Archive pour le Tag 'laurent mauduit'

Sous la dette publique, l’arnaque néolibérale / Laurent Mauduit

Le « Collectif pour un audit citoyen de la dette publique » dévoile ce mardi un rapport important. Ruinant la doxa libérale selon laquelle le pays vivrait au-dessus de ses moyens, il établit que la dette publique aurait été limitée à 43 % du PIB en 2012, au lieu des 90 % constatés, si la France ne s’était pas lancée dans une course folle aux baisses d’impôt et avait refusé de se soumettre à des taux d’intérêt exorbitants.

C’est un travail remarquable qu’a réalisé le « Collectif pour un audit citoyen de la dette publique » : dans un rapport qu’il publie ce mardi 27 mai, il établit de manière méticuleuse que 59 % de l’endettement public français provient des cadeaux fiscaux consentis ces dernières décennies, essentiellement aux plus hauts revenus, et des taux d’intérêt excessifs, qui ont découlé des politiques monétaires en faveur du « franc fort » puis de l’« euro fort ». Et ce constat est évidemment ravageur car il suggère que la politique économique actuelle, conduite par François Hollande et Manuel Valls, est construite sur un mensonge : elle tend à faire croire aux Français que le pays vit au-dessus de ses moyens et que c’est cela qui est à l’origine du creusement des déficits et de la dette.
Au lendemain des élections européennes, qui ont tourné au désastre pour les socialistes, ce rapport ruine ce qui est le cœur de la doxa libérale, à laquelle les dirigeants socialistes se sont convertis. Et il invite à un sursaut, apportant la preuve de manière très argumentée et chiffrée que la France n’est pas condamnée à une punition perpétuelle et qu’il existe d’autres politiques économiques possibles.

Télécharger le rapport : fichier pdf note-dette

Ce rapport a été réalisé par un groupe de travail du « Collectif pour un audit citoyen de la dette publique », auquel ont notamment participé Michel Husson (Conseil scientifique d’Attac, coordination), Pascal Franchet (CADTM), Robert Joumard (Attac), Évelyne Ngo (Solidaires finances publiques), Henri Sterdyniak (Économistes atterrés) et Patrick Saurin (Sud BPCE).
Pour établir sa démonstration, le rapport part d’abord des arguments qui sont le plus souvent donnés dans le débat public, pour justifier la politique d’austérité : « Tout se passe comme si la réduction des déficits et des dettes publiques était aujourd’hui l’objectif prioritaire de la politique économique menée en France comme dans la plupart des pays européens. La baisse des salaires des fonctionnaires, ou le pacte dit « de responsabilité » qui prévoit 50 milliards supplémentaires de réduction des dépenses publiques, sont justifiés au nom de cet impératif. Le discours dominant sur la montée de la dette publique fait comme si son origine était évidente : une croissance excessive des dépenses publiques. »
En quelque sorte, voilà le refrain que l’on nous serine perpétuellement : le pays vit bel et bien au-dessus de ses moyens ; et nous avons l’irresponsabilité de vivre à crédit, reportant de manière égoïste sur nos enfants ou nos petits-enfants le poids des dépenses inconsidérées que nous engageons aujourd’hui. Qui n’a entendu ces messages culpabilisants ? Les néolibéraux de tous bords le répètent à l’envi aussi bien dans le cas des dépenses de l’État, qui seraient exorbitantes, que dans le cas de la protection sociale. Ainsi la France financerait-elle son modèle social à crédit.

Les baisses d’impôt ont fait exploser la dette

Las ! C’est le premier argument que démonte utilement ce rapport en soulignant que le postulat même des politiques d’austérité est radicalement erroné. « Ce discours ne résiste pas à l’examen des faits dès lors qu’on prend la peine d’analyser l’évolution relative des recettes et des dépenses de l’État », dit l’étude. Et elle ajoute : « On vérifie aisément que les dépenses (même y compris les intérêts) ne présentent pas de tendance à la hausse. Certes, on observe deux pics en 1993 et 2010, qui correspondent aux récessions. Mais sur moyen terme, les dépenses de l’État ont au contraire baissé, passant d’environ 24 % du PIB jusqu’en 1990 à 21 % en 2008. Tout le problème vient du fait que les recettes ont, elles aussi, baissé, particulièrement au cours de deux périodes : entre 1987 et 1994, puis à partir de 2000. »
C’est ce que met en évidence le graphique ci-dessous, qui mérite d’être largement connu :

G3

Les auteurs en arrivent donc à ce premier constat, qui est majeur car il établit que les politiques néolibérales reposent sur une fausse évidence : « En tendance, de 1978 à 2012, les dépenses ont diminué de 2 points de PIB, les dépenses hors intérêts de la dette (c’est-à-dire pour le service public) de 3,5 points, tandis que les recettes ont chuté de 5,5 points de PIB », dit encore le rapport.
De ce premier constat découle un second qui transparaît dans ces mêmes chiffres : s’il est faux de prétendre que le pays vit au-dessus de ses moyens car il dépenserait trop, en revanche il est exact d’affirmer que la chute des recettes – c’est-à-dire les baisses d’impôt – ont été l’un des éléments moteurs de l’accumulation des déficits publics et donc de l’endettement public.
Ce constat, Mediapart l’avait déjà beaucoup documenté dans un article que l’on peut retrouver ici : Ces dix années de cadeaux fiscaux qui ont ruiné la France. Dans cette enquête, nous révélions le rôle majeur des baisses d’impôts, dont les hauts revenus ont été les principaux bénéficiaires, dans le creusement de l’endettement public, en nous appuyant sur deux rapports publics, publiés par des personnalités incontestables. Dans un premier rapport sur la situation des finances publiques (il peut être consulté ici) publié le 20 mai 2010 et écrit par Jean-Philippe Cotis, à l’époque directeur général de l’Insee, et son prédécesseur, Paul Champsaur, nous avions en effet relevé ces constats (à la page 13) : « Depuis 1999, l’ensemble des mesures nouvelles prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de 3 points de PIB : une première fois entre 1999 et 2002 ; une deuxième fois entre 2006 et 2008. Si la législation était restée celle de 1999, le taux de prélèvements obligatoires serait passé de 44,3 % en 1999 à 45,3 % en 2008. En pratique, après réduction des prélèvements, ce taux a été ramené à 42,5 %. À titre d’illustration, en l’absence de baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’est en réalité générant ainsi une économie annuelle de charges d’intérêt de 0,5 point de PIB. »
Le rapport n’en disait pas plus… Mais le chiffre laissait pantois : la dette publique aurait donc été de 20 points de PIB inférieure à ce qu’elle était en 2010 sans ces baisses d’impôts décidées depuis dix ans.
Le chiffre mérite un temps de réflexion. 20 points de PIB en moins d’une décennie ! Autrement dit – et ce sont des experts qui travaillaient pour le gouvernement qui le suggéraient –, la France, malgré la crise, aurait presque encore été à l’époque en conformité avec les sacro-saints critères de Maastricht si ces baisses d’impôts n’étaient pas intervenues, et notamment le critère européen qui fait obligation à ce que la dette d’un État ne dépasse pas 60 % de sa richesse nationale. Concrètement, sans ces baisses d’impôts, la France aurait certes crevé ce plafond, mais dans des proportions raisonnables. Juste un chouïa…
Et dans cette même enquête, nous soulignions aussi l’importance d’une autre étude rendue publique le 6 juillet 2010, sous la signature du rapporteur général (UMP) du budget à l’Assemblée, Gilles Carrez (son rapport est ici), qui donnait des évaluations à donner le tournis des baisses d’impôt engagées en France au cours des dix années précédentes.
Ce rapport faisait ainsi ce constat (à la page 7) : « Entre 2000 et 2009, le budget général de l’État aurait perdu entre 101,2  5,3 % de PIB  et 119,3 milliards d’euros  6,2 % de PIB  de recettes fiscales, environ les deux tiers étant dus au coût net des mesures nouvelles  les « baisses d’impôts »  et le tiers restant à des transferts de recettes aux autres administrations publiques  sécurité sociale et collectivités territoriales principalement. » Soit 77,7 milliards d’euros de baisses d’impôt sur les dix années sous revue. Et le rapport apportait cette précision très importante : « La moitié des allègements fiscaux décidés entre 2000 et 2009 ont concerné l’impôt sur le revenu. Le manque à gagner en 2009 sur le produit de cet impôt s’établit en effet à environ 2 % de PIB, contre 0,6 % de PIB pour la TVA et 0,5 % de PIB pour l’Impôt sur les sociétés (IS). »
En résumé, ce que mettait en évidence ce rapport de Gilles Carrez, c’est que les baisses d’impôt ont joué un rôle majeur sur longue période dans le creusement des déficits. Et que ces baisses d’impôt ont d’abord profité aux foyers les plus avantagés, notamment les 50 % des Français qui sont assujettis à l’impôt sur le revenu.

Le coût ​exorbitant de la politique monétaire

C’est donc ce travail très utile, mais parcellaire, que le « Collectif pour un audit citoyen de la dette publique » a voulu prolonger et enrichir. Additionnant l’ensemble des baisses d’impôts engagées depuis 2000 (39,9 milliards d’euros sous Lionel Jospin de 2000 à 2002 ; 12,4 milliards sous Jacques Chirac en 2002-2007 ; 22,7 milliards sous Nicolas Sarkozy), le collectif arrive à un cumul sur dix ans de 75 milliards d’euros, très proche de celui évoqué par Gilles Carrez : « Au total, de 2000 à la mi-2012, les mesures de baisse d’impôts ont représenté 4,3 %  du PIB. Elles ont souvent favorisé les plus riches (baisse de l’impôt sur le revenu, de l’ISF, des droits de succession), les grandes entreprises (niche Copé, Crédit impôt recherche) et certains lobbys (baisse de la TVA dans la restauration). Signalons en particulier que le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu qui était de 65 % entre 1982 et 1985, avait baissé à 54 % en 1999. Il a été abaissé à 49,6 % en 2002, 48 % en 2003 et 40 % en 2006. Tout au long de ces années l’État s’est donc volontairement et systématiquement privé de recettes au bénéfice des ménages les plus aisés. »
Poursuivant leur audit de la dette, les auteurs du rapport s’arrêtent ensuite sur la seconde raison du creusement de la dette publique : la charge des intérêts de cette dette publique. Observant que la dette publique est passée de 20,7 % du produit intérieur brut (PIB) en 1980 à 90,2 % en 2012, ils font d’abord ce constat : « Cette hausse peut être décomposée en deux effets : le cumul des déficits primaires, et l’effet « boule de neige » qui se déclenche quand « l’écart critique » est positif (c’est-à-dire quand le taux d’intérêt est supérieur au taux de croissance). On constate que près des deux tiers (62 %) de cette augmentation de 69,5 points de PIB peuvent être imputés au cumul des déficits et un gros tiers (38 %) à l’effet « boule de neige ». »

Gr7777777

En bref, si la dette publique s’est à ce point creusée, c’est sous l’effet de deux facteurs qui se sont combinés : une pluie de cadeaux fiscaux tout au long des années 2000 ; et une politique monétaire très restrictive qui a poussé les taux d’intérêt à des niveaux aberrants, singulièrement durant la période 1985-2005.  Logiquement, le Collectif s’est donc posé la question décisive : mais que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu toutes ces baisses d’impôts, et si, empruntant auprès des ménages et non sur les marchés financiers, la charge des intérêts de la dette avait été moins écrasante ?
Pour éclairer ces deux interrogations, évidemment majeures, les auteurs du rapport apportent les résultats des simulations qu’ils ont réalisées.
Dans le cas de la charge des intérêts, ils ont évalué les évolutions de la dette publique, si le taux d’intérêt réel n’avait jamais dépassé 2 % sur toute cette période 1985-2005. Et la réponse est spectaculaire. Dans cette hypothèse, la dette aurait été en 2012 inférieure de 25 points de PIB au niveau qui a été effectivement constaté.

Boule_de_neige

Cet effet de 25 points est considérable : il donne la mesure du très lourd tribut que la France a payé à la politique du « franc fort » d’abord, puis à la politique de « l’euro fort ».
La seconde simulation effectuée par les auteurs du rapport, qui porte sur l’impact des baisses d’impôt, est tout aussi impressionnante. Les auteurs ont en effet cherché à savoir ce qu’aurait été l’évolution de la dette publique, s’il n’y avait pas eu ces cadeaux fiscaux – en clair, si les recettes de l’État avaient représenté une part constante du PIB (20 %) entre 1997 et 2007, cette part étant ensuite modulée pour prendre en compte l’impact de la récession. Dans cette hypothèse, écrivent-ils, « la dette aurait été stabilisée entre 1997 et 2007 (en %  du PIB) puis aurait moins progressé entre 2007 et 2012. Dans ce scénario 2, le ratio dette/PIB simulé est en 2007 inférieur de 9 points au ratio observé, et de 18 points en 2012 (graphique 12) ».

Boule_cadeaux

Les auteurs constatent donc que leurs conclusions rejoignent assez sensiblement les conclusions des deux rapports de Champsaur et Cotis d’une part, et de Carrez de l’autre, que Mediapart avait évoqués en leur temps.

Annulation de la dette illégitime

Pour finir, le groupe de travail a cherché à combiner les deux scénarios, celui de taux d’intérêt plafonné à 2 % entre 1985 et 2005 et celui d’une stabilisation du taux de recettes fiscales. « Le résultat est spectaculaire, parce que les deux effets se combinent, de telle sorte que leur impact n’est pas simplement la somme des deux scénarios. Le ratio dette/PIB aurait été stabilisé à 43 % au milieu des années 1990 puis aurait baissé jusqu’à un niveau de 30 % en 2007 (au lieu de 64 % réellement observés). En 2012, le même ratio serait de 43 %, largement inférieur au seuil fatidique de 60 %, à comparer aux 90 % effectivement constatés (graphique 14) », constatent-ils.

grafsynthese

Les auteurs du rapport en concluent qu’il est fondé de parler de « dette illégitime », car dans ce système, les hauts revenus sont gagnants à un double titre : d’abord parce qu’ils sont les principaux bénéficiaires des baisses d’impôt ; ensuite parce qu’ils disposent aussi d’une épargne qui est très fortement rémunérée grâce à ces taux d’intérêt exorbitants.
Comme le disent les auteurs du rapport, la dette publique a donc été le prétexte au cours de ces dernières années d’un formidable mouvement de « redistribution à l’envers », ou si l’on préfère d’un immense mouvement de transferts de revenus puisque si les hauts revenus sont doublement gagnants, les bas revenus, eux, sont perdants, étant conviés en bout de course à supporter le poids du plan d’austérité pris pour contenir l’explosion de la dette. En résumé, ce que les hauts revenus gagnent au travers des baisses d’impôt ou de la politique de l’argent cher, ce sont les revenus modestes qui le financent au travers de la politique d’austérité.
Au lendemain des élections européennes, ce rapport est donc bienvenu, parce qu’il montre qu’une autre politique économique est possible. Quelques esprits chagrins pourront ergoter sur la pertinence de telle ou telle hypothèse prise dans ces simulations. Il reste que cette immense redistribution à l’envers est indiscutable, et que le grand mérite de ce rapport est de le montrer, ruinant du même coup l’arnaque néolibérale selon laquelle le pays vivrait au-dessus de ses moyens.
Une autre politique ! En conclusion, le rapport ouvre même des pistes, évoquant de nombreuses dispositions qui pourraient être prises, pour que la facture de la dette ne soit pas payée toujours par les mêmes : annulation de tout ou partie de la dette illégitime ; allongement substantiel des durées de remboursement et plafonnement des taux d’intérêt ; instauration d’un impôt exceptionnel progressif sur les 10 % (ou le 1 %) les plus riches…
Mais peu importe le détail de ces suggestions. L’important, c’est que ce rapport invite à débattre d’un autre avenir. À débattre donc d’une autre gauche. Et c’est cela l’essentiel : réinventer un autre futur.
Laurent Mauduit
Publié sur Médiapart le 27 mai 2014

Lire : Gouverner par la dette et La fabrique de l’homme endetté / Maurizio Lazzarato

Nam-June-Paik-Piano-Integral-1963-540x716

Désespérant François Hollande ! / Laurent Mauduit

Lors de sa prestation télévisée du 14 juillet, François Hollande a maintenu le cap, celui de l’austérité salariale et budgétaire. Mais il a aussi laissé entendre qu’une rafale d’impôts nouveaux frapperait les revenus modestes. Radiographie d’une politique économique qui fait la part belle aux plus grandes fortunes.
Désespérant François Hollande ! / Laurent Mauduit dans Agora piscine2
« Ils persévèrent, ils exagèrent, ils ne sont pas de notre monde. » Il y a quelque chose de désespérant dans l’équipée actuelle de François Hollande et de son gouvernement, qui fait penser au vers célèbre de Paul Eluard, extrait du poème La Victoire de Guernica. Non pas qu’ils déçoivent : cela fait si longtemps – dès le premier jour, en fait, de leur accession au pouvoir – qu’ils mettent en œuvre des réformes allant radicalement à rebours des espoirs que les électeurs de gauche ont manifestés lors de la dernière élection présidentielle que même les plus naïfs savent maintenant sur ce point à quoi s’en tenir.
Mais pour une raison encore plus profonde : parce que le chef de l’État ne semble pas même se rendre compte de la catastrophe vers laquelle il conduit le pays ; parce que le conservatisme qui marque la politique économique se marie à beaucoup de maladresse ou d’incompétence. Cela suscite donc plus que de l’indignation ; presque de la sidération. La prestation télévisée de François Hollande, le 14 juillet, est une bonne illustration du trouble qu’inspire sa politique et des mille et une questions qu’elle soulève. Mais comment peuvent-ils conduire une politique à ce point contraire aux intérêts de ceux qui ont voté pour eux ? Et comment de surcroît peuvent-ils s’y prendre aussi mal ?
Des déceptions, il y en a eu tellement, depuis la dernière alternance, qu’on ne se risque plus guère à les compter. Mis à part le mariage pour tous, il n’y a même eu que cela. Des déceptions, des reniements, des valses-hésitations, des retournements de veste à n’en plus finir… De la politique d’austérité budgétaire et salariale jusqu’à l’oubli de la révolution fiscale, en passant par la trahison des ouvriers de Florange, les 20 milliards d’euros de cadeaux offerts sans contrepartie aux entreprises sous forme de crédit d’impôt ou encore la réforme du marché du travail avec à la clef la mise à bas du droit du licenciement et, dernier exemple en date, la sinistre pantalonnade sur la taxation des transactions financières, le gouvernement socialiste a poursuivi exactement la même politique économique et sociale que celle mise en œuvre par Nicolas Sarkozy. Avec la crise, on espérait un nouveau Roosevelt ; on a eu un petit Raymond Barre…
Pour un gouvernement de gauche, semblable basculement n’est, certes, pas sans précédent. Déjà, par le passé, de 1988 à 1993, Pierre Bérégovoy avait affiché des orientations aussi droitières – de son temps, on ne disait pas encore sociales-libérales. Et au fil de son action, de 1997 à 2002, Lionel Jospin avait versé progressivement dans les mêmes ornières. Mais dans un cas comme dans l’autre, les socialistes ont toujours cherché à dialoguer avec leur camp. Comme pour s’excuser de la politique de « désindexation compétitive » – traduisons : de franche austérité salariale – qu’il conduisait, poussant les salaires vers le bas et le chômage vers le haut, Pierre Bérégovoy essayait perpétuellement de convaincre l’opinion que « l’inflation était un impôt sur les pauvres ». Et Lionel Jospin, tout en conduisant des privatisations à marche forcée, a toujours pris soin de dialoguer avec le « peuple de gauche » pour essayer de le convaincre qu’il n’avait en fait jamais rompu avec un réformisme de transformation sociale.
Mais François Hollande, lui, avec qui dialogue-t-il ? Sans forcer le trait, on serait enclin à répondre, car c’est la stricte vérité : avec personne d’autre que les insipides Claire Chazal et Laurent Delahousse, deux des journalistes les plus complaisants en activité sur TF1 et France 2 – preuve accablante qu’il n’y a pas la moindre différence entre le service public et le secteur privé, tendance béton. Ou plutôt, enfermé dans sa bulle, il se parle à lui-même, sans jamais s’adresser véritablement au pays qui le regarde et moins encore au peuple de gauche auquel il doit son élection.
Car c’est le plus frappant de cette intervention télévisée : de la situation réelle du pays, François Hollande n’a quasiment pas parlé. Comme s’il ne la connaissait pas. Comme si cette réalité, enfermé maintenant qu’il est dans le Palais de l’Élysée, était trop éloignée de lui. Des quelque 10 millions de pauvres que connaît la France, des 5,3 millions de demandeurs d’emplois, il n’a donc quasiment pas été question. Non plus que de la chute historique du pouvoir d’achat, qui frappe des millions de foyers modestes.
Plutôt que de regarder en face la crise sociale qui ronge le pays et qui continue de se propager, François Hollande a donc préféré être dans le déni et annoncer la bonne nouvelle qu’il est l’un des rares à percevoir : « La reprise, elle est là. » Foin du nombre de demandeurs d’emplois qui bat chaque mois de nouveaux records et atteint des niveaux historiques, foin de l’économie qui est pour l’instant officiellement toujours en récession, le chef de l’État a pris une posture et un ton proprement incompréhensibles.
cake51 désespérant françois hollande dans Agora
Du bon usage du carton ondulé
Terrible césure ! On sent que l’un de ces inspecteurs des finances qui peuplent les couloirs de Bercy, à moins que ce ne soit un ancien associé gérant de la banque Rothschild reconverti en conseiller de l’Élysée, a savamment glissé avant l’émission à l’oreille du chef de l’État qu’un obscur indicateur, celui de la production industrielle, avait connu quelques frémissements ces derniers jours, et que le chef de l’État a tout bonnement répété ce qu’on lui avait dit, sans mesurer le décalage entre son optimisme forcé et la réalité des souffrances sociales du pays. Et encore, par chance, ces mêmes conseillers de l’ombre, qui ont aussi l’oreille de la finance et du CAC 40, n’ont pas eu l’idée saugrenue de rappeler à leur patron que le carton ondulé, celui-là même dont on fait les emballages, était un formidable indicateur avancé comme en conviennent tous les conjoncturistes, et qu’il était précisément sur une pente ascendante. Car sans doute y aurait-on eu droit. Ce 14 juillet, François Hollande n’avait sans doute pas le cœur de parler au peuple. Mais parler carton ondulé, pourquoi pas : c’était bien dans son tempérament du moment…
Le décalage ! Sans doute n’y a-t-il effectivement pas de meilleure formule pour résumer ce qu’a dit le chef de l’État et ce qu’éprouve une bonne part de ses électeurs. Tout à son raisonnement, François Hollande a donc poursuivi son propos en suggérant qu’il allait mettre en chantier de nouvelles hausses d’impôt. Mais a-t-il lui-même bien mesuré la portée de ce qu’il disait ?
Non pas que le 14 juillet soit un mauvais jour pour parler impôt, tout au contraire. Car en ce jour anniversaire de la prise de la Bastille, le chef de l’État aurait pu évidemment trouver là une magnifique occasion de renouer avec les accents de sa campagne, et d’inviter à une nouvelle révolution – la fameuse « révolution fiscale » dont il a tant parlé avant l’élection présidentielle. Il aurait pu inviter à renverser nos Bastilles d’aujourd’hui, et engager une nouvelle Nuit du 4-Août, pour abolir nos privilèges actuels.
Et pourtant, non ! Rien de tout cela… Sur un air bonhomme, jouant en apparence sur le registre du simple bon sens, François Hollande s’est juste borné à suggérer que le gouvernement pourrait continuer en 2014 à relever les impôts. Il l’a dit sans vraiment le dire, sur le ton de la fausse évidence : « Dans l’idéal, le moins possible », a-t-il juste admis, signifiant par là que la fiscalité allait être relevée, même s’il n’y consentirait qu’à contrecœur.
Ah ! Le brave homme… « Dans l’idéal, le moins possible » : la formule dit bien ce qu’elle veut dire. Elle suggère que François Hollande a le cœur qui se serre à l’idée de relever les impôts de tous les Français et que, par « idéal », il préférerait ne pas en venir à pareille extrémité mais que du fait de la crise des finances publiques, il y sera malheureusement contraint.
Dans cette posture, il y a pourtant beaucoup d’hypocrisie. Car si les socialistes ont plaidé durant de longues années en faveur d’une « révolution fiscale », c’était précisément pour alléger le fardeau fiscal des plus pauvres et alourdir un peu celui des plus riches. Telle était l’ambition en particulier de la réforme visant à fusionner l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (CSG), de sorte que l’impôt sur le revenu cesse d’être dégressif pour les contribuables les plus fortunés. Telle était aussi l’ambition du projet de rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), sous sa mouture initiale, c’est-à-dire avant que Nicolas Sarkozy ne le vide largement de sa substance.
Or, on sait ce qu’il est advenu de ce projet de « révolution fiscale » : il n’a jamais vu le jour. Promise, la nouvelle Nuit du 4-Août n’est jamais survenue (on retrouvera ici toutes nos enquêtes sur le sujet). Et même la célèbre taxe à 75 % a été totalement émasculée puisque ce ne sont plus les cadres dirigeants des grands groupes du CAC 40 qui la payent, mais les groupes eux-mêmes, qui s’en moquent totalement. Quant à la promesse sur l’ISF, elle n’a jamais été honorée même si ce reniement est passé inaperçu : à preuve, le seuil de déclenchement de l’ISF est resté au niveau où Nicolas Sarkozy l’avait relevé soit 1,3 million d’euros de patrimoine taxable. Et même certaines des « niches fiscales » les plus scandaleuses, celles qui profitent par exemple aux grandes fortunes dans les DOM-TOM, n’ont pas été remises en cause, contrairement aux engagements socialistes.
apero laurent mauduit
Une terre d’accueil accommodante pour les ultra-riches
Et le résultat de tout cela n’a naturellement rien de mystérieux : puisque les socialistes ont eux-mêmes renoncé à reconstruire un impôt citoyen progressif, les inégalités sont restées ce qu’elles étaient. Ou plus précisément, elles ont continué de se creuser. Avec, en bas de l’échelle des revenus, des pauvres qui deviennent toujours plus pauvres – toutes les études de l’Insee en attestent ; et en haut de l’échelle, des riches qui deviennent toujours plus riches –, ce dont témoigne aussi l’Insee qui pointe depuis plusieurs années un creusement des inégalités « par le haut ».
Le dernier classement des grandes fortunes françaises, établi par le magazine Challenges, est à cet égard très révélateur. Malgré la crise, la France, avec à sa tête un exécutif socialiste, est plus que jamais une terre d’accueil accommodante pour les ultra-riches. Pas un paradis fiscal, mais presque ! Que l’on observe en effet ces chiffres vertigineux (on peut les consulter ici): la fortune totale des 500 Français les plus riches a progressé de presque 25 % en un an, pour atteindre 330 milliards d’euros. Le magazine note qu’en « une décennie, ce chiffre a plus que quadruplé, alors que le produit intérieur brut (PIB), lui, n’a fait que doubler ». Et pour les dix plus grosses fortunes, les évolutions sont encore plus stupéfiantes, comme le raconte Challenges : « Ce Top-10 a une autre particularité : ses membres s’y enrichissent à un rythme beaucoup plus soutenu que les autres. En 1996, nos dix super-riches pesaient 20 milliards d’euros et 25 % de la valeur totale des « 500″. Aujourd’hui, après s’être encore enrichi de près de 30 milliards en douze mois, le Top-10 pèse 135 milliards, soit 40 % du total ! »
C’est donc à cette aune-là que l’on peut mesurer la grave responsabilité prise par François Hollande de ne pas engager de « révolution fiscale » ni de véritable rétablissement de l’ISF. Et c’est à cette aune-là qu’il faut aussi décrypter le propos présidentiel sur les inévitables hausses fiscales à venir. Car, en vérité, le propos est moins bonhomme qu’il n’y paraît. Faute d’une fiscalité redevenue progressive, ce sont en effet d’abord les revenus modestes ou moyens qui seront davantage taxés, certes « dans l’idéal, le moins possible », mais taxés tout de même, au mépris des règles de l’équité fiscale.
On ignore pour l’instant le montant exact des hausses d’impôt auxquelles le gouvernement travaille. Se voulant rassurant, ce dernier se plaît surtout à souligner que, pour 2013, il a fait le choix de ne pas compenser les pertes de recettes fiscales générées par la récession – de l’ordre de 13 milliards d’euros selon la Cour des comptes – par des mesures d’austérité complémentaires. Mais pour 2014, le gouvernement a clairement fait comprendre qu’il poursuivrait et même sans doute amplifierait sa politique budgétaire et fiscale d’austérité. Concrètement, les économies budgétaires devraient atteindre 14 milliards d’euros au cours de chacune des deux années 2014 et 2015. Quant aux prélèvements fiscaux et sociaux qui ont progressé de 22 milliards d’euros en 2012 et de 33 milliards d’euros en 2013 (notamment du fait de la mesure fiscale très inégalitaire de gel du barème d’imposition), ils devraient encore être majorés pour la seule année 2014 de 6 milliards d’euros. Et si l’on ajoute à ce chiffre les mesures de compensation que Bercy envisage pour prendre le relais de dispositions fiscales qui arrivent à échéance, le total des recettes nouvelles qui pourraient voir le jour en 2014, pour le budget de l’État ou celui de la Sécurité sociale, pourrait atteindre de nouveau la somme considérable de 12 milliards d’euros.
« Dans l’idéal », ce devait être « le moins possible », mais en pratique, ce sera tout de même une somme gigantesque. Et qui plus est, une somme qui sera donc, en l’absence de véritable réforme fiscale, à la charge des contribuables les moins avantagés. Pour une part, on est d’ailleurs fixé : alors que François Hollande avait dénoncé le projet de Nicolas Sarkozy de recourir à la TVA pour financer son « choc de compétitivité » en faveur des entreprises, il a engagé la même réforme, sous des modalités à peine modifiées. Le gouvernement socialiste a dès à présent planifié une hausse de l’impôt le plus injuste du système fiscal français, pour un montant de 6,6 milliards de francs, sous la forme notamment d’un relèvement de 19,6 % à 20 % du taux supérieur et de 7 % à 10 % du taux intermédiaire, tandis que le taux réduit baisserait de 5,5 % à 5 %.
Au nombre des hausses de prélèvements, on sait aussi que le quotient familial sera abaissé de 2 000 à 1 500 euros pour un gain de 1 milliard d’euros, ou encore que les cotisations aux régimes complémentaires de retraite seront aussi majorées. Mais au-delà, que se passera-t-il ? Dans le cadre de la réforme des retraites qui verra le jour à l’automne, le gouvernement envisagera-t-il aussi une majoration des cotisations de retraite, pour les régimes de base, en sus de l’augmentation de la durée d’activité qui ne fait maintenant plus aucun doute ?
Quoi qu’il en soit, le gouvernement semble prisonnier d’une terrible logique, depuis qu’il a renoncé à reconstruire une fiscalité plus juste. Une logique que résume l’adage fiscal bien connu : « Pourquoi taxer les riches ? Taxons les pauvres ; ils sont beaucoup plus nombreux. »
Et à l’évidence, il ne s’agit pas d’une embardée. Car toute la politique économique semble ne faire aucun cas de la situation sociale difficile dans laquelle se trouve une bonne partie du pays, et de l’effondrement du pouvoir d’achat que connaissent nombre de ménages. Car en plus des hausses d’impôts qui viennent, la puissance publique ne cesse de donner son feu vert à des hausses spectaculaires des tarifs des services publics, qu’il s’agisse de la SNCF, d’EDF ou de GDF, et prépare même maintenant les esprits à une baisse tout aussi spectaculaire du taux de rendement du placement préféré des Français, le livret A.
Et tout cela est annoncé d’un air badin, presque enjoué. Comme si tout cela était dans l’ordre normal des choses. Comme si nul, dans les sommets du pouvoir, n’était en mesure de sentir la colère sociale qui couve. De quoi donner effectivement raison à Paul Eluard : « Ils persévèrent ; ils exagèrent… »
Laurent Mauduit
Désespérant François Hollande ! / 16 juillet 2013
Publié sur Médiapart
tv50 mediapart




boumboumjames |
femmeavenirhomme |
Toute une vie... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Warhol l'avait dit...un qua...
| juliette66
| les bonnes "occaz" de Murielle