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Splendour of the seas / Peter Pál Pelbart / Chimères n°80 Squizodrame et schizo-scènes

En 2011, le minuscule collectif guattarien Mollecular d’Helsinki, avec l’imagination fertile de Virtanen Akseli, a proposé un voyage en bateau de croisière de Lisbonne à Santos (1). Quelques années auparavant, il avait entrepris un voyage en train de Finlande jusqu’en Chine, par la ligne Transsibérienne, avec quarante personnes qui ne se connaissaient pas forcément, dans le cadre du projet Capturing the moving mind (2). L’idée était, tous ensemble – nous du Ueinzz, eux les finlandais, et le collectif français presqueruines –, de faire un film sur le bateau, de mettre sur scène une pièce de théâtre inspirée du texte Amerika ou le Disparu de Kafka. Quand Akseli m’a demandé s’il pouvait confirmer la réservation du bateau pour le 24 novembre, il a ajouté une petite note savoureuse : ce projet vous paraît-il assez impossible pour qu’il soit souhaitable, même désirable ? C’est un critère pas mal, la désirabilité… C’est presque comme la révolution… Ce que Kant admirait dans la Révolution française n’était pas le résultat concret, mais l’émotion de la savoir en cours augmentait chez ceux qui la contemplaient de loin la désirabilité de la révolution… Or, nous sommes plus modestes… Le projet de film était extrait d’un petit texte de Félix Guattari intitulé « Projet pour un film de Kafka », dans lequel il essaie d’imaginer ce que serait un film fait par Kafka. Arrivés donc en avion à Lisbonne, le 24 novembre 2011, nous sommes montés, les trois collectifs, sur The Splendour of the Seas. Voilà, très sommairement, le contexte de cette expérimentation micropolitique.
Pour la comprendre, cependant, il faut décrire rapidement en quoi consiste une croisière – ce que j’ignorais complètement, avant cette aventure. Presque deux mille personnes confinées dans le pseudo-luxe d’un hôtel flottant de dix étages, couloirs veloutés, des lustres immenses pendus partout, des mains courantes dorées, des ascenseurs panoramiques, des piscines à ciel ouvert entourées d’écrans géants, des saunas impériaux, des bars, casinos et restaurants partout, de la musique et shows, des lotos et bals, fêtes thématiques au bord de la piscine, dîner avec le capitaine, célébration de la traversée de l’équateur avec des verres brillants. L’hallucinante overdose de stimuli d’entertainement, de remplissage gastronomique incessant, l’impératif du plaisir, produisent une saturation absolue de l’espace physique, mental, psychique des passagers. Un vrai bombardement sémiotique auquel on n’échappe nulle part, même dans la cabine personnelle où le haut-parleur annonce le prochain jeu de loto, où la télévision ne transmet que les nouveautés du navire lui-même, avec des journalistes à bord. La machine flottante de divertissement n’a pourtant rien d’extraordinaire – ce n’est que le condensé de notre monde quotidien, du capitalisme contemporain dans son fonctionnement optimal. C’est l’impératif de la jouissance, du « your smile is my smile », que l’un de nos acteurs a bien traduit comme « your card is my card ». Évidemment, tout cela ne marche que grâce à une armée de sept cents employés sous-payés qui vivent au sous-sol et circulent partout souriant, à la disposition des clients vingt-quatre heures par jour, et dont le logement est interdit aux passagers.
Personnellement, j’ai vécu notre embarquement comme un naufrage, individuel et collectif. Bien sûr, nous étions étourdis par les dimensions, le gigantisme, l’abondance, et les acteurs étaient souvent émerveillés d’être accueillis avec une telle gentillesse et une telle sollicitude – si quelqu’un, au milieu du repas, demande au serveur dix desserts, on lui apporte dix desserts. Finalement, l’objectif est de satisfaire le client, aussi absurdes que paraissent ses caprices. Cette espèce d’inclusion par la consommation, avec son côté grotesque, cependant, n’a fait que mettre en évidence le contraste entre notre groupe, avec sa fragilité singulière, et le luxe ostensible partout. Deux pôles, deux mondes, dans un combat asymétrique, dans une friction inévitable, où nous étions vaincus d’avance. Nous n’avions aucune possibilité d’affronter ce combat, nous savions à peine si on en sortirait vivants. C’est la triomphante industrie fasciste de l’exposition politique, comme disait Pasolini.
Évidemment, nous avions un projet – nous n’étions pas de simples passagers ou touristes. D’un côté, le contexte défavorable pour notre projet a suscité un effort redoublé dans ces tâches d’« accomplir » la mission : l’objectif, le but étant d’extraire le maximum de ce contexte de renfermement et disponibilité (finalement, voilà pour une fois tous les membres du groupe ensemble tout le temps, pas moyen de s’échapper). Ce qui permettait de faire une œuvre. D’un autre côté, de manière plus souterraine, on a témoigné d’une espèce d’irritation à l’égard de cette compulsion à accomplir les tâches à tout prix, cette anxiété de faire, de conclure, de remplir de sens à l’avance… Pour ma part, j’ai été pris, non pas par une paresse, mais par une espèce de refus bartlebyen, du type « je préfèrerais ne pas », faire un film, mettre sur scène une pièce, réussir… Un désir anarchiste, ou plutôt, le désir de plonger dans une dynamique autre, non productive, un désir d’improduction où le désistement, la mauvaise volonté, la soustraction, le surf, la plongée, l’entrée en navigation s’entrecroisaient dans une logique intensive, de sensations interpénétrées, beaucoup plus qu’un désir d’une articulation constructive et susceptible d’être montrée. Difficile de décrire dans quelle mesure l’ensemble de petits gestes, de minuscules mouvements, de détours humoristiques ou hilarants semblaient plus efficaces dans la contraposition parodique à ce que, dès le début du voyage, quelques-uns ont vécu comme un enfermement, avec sa dose de violence et coercition, bien que volontaire…
Peu à peu, on s’est aperçu que tout ce qu’on avait prévu n’a pas réussi, ou bien a mal marché, ou simplement a révélé sa dimension risible ou absurde, en nous menant à la question troublante, inévitable et nécessaire : mais que fait-on ici au juste ? Quelle idée folle de se mettre dans un tel labyrinthe de coercition et d’étranglement, au milieu de deux mille touristes, dans ce qu’un acteur a baptisé un « monde contemplastique » ! On ne pourrait mieux définir cette impuissance, de contemplation d’un monde en plastique… Et maintenant, à partir de cette situation de saturation, comment sortir s’il n’y a pas d’issue, entourés que nous étions d’une mer qui justement n’était qu’un décor, et qui n’évoquait pas une extériorité, un dehors ? Puisqu’il faut le dire : tout dans le paquebot est fait pour qu’on tourne le dos à la mer. C’est le dedans absolu, le plaisir et la consommation imperméables à toute extériorité : l’hypnose du casino, de l’écran géant sur la piscine à ciel ouvert sur lequel on voit projeté justement ce qui est à côté, la mer… C’est incontestable qu’à un moment donné, dans une salle du quatrième étage où l’on faisait nos répétitions et où l’on se réfugiait pour résister à la normopathie athlétique ou flasque qui nous entourait, quelque chose était en train de se dissoudre en nous, entre nous. Tout déraillait, les rôles, les fonctions, les repères, les buts, les sens, les raisons. Espèce de collapsus visqueux, qui mettait en question le « quoi », le « à quoi bon », le « comment », le « où », le « quand », même si on occupait un espace délimité, selon notre routine, répétitions le matin, tournage l’après-midi, conversations la nuit. Malgré cette grille consensuelle, certains d’entre nous ont vécu une chaotisation involontaire, une catastrophe subtile, avec leurs terreurs, leurs angoisses, leurs nausées, sa claustrophobie, le « rien n’est possible » qui faisait irruption, le « on avait tout pour que cela aille mieux », comme l’a dit une actrice qui, depuis qu’elle était montée sur le navire, marchait inclinée comme une tour de pise, et qu’à chaque fois qu’elle se trouvait en face des immenses couloirs avec les centaines de chambres, en cherchant la sienne, murmurait entre ses dents : « couloir de la mort ». En tout cas, à partir de cette dé-subjectivation collective, de cette vacuité, où tout paraissait en train de s’écrouler ou se noyer, y compris les projets prévus et programmés, on était pris peut-être par ce que Guattari nommait Chaosmose..  Pendant que le navire fonctionnait à perfection, nous, on naufrageait.
Est-ce qu’il fallait opposer à un tel entourage invasif une pièce de théâtre, même inspirée de Kafka (quel auteur mieux que lui pour exprimer une telle claustrophobie, une armée de serviteurs, un tel labyrinthe de sens) ? Faire un film qui rivaliserait avec le devenir-cinéma du monde, de ce monde contemplastique ? Ou plutôt, au lieu d’ajouter quelque chose, simplement soustraire, se soustraire, appuyés sur des détours minuscules, interruptions, même à la limite le rugissement d’un acteur épuisé… Évidemment, d’innombrables situations de bonheur collectif s’alternaient à des moments comme celui-ci, dans une oscillation beaucoup plus vertigineuse que celle offerte par le bateau en pleine mer. Il fallait apprendre à naviguer, dans le sens fort du mot. Quand Deligny définit ses tentatives avec les autistes comme un radeau, il explique à quel point c’est important que dans cette structure rudimentaire, les troncs de bois soient « reliés de manière assez lâche, si bien que lorsque s’abattent les montagnes d’eau, l’eau passe à travers les troncs écartés. » Et il ajoute : « Quand les questions s’abattent, nous ne serrons pas les rangs – nous ne joignons pas les troncs – pour constituer une plate-forme concertée. Bien au contraire. Nous ne maintenons que ce qui du projet nous relie. Vous voyez par là l’importance primordiale des liens et du mode d’attache, et de la distance même que les troncs peuvent prendre entre eux. Il faut que le lien soit suffisamment lâche et qu’il ne lâche pas » (3). Je dirais qu’il faut que le lien soit suffisamment lâche pour qu’il ne lâche pas. Ainsi, pour faire une croisière post-moderne, peut-être faut-il se réinventer un radeau.
Peter Pál Pelbart
Splendour of the seas /2013
Extrait du texte publié dans Chimères n°80 Squizodrame et schizo-scènes
Voir : Kafkamachine
splendour of the seas
1 http://www.mollecular.org/art-therapy-life/todellinen-ongelma/
2 Voir le bel article de Virtanen Akseli et Jussi Vähämäki « Structure if Change », et le dialogue entre Virtanen Akseli et Bracha Ettinger, « Art, Memory, Resistance », dans la revue Framework, n° 4/décembre 2005, The Finnish Art Review, 2006.
3 F. Deligny, Œuvres, Sandra Alvarez de Toledo éd., Paris, L’Arachnéen, 2007, p. 1128.

La Nef des Fous – le bateau des poètes et autres malades mentaux – « Je suis le voleur de rêves » / Olivier Apprill

Une traversée poétique et psychiatrique de l’Atlantique.
Pour cette croisière ont embarqué des comédiens, des thérapeutes et autres malades mentaux.
Pendant le voyage jusqu’au Brésil, ils ont le projet de faire un film du roman de Kafka l’Amérique.
A l’arrivée, c’est une traversée des songes sur les mots de Pessoa, Foucault, Kafka, Guattari et Apprill.
Dans toutes les langues du monde et sous les cris de la mer.
Avec les collectifs Ueinzz (Sao Paulo), Mollecular (Helsinki) et Presque Ruines (Paris).

Lire également sur ce voyage l’article « Dérive » dans la revue Chimères n°79.

Olivier Apprill vient de publier
Une avant-garde psychiatrique – Le moment GTPSI (1960-1966)
Editions Epel, Paris.

Enregistrements : novembre-décembre 2011
Mise en ondes & mix : Arnaud Forest
Poèmes & réalisation : Olivier Apprill

Ecouter ICI
durée 26’07″

Projet Kafkamachine
La Nef des Fous - le bateau des poètes et autres malades mentaux -

L’Entretien infini / Maurice Blanchot

Ce que Kafka nous apprend – même si cette formule ne saurait lui être directement attribuée -, c’est que raconter met en jeu le neutre. La narration que régit le neutre se tient sous la garde du « il », troisième personne qui n’est pas une troisième personne, ni non plus le simple couvert de l’impersonnalité. Le « il » de la narration où parle le neutre  ne se contente pas de prendre la place qu’occupe en général le sujet, que celui-ci soit un « je » déclaré ou implicite ou qu’il soit l’événement te qu’il a lieu dans sa signification impersonnelle (1). Le « il » narratif destitue tout sujet, de même qu’il désapproprie toute action transitive ou toute possibilité objective. Sous deux formes : 1) la parole du récit nous laisse toujours pressentir que ce que ce qui se raconte n’est raconté par personne : elle parle au neutre ; 2) dans l’espace neutre du récit, les porteurs de paroles, les sujets d’action – ceux qui tenaient lieu jadis de personnages – tombent dans un rapport de non-identification avec eux-mêmes : quelque chose leur arrive, qu’ils ne peuvent ressaisir qu’en se dessaisissant de leur pouvoir de dire « je », et ce qui leur arrive leur est toujours déjà arrivé : ils ne sauraient en rendre compte qu’indirectement, comme de l’oubli d’eux-mêmes, cet oubli qui les introduit dans le présent sans mémoire qui est celui de la parole narrante.
Certes, cela ne signifie pas que le récit relate nécessairement un événement oublié ou cet événement de l’oubli sous la dépendance duquel, séparées de ce qu’elles sont – on dit encore, aliénées -, existences et société s’agitent comme dans le sommeil pour chercher à se ressaisir. C’est le récit, indépendamment de son contenu, qui est oubli, de sorte que raconter, c’est se mettre à l’épreuve de cet oubli premier qui précède, fonde et ruine toute mémoire. En ce sens, raconter est le tourment du langage, la recherche incessante de son infinité. Et le récit ne serait rien d’autre qu’une allusion au détour initial que porte l’écriture, qui la déporte et qui fait que, écrivant, nous nous livrons à une sorte de détournement perpétuel.
Ecrire, ce rapport à la vie, rapport détourné par où s’affirme cela qui ne concerne pas.
Le « il » narratif, qu’il soit absent ou présent, qu’il s’affirme ou se dérobe, qu’il altère ou non les conventions d’écriture – la linéarité, la continuité, la lisibilité – marque ainsi l’intrusion de l’autre – entendu au neutre – dans son étrangeté irréductible, dans sa perversité retorse. L’autre parle. Mais quand l’autre parle, personne ne parle, car l’autre, qu’il faut se garder d’honorer d’une majuscule qui le fixerait dans un substantif de majesté, comme s’il avait quelque présence substantielle, voire unique, n’est précisément jamais seulement l’autre, il n’est plutôt ni l’un ni l’autre, et le neutre qui le marque le retire des deux, comme de l’unité, l’établissant toujours au-dehors du terme, de l’acte ou du sujet où il prétend s’offrir. La voix narrative (je ne dis pas narratrice) tient là de son aphonie. Voix qui n’a pas de place dans l’oeuvre, mais qui non plus ne la surplombe pas, loin de tomber de quelque ciel sous la garantie d’une Transcendance supérieure : le « il » n’est pas l’englobant de Jaspers, il est plutôt comme un vide dans l’oeuvre – mot-absence qu’évoque Marguerite Duras dans l’un de ses récits, « un mot-trou, creusé en son centre d’un trou, de ce trou où tous les autres mots auraient dû être enterrés », et le texte ajoute : « On n’aurait pas pu le dire, mais on aurait pu le faire résonner – immense, sans fin, un gong vide… » (2) C’est la voix narrative, une voix neutre qui dit l’oeuvre à partir de ce lieu sans lieu où l’oeuvre se tait.

La voix narrative est neutre. Voyons rapidement quels sont les traits qui en première approche le caractérisent. D’un côté, elle ne dit rien, non seulement parce qu’elle n’ajoute rien à ce qu’il y a à dire (elle ne sait rien), mais parce qu’elle sous-tend ce rien – le « taire » et le « se taire » – où la parole est d’ores et déjà engagée ; ainsi ne s’entend-elle pas en premier lieu et tout ce qui lui donne une réalité distincte commence à la trahir. D’un autre côté, sans existence propre, ne parlent de nulle part, en suspens dans le tout du récit, elle n’y dissipe pas non plus selon le mode de la lumière qui, invisible, rend visible : elle est radicalement extérieure, elle vient de l’extériorité même, ce dehors qui est l’énigme propre du langage en écriture. Mais considérons encore d’autres traits, les mêmes du reste. La voix narrative qui est dedans seulement pour autant qu’elle est dehors, à distance sans distance, ne peut s’incarner, elle peut bien emprunter la voix d’un personne judicieusement choisi ou même créer la fonction hybride du médiateur (elle qui ruine toute médiation), elle est toujours différente de ce qui la profère, elle est la différence-indifférence qui altère la voix personnelle. Appelons-la (par fantaisie) spectrale, fantomatique. Non pas qu’elle vienne d’outre-tombe ni même parce qu’elle représenterait une fois pour toute quelque absence essentielle, mais parce qu’elle tend toujours à s’absenter en celui qui la porte et aussi à l’effacer lui même comme centre, étant donc neutre en ce sens décisif qu’elle ne saurait être centrale, ne crée pas de centre, ne parle pas à partir d’un centre, mais au contraire à la limite empêcherait l’oeuvre d’en avoir un, lui retirant tout foyer privilégié d’intérêt, fût-ce celui de l’afocalité, et ne lui permettant pas non plus d’exister comme un tout achevé, une fois et à jamais accompli.
Tacite, elle attire le langage obliquement, indirectement et, sous cet attrait, celui de la parole oblique, laisse parler le neutre. Qu’est-ce que cela indique ? La voix narrative porte le neutre. Elle le porte en ceci que : 1) parler au neutre, c’est parler à distance, en réservant cette distance, sans médiation ni communauté, et même en éprouvant le distancement infini de la distance, son irréciprocité, son irrectitude ou sa dissymétrie, car la distance la plus grande où régit la dissymétrie, sans que soit privilégié l’un ou l’autre des termes, c’est précisément le neutre (on ne peut neutraliser le neutre); 2) la parole neutre ne révèle ni ne cache. Cela ne veut pas dire qu’elle ne signifie rien (en prétendant abdiquer le sens sous l’espèce du non-sens), cela veut dire qu’elle ne signifie pas à la manière dont signifie le visible-invisible, mais qu’elle ouvre dans le langage un pouvoir autre, étranger au pouvoir d’éclairement (ou d’obscurcissement), de compréhension (ou de méprise). Elle ne signifie pas sur le mode optique ; elle reste en dehors de la référence lumière-ombre qui semble être la référence ultime de toute connaissance et communication au point de nous faire oublier qu’elle n’a que la valeur d’une métaphore vénérable, c’est-à-dire invétérée ; 3) l’exigence du neutre tend à suspendre la structure attributive du langage, ce rapport à l’être, implicite ou explicite, qui est, dans nos langues, immédiatement posé, dès que quelque chose est dit. On a souvent remarqué – les philosophes, les linguistes, les critiques politiques – que rien ne saurait être nié qui n’ait déjà été posé préalablement. En d’autres termes, tout langage commence par énoncer et, en énonçant, affirme. Mais il se pourrait que raconter (écrire), ce soit attirer le langage dans une possibilité de dire qui dirait sans dire l’être et sans non plus le dénier – ou encore, plus clairement, trop éclairement, établir le centre de gravité de la parole ailleurs, là où parler, ce ne serait pas affirmer l’être et bnon plus avoir besoin de la négation pour suspendre l’oeuvre de l’être, celle qui s’accomplit ordinairement dans toute forme d’expression. La voix narrative est, sous ce rapport, la plus critique qui puisse, inentendue, donner à entendre. De là que nous ayons tendance, l’écoutant, à la confondre avec la voix oblique du malheur ou la voix oblique de la folie (3).
Maurice Blanchot
l’Entretien infini / 1969
Maurice Blanchot sur le Silence qui parle : cliquez ICI
A écouter sur Ubuweb : Roland Barthes, le Neutre, Collège de France, 1978
Espace Maurice Blanchot
Sur le silence qui parle : Ecrire déloge / Mathilde Girard
Dedans / Dehors
L'Entretien infini / Maurice Blanchot dans Blanchot
1 Le « il » ne prend pas simplement la place occupée traditionnellement par un sujet, il modifie, fragmentation mobile, ce qu’on entend par place : lieu fixe, unique, ou déterminé par son emplacement. C’est ici qu’il faut redire (confusément) : le « il », se dispersant à la façon d’un manque dans la pluralité simultanée – la répétition – d’une place mouvante et diversement inoccupée, désigne « sa » place à la fois comme celle à laquelle il ferait toujours défaut et qui ainsi resterait vide, mais aussi comme un surplus de place, une place toujours en trop : hypertopie.
2 le Ravissement de Lol V Stein (Gallimard).
3 C’est cette voix – la voix narrative – que, peut-être inconsidérément, peut-être avec raison, j’entends dans le récit de Marguerite Duras, celui que j’ai évoqué tout à l’heure. La nuit à jamais sans aurore – cette salle de bal où est survenu l’événement indescriptible que l’on ne peut se rappeler et qu’on ne peut oublier, mais que l’oubli retient – le désir nocturne de se retourner pour voir ce qui n’appartient ni au visible ni à l’invisible, c’est-à-dire de se tenir, un instant, par le regard, au plus près de l’étrangeté, là où le mouvement se montrer/se cacher a perdu sa force rectrice – puis le besoin (léterne voeu humain) de faire assumer par un autre, de vivre à nouveau dans un autre, un tiers, le rapport duel,, fasciné, indifférent, irréductible à toute médiation, rapport  neutre, même s’il implique le vide infini du désir – enfin l’imminent certitude que ce qui a lieu une fois, tours recommencera, toujours se trahira et se refusera : telles sont bien, il me sembles les « coordonnées » de l’espace narratif, ce cercle où, entrant, nous entrons incessamment dans le dehors. Mais ici, qui raconte ? Non pas le rapporteur, celui qui prend formellement – du reste un peu honteusement – la parole, et à la vérité l’usurpe, au point de nous apparaître comme un intrus, mais celle qui ne peut raconter parce qu’elle porte – c’est sa sagesse, c’est sa folie – le tourment de l’impossible narration, se sachant (d’un savoir fermé, antérieur à la scission raison/déraison) la mesure de ce dehors où, accédant, nous risquons de tomber sous l’attrait d’une parole tout à fait extérieure : la pure extravagance.

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