Tu étais vieux, tu étais gros, tu étais petit et tu étais moche. Tu étais machiste, tu étais vulgaire, tu étais insensible et tu étais mesquin. Tu étais égoïste, tu étais brutal et tu n’avais aucune culture. Et j’ai été folle de toi. Non pas qu’il y ait un rapport de cause à effet entre tes défauts et les sentiments océaniques que j’ai éprouvés. C’est une curieuse coïncidence.
Même au temps où ma passion était si fastueuse que j’aurais échangé mon avenir contre une heure dans tes bras je n’ai jamais cessé de te voir tel que tu étais : un porc.
C’est ma compassion pour ces animaux si dénigrés qui a éveillé mon intérêt pour toi. Tu étais le grand persécuté, le bouc émissaire. Je me suis sentie obligée de prendre ta défense pour dire « Les porcs ont le droit d’être des porcs. Une société qui met ces créatures en prison aux seuls motifs qu’ils ont des goûts propres à leur espèce n’est pas une société libre et juste. »
La protection des porcs est chez moi une sorte de vocation. C’est la raison pour laquelle je me suis d’abord battue pour la liberté sexuelle, et puis je suis devenue végétarienne. C’est en lisant des comptes rendus de la mise à mort des cochons dans les abattoirs que j’ai décidé de ne plus manger aucune viande. Mais parfois j’aurais pu te mettre au four, te griller et te manger en savourant tes morceaux les plus succulents. Tu te comportais comme un méchant porc. Tu n’étais plus la victime de la société mais mon agresseur, mon bourreau.
Je me disais « A quoi bon continuer de le traîner de tribunal en tribunal, de viol en viol ? Il serait plus utile transformé en jambon. Il pourrait nourrir les contribuables au lieu de leur coûter tant d’argent. »
C’est parce que tu étais un porc que je suis tombée amoureuse de toi. Cela a été l’expérience la plus poétique, la plus dense, la plus cruelle, la plus belle, la plus puissante de ma vie. Le porc a un rapport au présent que les humains n’ont guère. il ne cesse de se réjouir de la chance inouïe qu’il a d’être vivant, de manger, de courir, de salir, de blesser, de ressentir.Cela explique que le cochon souffre tant du sort qui lui est réservé dans les abattoirs. mais pendant un temps, j’aurais aimé te saigner les pattes en l’air comme on fait avec tes congénères. J’aurais même fait l’apologie des coutumes carnivores et critiqué les musulmans et les juifs qui s’abstiennent de goûter au cochon.
Certes, tu n’étais pas un porc tout le temps. Tu étais aussi un homme. Il t’est même arrivé d’avoir des responsabilités nationales et internationales importantes. Et tu t’apprêtais à en avoir davantage. Tu avais une femme richissime et célèbre, plusieurs enfants, une vraie famille. Tu avais des fans, des amis politiques. Tu avais une vie qui n’avait rien à voir avec celle, terrible, fragile, dégoûtante et sublime des cochons. Et entre les deux vies il y avait un mur, un abîme.
Ta vie d’homme ne m’avait jamais intéressée. Quand je te voyais à la télévision je te trouvais antipathique et pédant, ce que tu es en vérité. Tu n’as suscité ma curiosité que quand la terre entière a compris que tu avais une vie secrète. Que, outre être un homme respectable et sans aucun intérêt, tu étais un vrai, un authentique cochon. J’avais trouvé émouvant que quelqu’un qui avait tant d’ambition, tant de choses à perdre, tant de désir de puissance se fasse rattraper par son autre vie.
Je me disais : « Il tient tant à respecter le cochon qu’il y a en lui qu’il est même prêt à sacrifier sa vie d’homme. Il est prêt à tout mettre en danger, à tout perdre, à être banni par ceux qui lui rendaient hommage. Et s’il avait eu vingt, trente, quarante ans on comprendrait mieux. Mais à son âge. A son âge les gens oublient leurs pulsions, les mettent un peu de côté, deviennent sages. »
La liste de tes maîtresses, de tes conquêtes d’un jour, de tes victimes, de tes putes successives et concomitantes dont la presse ne cessait de s’horrifier et de se régaler montrait un autre aspect émouvant de ta vie de cochon. Ces femmes étaient laides et vulgaires. Comme si en chercher des jolies était déjà une manière d’être plus homme que cochon. On sait que la plupart des humains n’aiment le sexe que dans certaines conditions. Qu’il cherchent que l’objet de leurs désirs aient des beautés qui rachètent un acte qui peut être dégoûtant autrement. Il n’y a que les bêtes qui ne font pas attention à cet aspect des choses. Alors que toi tu me faisais penser aux chiens que j’ai eus et dont j’avais remarqué avec un certain étonnement qu’ils aimaient toutes les chiennes en chaleur sans distinction.
Voilà un authentique et merveilleux trait du cochon, une sorte de forme de générosité que tu peux montrer envers toute femme pour autant qu’elle ait les organes adéquats pour t’accueillir.
Je pensais, ébahie : « Plus elles sont moches et vulgaires, plus elles doivent lui plaire. » Certains prétendaient que tu n’avais pas le physique pour trouver mieux. Mais je ne me suis jamais ralliée à cette hypothèse mesquine. J’étais sûre que si l’on te faisait choisir entre Angelina Jolie et un laideron tu aurais choisi le laideron. Ton désir de laideur était pour moi un signe de ton appartenance à cette race férocement antiaristocratique, tragiquement démocratique des cochons.
Je ne pouvais cesser de trouver ton acharnement admirable, moi qui vivais comme une nonne recluse dans mon appartement à écrire jour et nuit, à sublimer mes pulsions. Certes, ma Manière de voir n’était pas trop partagée. Les gens qui vivent et qui baisent sagement sont souvent agacés par ces excentricités, par ces monstruosités. Ceux qui s’abstiennent n’aiment pas que d’autres perdent leur contrôle. il y va presque de l’idée qu’ils se font de l’humanité. De la différence abyssale qui sépare les hommes des cochons. Surtout s’il s’agit de quelqu’un appelé à remplir d’énormes responsabilités. On imagine qu’on va lui faire des chantages, qu’il ne pourra même pas se contrôler aux grands sommets mondiaux. Qu’il sautera sur les reines comme sur leurs servantes, qu’il n’hésitera pas à coincer dans un couloir les épouses des présidents, des ambassadeurs et de leurs chauffeurs. On imagine qu’il infestera les palais gouvernementaux de son foutre festif et inutile.
Voilà ta véritable faute, ton unique faute impardonnable. Tu as prétendu que tu étais prêt à donner ton sang pour la patrie quand en vérité tu te serais servi de cette patrie pour verser ton sperme inépuisable. Tu aurais transformé l’Elysée en une géante boîte échangiste, tu te serais servi de tes assistants, de tes larbins, de tes collaborateurs et de tes employés comme de rabatteurs, d’organisateurs de partouzes, d’experts dans l’art de satisfaire tes pulsions les plus obscures. Tu aurais avalé des milliers de créatures consentantes, tu les aurais savourées sur des plateaux d’argent. Des créatures qui t’auraient supplié d’être dévorées par toi. D’avoir le plaisir, le privilège, l’honneur d’être tes proies.
Pour cette faute tu seras toujours honni, maudit, méprisé, mis au ban par la douce France qui avait mis tant d’espérances en toi. Rien ne sera en mesure de te relever, aucun non-lieu, aucun accord. La politique te sera à jamais fermée. Tu ne pourras que t’enrichir en vendant des conseils miraculeux.
Je me disais : « Tout cela n’est pas rationnel, c’est symbolique. Si cet homme avait fait une partouze à l’Elysée avec des putes et des ministres, pourquoi aurait-il été plus condamnable que s’il y avait fait un bébé, donné une soirée mondaine, une fête de charité ? Il n’aurait causé aucun dommage concret et réel au pays. Qui plus est, cela aurait pris moins de temps aux domestiques de nettoyer après. » Mais tu aurais offensé la République. Tout comme tu as offensé tant de femmes. Tout comme tu m’as offensée.
Je n’avais pas pris ta défense dans le débat public sur ces questions-là mais sur les accusations de violences sexuelles. Ce n’est pas la même chose, un crime ou une offense. Pas du tout la même chose. C’est le propre du cochon que d’offenser. Mais les cochons ne commettent pas de crimes sexuels. Autrement, je ne t’aurais jamais rangé dans cette race des cochons. J’aurais cru que tu étais un violeur, un pervers, un humain véritable, et jamais je ne me serais battue pour toi.
Le cochon profite des occasions mais ne force pas. Il peut se montrer insistant mais il va de son intérêt de cochon de trouver son bonheur d’une manière pacifique, ou tout au moins de le croire. Le cochon est innocent de ce point de vue-là. Il croit, il doit même être sûr que son partenaire consent. Plus encore. Que son partenaire tire aussi un certain plaisir même si, à vrai dire, cela ne l’inquiète pas outre mesure. La priorité du cochon est de jouir lui-même, autrement il ne serait pas un cochon. De jouir sans trop tenir compte de la psychologie, de la sensibilité, des blessures qu’il peut produire du fait de ne penser qu’à son plaisir.
Ce qui s’est passé dans cette chambre devenue légendaire ne peut se comprendre si l’on ne se met pas dans la tête d’un cochon authentique et véritable. D’un cochon qui prend une femme de ménage pour Catherine Deneuve dans Belle de Jour. Seul un cochon peut trouver normal qu’une misérable immigrée africaine lui taille une pipe sans aucune contrepartie, juste pour lui faire plaisir, juste pour rendre un humble hommage à sa puissance. Et la pauvre est revenue dans la chambre pour voir si tu lui avais laissé un quelconque pourboire mais il n’y avait rien. Même pas un mot, même pas une fleur. La femme de chambre a été horriblement offensée mais elle n’a pas été violée.
Voilà comment j’avais vu les choses depuis mon appartement où j’écris et je lis nuit et jour. Dans ce lieu perché au 14ème étage sans aucun vis-à-vis, je vois le ciel et les nuages mais pas le monde. Parfois je me dis que c’est seulement dans ces conditions que l’on peut le voir, ce pauvre monde. D’autres fois je crois, au contraire, que si haut perché on ne peut que le délirer et que, au fond, ce n’est pas grave. Que la notion de monde inclut aussi les délires sur le monde.
Marcela Iacub
Belle et Bête / 2013
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Mais que fait « Polisse » ? / Le crime était presque sexuel
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