un film de Marco Candore
avec (par ordre d’apparition) :
Vincent de Larose, Evelyne Neuvelt, Dan Tesk, Ernesto del Vargas,
Ivy Velvet, Anaïs Bé, Aude Antanse, Marco Candore (texte & voix)
réalisation & montage Marco Candore et Cherif Filali
musique Alain Engelaere
production Mécanoscope / décembre 2013
En agencement avec le numéro 80 de la revue
Chimères : « Squizodrame et schizo-scènes«
« Il y a deux manières de voir un film, ou bien on le considère comme une boîte qui renvoie à un dedans et alors on cherche ses signifiés, et puis si l’on est encore plus pervers ou corrompu, on part en quête du signifiant, ou bien on considère ce film comme une petite machine asignifiante. Comment ça fonctionne pour vous ? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne se passe, prenez un autre film… Cette autre vision est une vision en intensité. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter. Cette manière de voir en intensité, en rapport avec le dehors, flux contre flux, machine avec machine, mise en fonctionnement avec autre chose, n’importe quoi… c’est une manière amoureuse… » / Gilles Deleuze
Trou noir, figure de l’absen-t-ce, de l’effacement, de la masse manquante et du vide. Affabulations, réminiscences ou fantasmes, délire des mondes ; machine à rêves et d’écritures, Lipodrame ne raconte pas une histoire en particulier mais plusieurs, potentielles, tout à la fois.
« J’ai connu Pepe Giuliano quand elle était à Paris, et fréquentait les Chevaliers de Notre-Dame de l’Anarchie, une confrérie ultra-secrète dont les buts étaient si obscurs que ses membres eux-mêmes ne savaient pas ce qui les réunissaient, le nom même de la société ne semblaient rien signifier. Ils ne semblaient pas vraiment avoir le sens de l’humour, enfin je n’en sais trop rien, je ne les ai jamais vus, j’en ai peut-être croisés en draguant Pepe mais par définition, je ne peux pas le savoir, la clandestinité absolue n’est-ce pas. »
Il était une fois une coïncidence qui était partie faire une promenade
avec un petit accident. / Lewis Carroll
En guise de. Lipodrame est un court métrage de quinze minutes, tourné sans scénario. C’est aussi un film caché dans / pour un autre film à venir (plus long en métrage ; mais quid du métrage avec le numérique ? à méditer).
Cornet : à dés, pistons, acoustique, de frites. « Faire » des images sans vraiment savoir où / vers quoi elles mèneront. Intuition vague problématique en forme de : spirale ; des disques de vinyle ; des galaxies – au centre, le trou noir dévore tout et poussières et étoiles s’y précipitent – ; tango-vertigo des lavabos et des latrines (plus ou moins étranges histoires trouées telles : un fromage suisse ou la surface lisse d’un espace-temps recomposé), gobant fluides et autres matières pour de longs et poétiques et incessants voyages de jour comme de nuit en de mystérieux tuyaux où guettent toutes sortes de minotaures et êtres aux aguets. Pavillon de l’oreille autre spirale et feuille timbrée à l’affût et tout dans le noir en case départ.
Jeu-dé, jeté-e. Donc on jette les dés, le hasard et toute la clique de l’éternel retour qui n’en finit pas de revenir ni tout-à-fait-le-même-ni-tout-à-fait-un-autre, on a des musiques, des ritournelles obsessives, des bruits de toutes sortes dans la tête, mais aussi un fantasme de silence, un désir impossible du silence impossible ; une voix viendra, elle vient toujours. Qu’est-ce que c’est au juste, cette, heu, chose ? Il n’y a pas d’histoire, seules des cartes rebattues, redistribuées, combinant des potentialités. Is That Jazz. Est-ce du cinéma. Il y a bien une caméra, des lumières, des acteurs, de la musique et du mouvement – même celui, à peine perceptible, d’une respiration, les battements de cils de deux yeux clos feignant le sommeil. Capture de micromouvements. Voler l’image.
Bande de pillards. Puis vient une voix, elle vient toujours celle-là, pour raconter, là où il n’y a rien a priori. La galerie des portraits ne propose rien mais un chemin se fait, qui surtout ne doit pas trop dire, trop remplir. Laisser du vide, du neutre – relatif. Une petite machine asignifiante. La voix donnant un semblant d’ordre, de sens, même et surtout si « tout est faux ». La fable est ténue et persistante. Mais il est possible, tout aussi bien, de raconter tout autre chose sur ces mêmes images. Pillage de visages et de corps, de mots, de jeu de citations, sans procédé ni méthode ou modèle. La voix, les mots, les noms sont venus après, au fil de la plume du montage. Puis celui-ci s’est calé sur la voix puis inversement ou le contraire. Ainsi de suite.
Il n’y a pas vraiment de personnages, juste des noms, des vitrines sans boutique. Statut du décor de théâtre / de cinéma. Derrière, la coulisse, les loges avec des tables à repasser, des tickets de caisse à se faire rembourser, des issues de secours, et la rue où passent le temps réel et le monde. Réel ? Tom Bom, Ricki Pompola, Carmen Tortillas (dite aussi Pepe Giuliano ou Dolores ou Maria ou Mariem ou Fleur-de-Lotus entre autres), Ingeborg Vermeersson : des noms-machines, des noms-rhizomes, le magasin est la vitrine, le décor, les personnages n’ont pas d’autre profondeur que la surface offerte. Machines à continuer. En creux, par défaut, par une case vide, c’est là que se découvre un ou des passages, que peut se dérouler un des rubans possibles.
Marco Candore
Lipodrame (ou Comment j’ai réalisé incertain de mes films) / 2013
Extrait de l’article publié dans Chimères n°80