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Que veulent les gestes politiques ? / Philippe Roy

Avant d’aborder de plein fouet le problème dont j’aimerais m’entretenir, celui qui consiste à se demander ce que veulent les gestes politiques, je voudrais revenir sur ce terme de geste, pour présenter succinctement comment je l’emploie en politique. On peut tout d’abord le concevoir dans le registre du pouvoir et le renvoyer à la conduite des conduites tel que Foucault l’a caractérisé. Cette définition foucaldienne convient bien à la gouvernementalité. Un gouvernement oriente et met en forme nos conduites. Nos conduites peuvent être assimilées à des gestes, en tant que ceux-ci font des choses avec telle ou telle manière. Prenons un geste non politique. Le geste de verser un café fait quelque chose avec une certaine manière. Il faut se conduire d’une certaine façon. Ici je n’utilise pas le verbe « conduire » mais plus précisément « se conduire ». Ceci met l’accent sur la subjectivation d’un geste, le geste conditionne un certain « soi ». Le soi de mes manières d’être, de mes gestes. Je suis mes gestes et ceci au deux sens des verbes « suivre » et « être ».
Cependant Foucault parle de conduire les conduites. Peut-on séparer le « conduire » des conduites qu’il conduit ? Prenons l’analogie canonique du pouvoir pastoral qu’est celle du berger avec ses brebis. Les brebis sont conduites par le berger sans que le « conduire » du berger soit séparable des conduites des brebis. Ou du moins cette séparation est abstraite, je peux voir d’un côté les gestes du berger et de l’autre les gestes des brebis, c’est une distinction de raison et non réelle car les gestes des brebis sont en relation avec les gestes du berger. Et cette relation n’est pas extérieure au deux termes, elle est constituante des gestes des brebis et du berger. D’où l’intérêt de parler en termes de gestes. Car parler de conduire des conduites donne trop l’impression d’une séparation entre le « conduire » et les conduites, ceci allant contre la volonté de Foucault qui tient à poser une relation de pouvoir et non une relation entre un pouvoir qui serait dans les mains du berger et un matériau sur lequel il s’effectuerait (ici les brebis). Or, si on fait le choix des gestes, cette relation entre des gestes devient plus facilement pensable, je vais le montrer. Bien plus, on va voir que ceci nous permet de comprendre pourquoi un geste nous fait vouloir quelque chose, problème qui m’occupe ici. Avant de revenir aux gestes politiques, je vais m’attarder un peu sur des gestes simples.
Soit donc un geste ordinaire, le simple geste d’allumer un briquet. Le geste n’est pas seulement celui d’actionner la molette avec le pouce. Il y a aussi une autre action: celle de tenir le briquet. Mais aussi des sensations (le toucher, la bonne pression sur la mollette, la vue de la flamme). Si je décide d’appeler « acte » chacune des actions et leurs perceptions associées, on peut donc dire ici que l’effectuation du geste suppose deux actes corrélés. Mais ce geste peut servir à faire un autre geste: celui d’allumer ma cigarette. Dans ce cas je dirais alors qu’il lui est subordonné, le geste d’allumer un briquet devient un des actes du geste d’allumer ma cigarette, l’autre étant celui de tenir ma cigarette. Etant subordonné à ce geste d’allumer ma cigarette, il varie pour être adapté à ce geste. Le geste qui, tout seul était libre, est maintenant subordonné à un autre. Mais remarquons que le geste libre d’allumer un briquet se subordonnait lui aussi deux autres gestes, devenus ses actes, tenir le briquet et actionner la molette, qui pourraient très bien être des gestes libres eux-aussi, en étant libérés de leur subordination au geste d’allumer un briquet.
Quelle est la relation qui lie les gestes de tenir un briquet et d’actionner la molette, eh bien c’est donc un autre geste : celui d’allumer le briquet. Quelle est la relation qui lie le geste d’allumer mon briquet et celui de tenir ma cigarette, c’est aussi un autre geste : celui d’allumer ma cigarette. La relation entre gestes est un geste immanent à ceux qu’il relie. Je réponds donc au problème que je posais plus haut. Ne croyons pas que ce geste relationnel, mis en valeur dans cette situation, n’est pas adéquat pour penser la politique car il n’y aurait qu’une personne en jeu alors que la politique en implique plusieurs. Car le geste d’allumer une cigarette peut très bien concerner deux personnes, j’allume la cigarette de quelqu’un d’autre, c’est un geste collectif. Certes, ce n’est ici que le collectif le plus minimal: deux personnes mais on imagine sans difficulté un geste collectif à plus de deux personnes. Pensez à une danse, au geste d’un sport collectif, à un geste technique de travail, une émeute et aussi à mon geste pastoral du berger et des brebis. Ceci me ramène alors à ce cas. La relation immanente aux gestes du berger et des brebis est donc un geste : le geste pastoral. Si bien que le berger n’est pas vraiment celui qui conduit, car ses gestes sont aussi subordonnés au geste pastoral, il ne fait pas ce qu’il veut mais il veut ce que veut le geste pastoral. Il y aurait donc une volonté impersonnelle (comme ici celle du geste pastoral), sans sujet, qui serait attribuable aux gestes. Bien plus, chaque geste aurait sa volonté propre. Mais puisque ce n’est pas celle d’un sujet, il n’y a pas une faculté générale appelée « volonté ». Employons plutôt le terme de « volition », chaque geste possède donc sa volition. Cette volition exprime une puissance gestuelle, sa dynamique, son impulsivité. On a tort de penser que c’est notre volonté qui conditionne la puissance motrice d’un geste (c’est parce que je voudrais, que le geste acquerrait une effectivité). C’est le geste qui me fait vouloir, qui me subjective et qui alors me pousse à dire : « je veux », sans conscience de cette cause gestuelle qui me détermine (Spinoza, critique du libre-arbitre).
Le problème de ce que veulent les gestes politiques se posera donc sous cette condition. Le berger veut car le geste veut (volition). Mais il faut envisager un autre aspect de ce qu’implique « vouloir ». Car j’écrivais aussi que le berger veut ce que veut le geste. Si vous demandez au berger ce qu’il veut, il vous dira sans problème: je veux emmener les brebis à tel endroit en les faisant passer par tel autre, les protéger contre tels dangers etc. Le pasteur, pour en revenir au champ plus explicitement politique, vous dira même qu’il a en vue un objectif plus global, le salut de l’âme des individus ou alors pour le geste pastoral biopolitique, il évoquera la santé ou pour un geste de gouvernementalité néo-libérale on évoquera par exemple l’objectif qu’est la croissance. Il y a donc des objets, des buts voulus, ce vers quoi doivent être tournés les regards, les pensées. Or, il importe de souligner qu’ils s’introduisent chez ceux dont les gestes sont subordonnés à un autre geste. Je reprends mon exemple du briquet. Si j’allume simplement mon briquet il n’y a pas encore d’objectif sinon de vouloir le geste pour lui-même. Si on me demande pourquoi j’allume mon briquet, eh bien je dirais que c’est parce que j’ai envie de l’allumer. Mais voici quelqu’un qui arrive et qui me demande du feu. Cette fois-ci s’introduisent des objectifs : j’allume mon briquet en l’approchant de la cigarette de la personne, mon regard est tourné vers sa cigarette, vers le rapport de celle-ci à la flamme, vers la manière dont la personne tient sa cigarette etc. Bref, les objectifs, les buts, les finalités pour un geste n’apparaissent que lorsqu’il est subordonné à un autre. Il faut alors soutenir la chose capitale suivante : le geste à l’horizon, celui qui n’est pas subordonné à un autre geste, celui qui nous fait vouloir, ne veut rien puisqu’il n’est pas subordonné, il ne veut rien sinon lui-même. Il veut persévérer dans son être.
Le geste d’allumer la cigarette me fait vouloir, mon geste subordonné d’allumer le briquet devient un moyen en vue d’une fin, en vue d’objectifs, mais que veut le geste d’allumer la cigarette ? On dira qu’il est lui aussi un moyen en vue d’une fin qui est celle de fumer. On remonte donc dans la chaîne des subordinations. Mais le geste de fumer que veut-il ?, ne se veut-il pas lui-même ? et ceci à travers son fumeur, subjectivé par le geste ? N’y a-t-il pas un désir du geste au deux sens du génitif, geste qui désire et qui est désiré ? Désir qui constitue donc une auto-affection. De même, le geste pastoral ne se veut-il pas lui-même à travers ceux qu’il subjective ? Ou le geste de souveraineté ne se veut-il pas lui-même à travers son roi et ses sujets qui ont les yeux rivés sur ses faits et gestes ? Et que voulons-nous dire quand nous disons de quelqu’un qu’il veut prendre le pouvoir ? Il ne veut pas prendre le pouvoir pour autre chose que le prendre, il veut exister par le geste du pouvoir, être subjectivé par lui, désir du geste.
On a donc deux registres de la volonté, volonté du geste pour lui-même, le geste se veut lui-même, sans que le geste soit un sujet. C’est plutôt le désir du geste, l’auto-affection du geste. Il veut persévérer dans son être ou mieux, pour éviter encore toute idée de sujet constituant, il y a persévérance dans son être. C’est le geste directeur. Le deuxième registre est celui des fins, des finalités, le geste directeur nous fait vouloir, par d’autres gestes, des buts, des objectifs, ceci étant très prononcé pour le geste de gouvernementalité. Le geste directeur oriente nos perceptions, nos actions, nos pensées, il nous fait adopter ses affects-valeurs, c’est-à-dire ce qui est bon ou mauvais pour lui pour s’effectuer (par exemple ses ennemis pour le geste de souveraineté). Mais pas de deuxième registre sans le premier, ce n’est pas le geste directeur qui est au service de buts, d’objectifs, c’est juste le contraire, ce sont les buts qui sont au service du geste directeur qui se veut lui-même par ces buts. C’est le geste de fumer qui se veut lui-même par ce but que j’ai d’allumer ma cigarette, il est virtuellement déjà là, perçu implicitement dans ce geste.
Je crois que l’on peut se donner une idée en politique de cette secondarité du but par rapport au geste politique directeur lorsqu’on a une impression d’absurdité, de vacuité des buts, des objectifs que l’on sert. Par exemple, dans le cadre d’un geste de biopouvoir lorsque l’on se demande mais pourquoi faudrait-il que je m’occupe à ce point de cet objectif qu’est la santé comme durée de vie, ou dans le cadre d’un geste de gouvernementalité néolibérale, mais pourquoi faut-il avoir les yeux rivé sur cet objectif qu’est la croissance etc. Ce qu’un geste nous pousse à prendre comme buts, comme objectifs de nos gestes subordonnés, qui semblent se dire de la modalité du nécessaire, se retournent alors en ce qu’il y a de plus contingent. Et c’est la grande crainte de ceux qui défendent un geste, par exemple des gouvernants, que d’entendre les gouvernés commencer à dire : mais à quoi bon la durée de vie, à quoi bon la croissance, à quoi bon travailler etc. C’est donc plus le geste que les buts qui est défendu, ce pourquoi toute discussion rationnelle sur les buts est souvent vaine. On le voit bien avec l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ce but dépasse toute rationalité concernant l’intérêt de cet aéroport (trafic aérien, écologique etc.). Les régimes discursifs propres à un geste ont aussi pour fonction de le défendre et non de le justifier.
Cette désolidarisation d’un geste, cette défection, est une grande crainte pour les défenseurs du geste car pour que celui-ci arrive il nécessite que gouvernant et gouvernés le fassent arriver ensemble en tant que geste collectif. Ce pourquoi les gouvernés peuvent opposer des gestes de résistance à l’arrivée du geste. Leur geste est le geste d’une autre relation aux gestes des gouvernants que celle du geste gouvernemental. Il y a plein de gestes intergestuels de résistance. Je peux affronter ceux qui sont porteurs du geste auquel je m’oppose, je peux aussi interrompre leur geste (grève), je peux l’enrayer, le fuir, je peux me braquer , je peux destituer, etc. Il nous revient de faire l’analyse dans chaque situation, à chaque époque politique, des gestes intergestuels qui leur sont propres. On notera cependant que ces gestes supposent sûrement comme préalable un geste de refus. Ce geste est particulier car il n’implique pas d’acte, il se joue au seul niveau affectif en pensée, je m’oppose à un geste que j’imagine. Les gestes peuvent donc aussi n’avoir lieu qu’en pensée, bien plus certaines pensées supposent des gestes. N’est-ce pas d’ailleurs ce que je fais depuis le début de ce texte, les gestes dont je parle ne sont pas que corporels nous les jouons en pensée comme leur relation gestuelle. Ils nous permettent même de saisir le sens de différentes orientations politiques (souveraineté, gouvernementalité etc.).
J’en profite pour souligner autre chose. En parlant de faire arriver un geste, j’insinue qu’il y a une dimension événementielle dans la gestualité. Un geste est geste-événement, mais pas nécessairement des événements remarquables, la répétition de gestes ordinaires supposent aussi à chaque fois que je fasse arriver tel geste dans telle situation, à tel moment. Ceci vient donc appuyer l’hypothèse d’une fondamentale impersonnalité des gestes car se disant aussi d’événements qui nous arrivent. Nous sommes les jouets de gestes, des somnambules permanents, et ceci dans tous nos gestes. Et c’est bien cette impersonnalité des gestes qui fait que les gestes circulent. Nous nous imitons inconsciemment. Il y a une contagion gestuelle. Et des mêmes gestes peuvent s’effectuer à différentes échelles. Par exemple des auteurs tel que Arendt, Foucault, Agamben ont beaucoup insisté sur le fait que le geste gouvernemental était aussi le geste du foyer domestique, de même que la souveraineté peut avoir lieu en famille comme à l’échelle d’un pays. On adhère donc à des gestes politiques d’Etat parce qu’ils sont déjà ceux de nos gestes familiers, sociaux. Le néolibéralisme dit vrai quand il met l’accent sur le fait que la famille est comme une forme d’entreprise. Les types d’objectifs que se donne un gouvernement néolibéral ne sont pas sans être isomorphes à ceux des familles, et c’est comme cela que le geste perdure. Le geste gouvernemental est colonisateur à toutes les échelles.
J’aborde maintenant la deuxième partie de cette réflexion qui est la face plus lumineuse de la gestualité après avoir exposé jusqu’à présent plutôt sa face sombre. N’y a-t-il pas en effet un autre régime gestuel d’auto-affection que celui d’un geste directeur qui nous tourne vers ses buts ? On remarquera que ce dernier procède à une forme de défense. Un geste qui ne se veut que lui-même est un geste qui n’en veut pas d’autres. C’est un geste qui s’oppose à la libération d’autres gestes. C’est donc insinuer ici ce que serait le régime gestuel opposé au premier. Non pas celui du geste qui ne se veut que lui-même mais celui du geste qui se veut lui-même en libérant d’autres gestes, régime de la gestualité ouverte, libre. C’est un geste qui se veut en suscitant d’autres gestes, c’est un envoi gestuel. Ce pourquoi les gestes suscités se veulent, ils retentissent entre eux, et se voulant ils en suscitent de nouveaux, prolongeant la volition gestuelle, son envoi. L’auto-affection passe maintenant par ce retentissement des gestes qui font sens l’un pour l’autre, elle se traduit par une forte émotion ressentie par chaque acteur. Alors que dans le premier régime gestuel, le geste s’efface derrière son but pour mieux se laisser vouloir, dans ce deuxième régime gestuel, le geste et ses gestes se montrent bien plus que leurs buts (au point que parfois, dans ce régime, il n’y a plus vraiment de buts).

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J’en donne quelques traits pour finir, en évoquant des situations. Ce champ de retentissement gestuel est notable quand se manifeste une certaine spontanéité. Ainsi l’historien Jacques Rougerie marque bien cette spontanéité lors de la Commune comme étant la « manière d’être de la révolution dans sa quotidienneté créatrice d’événements et d’idées ». Des gestes-événements décisifs et des gestes-idées retentissent, se renvoient les uns aux autres et ceci avec une certaine exaltation, un enthousiasme, une émotion, qui peuvent aussi être mêlées de colère. Par spontanéité il ne faut pas entendre que ce sont des gestes qui sortiraient de rien, ex nihilo, puisque les gestes se renvoient les uns aux autres dans leurs différences, ils se prolongent par ces discontinuités qu’ils provoquent.  Ce qui ne veut pas dire non plus qu’un geste agit sur un autre, ils se renvoient l’un l’autre car ils appartiennent à un même champ gestuel, ici celui ouvert par l’envoi du geste collectif de la Commune.
Et beaucoup des gestes d’un champ de retentissement sont ce que j’appelle des gestes affectifs. Un geste affectif est un geste indiscernable d’un affect et réciproquement. Par exemple l’affect de générosité n’est-il pas indiscernable d’un geste proprement affectif qu’est celui de donner, distinct d’un acte effectif  ? (C’est ce qu’on interprète en parlant d’intention, mais celle-ci n’est que la présence ou non de la volition du geste affectif de donner) Rappelons que Bergson disait de l’affect qu’il était une tendance motrice sur un nerf sensible, en lequel s’interpénètrent donc un geste virtuel et une sensibilité. Quant au geste indiscernable d’un affect, pensons à ce clin d’oeil, ces coups d’oeils, ces tons d’exhortation, ces bonnets à la main sur lequel Trotsky insiste dans son Histoire de la révolution russe dans le passage qu’il consacre au 5 journées de février 1917 au moment de la rencontre des ouvriers et des cosaques. « Les ouvriers de l’usine Erikson [...] après s’être assemblés le matin, s’avancèrent en masse, au nombre de 2500 hommes, sur la Perspective Sampsonovsky, et, dans un passage étroit, tombèrent sur des Cosaques. Poussant leurs chevaux, les officiers fendirent les premiers la foule. Derrière eux, sur toute la largeur de la chaussée, trottaient les Cosaques. Moment décisif ! Mais les cavaliers passèrent prudemment, en longue file, par le couloir que venaient de leur ouvrir des officiers. « Certains d’entre eux souriaient, écrit Kaïourov, et l’un d’eux cligna de l’oeil, en copain, du coté des ouvriers « . Il signifiait quelque chose ce clin d’oeil ! Les ouvriers s’étaient enhardis, dans un esprit de sympathie et non d’hostilité à l’égard des Cosaques qu’ils avaient légèrement contaminés. L’homme qui avait cligné de l’oeil eut des imitateurs.» et plus loin Trosky poursuit « en présence d’un peloton de Cosaques [...] quelques [...] ouvriers qui n’avaient pas suivi les fuyards se décoiffèrent, s’approchèrent des cosaques, le bonnet à la main : « Frères Cosaques, venez au secours des ouvriers dans leur lutte pour de pacifiques revendications ! Vous voyez comment nous traitent, nous, ouvriers affamés, ces pharaons [la police]. Aidez-nous ! » ». Trotsky commente alors : « Ce ton consciemment obséquieux, ces bonnets que l’on tient à la main, quel juste calcul psychologique, quel geste inimitable ! Toute l’histoire des combats de rues et des victoires révolutionnaires fourmille de pareilles improvisations. Mais elles se perdent d’ordinaire dans le gouffre des grands événements, et les historiens ne ramassent qu’un tégument de lieux communs ».
Ces gestes affectifs ne sont pas de simples gestes de communication, ils font événement ( « il signifiait quelque chose ce clin d’oeil ! » ), ils se disent du sens affectif de cette situation, bien plus ils contribuent à produire ce sens entre les acteurs et amorcent affectivement les autres gestes qui viendront, enveloppant alors leur impulsion. Ainsi, après le clin d’oeil du Cosaque les ouvriers plongèrent entre les jambes des chevaux des Cosaques censés leur barrer la route. Trotsky commente avec humour : « La révolution ne choisit pas ses voies à son gré : au début de sa marche à la victoire, elle passait sous le ventre d’un cheval cosaque. Episode remarquable ! » La vie du geste collectif, molaire, ne peut pas être saisie sans ce contenu moléculaire des gestes qui sont libérés, le geste se veut par ces gestes. Chaque individu est comme un centre d’effectuation du geste collectif qui est donc polycentré. Si bien que le geste collectif grâce à sa puissance croissante passe des seuils en se gonflant de volitions gestuelles qui lui permettent de viser des buts qu’on croyait inaccessibles avant. C’est ce que souligne bien encore Trotsky, grâce « au Cosaque qui osa cligner de l’oeil du côté de l’ouvrier, [ou grâce] à l’ouvrier qui décida d’emblée que le Cosaque « avait eu le bon coup d’oeil » l’interpénétration moléculaire de l’armée et du peuple se poursuivait, ininterrompue. Les ouvriers prenaient constamment la température de l’armée et sentaient aussitôt approcher le point critique. C’est ce qui donna aussi à la poussée des masses, qui croyaient à la victoire, cette force irrésistible ». Le point critique va rendre possible le passage d’un geste à un autre, un enchaînement de gestes, une lignée de gestes. Les buts venant avec leurs gestes ne permettent pas que le geste se fasse oublier derrière ses buts car tout a la fraîcheur des naissances et cherche à se dépasser vers d’autres naissances. Contrairement aux gestes qui se veulent eux-mêmes, qui repoussent leur naissance loin derrière eux en nous tournant vers leurs buts, comme s’ils avaient toujours été là.
Ne pensons pas que ce régime gestuel du geste qui se veut en suscitant d’autres gestes ne soit propre qu’à des moments révolutionnaires, à un geste intergestuel d’affrontement comme l’épisode de février, car en parlant de la Commune j’évoquais des gestes certes en résonance avec ceux des gestes de résistance des Communards mais différents d’eux, propres déjà à la vie sous la Commune. Ce régime gestuel peut ainsi se dire d’un geste technique collectif tel, pour revenir plus près de nous, celui des zadistes de Notre-Dame-des-Landes : « A l’ouest de la lande de Rohanne, dans la Châtaignerie, un petit village a été bâti dans le temps d’une semaine, sans autorisation préalable. Cet ensemble de maisons de bois se divise en deux parties : l’une destinée à dormir et à soigner, l’autre composée d’une grande cuisine, une salle de réunion, une taverne et une manufacture. [...] Dès lors commença plus qu’un chantier : une oeuvre, une oeuvre commune. Tel jour au son d’un duo de saxo et d’accordéon grimpé sur un toit, tel autre sous une pluie battante; toujours dans la boue et sous les espèces d’une fraternité communicative. Un de ces moments de pur bonheur où l’on pourrait croire qu’un déploiement de forces libres est facile et durerait toujours. [...] Une telle oeuvre est le fruit de ce qui, autrefois, portait le beau nom d’émotion populaire. » L’émotion proviendrait pour chacun de l’auto-affection du geste collectif. On peut aussi évidemment imaginer des retentissements entre gestes affectifs, des coups d’oeil, des gestes de la main, mais aussi entre gestes techniques, entre gestes en pensée : tient si on faisait ceci comme cela, qui retentit par un autre geste technique, des nouveaux buts apparaissent.
On dira que ce n’est pas ce geste technique collectif seul qui est porteur de cette émotion, étant donné qu’il est un des gestes d’un geste plus ample qui est celui du geste de résistance d’occupation de la ZAD. En effet, ce geste est un retentissement de ce geste de résistance qui se veut à travers lui. C’est dire alors qu’un geste qui commence avec les premières occupations, n’est pas sans insister virtuellement dans tous ses gestes postérieurs, répétition différenciée du geste-événement, ce pourquoi il y a une lignée de gestes et ce pourquoi tout ce qui se passe dans le champ des gestes intergestuels est essentiel pour qu’adviennent d’autres gestes retentissants. Ces gestes intergestuels créent, ouvrent un champ. Ils peuvent même l’amorcer en pensée chez d’autres, ailleurs. Cette existence d’un geste pensé, en sa part virtuelle, à forte potentialité libératrice, peut en effet, s’il est bien exprimé par des écrits, des films, des témoignages, retentir ailleurs. Les gestes libérateurs n’ont pas besoin d’être globaux pour s’opposer à ce qui est global. Ce qui est local a une potentialité de retentissement qui peut susciter d’autres gestes n’importe où, n’importe quand, et donc être un affront à des gestes qui se veulent plus globaux, colonisateurs, comme l’est celui du geste de gouvernementalité néolibérale et ses objectifs : ZAD partout. Les zadistes en ont une vive conscience : « A mesure que se construit cette communauté de lutte s’élabore une critique plus globale, se dessinent de nouveaux terrains de lutte communs : contre la quatre-voie d’accès, contre l’urbanisation et la métropole, pour l’accès au foncier… Le « NON à l’aéroport ! » se transforme en « contre l’aéroport et son monde ». »
Reprenons succinctement les grands éléments de réponse à la question : que veulent les gestes politiques ? Selon un premier régime (celui du pouvoir), ils se veulent seulement eux-mêmes à travers les buts de nos gestes subordonnés, fermeture sur leur geste. Selon un second régime (celui de l’émancipation), ils veulent d’autres gestes qui retentissent, ouverture aux gestes, envoi gestuel. Ligne filiative ou de perpétuation d’un geste de pouvoir d’un côté, lignée de gestes de l’autre. Affect de ce qui est bon ou mauvais pour un geste ou, pour le régime émancipateur, émotion de gestes producteurs de sens. Détachement ou reproduction par essaimage d’un centre pour les gestes de pouvoir, polycentrage des gestes-événements, champ gestuel pour les gestes émancipateurs. Ces critères propres à démarquer deux polarités opposées des gestes en politique ne doivent pas nous faire penser qu’il n’y a pas des gestes qui permettent que l’on passe d’une polarité à l’autre, tels des gestes de résistances dans un sens ou, dans l’autre sens, la possible formation de centrations au sein d’un champ gestuel. De plus, ces deux polarités peuvent former des mixtes (par exemple, la Commune de Paris est aussi un geste gouvernemental et c’est aussi ce avec quoi doit composer difficilement tout geste de souveraineté populaire). Par ailleurs ces critères contournent l’écueil de l’évaluation d’une situation politique par la seule mesure des idées qui sont brandies (démocratie, république, communisme etc.) ou celles qui servent à désigner ce qui est mauvais pour le geste (tel l’emploi abusif de l’idée de « terrorisme »). D’autant plus que le cantonnement de la politique à la seule discursivité des débats d’idées n’est pas sans être un des plus sûrs moyens de défendre et porter les gestes de pouvoir gouvernementaux actuels et de les perpétuer. Ainsi, il ne s’agit pas d’écouter ceux qui veulent la démocratie sans évaluer le geste qui les pousse à la vouloir.
Philippe Roy
Que veulent les gestes politiques ? / 2014
Texte de l’intervention communiquée
au colloque de la revue Outis ! les 15-16 mai 2014

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Gouverner par la dette / Maurizio Lazzarato

Lexique introductif

AUSTÉRITÉ : « Les 500 plus fortunés de France se sont enrichis de 25 % en un an. Leur richesse a quadruplé en une décennie et représente 16 % du produit intérieur brut du pays. Elle compte aussi pour 10 % du patrimoine financier des Français, soit un dixième de la richesse entre les mains d’un cent-millième de la population » (Le Monde, 11/0/2013).
Pendant que les médias, les experts, les politiques réitèrent des incantations vantant l’équilibre budgétaire, se déroule une deuxième expropriation de la richesse sociale, après celle pratiquée à partir des années 1980 par la finance. La spécificité de la crise de la dette est que ses causes sont élevées au rang de remède. Ce cercle vicieux est le symptôme, non de l’incompétence de nos élites oligarchiques, mais de leur cynisme de classe. Elles poursuivent un but politique précis : détruire les résistances résiduelles (salaires, revenus, services) à la logique néolibérale.

DETTE PUBLIQUE : les dettes publiques ont atteint un niveau record dans tous les pays qui pratiquent l’austérité, ce qui signifie que les rentes des créanciers ont elles aussi atteint des niveaux records.

IMPÔT : l’arme principale du gouvernement de l’homme endetté est l’impôt. Il ne s’agit pas d’un instrument de redistribution qui viendrait après la production. Comme la monnaie, l’impôt n’a pas une origine marchande, mais directement politique.
Lorsque, comme dans les crises de la dette, la monnaie ne circule plus ni comme instrument de paiement, ni comme capital, lorsque le marché n’assure plus ses fonctions d’évaluation, de mesure, d’allocation de ressources, l’impôt intervient comme arme de gouvernementalité politique. Il assure la continuité et la reproduction du profit et de la rente bloqués par la crise, il exerce un contrôle économico-disciplinaire sur la population. L’impôt est la mesure de l’efficacité des politiques d’austérité sur l’homme endetté.

CROISSANCE : l’Amérique est aujourd’hui au point mort, comme on le dit d’une voiture. Le moteur tourne, mais elle n’avance pas. Il tourne uniquement parce que la Banque centrale achète chaque mois pour 85 milliards de titres du Trésor et d’obligations immobilières et qu’elle assure, depuis 2008, un coût zéro de l’argent.
L’Amérique n’est pas en récession seulement parce qu’elle est sous perfusion monétaire. Elle est incapable de tirer le reste du monde hors de la crise qu’elle a elle-même provoquée.
L’énorme quantité d’argent injecté chaque mois par la Fed ne fait qu’augmenter très faiblement le volume d’emploi, par ailleurs constitué en majorité par des services à très bas salaire et des emplois « part-time ». Elle reproduit les causes de la crise, non seulement parce qu’elle creuse les différences de revenus dans la population, mais aussi parce qu’elle continue à financer et à renforcer la finance.
Si la politique monétaire échoue à faire repartir l’économie et l’emploi, tout en risquant d’alimenter une autre bulle financière, elle favorise le boom économique d’un secteur et un seul, la finance. L’énorme quantité d’argent disponible pour financer l’économie passe d’abord par les banques qui s’enrichissent au passage. Malgré la croissance anémique des autres secteurs de l’économie, les marchés financiers ont atteint un niveau record.
Tout le monde attend la croissance mais c’est tout autre chose qui se profile à l’horizon. Le primat de la rente, les inégalités abyssales entre les salariés et leurs managers, les différences monstrueuses de patrimoine entre les plus riches et les plus pauvres (en France, 900 à 1), les classes sociales figées dans leur reproduction, le blocage d’une mobilité sociale déjà faible (notamment aux USA où le rêve américain n’est plus qu’un rêve) font penser, plus qu’au capitalisme, à une variante de l’Ancien Régime.

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CRISE : lorsque nous parlons ici de crise, nous entendons la crise ouverte en 200 par l’effondrement du marché immobilier américain. En réalité, il s’agit d’une définition restrictive et limitée, puisque nous subissons la crise depuis 193. La crise est permanente, elle change seulement d’intensité et de nom. La gouvernementalité libérale s’exerce en passant de la crise économique à la crise climatique, à la crise démographique, à la crise énergétique, à la crise alimentaire, etc. En changeant de nom, on change seulement de peur. La crise et la peur constituent l’horizon indépassable de la gouvernementalité capitaliste néolibérale. On ne sortira pas de la crise (tout au plus changera-t-on d’intensité) tout simplement parce la crise est la modalité de gouvernement du capitalisme contemporain.

CAPITALISME D’ÉTAT : « Le capitalisme n’a jamais été libéral, il a toujours été capitalisme d’État. » La crise des dettes souveraines montre sans aucun doute possible la pertinence de cette affirmation de Deleuze et Guattari. Le libéralisme n’est qu’une des subjectivations possibles du capitalisme d’État. Souveraineté et gouvernementalité fonctionnent toujours ensemble, de concert.
Dans la crise, les néolibéraux n’essayent pas de gouverner le moins possible, mais, au contraire, de tout gouverner, jusqu’au détail le plus infime. Ils ne produisent pas de la « liberté », mais sa limitation continue. Ils n’articulent pas la liberté du marché et l’État de droit, mais la suspension de la déjà faible démocratie.
La gestion libérale de la crise n’hésite pas à intégrer un « État maximum» parmi les dispositifs d’une gouvernementalité qui exprime sa souveraineté uniquement sur la population.

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GOUVERNEMENTALITÉ : la crise rend évidentes les limites d’un des plus importants concepts de Foucault, la gouvernementalité, et nous pousse à le compléter. Gouverner selon Foucault ne signifie pas « soumettre, commander, diriger, ordonner, normaliser ». Ni force physique, ni série d’interdits, ni ensemble de normes des comportements, la gouvernementalité incite, à travers une « série de réglementations souples, adaptatives », à aménager un milieu qui conduit l’individu à réagir d’une manière plutôt que d’une autre. La crise nous montre que les techniques de gouvernementalité imposent, interdisent, norment, dirigent, commandent, ordonnent et normalisent.
La «privatisation» de la gouvernementalité nous oblige à prendre en considération les dispositifs « biopolitiques » non étatiques. Depuis les années 1920, des techniques de gouvernance se développent à partir de la consommation. Elles se déploient avec le marketing, les sondages, la télévision, Internet, les réseaux sociaux, etc., qui informent la vie dans toutes ses dimensions. Ces dispositifs biopolitiques sont à la fois de valorisation, de production de subjectivité et de contrôle policier.

JD in black slip as white trash

LUTTE DE CLASSE : le capitalisme néolibéral a instauré une lutte de classe asymétrique, qu’il gouverne. Il n’y a qu’une classe, recomposée autour de la finance, du pouvoir de la monnaie de crédit et de l’argent comme capital. La classe ouvrière n’est plus une classe. Le nombre d’ouvriers a considérablement augmenté depuis les années 1970 de par le monde, mais ils ne constituent plus une classe politique et n’en constitueront plus jamais une. Les ouvriers ont bien une existence sociologique, économique, ils forment le capital variable de cette nouvelle accumulation capitaliste. Mais la centralité de la relation créancier/débiteur les a marginalisés politiquement de manière définitive. À partir de la finance et du crédit, le capital est continuellement à l’offensive. À partir de la relation capital/travail, ce qui reste du mouvement ouvrier est continuellement sur la défensive et régulièrement défait.
La nouvelle composition de classe qui a émergé tout au long de ces années, sans passer par l’usine, est composée d’une multiplicité de situations d’emploi, de non-emploi, d’emploi intermittent, de pauvreté plus ou moins grande. Elle est dispersée, fragmentée, précarisée, et elle est loin de se donner les moyens d’être une « classe » politique, même si elle constitue la majorité de la population.
Comme les barbares à la fin de l’Empire romain, elle opère des incursions aussi intenses que rapides, pour se replier immédiatement après sur ses « territoires » inconnus, notamment aux partis et aux syndicats. Elle ne s’installe pas. Elle donne l’impression de tester sa propre force (trop faible encore) et la force de l’Empire (encore trop forte) et elle se retire.

FINANCE : de pléthoriques débats inutiles occupent journalistes, experts économiques et personnel politique : la finance est-elle parasitaire, spéculative ou productive? Controverses oiseuses parce que la finance (et les politiques monétaires et fiscales qui vont avec) est la politique du capital.
La relation créancier/débiteur introduit une discontinuité forte dans l’histoire du capitalisme. Pour la première fois depuis que le capitalisme existe, ce n’est pas la relation capital/travail qui est au centre de la vie économique, sociale et politique.
En trente ans de financiarisation, le salaire, de variable indépendante du système, s’est transformé en variable d’ajustement (il est toujours à la baisse tandis que la flexibilité et le temps de travail sont toujours à la hausse).

TRANSVERSALITÉ : ce qu’il faut souligner, ce n’est pas tellement la puissance économique de la finance, ses innovations techniques, mais bien plutôt le fait qu’elle fonctionne comme un dispositif de gouvernance transversal, transversal à la société et transversal à la planète. La finance opère aussi transversalement à la production, au système politique, au welfare, à la consommation.
La crise des dettes souveraines confirme, approfondit et radicalise selon une pente autoritaire les techniques transversales de gouvernement, puisque « nous sommes tous endettés ».
Maurizio Lazzarato
Gouverner par la dette / 2014
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Éditions les Prairies ordinaires

Également sur le Silence qui parle :
Abécédaire Foucault / Alain Brossat
Abécédaire Foucault : présentation à la librairie Texture vendredi 27 juin, Paris

Catégorie Foucault

Catégorie Lazzarato

Images : Cosmopolis / David Cronenberg et Margin Call / JC Chandor

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Discussion autour du livre d’Alain Brossat Les serviteurs sont fatigués (les maîtres aussi) / Alain Naze

Le nouveau livre d’Alain Brossat peut être envisagé comme la reprise et le prolongement d’une réflexion entamée naguère, quant à la relation maître/serviteur, dans le cadre d’un précédent ouvrage, Le serviteur et son maître. Essai sur le sentiment plébéien . Nous aurons l’occasion d’évoquer les modifications d’inflexion entre ces deux moments, dont on pourrait dire qu’ils mettent en scène deux époques bien différentes de ce rapport. C’est qu’Alain Brossat envisage en effet le rapport maître/serviteur, comme un « invariant », en tant que « principe d’intelligibilité » , qui, traversant des types de rapports diversement identifiés, constituerait leur commun, malgré tout, c’est-à-dire lors même qu’on n’identifierait pas, a priori, ce commun. Autrement dit, si le rapport maître/serviteur est bien de l’ordre de l’immémorial, il ne manque de s’insinuer, également, dans les rapports entre capitalistes et prolétaires, quand bien même la pensée marxiste considérerait le rapport maître/serviteur comme dépassé pour l’essentiel dans le cadre de la modernité. A négliger cette dimension d’immémorial, rétif à toute substantialisation dans un type de rapports sociaux déterminés, le risque alors serait évident d’ouvrir la voie à une sorte de Grand Récit de l’émancipation des opprimés à partir de la figure du prolétaire, en faisant passer par pertes et profits les luttes plébéiennes du serviteur ingouvernable. Qu’on songe seulement à la violence de Marx à l’égard du Lumpenproletariat. Or, à insister sur le caractère immémorial du rapport maître/serviteur, le nouveau livre d’Alain Brossat laisse entendre qu’un petit récit, têtu, ne cesse pourtant de s’inscrire dans les marges de l’Histoire – petite musique plébéienne que l’orchestration dialectique de l’histoire tend à étouffer, mais qui parvient pourtant à percer, par intermittences, dans notre modernité, et selon des modalités différenciées. Et c’est bien là l’objectif affirmé de ce livre : « Tenter de discerner la façon dont l’immense continent perdu de la lutte qui oppose le maître au serviteur affleure constamment, dans le moderne et le contemporain sous le vocabulaire fossilisé de la lutte des classes, dans les failles du discours hégémonique de la cohésion sociale [...] » . Or, une telle attention est celle que requièrent les surgissements inopinés, intempestifs de la plèbe elle-même – dont on pourrait alors dire que, pour surgir éventuellement dans le cadre d’un rapport de classes de type capitaliste, elle le déborde cependant, dans la mesure même où dans cet affrontement il en va d’une actualisation du rapport maître/serviteur. Cette nécessité de discerner ce qui fait signe, dans notre présent, vers ce rapport immémorial, c’est ce qui conduira l’auteur à rapprocher, dans une certaine mesure (c’est-à-dire aussi à opérer les différenciations nécessaires) la figure de l’émeute de celle de l’argumentation, cette dernière dont les personnages de Figaro et de Jacques (le fataliste) avaient alors permis de cerner les contours.

Que l’émeute soit aujourd’hui devenue le théâtre de l’irruption, sur la scène publique, d’une voix discordante, brisant le consensus, échappant aux conditions du « dialogue social », c’est pourtant ce qui doit se penser dans un rapport de continuité – certes paradoxal, contrarié – avec l’ancienne capacité du plébéien à faire triompher sa cause au moyen de l’argumentation. C’est que le fond de la cause défendue reste le même, celui de l’affirmation d’une « appartenance au commun », celui qu’Alain Brossat énonçait ainsi dans Le serviteur et son maître, c’est-à-dire lorsqu’il envisageait l’inscription du plébéien sur le terrain, non de la bataille, mais de la parole : « Le jeu du plébéien est très précisément celui qui consiste à mettre en place un dispositif stratégique dans lequel l’égalité, le principe d’équivalence universelle de tout humain avec tout autre sera présenté comme cela même qui est l’objet du litige, cela même qui fait l’objet d’un déni et d’un refoulement obstiné de la part des maîtres » . Se situant alors sur le terrain de la parole, le plébéien (Figaro chez Beaumarchais, Jacques, chez Diderot) participe bien alors des formes de pacification propres au processus de démocratisation moderne, mais comme un pôle de résistance, dans le cadre d’une relation maître/serviteur sans cesse en cours de recomposition, à la manière d’une « réserve de légitimité inépuisable » . Sur cette base de la maîtrise de la langue, il suffira alors à un serviteur de parler et raisonner (comme tout être humain en a la capacité) « pour brouiller la relation immémoriale – en apparaissant comme maître de la langue face à un maître emprunté » . Or, cette rétivité, cette ingouvernabilité vont devoir se redéfinir, lorsqu’aux « échanges verbaux » du Mariage de Figaro et de Jacques le fataliste vont se substituer, comme c’est le cas aujourd’hui, « le dispositif général de la communication » . Dès lors, en effet, les enjeux de cette lutte immémoriale entre le maître et le serviteur vont devenir confus, rendant ainsi impossible une maîtrise plébéienne sur le terrain du langage. Comme l’indique Alain Brossat, « la “communication” est ce qui permet à la langue des maîtres de reprendre barre continuellement sur les dispositions, les pensées, les paroles et les gestes des serviteurs en les enveloppant dans des façons de dire, des syntagmes brevetés, des régimes de répartition du vrai et du faux, des formules “correctes”, des “éléments de langage” – bref tout un régime d’infiltration et d’emmaillotage de leurs modes de pensée et d’agir destinés à produire une sorte de maximum de conformité discursive et donc de docilité » . La pacification démocratique prend alors la forme du « consensus anomique » , ce qui signifie alors que l’entente entre serviteurs et maîtres se déplace sur le terrain de l’impensé – cet accord est au fond extorqué à travers les syntagmes faussement descriptifs par lesquels règnent les maîtres, en ce qu’à les employer, fût-ce dans une intention critique, on en reproduit nécessairement la logique aliénante : « la crise », « le terrorisme », « le dialogue social », « les flux migratoires », « la sécurité », etc . On comprend que la parole ne peut plus dès lors constituer, pour les plébéiens, le moyen d’une affirmation du principe d’égalité selon lequel un homme vaut un homme : « Les plébéiens d’aujourd’hui sont écartelés entre les idiomes qui les enferment, les épinglent, les dévalorisent, les ethnicisent ou les folklorisent (le langue des cités) et la parole standard de la “communication” – le sabir du pouvoir et des élites mis en partage par les médias” . Dans ces conditions, on comprend bien que ce sont dès lors les corps qui, dans leur surgissement, viennent exhiber l’insupportable, et non plus le langage qui vient le présenter – à ce moment, “l’émeute se substitue à l’altercation” . Que toutefois, à travers le langage et l’argumentation, jadis, et au moyen de l’émeute, aujourd’hui, on ait bien à faire au plébéien, aux prises avec son ou ses maître(s), c’est notamment ce qu’indique le fait que, dans les deux cas, il ne s’agit pas pour le serviteur de se transformer en maître – il ne veut pas le pouvoir, mais il cherche seulement à faire entendre son appartenance au commun. On se trouve bien ici, par conséquent, face au plébéien, qui ne s’identifie nullement au prolétariat, qui ne se sent investit d’aucune tâche historique – ce qu’Alain Brossat indique de cette manière : « [Le plébéien] énonce avec netteté, parfois véhémence, ce qui ne peut plus durer, mais son énergie ne s’investit pas dans un de ces ambitieux programmes de destruction/réédification que l’on a vu prospérer aux XIXe et XXe siècles. Il aspire à l’autonomie, à la reconnaissance de son intégrité (comme personne humaine), il n’est pas en marche vers la conquête du pouvoir » . En ce qui concerne notre temps présent, on dira que l’émeute n’est pas davantage la recherche d’une prise de pouvoir, et qu’ainsi elle maintient la violence plébéienne à l’écart de toute tentative qui chercherait à opérer une captation allant dans ce sens – mais il est vrai que les choses ont bien changé et qu’en passant du langage à l’émeute, la « condition ensoleillée du serviteur » a laissé place à un « corps souffrant » C’est qu’entretemps, la distance entre le serviteur et son maître s’est accrue comme jamais, ne serait-ce qu’à travers le fait de ne plus partager une langue commune. Des corps souffrants se substituent par conséquent à cette forme d’allégresse du serviteur, qui, sans même recourir à la violence vive, défaisait les prétentions immémoriales du maître, ou, comme l’écrit l’auteur, « évid[ait] la maîtrise en mettant les rieurs de son côté » . La figure du plébéien est par conséquent toujours présente dans celle de l’émeutier, mais c’est son inefficacité à enrayer le pouvoir de maîtrise qui nous frappe. La révolte de la servante, humiliée dans la suite 2806 du Sofitel de New York, ne trouve pas même à se dire sur le terrain de la justice institutionnelle – le mépris infini avec lequel DSK traite cette femme de ménage, noire, migrante d’un pays africain, se trouve redoublée par l’impossibilité de porter le litige sur la place publique. Comme le souligne Alain Brossat : « A ce mépris ne peut répondre qu’une fureur et une rage dont les moyens d’expression non violents dans les espaces publics sont à peu près nuls » . S’il est une tâche urgente pour notre présent, par conséquent, ce serait bien celle qui consisterait à trouver les moyens de faire déjouer les effets de pouvoir qui réduisent la plèbe à l’impuissance. Non pas pour que cette plèbe endosse un projet de domination (car alors elle se nierait comme plèbe, en se substantialisant), mais pour qu’elle développe de nouveaux moyens d’enrayer les processus de pouvoir produisant de l’humiliation.

Prolongeant cette référence à « l’affaire DSK », et pour ouvrir la discussion, on peut se pencher un instant sur la question du rapport maître/serviteur susceptible de traverser, de manière spécifique, la relation hommes/femmes. Il ne peut s’agir en cela, bien évidemment, de réduire le rapport hommes/femmes à une question de « rapports de sexes » calqués sur le modèle des rapports de classes dans le cadre de la théorie marxienne. Autrement dit, si les relations entre les hommes et les femmes sont susceptibles, partiellement, et selon des occurrences toujours singulières, d’être considérées à partir de cet immémorial qu’est le rapport maître/serviteur, c’est précisément parce que « la » femme, dans ce rapport, ne saurait être assimilée, sans autre forme de procès à « la prolétaire du prolétaire ». Disant cela, je pense en particulier aux situations dans lesquelles règne une forme d’égalité sociale à l’intérieur d’un couple homme/femme, sans cependant empêcher l’émergence d’une figure de la conjugalité comme domesticité, irréductible cependant au rapport bourgeois/prolétaire – la répartition des tâches domestiques au sein de ce couple, par exemple, pourra fort bien reproduire les modalités immémoriales de la division sexuelle du travail. Dans ces conditions, et en en restant à l’exemple de DSK, l’attitude de l’agresseur se trouverait surdéterminée en ceci que son mépris social à l’égard de la femme de chambre Nafissatou Diallo se trouverait redoublé par le fait qu’il s’agit d’une femme – en cela, il y aurait une modalité spécifique du rapport maître/serviteur qui trouverait l’occasion de s’actualiser, dans le cadre de certaines formes de rapports hommes/femmes. C’est en ce sens, me semble-t-il, qu’on peut saisir la remarque d’Alain Brossat, selon laquelle les figures féminines prises par le personnage du serviteur (« la bonne, la servante, la domestique ») nous enseignent que « les enjeux du genre sont ici […] cruciaux » . Plus précisément, lorsqu’il est question de « l’enjeu [de] la prédation sexuelle », la question du genre est évoquée dans ce livre en lien avec celle de la sexuation, et non pas en lieu et place de cette dernière : « Ce n’est pas seulement ici [la question de] la sexuation de la relation qui est en jeu, mais aussi celle du genre – le masculin comme composante de la maîtrise et le féminin comme accompagnement de la subalternité [...] » . Cet écart entre sexe et genre est donc bien ouvert par cette remarque, mais il me semblerait intéressant d’envisager un renversement d’accent dans la relation, en soulignant alors plutôt que dans « l’affaire du Sofitel », ce n’est pas seulement une question de genre qui est en jeu, mais aussi une question de sexuation (et pour éviter tout risque d’essentialisation à cet égard, précisons : les dites femmes et les dits hommes). Autrement dit, que le rapport homme/femme, sur le mode du rapport immémorial maître/serviteur ait suffisamment été pensé sous l’angle de la sexuation, pour devoir laisser à présent la première place à un questionnement sur le genre (entendu à partir de l’opposition masculin/féminin renvoyant à l’opposition maîtrise/subalternité), cela ne me semble pas aller de soi. En effet, le rapport de sexuation a bien souvent été plutôt considéré selon l’axe des « rapports de sexes », eux-mêmes envisagés sur le modèle des « rapports de classes », et par ailleurs, le modèle d’émancipation, pour les femmes, a surtout été celui d’une égalisation des conditions selon un principe universaliste, où l’universel, de fait, s’identifiait, pour l’essentiel du moins, au masculin. C’est par exemple le fait, pour les femmes, de travailler en dehors de l’espace domestique (à l’image de ce que faisaient généralement les hommes) qui fut valorisé, et si, en effet, c’était bien là pour elles le moyen d’acquérir, notamment, une forme d’autonomie financière, ce fut aussi souvent ce qui entraîna pour les femmes la nécessité de fournir une double journée de travail. Par ailleurs, cette valorisation du travail des femmes hors du milieu domestique n’a pas manqué d’entraîner un jugement négatif à l’égard des « femmes au foyer », au bénéfice d’une nouvelle normativité, comme si elles étaient nécessairement les tenantes d’un modèle archaïque, heureusement dépassé par les progrès de l’émancipation féminine. C’est le Grand Récit, là encore, qui menace d’étouffer les petits récits où peut-être, pourtant, se dirait quelque chose d’essentiel des modalités par lesquelles les femmes, dans le rapport maître/serviteur qui affleure au sein des relations hommes/femmes, inventent des moyens pour enrayer le pouvoir du maître. Les stratégies que les femmes, dans leurs rapports aux hommes, peuvent être amenées à utiliser pour subvertir le rapport maître/serviteur ne sont pas sans rapport avec les jeux d’argumentation que Figaro pouvait utiliser, si elles ne se confondent pas avec eux cependant – et, en cela, la figure de la plèbe qui se dégage ici revêt des traits incontestablement sexués, vers lesquels feraient signe ces mots de Pasolini, malgré leur dimension provocatrice : « Il est vrai que pendant des siècles, la femme a été exclue de la vie civile, des professions, de la politique. Mais en même temps elle a joui de tous les privilèges que l’amour de l’homme lui donnait : elle a vécu l’expérience extraordinaire d’être servante et reine, esclave et ange. L’esclavage n’est pas une situation pire que la liberté, elle peut au contraire être merveilleuse » . Bien sûr, l’esclavage est à entendre ici dans un sens métaphorique, la figure désignée à travers ces mots étant bien plutôt celle des femmes comme servantes des hommes. Dans ces conditions, les mots de Pasolini indiqueraient les possibilités de gestes discrètement subversifs dont cette figure de la servante serait riche – elle qui, à aucun moment n’envisage l’acquisition d’une position de maîtrise.

Si la relation entre Julien Sorel et Madame de Rênal, est placée par Alain Brossat dans un rapport d’opposition avec celle que Marx entretenait avec sa bonne, et qui le conduisit à lui faire un enfant, c’est que cette opposition met bien en évidence une spécificité sexuelle, une dissymétrie, à travers laquelle un amour égalisateur des conditions s’avère possible entre Madame de Rênal et Julien, qui occupe pourtant à ce moment-là une position équivalente à celle du serviteur, alors que la seconde forme de relation, entre Marx et sa domestique, ne peut être que de prédateur à proie. Certes, mais en revanche, l’inscription de cette dissymétrie sexuée au sein d’une inégalité des conditions sociales, dans les deux cas, me semble empêcher de penser la relation immémoriale maître/serviteur (au-delà de la relation empirique maître/servante, donc) comme susceptible de s’incarner, sous certaines conditions, dans le cadre des relations hommes/femmes en tant que tel, indépendamment de la question du statut social. La tâche qui me semble encore à effectuer, de ce point de vue, serait celle consistant à isoler la relation sexuée pour en étudier les formes spécifiques que la relation maître/serviteur peut y prendre, en venant s’y incarner, avec les gestes de contre-conduites, eux-mêmes spécifiques, qui en découleraient.

Pour finir, j’aimerais évoquer un extrait d’un récit tiré du livre d’Afdhere Jama, intitulé Citoyens interdits. Les minorités sexuelles dans les pays musulmans, pour ce qu’il indique des stratégies que certaines femmes sont conduites à déployer, dans le cadre d’un rapport maître/serviteur, s’inscrivant ici dans le cadre des valeurs propres au patriarcat – gestes de contre-conduites qui, toutes spécifiques qu’elles soient, me semblent faire écho aux stratégies langagières de Figaro ou de Jacques, le personnage du roman de Diderot, mais aussi aux émeutes contemporaines, pour les corps souffrants que, parfois, ces stratégies conduisent à jeter dans la lutte. Il s’agit en l’occurrence de l’histoire de Fatma, femme libanaise attirée sexuellement par les femmes : « Quand elle eut dix-sept ans, son père la maria à un homme qui avait plus de deux fois son âge. Elle ne fut pas forcée mais elle se sentit contrainte par sa culture. “Ce fut une situation très difficile à accepter au début parce que je savais que j’étais lesbienne, dit-elle avec des larmes dans les yeux. Je ne pensais pas que cela poserait problème. Je pensais “Je peux toujours faire semblant”. Après tout, je connaissais toutes ces femmes dans ma famille qui n’étaient pas satisfaites sexuellement”. Pour Fatma, le mariage pouvait s’avérer être une chance en soi. “Pour la première fois, j’allais obtenir une forme de liberté dans ma vie, dit-elle. J’avais imaginé pendant si longtemps une vie loin de mon père. Et même si j’étais lesbienne, je savais que la seule porte de sortie serait le mariage. Je sais que cela semble contradictoire mais en réalité, c’est la vérité. J’ai donc accepté le mariage dans l’intention d’avoir enfin une vie loin de ma famille” » .

L’idée d’introduire le principe explicatif constitué par le rapport maître/serviteur dans l’analyse des rapports hommes/femmes ne doit pas nous conduire à identifier les hommes, en tant que tels, à des oppresseurs visant à soumettre les femmes, bien évidemment. Il s’agit seulement d’indiquer un immémorial propre au rapport hommes/femmes qui n’est pas sans consoner avec l’immémorial rapport maître/serviteur. Ce qui n’exclut pas, de manière tout aussi évidente, qu’il y ait des hommes n’ayant aucune intention d’entretenir un rapport de domination à l’égard des femmes. Malgré tout, cela n’empêche pas, structurellement, que chacun de ces rapports immémoriaux parvienne à se frayer un passage, nolens volens. Il me semble que privilégier en cela une analyse en termes de genre, de préférence à une analyse en termes de sexuation, ce serait prendre le risque de dissoudre les modalités sexuées de l’immémorial rapport maître/serviteur dans les modalités socio-économiques de cet immémorial, et ainsi courir le risque de manquer le renforcement de la dissymétrie entre le maître et le serviteur, lorsque ce dernier est identifié comme une femme.

Alain Naze
Discussion autour du livre d’Alain Brossat
« Les serviteurs sont fatigués (les maîtres aussi) »
/ 2013
Publié sur Ici et ailleurs
Sur le Silence qui parle :
Maîtres et serviteurs – nouvelle donne ? 1 et 2 / Alain Brossat

Discussion autour du livre d’Alain Brossat Les serviteurs sont fatigués (les maîtres aussi) / Alain Naze dans Agora the-servant21

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