Archive pour le Tag 'message codé'

La répétition des symboles / Brian Evenson / à propos de Thomas Pynchon et de Vente à la criée du lot 49 / Vision de Pynchon / Don DeLillo

Puisque je suis naturellement sujet à la paranoïa, il ne devrait surprendre personne surprendre personne que mon roman préféré de Pynchon soit Vente à la criée du lot 49. Comme dans La Passion de Martin Fissel-Brandt de Christian Gailly, la nouvelle s’amuse à un jeu de dupes avec la vraisemblance, accumulant coïncidence sur coïncidence jusqu’à un point de non retour. Contrairement à Gailly, cependant, Pynchon ne cherche pas à nous laisser croire que ses apparentes coïncidences sont de simples et entières coïncidences : il y a toujours « une sorte de frisson glacé [qui] souffle tout à coup à travers ces vers » (1). Il y a toujours une possibilité pour que ce qu’Œdipa Maas expérimente ait étonnamment été construit pour elle, ne soit pas une coïncidence après tout, et soit même la preuve de l’existence d’un monde secret. Au lieu d’amener vers une résolution ou une solution, chaque pas qu’Œdipa fait dans son enquête sur Tristero ne fait que confirmer son incapacité à comprendre ce qui lui arrive et pourquoi. Elle ne peut jamais être sûre (du moins dans les limites du livre, qui finit sur une révélation potentielle qui, c’est difficile à croire, ne révèle rien du tout) de ce qui forme exactement la nature du monde autour d’elle. Vente à la criée du lot 49 est un livre qui cherche moins à dépeindre la naissance d’une « paranoïa relative » (2) ou un soi-disant complot qu’à incarner ces deux possibilités en une forme concentrée, à la fois pour Œdipa Maas et pour le lecteur. Il semble que ce roman de Pynchon soit considéré comme le plus lisible en partie parce que l’auteur accomplit un bon pourcentage de son travail pour le lecteur à un niveau infratextuel, en construisant patiemment ses effets narratifs afin que l’ambiance du livre vous possède avant que vous sachiez vraiment de quoi il s’agit.
Tout commence avec le choix de Pynchon d’une voix narrative : un troisième personnage au caractère bien trempé qui n’est jamais identifié mais qui s’adresse au moins une fois directement au lecteur dans un vocabulaire typiquement XIXème. (« Le gynécologue ordinaire aurait été bien incapable de diagnostiquer ce qu’elle couvait ») (3) Il se lance aussi dans des passages d’anticipation, affirmant une supériorité sur le point de vue du lecteur en faisant allusion à d’éventuelles fins et suggérant qu’il en sait plus que nous : « Ce nom semble suspendu [...] les lumières s’éteignent. Pour intriguer Œdipa Maas, sans exercer cependant le pouvoir qu’il n’allait pas tarder à avoir sur elle. » (4) Il, si l’on peut considérer que c’est un homme, agit par-dessus l’épaule d’Œdipa, ne la délaissant jamais, sauf de manière abstraite pour l’abandonner dans des spéculations qui pourraient être celles de son personnage comme elles pourraient être les siennes ou quelque combinaisons des deux (on pourrait aussi penser que la présence du narrateur est la mnifestation d’une rupture dans l’esprit d’Œdipa et que le livre est un coup de tonnerre à la Deleuze et Guattari, entre la schizophrénie et la psychose). Quand on en arrive ici, il n’y a (comme Nabokov l’a déjà démontré) rien de comparable à un troisième narrateur : il reste toujours un « je » qui signifie « elle », « il » ou « eux ». Dans Vente à la criée du lot 49, Pycnhon fait le choix d’être une sorte d’ombre planant sur le roman, une apparition disparaissante, ce que l’on peut sentir dans la texture même de la langue, dans ses signes, sans jamais le saisir de manière tangible.
Brian Evenson
La répétition des symboles /2008
Extrait du texte publié dans Face à Pynchon / Collectif
à lire sur le Silence qui parle : extrait de Vente à la criée du lot 49
à voir : Lipodrame / Mécanoscope

« C’était comme si, un jour, selon une étrange  loi de la nature, Hemingway mourait et, le lendemain, naissait Pynchon. Une mutation de la littérature trouvait son origine dans une autre. Pynchon a rendu la littérature américaine plus ouverte, plus intense. Il a discerné des murmures et des apparitions à la lisière de la conscience moderne sans amoindrir la dimension physique de la prose américaine ; la vigueur d’un fusil à pompe, l’humour de la rue, les fluides du corps, la présence.
J’étais en train d’écrire des textes publicitaires pour des pneus de camion quand un ami m’a donné un exemplaire de poche de V. Je l’ai lu et j’ai pensé, d’où est-ce que ça peut bien venir ?
L’envergure de ce travail, géographiquement vaste et n’ayant pas peur des sujtes majeurs, nous aide à placer notre fiction non pas dans un petit recoin anonyme, humain et dérisoire, mais en dehors, dans l’étendue de l’imagination élevée et des rêves collectifs. »
Don Lellilo
Vision de Pynchon #2 in Face à Pynchon / Collectif

à lire sur le Silence qui parle : Point Omega

Photo : Juno Temple in Kaboom / Gregg Araki

kaboom_06_crop

1 Vente à la criée du lot 49, Points Seuil, 2000, p.80.
2 Ibid, p.157.
3 Ibid, p.202.
4 Ibid, p.84.

Lipodrame / Mécanoscope – Marco Candore / revue Chimères n°80 Squizodrame et schizo-scènes

un film de Marco Candore
avec (par ordre d’apparition) :
Vincent de Larose, Evelyne Neuvelt, Dan Tesk, Ernesto del Vargas,
Ivy Velvet, Anaïs Bé, Aude Antanse, Marco Candore (texte & voix)
réalisation & montage Marco Candore et Cherif Filali
musique Alain Engelaere
production Mécanoscope / décembre 2013

En agencement avec le numéro 80 de la revue
Chimères : « Squizodrame et schizo-scènes« 

« Il y a deux manières de voir un film, ou bien on le considère comme une boîte qui renvoie à un dedans et alors on cherche ses signifiés, et puis si l’on est encore plus pervers ou corrompu, on part en quête du signifiant, ou bien on considère ce film comme une petite machine asignifiante. Comment ça fonctionne pour vous ? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne se passe, prenez un autre film… Cette autre vision est une vision en intensité. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter. Cette manière de voir en intensité, en rapport avec le dehors, flux contre flux, machine avec machine, mise en fonctionnement avec autre chose, n’importe quoi… c’est une manière amoureuse… » / Gilles Deleuze

Trou noir, figure de l’absen-t-ce, de l’effacement, de la masse manquante et du vide. Affabulations, réminiscences ou fantasmes, délire des mondes ; machine à rêves et d’écritures, Lipodrame ne raconte pas une histoire en particulier mais plusieurs, potentielles, tout à la fois.

« J’ai connu Pepe Giuliano quand elle était à Paris, et fréquentait les Chevaliers de Notre-Dame de l’Anarchie, une confrérie ultra-secrète dont les buts étaient si obscurs que ses membres eux-mêmes ne savaient pas ce qui les réunissaient, le nom même de la société ne semblaient rien signifier. Ils ne semblaient pas vraiment avoir le sens de l’humour, enfin je n’en sais trop rien, je ne les ai jamais vus, j’en ai peut-être croisés en draguant Pepe mais par définition, je ne peux pas le savoir, la clandestinité absolue n’est-ce pas. »

Il était une fois une coïncidence qui était partie faire une promenade
avec un petit accident. /
Lewis Carroll

En guise de. Lipodrame est un court métrage de quinze minutes, tourné sans scénario. C’est aussi un film caché dans / pour un autre film à venir (plus long en métrage ; mais quid du métrage avec le numérique ? à méditer).
Cornet : à dés, pistons, acoustique, de frites. « Faire » des images sans vraiment savoir où / vers quoi elles mèneront. Intuition vague problématique en forme de : spirale ; des disques de vinyle ; des galaxies – au centre, le trou noir dévore tout et poussières et étoiles s’y précipitent  – ; tango-vertigo des lavabos et des latrines (plus ou moins étranges histoires trouées telles : un fromage suisse ou la surface lisse d’un espace-temps recomposé), gobant fluides et autres matières pour de longs et poétiques et incessants voyages de jour comme de nuit en de mystérieux tuyaux où guettent toutes sortes de minotaures et êtres aux aguets. Pavillon de l’oreille autre spirale et feuille timbrée à l’affût et tout dans le noir en case départ.
Jeu-dé, jeté-e. Donc on jette les dés, le hasard et toute la clique de l’éternel retour qui n’en finit pas de revenir ni tout-à-fait-le-même-ni-tout-à-fait-un-autre, on a des musiques, des ritournelles obsessives, des bruits de toutes sortes dans la tête, mais aussi un fantasme de silence, un désir impossible du silence impossible ; une voix viendra, elle vient toujours. Qu’est-ce que c’est au juste, cette, heu, chose ? Il n’y a pas d’histoire, seules des cartes rebattues, redistribuées, combinant des potentialités. Is That Jazz. Est-ce du cinéma. Il y a bien une caméra, des lumières, des acteurs, de la musique et du mouvement – même celui, à peine perceptible, d’une respiration, les battements de cils de deux yeux clos feignant le sommeil. Capture de micromouvements. Voler l’image.
Bande de pillards. Puis vient une voix, elle vient toujours celle-là, pour raconter, là où il n’y a rien a priori. La galerie des portraits ne propose rien mais un chemin se fait, qui surtout ne doit pas trop dire, trop remplir. Laisser du vide, du neutre – relatif. Une petite machine asignifiante. La voix donnant un semblant d’ordre, de sens, même et surtout si « tout est faux ». La fable est ténue et persistante. Mais il est possible, tout aussi bien, de raconter tout autre chose sur ces mêmes images. Pillage de visages et de corps, de mots, de jeu de citations, sans procédé ni méthode ou modèle. La voix, les mots, les noms sont venus après, au fil de la plume du montage. Puis celui-ci s’est calé sur la voix puis inversement ou le contraire. Ainsi de suite.
Il n’y a pas vraiment de personnages, juste des noms, des vitrines sans boutique. Statut du décor de théâtre / de cinéma. Derrière, la coulisse, les loges avec des tables à repasser, des tickets de caisse à se faire rembourser, des issues de secours, et la rue où passent le temps réel et le monde. Réel ? Tom Bom, Ricki Pompola, Carmen Tortillas (dite aussi Pepe Giuliano ou Dolores ou Maria ou Mariem ou Fleur-de-Lotus entre autres), Ingeborg Vermeersson : des noms-machines, des noms-rhizomes, le magasin est la vitrine, le décor, les personnages n’ont pas d’autre profondeur que la surface offerte. Machines à continuer. En creux, par défaut, par une case vide, c’est là que se découvre un ou des passages, que peut se dérouler un des rubans possibles.
Marco Candore
Lipodrame (ou Comment j’ai réalisé incertain de mes films) / 2013
Extrait de l’article publié dans Chimères n°80

Mécanoscope

meca

Visu-Lipo
chimeresbellevilloise

Feu pâle / Vladimir Nabokov

Chant quatre
Il me faut maintenant épier la beauté comme jusqu’alors
Personne ne l’a épiée. Il me faut maintenant crier
Comme personne n’a crié. Il me faut maintenant tenter ce que personne
N’a tenté. Il me faut maintenant faire ce que personne n’a fait.
Et, pour parler de cette merveilleuse machine :
Je suis intrigué par la différence entre
Deux modes de composition : A, le mode
Qui ne se passe que dans le cerveau poète,
Un essai des tours que peuvent exécuter les mots tandis
Qu’il se savonne pour la troisième fois une jambe, et B,
L’autre mode, bien plus digne, quand
Il se trouve dans son bureau, écrivant avec une plume.

Dans le mode B, la main soutient la pensée,
La bataille abstraite se livre concrètement.
La plume s’arrête en l’air, puis s’abat pour rayer
Un coucher de soleil, ou bien restaurer une étoile,
Et elle guide ainsi physiquement la phrase
Vers une pâle lueur diurne à travers un labyrinthe d’encre.
Mais le mode A est une torture ! Le cerveau
est bientôt serré dans un casque de douleur.
Une nurse en bleu de travail dirige le vilebrequin
Qui taraude et que nul effort de volonté
Ne peut interrompre, tandis que l’automate
Enlève ce qu’il vient à peine de mettre
Ou va, d’un pas alerte, jusqu’à la boutique du coin
Acheter le journal qu’il a déjà lu.

Pourquoi en est-il ainsi ? Peut-être est-ce parce que,
Dans le travail sans plume, il n’y a pas de pause de plume
Et il faut se servir de trois mains à la fois.
Ayant à choisir la rime nécessaire,
Tenir sous les yeux le vers complété
Et garder à l’esprit les essais précédents ?
Ou bien l’opération et-elle plus profonde sans un bureau
Pour appuyer le faux, hisser le poétique ?
Car il y a ces mystérieux moments où
Trop las pour effacer, je laisse tomber ma plume ;
Je déambule – et, à quelque ordre muet,
Le mot juste gazouille et vient se percher sur ma main.

Mon meilleur moment est le matin ; ma saison
Préférée, le milieu de l’été. Une fois, je m’entendis
Me réveiller, tandis qu’une moitié de moi-même
Dormait encore au lit. Je libérai violemment mon esprit
Et me rattrapait – sur la pelouse
Où les feuilles de trèfle recueillaient dans leur coupe les topazes de l’aube
Et où se tenait Shade, debout, en chemise de nuit et chaussé d’un soulier.
Puis je compris que cette moitié-là aussi
Dormait profondément ; elles rirent toutes deux et me réveillai
En sécurité dans mon lit au moment où le jour brisait sa coquille,
Et les merles migrateurs marchaient, s’arrêtaient et, sur l’humide
Gazon emperlé, un soulier brun reposait. Mon timbre secret,
L’empreinte de Shade, le mystère inné.
Mirages, miracles, matin de mi-été.

Comme mon biographe est peut-être trop grave
Ou n’en sait pas assez pour pouvoir affirmer que Shade
Se rasait dans son bain, voici : « Il avait arrangé une sorte
De système avec charnière et vis, un support d’acier
Traversant la baignoire pour maintenir en place
Le miroir à raser droit en face de son visage
Et, de son orteil, renouvelant la fraîcheur du robinet,
Il trônait comme un roi et saignait comme Marat. »

Plus je pèse, plus fragile est ma peau ;
Elle est par endroits ridiculement mince ;
Ainsi, près de la bouche, : la place entre le coin des lèvres
Et ma grimace invite la coupure méchante,
Ou cette bajoue : il me faudra un jour laisser pousser
Une barbe en collier invétérée en moi.
Ma pomme d’Adam est une figue de nopal :
Il me faut maintenant parler du mal, du désespoir,
Comme personne n’en a parlé. Cinq, six, sept, huit,
Neuf coups ne suffisent pas. Dix. Je palpe
A travers la fraise écrasée, la sanglante bouillie
Et ne trouve nul changement dans ce carré d’épines.

J’ai mes doutes sur ce type manchot
Qui, sur les réclames, d’un seul coup glissant
Défriche un sentier étroit de l’oreille au menton
Puis se lave la face et palpe avec amour sa peau.
Moi je suis dans la classe des bimanes maniaques.
Ainsi que, discrètement, un éphèbe en maillot assiste
Une femme dans une danse acrobatique,
Ma main gauche aide, et tient, et change sa position.

Il me faut maintenant parler… Meilleure que le savon
Est la sensation espérée du poète
Quand l’inspiration à la flamme de glace,
L’image soudaine et la phrase immédiate
Font courir sur la peau une triple risée
Qui fait se hérisser tous les petits poils
Comme dans l’agrandissement du dessin animé
De poils tondus quand Notre crème les dresse.

Il me faut maintenant parler du mal comme
Personne jusqu’alors n’en a jamais parlé. Je hais les choses comme le jazz,
Le crétin en bas blanc torturant un taureau
Noir et strié de rouge ; le bric-à-brac des abstraits,
Les masques rituels primitifs, les écoles progressives ;
La musique dans les supermarchés, les piscines ;
Les brutes, les fâcheux, les philistins à préjugés de classe, Freud, Marx,
Faux penseurs, poètes surfaits, imposteurs et requins.

Et tandis que la lame de sûreté racle et grince
Dans son voyage à travers le pays de ma joue,
Les autos passent sur la grand-route et, gravissant la pente escarpée,
De gros camions contournent mes maxillaires.
Et voici maintenant qu’un paquebot silencieux accoste, et maintenant
Des touristes à lunettes noires visitent Beyrouth, et maintenant, je laboure
Les champs de la vieille Zembla où croît ma barbe grise
Et où des esclaves font les foins entre ma bouche et mon nez.
La vie de l’homme comme commentaire à un poème
Hermétque et inachevé.
Note pour un usage ultérieur.

M’habillant dans toutes les chambres, je rime et erre
A travers la maison, tenant un peigne
Ou un chausse-pied qui se mue en cuillère
Avec laquelle je mange mon oeuf. L’après-midi,
Nous allons en auto à la bibliothèque. Nous dînons
A six heures et demie. Et mon étrange muse, protéiforme
Qui me dicte mes vers est partout avec moi,
Dans la poussière des livres, dans ma voiture, dans mon fauteuil.

Et tout le temps, tout le temps, mon amour,
Tu es avec moi, toi aussi sous le mot, dessus
La syllabe, pour souligner, pour intensifier
Le rythme vital. On entendait froufrouter
Une robe de femme dans les jours d’antan. J’ai très souvent perçu
Le soin et le sens de l’approche de ta pensée.
Tout en toi est jeunesse et, en les mentionnant,
Tu rends neuves de vieilles choses que j’ai faites pour toi.

Golfe d’Ombres fut mon premier livre (vers libres), Ressac nocturne
Vint ensuite ; puis La Coupe d’Hébé, dernier char
De ce carnaval mouillé, car maintenant je nomme
Tout « Poèmes », et cesse de m’exaspérer.
(Mais cette élucubration transparente exige
Un titre lunaire. Viens à mon aide, Will ! « Feu pâle ».)

Doucement, le jour a passé dans un murmure léger
d’harmonie soutenue. Le cerveau est vide, et un chaton brun d’arbre
Et le substantif dont j’eusse aimé user,
Mais que j’ai rejeté, gisent secs sur le ciment.
Peut-être mon amour sensuel de la consonne
D’appui, enfant défunt d’Echo, repose-t-il
Sur le sentiment d’une vie fantastiquement préparée
Et richement rimée. Je crois comprendre
L’existence, ou du moins une très faible part
De ma propre existence uniquement à travers mon art,
En termes de combinaisons délectables,
Et si mon univers privé se scande comme il faut,
Ainsi fera le vers de galaxies divines
Que je soupçonne fort d’être un vers ïambique.
Je suis raisonnablement sûr que nous survivons
Et que ma chérie vit encore quelque part.
Je suis de même raisonnablement sûr que
Je me réveillerai à six heures demain, le vingt-deux juillet
Dix-neuf cent cinquante-neuf
Et que, sans aucun doute, la journée sera belle ;
Aussi que l’on me laisse régler ce réveille-matin,
Bâiller, ranger sur l’étagère les « poèmes » de Shade.

Mais il n’est pas encore l’heure de me mettre au lit. Le soleil
A touché les deux dernières fenêtres du vieux Docteur Sutton.
Cet homme doit avoir – quoi ? – Quatre-vingts ? Quatre-vingt-deux ans ?
Il avait le double de mon âge l’année que je t’ai épousée.
Où es-tu ? Dans le jardin. Je puis voir
Une partie de ton ombre auprès du hickory.
Quelque part on lance des fers à cheval. Bing, Bang.
(Le fer s’appuie contre son réverbère, comme un ivrogne.)
Une sombre vanesse à la raie cramoisie
Tournoie dans le soleil bas, se pose sur le sable.
Montrant ses ailes aux bouts bleu-noir tachetés de blanc.
Et, à travers les ombres qui se meuvent et la lumière qui décroît,
Un homme, indifférent au papillon,
Jardinier d’un voisin sans doute, passe,
Remonte l’allée, poussant une brouette vide.
Vladimir Nabokov
Feu pâle / 1962
Sur le Silence qui parle : Lolita / Ada ou l’ardeur
Feu pâle / Vladimir Nabokov dans Pitres clairdelune

12



boumboumjames |
femmeavenirhomme |
Toute une vie... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Warhol l'avait dit...un qua...
| juliette66
| les bonnes "occaz" de Murielle