce recueil de textes fait état principalement d’entretiens sur l’esthétique du cinéma, nous avons pris le parti de faire dialoguer Pourparlers avec la problématique du théâtre, en la mettant en perspective avec nos recherches antérieures (1), afin d’esquisser les grands traits d’une pensée deleuzienne du théâtre et de donner des outils à ceux qui « font » le théâtre et qui seraient désireux d’articuler leur pratique à la philosophie de Gilles Deleuze.

De la dramatisation
Il est difficile de dire que Gilles Deleuze a véritablement été en guerre contre le théâtre. En 1988, il déclare dans L’Abécédaire : « Le théâtre est trop long, trop discipliné ». Ce n’est pas « un art très emporté sur notre époque ». « Rester quatre heures assis sur un mauvais fauteuil, je ne peux plus, pour des raisons de santé. Ça liquide le théâtre, ça, pour moi » (2). La condamnation semble sans équivoque. Le théâtre est une mimèsis, un art d’imitateurs : il est lié à la problématique de la représentation que Deleuze s’efforce de retravailler (PP, 120) (3). Dès la première page de Différence et répétition, le philosophe se positionne contre un « monde de la représentation », au sein duquel s’exerce un théâtre noétique de la répétition, y opposant un théâtre noétique de la différence, capable de mettre à jour « toutes les forces qui agissent sous la représentation de l’identique ». Selon Deleuze, les représentations qui ont cours dans notre monde moderne ne doivent plus être conformes au réel qu’elles imitent. Au contraire, la modernité donne à penser un type de représentation différentielle, symptôme d’une crise de la représentation mimétique et facteur du surgissement de la différence. La modernité ne cherche plus à représenter le monde, d’après une exigence mimétique, mais laisse la liberté à des forces différentielles de s’exprimer dans l’art et en philosophie.
Lorsque nous parlons de « théâtre noétique de la différence » (4), nous voulons souligner le fait que Deleuze conçoit la pensée comme un ensemble de représentations. En cela, la pensée est un théâtre, parcouru d’idées qu’il décrit comme des personnages conceptuels. Michel Foucault, dans son article portant sur la pensée de Deleuze intitulé « Theatrum philosophicum », publié dans la revue Critique en 1970, propose plusieurs voies d’accès à Différence et répétition et à Logique du sens. Le théâtre est proposé comme étant l’une des voies possibles : Foucault affirme que cet art est constitutif de l’agencement des idées deleuziennes (5). Différence et répétition est à lire comme on assisterait à une représentation de théâtre : « Je voudrais que vous ouvriez le livre de Deleuze comme on pousse les portes d’un théâtre, quand s’allument les feux d’une rampe, et quand le rideau se lève. » Les auteurs cités sont des personnages qui récitent leurs textes, prononcés dans d’autres livres et sur d’autres scènes (6)… Les idées sont mises en mouvement au sein d’un drame de la pensée.
Dès ses premiers travaux d’histoire de la philosophie, Deleuze élabore le concept de « dramatisation de la pensée ». Lorsque Deleuze étudie un auteur (entre 1953 et 1969, il écrit huit monographies consacrées à Hume, Nietzsche, Kant, Proust, Bergson, Sacher-Masoch, Spinoza), il conçoit ces monographies comme de petits castelets de marionnettes qui donnent à voir une image de la pensée en miniature. Il analyse le théâtre de la pensée kantienne dans La Philosophie critique de Kant : la transcendance de l’œil qui regarde, surplombe et juge une action suffit, selon lui, à invalider le projet critique (PP, 198-199). Dans Différence et répétition, Deleuze considère que les mouvements de la pensée hégélienne sont des faux mouvements car ils sont dialectiques, abstraits et spéculatifs. Hume, Nietzsche, Kierkegaard proposent d’autres théâtres de la pensée, affranchis de la représentation. Hume élabore un théâtre empiriste, où l’esprit est une « une pièce de théâtre sans théâtre » (7), Kierkegaard, un théâtre de la reprise, Nietzsche, un théâtre de l’éternel retour…
Dans Différence et répétition, Deleuze fait état, de manière plus assurée, de la dramatisation de sa propre pensée. Pourparlers s’en fait la chambre d’écho. Deleuze ne se place pas en spectateur qui observe et juge ses prédécesseurs. Au contraire, il occupe de plain-pied la scène philosophique et joue avec le philosophe qu’il étudie, en récréant l’acte par lequel cette pensée s’est effectuée. Deleuze met en jeu son objet d’étude, en apprécie les mouvements de l’intérieur. Il n’étudie pas seulement des philosophies, il les « performe », les expérimente, les joue de nouveau (« Le philosophe est créateur, il n’est pas réflexif » PP, 166). Dramatiser les idées, c’est se comporter en acteur et animer sa philosophie comme un metteur en scène.
S’il opère un travail d’acteur, il n’en est pas pour le moins la « vedette » qu’évoque Michel Cressole auquel Deleuze répond dans la « Lettre à un critique sévère » (PP, 11). Deleuze ne cache pas son scepticisme envers ceux que l’on nomme les « nouveaux philosophes » et pointe du doigt leur habileté à utiliser les médias pour se mettre en scène et promouvoir leur pensée. BHL, le personnage de Bernard-Henri Lévy, tient à avoir le premier rôle dans ce cirque médiatique, relayé par les émissions littéraires (« Apostrophes » est « devenu spectacle de variétés », PP, 175). Deleuze se range du côté des penseurs qui cultivent une méfiance à l’égard de la télévision (aux côtés de Bourdieu, Derrida…). Ainsi, il est étonnant de lire de la part de Michel Cressole que Deleuze est une « sale vedette » (PP, 11), qui « fait sa Greta Garbo » (PP, 14) se laissant abusivement pousser les ongles (PP, 13) comme BHL arbore une chemise immaculée et un brushing impeccable. Cressole reproche à Deleuze de se constituer en personnage. Mais Deleuze ne veut en aucun cas endosser un rôle sur la scène médiatique. Au contraire, il entend brouiller les pistes. Il ne veut jouer aucun rôle, mais plutôt une multitude de rôles interchangeables à loisir. Alors que la vedette attire sur elle la lumière, Deleuze entend se dissimuler derrière des masques pour faire oublier sa personnalité et faire entendre une polyphonie de voix. Il n’est pas une vedette car il ne croit pas au sujet constitué, à l’unité d’une personnalité. Au contraire, chaque homme est un agencement collectif d’énonciation. Tout processus de subjectivation montre qu’il est possible de se constituer tout à la fois en personne, en animal, en événement, en lieu, etc. (PP, 156) :
Un processus de subjectivation, c’est-à-dire une production de mode d’existence, ne peut se confondre avec un sujet, à moins de destituer celui-ci de toute intériorité et même de toute identité. La subjectivation n’a même rien à voir avec la « personne » : c’est une individuation, particulière ou collective, qui caractérise un événement (une heure du jour, un fleuve, un vent, une vie…). C’est un mode intensif et non un mode personnel. (PP, 135)
Deleuze est multiple. Il est une série de masques. Il est un acteur qui parle à la troisième personne (PP, 133). Il est une doublure (PP, 139). Deleuze est traversé par des personnages de fiction. Ses ongles longs lui font ressembler au professeur Challenger, évoqué dans Mille Plateaux, inspiré du personnage de Conan Doyle dans Le Monde perdu, auquel il pousse des pinces de homard…
Deleuze n’est pas non plus un acteur de monologue. De la même façon que Heinrich von Kleist dialogue avec sa sœur pour animer le mouvement de sa pensée, dans le texte « De l’élaboration progressive des idées par la parole » (8), Deleuze trouve en Félix Guattari un intercesseur idéal, prompt à lui donner la réplique, pour produire du vrai (PP, 171-172). Eux-mêmes deviennent des personnages conceptuels, des lieux, des batailles, des événements, des heccéités où se creuse une pensée de la différence (PP, 193). La philosophie et le théâtre ont en commun une nature agonistique qui permet des combats d’idées. Le théâtre est le lieu même de la contradiction et sa résolution fait l’objet du drame. Les pourparlers sont des joutes, qui tiennent davantage du registre de la comédie que de la tragédie. Deleuze l’a compris tôt, lorsque d’une manière plutôt provocatrice, il présente la pataphysique d’Alfred Jarry comme une des meilleures introductions à la philosophie de Heidegger (9). Il décèle également dans La vie des hommes infâmes de Foucault, un « chef d’œuvre de comique et de beauté », « proche de Tchekhov » (PP, 206). Alors que la tragédie place le héros devant un choix, imposé par son destin, les batailles philosophiques sont au contraire, selon Deleuze, des « batailles pour rire », des « guerres sans bataille », des combats comiques (PP, 7). Les pourparlers s’extraient du schéma dramatique aristotélicien que l’on pourrait qualifier de téléologique, où toute l’action est tendue, dès le début, vers son dénouement. Les pourparlers, au contraire, n’engagent pas le lecteur dans un propos qui serait joué d’avance, dès les premières lignes des entretiens. Les pourparlers doivent être suffisamment larges et ouverts pour laisser une marge de négociation.
En philosophie, jamais rien n’est joué d’avance. Elle peut être encore pleine de surprises lorsqu’elle est dite à haute voix, interprétée et performée. Alors, la voix du philosophe-lecteur, acteur de sa pensée, charrie des percepts et des affects qui viennent éclairer les concepts (PP, 191 ; 224). La voix de Deleuze s’élevant lors de ses cours à Vincennes est une sorte de Sprechgesang (PP, 190), un parlé-chanté qui permet aux non-philosophes de suivre sa pensée. La dramatisation deleuzienne appelle une lecture d’intensité (PP, 18). L’auditeur n’est pas seulement au contact des signifiés et des signifiants de la pensée. Il est invité à en faire une lecture active, électrique : le lecteur se branche sur le courant de la pensée et attend que le courant circule. Deleuze rêve d’entendre l’acteur Alain Cuny dire l’Ethique de Spinoza, dans « Ce que la voix apporte au texte » :
Qu’est-ce qu’un texte, surtout quand il est philosophique, attend de la voix de l’acteur ? […] Les concepts ont des vitesses et des lenteurs, des mouvements, des dynamiques qui s’étendent ou se contractent à travers le texte : ils ne renvoient plus à des personnages, mais sont eux-mêmes personnages, personnages rythmiques. Ils se complètent ou se séparent, s’affrontent, s’étreignent comme des lutteurs ou comme des amoureux. C’est la voix de l’acteur qui trace ces rythmes, ces mouvements de l’esprit dans l’espace et le temps. L’acteur est l’opérateur du texte : il opère une dramatisation du concept, la plus précise, la plus sobre, la plus linéaire aussi. Presque des lignes chinoises, des lignes vocales (10).
La dramatisation deleuzienne encourage une « pragmatique des mots », une mise en scène des mots, de la même façon que Nathalie Sarraute vocalise ses tropismes (PP, 43). Dramatiser la langue de la philosophie permet de mettre en scène des propositions et d’approcher ce qui pourrait paraître purement spéculatif avec ses propres affects et ses propres percepts. On peut aborder la philosophie comme on aborde une œuvre d’art.

Contre le théâtre œdipien
Si Deleuze envisage une dramatisation active, participative de sa philosophie, il entend écarter néanmoins, dès L’Anti-Œdipe, tout malentendu : s’il parle de drame et de théâtre, ce n’est pas dans un sens métaphorique (la métaphore reste, tout au long de son œuvre, un ennemi farouche à combattre – PP, 44). Il s’agit d’un théâtre qui a rompu, nous l’avons vu, avec la représentation. Peut-être faut-il alors chercher d’autres termes que le « drame » ou que le « théâtre » pour désigner cette image de la pensée qui fonctionne plutôt qu’elle n’imite, qui produit plutôt qu’elle ne métaphorise ? Un changement de paradigme a lieu dès L’Anti-Œdipe : ce qui était appelé « théâtre » ou « drame » est remplacé par la notion d’« usine ». Les deux philosophes opèrent une clarification radicale de leur vocabulaire. Freud s’est adonné à une « mise en scène de théâtre qui substitue de simples valeurs représentatives aux véritables forces productives de l’inconscient ». Le surmoi, la pulsion de mort sont devenus des dei ex machina, des « machines à illusion, à effets » (PP, 28). Freud montre une « représentation du désir », au lieu d’une « production de désir ». En effet, selon Deleuze et Guattari, l’« autre scène » qu’est l’inconscient ne doit plus appartenir au régime de la représentation (l’inconscient ne représente rien), mais à une pragmatique, un fonctionnalisme (l’inconscient produit). Ils déplorent que « les usines de l’inconscient » aient été réduites à des « scènes de théâtre » (PP, 29), où le drame d’Œdipe est montré, par simplification, comme un drame familial qui se joue entre papa-maman.
Deleuze et Guattari partent en croisade contre le théâtre bourgeois, œdipien, psychanalytique et se mettent à évoquer d’autres théâtres, en-deçà de la représentation, qui ont la particularité de laisser le processus schizo de la pensée se libérer. Un théâtre psychanalytique et un théâtre schizoanalytique s’opposent désormais, comme pourraient s’opposer un théâtre de la névrose et un théâtre de la psychose. L’un se situe dans un cadre familial (Freud recherche les causes de la névrose dans le cercle restreint des parents proches), l’autre se situe dans un cadre « historico-mondial » (PP, 33). Le théâtre de la pensée schizo se bat contre l’impérialisme du Signifiant, ne cherche pas à interpréter le discours du patient analysé, mais au contraire, invite le schizoanalyste à procéder à une analyse fonctionnaliste de l’inconscient. Au lieu de se demander « Qu’est-ce que cela veut dire ? », il encourage le patient à comprendre comment son inconscient « fonctionne ». Alors que le théâtre œdipien repose sur la représentation, le théâtre schizoanalytique est bâti sur un certain constructivisme de la pensée, constituée de flux, d’intensités, de processus. Le changement de paradigme (représentation/production) a été initié par Nietzsche qui le premier « passe du mode du vrai au mode du devenir » (PP, 95). A partir de là, la philosophie suit une autre dramaturgie, qui ne remonte plus à des points fixes mais suit et démêle des lignes (PP, 119). Il ne s’agit plus de composer une philosophie systématique ou de penser en termes de structure, mais en termes d’agencements machiniques, qui mettent en mouvement un « théâtre de la production », un « théâtre schizo ».
Il convient de faire référence à l’histoire du théâtre pour comprendre de quoi il s’agit véritablement ici. Le passage de la question « Qu’est-ce que ça veut dire ? » à la question « comment ça fonctionne ? » s’illustre par l’opposition entre les metteurs en scène russes Constantin Stanislavski et Vsevolod Meyerhold. L’un est connu pour appartenir à l’école naturaliste et pour enseigner à ses élèves une méthode de jeu recommandant d’aborder le personnage par le biais de la psychologie. L’acteur doit préalablement inventer une biographie imaginaire de son personnage et motiver mouvements et pensées par des nécessités psychologiques. L’autre, Meyerhold, qui a été un élève de Stanislavski, se désolidarise de l’esthétique de son maître, envisageant la prise de rôle de manière plus fonctionnaliste que psychologique. La biomécanique est une méthode révolutionnaire d’entraînement de l’acteur, se basant sur une approche purement physique et s’inspirant du théâtre japonais, de la danse, de la commedia dell’arte, de la rythmique de Jacques Dalcroze. Un jeu d’acteur qui se veut en rupture avec le théâtre bourgeois. Les acteurs meyerholdiens sont des machines désirantes couplées à d’autres machines. Lors d’une conversation entre deux personnages, il ne s’agit pas d’un échange entre deux individus déterminés par une psychologie mais un échange transversal de flux, de connexions, de disjonctions. Le postulat de Meyerhold est de penser la représentation comme une production. Les décors sont utilitaires, libérés de leur tâche représentative au profit de leur fonction. L’acteur devient un ingénieur, un constructeur, couplé à la machine du décor, réceptif aux vitesses, aux intensités et aux flux qui relient les personnages entre eux et traversent le sien. Il est le signe d’un champ de potentiels : il n’est plus un personnage mais vit la perte de son ego et de son nom. Il acquiert une multiplicité de noms. Il est désormais un effet, une intensité vibratoire. Gilles Deleuze questionne ce « schizo-théâtre » dans Logique du sens au cours des développements sur le théâtre d’Artaud et sur l’acteur stoïcien, mais aussi dans Kafka. Pour une littérature mineure (évoquant le théâtre yiddish et le concept de « théâtre mineur »), dans Superpositions (commentant le théâtre de Carmelo Bene), dans « L’Épuisé », postface de Quad (à propos des pièces pour la télévision de Samuel Beckett)…

De la scène de théâtre au plateau
Plus particulièrement dans Pourparlers, c’est l’espace de ce théâtre schizo qui est questionné dans l’« Entretien sur Mille Plateaux » (PP, 39). Le plateau serait-il une scène de théâtre d’un autre type qui siérait à la dramatisation deleuzienne dont nous venons d’évoquer quelques caractéristiques ? Selon Deleuze et Guattari, le plateau est une carte, déterminée par une date et une image, davantage envisagée selon un mode musical. Au sein de la dramatisation deleuzienne, la mise en plateau des concepts est une mise en espace où les concepts s’entrechoquent dans une guerre de position, dans un agencement spécifique qui met en relation les idées. Le plateau est un champ d’immanence traversé par des lignes abstraites, dimensionnelles, directionnelles. Le concept est toujours en déplacement, dans différents lieux, dans des différents espaces-temps. Il surgit toujours dans une imminence.
Si l’on transpose cette réflexion dans le domaine du théâtre, l’abolition de la transcendance abolit la distinction entre la salle et la scène. Si la scène devient champ d’immanence, acteurs et spectateurs sont mélangés dans un même espace. L’espace théâtral n’est plus duel. On peut aller même jusqu’à dire qu’il n’y a plus que des participants amenés à suivre des dynamiques spatio-temporelles dans un espace neutre. Acteurs et spectateurs sont libérés de leurs rôles présupposés et font partie, au même titre, du même espace de jeu. Les rôles sont abolis. Comme le note Deleuze, Félix Guattari proposait dans les congrès de psychanalyse que les psychanalysés se fassent payer autant que les psychanalystes, fournissant chacun « deux types de travaux non parallèles » (PP, 58). Le spectateur peut être un « spect-acteur » qui s’affranchit d’une passivité transcendantale et joue un rôle actif dans le processus théâtral : il est intercesseur, co-créateur (11). Le théâtre devient alors une œuvre ouverte (celle qu’Umberto Eco a théorisé) de type happening, performance ou installation… Ces types de dramaturgie ont la spécificité de ne pas être essentialistes : elles organisent des circonstances, mettent en relation (PP, 48). L’affranchissement du dispositif phénoménologique permet au théâtre de tendre vers sa propre a-dramatisation. L’intrigue mise en scène ne suit plus un processus téléologique (aristotélicien), mais procède par accident, par surprise, et les agencements prolifèrent selon un mode rhizomatique. Deleuze insiste sur le fait que l’espace n’est plus à percevoir comme une grande et belle totalité, close sur elle-même, mais se rapproche davantage d’un type d’espace appelé « riemannien ». En mathématique, il s’agit d’un espace constitué de « petits morceaux voisins dont le raccordement peut se faire d’une infinité de manières » (PP, 169). Cet exemple de géométrie différentielle inventée par le mathématicien Bernhard Riemann permet de penser la théorie de la relativité. Le quatorzième plateau de Mille plateaux, intitulé « Le lisse et le strié », s’ouvre sur la photographie d’un patchwork en tissu. Cet ouvrage de pièces mises bout-à-bout diffère de la broderie en tant qu’il n’a pas de centre, mais se caractérise par la répétition d’un élément de base. L’espace riemannien est un espace conçu ainsi. Cette nouvelle pensée de l’espace trouve des échos certains dans le domaine de l’art.
L’espace riemannien est souvent comparé par Deleuze au manteau d’Arlequin, constitué de losanges cousus entre eux, à l’image d’une pensée en patchwork faite de « bigarrures et de fragments non totalisables où l’on communique par relations extérieures »(12). Dans le domaine des études théâtrales, l’espace riemannien fait écho au théâtre de la fin du xxe siècle, que l’universitaire Hans-Thies Lehmann a qualifié de « théâtre postdramatique ». La crise du drame marque l’émergence de la modernité au théâtre. Le muthos, selon Aristote, est comparé à un être vivant, un bel animal, une totalité ordonnée. Cette conception organiciste est remise en cause par la crise de la fable. Le théâtre postdramatique donne lieu à des écritures qui se caractérisent par une hybridation de formes qui mettent en question l’idée même de composition d’une œuvre. On parle alors de théâtre documentaire, fait de montages d’archives, de théâtre fragmentaire qui ont en commun cette « écriture rhapsodique » exposée par Jean-Pierre Sarrazac dans L’Avenir du drame. (13). Le rhapsode coud ensemble la narration et le dialogue, l’épique et le dramatique, assemblant des éléments disparates au détriment de l’avancement de l’action, de la même façon que des auteurs modernes pratiquent le montage, la couture de fragments. Dès Strindberg, Tchekhov, Pirandello, on décèle une crise du drame qui fonde le théâtre moderne (14). Le drame est poussé vers des formes plus libres, où le personnage s’efface au profit de voix et de figures dépersonnalisées, où le dialogue et la fable sont morcelés. Les fragments induisent une pluralité, une multiplication des points de vue, une hétérogénéité caractéristiques de l’écriture fragmentaire du rhapsode, celui qui délie et relie, casse et reconstruit. Les fragments sont des actions moléculaires, réseau d’actions de détail qui ne convergent plus vers une action principale. La pièce de théâtre n’est plus jouée en vue d’un dénouement, mais opère en son sein un « devenir scénique » (15), s’attachant à jouer les lignes de fuite d’un texte.

L’avenir du théâtre serait-il dans le cinéma ?
Le cinéma moderne donne à voir également des espaces de type riemannien, des espaces qui procèdent par voisinages, par connections de petits morceaux avec d’autres. Robert Bresson attire l’attention de Deleuze avec ses « voisinages raccordés d’une infinité de manières possibles, voisinages visuels et sonores raccordés de manière tactile » (PP, 169). Deleuze apprécie également les cinéastes qui empruntent au théâtre certains de leurs éléments de langage : Bergman filme un « théâtre embellissant la vie », un « antithéâtre spirituel des visages » (PP, 112).
Mais le cinéma lui apparaît, dès ses travaux sur Bergson (Le Bergsonisme, 1966), bien plus apte à s’accommoder de la faillite de la représentation que le théâtre. Le cinéma s’émancipe de la mimèsis et permet de dresser une sémiotique renouvelée, une nouvelle image comme une matière-mouvement. C’est un art qui s’impose comme un champ d’expérimentation du mouvement réel et de la durée, alors que le théâtre présente un mouvement vraisemblable et un temps artificiel. Le cinéma connecte le spectateur au réel, au mouvement mur, sans médiation. Dès Différence et répétition, Deleuze se sert de façon récurrente de l’analyse du mouvement au sein des réflexions sur le théâtre de Kierkegaard pour penser le mouvement au cinéma. Selon lui, Kierkegaard est sur la voie d’un « vrai » mouvement dans son analyse sur le théâtre de la répétition (dans La Reprise) et ouvre la voie, ainsi, au cinéma de Dreyer (PP, 84).
Il y a un lien certain entre les deux arts, mais aussi, une volonté d’en finir avec le théâtre, avec « les marionnettes et les projections frontales » (PP, 108). Le cinéma se distingue par l’auto-mouvement de ses images. Au théâtre, l’acteur se superpose au fond de scène et son action est une réaction à une perception. Au cinéma, l’acteur est pris dans le mouvement général de la caméra. « Il ne suffit pas de faire des ombres chinoises. Il faut construire des images capables d’auto-mouvement » (PP, 167). Comment l’acteur de théâtre joue-t-il l’alcoolique ? Il incarne l’état et le présentifie. Comment l’acteur de cinéma joue-t-il l’alcoolique ? Par un gestus construit, il se laisse glisser dans le mouvement de la caméra (PP, 100). L’acteur de cinéma se rapproche en cela de ceux qui pratiquent les sports modernes : les surfeurs, les planchistes ne sont pas eux-mêmes la source du mouvement, mais ils s’insèrent « sur une onde préexistante » (PP, 165). L’acteur de cinéma « arrive entre » des flux de mouvement divers, alors que l’acteur de théâtre est à la source du mouvement. L’acteur de cinéma, capable d’auto-mouvement, est un « automate spirituel », sorte de sur-marionnette cinématographique largement abordée dans L’Image-Temps.
L’automatisme du cinéma contamine la fable. La crise de la fable, de l’intrigue constitue le cinéma moderne (PP, 73). Le drame structure le théâtre traditionnel et contient, par définition, l’action (le drama). Au cinéma, un autre type d’image émerge. Il ne s’agit pas d’une image vraisemblable, à laquelle le spectateur de théâtre est tenu de croire mais d’une image-action. Deleuze reproche au théâtre de se situer au croisement du couple vrai/faux, alors que le cinéma met en jeu le couple actuel/virtuel qui compose l’image cinématographique, bien plus à même, selon lui, de présenter le temps pur et le mouvement pur (PP, 94). Le spectateur de cinéma ne se demande plus si ce qui se passe sur l’écran est vrai ou faux, mais de quelle manière des situations virtuelles s’actualisent. Si le théâtre permet de penser l’imitation et les simulacres, le cinéma permet de penser le mouvement, notamment l’auto-mouvement de l’image, que l’on ne trouve pas au théâtre, puisque c’est l’acteur qui introduit le mouvement dans le cadre de scène qui reste fixe. Le passage du théâtre au cinéma engendre une « nouvelle compréhension des images » (PP, 68). La Nouvelle vague expérimente la crise de l’image-action qui donne à voir une réalité lacunaire et dispersive et marque une rupture entre la situation donnée et l’action d’un personnage.
Godard réalise un art de l’immanence. Sa direction d’acteur est une direction « de plain-pied » (PP, 56). Le metteur en scène ne s’impose pas à son acteur, comme un patron à son ouvrier. Sa mise en scène est pragmatique : « avoir une idée, ce n’est pas de l’idéologie, mais de la pratique » (PP, 57). Il n’est d’ailleurs pas metteur en scène, il est un « bureau de production » (PP, 61). Les images qu’il construit ne sont pas de l’ordre d’un Signifiant : elles ne tendent pas à signifier quelque chose, mais surgissent de façon imminente sur un champ d’immanence : « juste une image » cousue, rapiécée à une autre image et ainsi de suite. Son cinéma se situe dans un « devenir-présent », plus que dans une représentation du présent (PP, 58). Cette image-mouvement invite l’acteur à exploiter des modes de jeu différents : il ne doit pas interpréter, prétendant « représenter quelque chose ou quelqu’un », mais au contraire, faire émerger une voix intensive qui fait parler « ceux qui n’ont pas le droit » de parler. L’acteur exprime le contre-pouvoir, la minorité et utilise un langage « en dessous », « en deçà », plus souterrain que le langage communicationnel : un langage du silence, du cri ou du bégaiement (PP, 60). Le principe même d’incarnation dicté par la méthode stanislavskienne) est abandonné. Lorsqu’un acteur incarne un personnage, il exerce une prise de pouvoir sur son rôle. Il annexe le rôle pour le représenter, de la même façon qu’un délégué syndical prend le pouvoir sur un ouvrier, soi-disant parce qu’il parle mieux et que c’est son métier de représenter les gens (PP, 61). L’acteur n’est pas un délégué syndical, il n’a pas à « prendre la place de quelqu’un » (PP, 66). Il doit être un rouage dans une machinerie, qui établit des relations avec les autres machines – partenaires de jeu, décors, musiques…-. Le jeu consiste à articuler ces machines dans des évolutions non parallèles. L’acteur devient un « opérateur ».
Mais si l’on suit Deleuze, il semble que le théâtre ait été imperméable aux innovations expressives du cinéma. Ce qui est inexact. Alors que les situations optiques-sonores pures sont présentées comme une des spécificités du cinéma moderne, elles existent également dans le « théâtre d’images » inventé dans les années 1970, dont le fer de lance est le metteur en scène américain Bob Wilson. A la différence d’un personnage pris dans une situation sensori-motrice (où ses actions sont engendrées par ses perceptions), les personnages de Wilson habitent des images optiques et sonores pures : le personnage n’agit ni ne réagit face à la situation, si tant est qu’il y en ait encore une. Le personnage est comme sidéré par l’intensité de la situation. De sorte que l’action et la narration s’effondrent, l’espace devient un espace vide, déconnecté, l’action est remplacée par une sorte de longue promenade en devenir (nous faisons référence à la lente traversée de l’homme-grenouille dans Le Regard du sourd, ou au parcours du train dans Einstein on the beach). Le personnage devient un pivot, un rouage d’une grande machinerie spectaculaire. C’est ainsi que Deleuze voit également Carmelo Bene, qu’il qualifie, plutôt que de metteur en scène et d’acteur, d’« opérateur » sonore de pures intensités et de « machine actoriale » dans Superpositions. L’acteur ne travaille plus dans le sens d’une recherche de l’identification (mimèsis). Il est « traversé » par des énergies et des flux. Les voix s’affranchissent de toute incarnation. Elles traversent le corps sans organes de l’acteur, qui n’est plus guidé par une intention, mais par une intensité de jeu. Le personnage n’est plus une forme en présence, mais une force en présence. Il devient une interface, un opérateur, un révélateur sans ancrage mimétique.
Carmelo Bene reconnaît la force inventive du théâtre : « Il pense bientôt que le théâtre est plus apte à se renouveler lui-même, et à libérer les puissances sonores, que le cinéma trop visuel »(16). Après une étape d’assimilation de procédés proprement cinématographiques, Bene invente un « cinéma théâtralisé » représenté sur les scènes de théâtre et théâtralise son cinéma, de sorte que la relation entre les deux arts s’envisage dans une stimulation mutuelle dont le but est toujours une élévation de l’un et de l’autre à la « nième puissance ». À l’aune des pratiques contemporaines du théâtre, nous sommes aujourd’hui enclins à nous demander, dans un renversement de notre question initiale, si l’avenir du cinéma d’auteur n’est pas à chercher dans les formes spectaculaires les plus contemporaines.

Flore Garcin-Marrou
Pourparlers sur le théâtre /2013
Extrait du texte publié dans Pourparlers, entre art et philosophie. Images et langages chez Gilles Deleuze, Fabrice Bourlez, Lorenzo Vinciguerra dir., Reims, Presses de l’ESAD, Université Champagne Ardennes, parmi les contributions de Manola Antonioli, Anne Sauvagnargues, Dork Zabunyan, Jehanne Dautrey, Silvia Maglioni, Graeme Thomson, Agnès Turnhauer, Benoit Maire…

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LABO LAPS

Garbo, Greta (Painted Veil, The)_01

1 Garcin-Marrou, Flore, « Gilles Deleuze, Félix Guattari : entre théâtre et philosophie. Pour un théâtre de l’à venir. », thèse de doctorat en Littérature française, dirigée par Denis Guénoun, Université Paris-Sorbonne, soutenue le 13/12/2011.
2 Deleuze, Gilles, ABC, lettre C comme culture, 48:00. On retrouve une formule presque identique chez F. Nietzsche : « Rester cinq heures assis : première étape vers la sainteté ! », dans Le Cas Wagner, Paris, Pauvert, Libertés nouvelles, p. 39.
3 Toutes les références à Pourparlers sont notées dans le texte suivant PP.
4 Nous employons « noétique » au sens étymologique de l’adjectif. Un théâtre noétique est synonyme d’un « théâtre de la pensée ».
5 Foucault, Michel, « Theatrum philosophicum », revue Critique, n° 282, novembre 1970, p. 885-908 ; repris dans Dits et écrits I, Paris, Gallimard, Quarto, [1994], 2001, p. 943-967.
6 « Ariane s’est pendue », Le Nouvel Observateur, n° 229, 31 mars-avril 1969, p. 36-37 ; repris dans Dits et écrits I, op. cit., p. 795-799.
7 Deleuze, Gilles, Empirisme et subjectivité, Paris, PUF, 1953, rééd. coll. « Epiméthée », 1993, p. 4.
8 Kleist, Heinrich von, Petits écrits, trad. P. Deshusses, préface G.-A. Goldschmidt, Paris, Gallimard, Le Promeneur, 1999.
9 Deleuze, Gilles, « En créant la pataphysique Jarry a ouvert la voie à la phénoménologie », revue Arts, 1964, repris dans L’Ile déserte, Textes et entretiens, 1953-1974, éd. préparée par David Lapoujade, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2002, p. 105-108; « Un précurseur méconnu de Heidegger, Alfred Jarry », Critique et clinique, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 1993, p. 115-125.
10 Deleuze, Gilles, « Ce que la voix apporte au texte », Théâtre National de Lyon, 1987, repris dans Deux régimes de fous et autres textes, Paris, Les Éditions de Minuit, 2003, p. 303-304.
11 « L’œuvre d’art, telle que nous la concevons aujourd’hui […] déborde des beaux-arts sur la vie […], fait du “spectateur” plutôt un récepteur activement engagé dans la saisie des polyvalences, une sorte de créateur empruntant plusieurs modes de perception et de liaison simultanément, fait de “l’auteur” plutôt un intercesseur, un accoucheur, un pilote », Lebel, Jean-Jacques, Lettre ouverte aux regardeurs, Paris, Librairie Anglaise, 1966 ; cité dans Lebel, Jean-Jacques, Michaël, Androula, Les Happenings de Jean-Jacques Lebel, ou l’insoumission radicale, Paris, Hazan, 2009, p. 257.
12 Deleuze, Gilles, L’Ile déserte, Paris, Les Éditions de Minuit, 2002, p. 228.
13 Sarrazac, Jean-Pierre, L’Avenir du drame, Écritures dramatiques contemporaines, Lausanne, Éditions de L’Aire, 1981.
14 Szondi, Peter, Théorie du drame moderne, Belval, Circé, 2006.
15 Sarrazac, Jean-Pierre, « Devenir scénique », Lexique du drame moderne et contemporain, coll. sous la direction de J-P Sarrazac, Circé, Poche, 2005, p. 63.
16 Deleuze, Gilles, Cinéma 2. L’Image-Temps, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1985, p. 248.

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