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Contre Dieudonné, mais sans Valls / Edwy Plenel

Dès 2008, Mediapart alertait sur l’antisémitisme obsessionnel de Dieudonné. Plus de cinq ans après, nous nous sentons d’autant plus libres de refuser le piège tendu par le ministre de l’intérieur, Manuel Valls : se saisir du prétexte Dieudonné pour porter atteinte à nos libertés fondamentales. Cette politique de la peur, qui instrumentalise un désordre contre la démocratie, est le propre des pouvoirs conservateurs.

Un crime se prépare, et nous n’en serons pas les complices. Oui, un crime, c’est-à-dire un attentat contre les libertés. En République, du moins en République authentiquement démocratique, la liberté d’expression est un droit fondamental, tout comme la liberté d’information. Ce qui signifie qu’on ne saurait censurer au préalable l’une ou l’autre de ces libertés essentielles. On est en droit de leur demander des comptes de ce qu’elles disent, de leurs opinions ou de leurs informations. De les poursuivre en justice, de les faire condamner par des tribunaux. Mais seulement a posteriori, sans porter atteinte a priori aux droits fondamentaux qui font la force, et non pas la faiblesse, des démocraties : le droit de dire, le droit de savoir.C’est avec cette tradition républicaine qu’entend rompre, pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, un gouvernement élu à gauche, essentiellement socialiste, à l’initiative de son ministre de l’intérieur, Manuel Valls. Dans la longue marche des libertés, où la gauche militante fut souvent aux premiers rangs, il fut acquis depuis un bon siècle que la loi ne pouvait interdire a priori un spectacle, quel qu’il soit. S’il créait des désordres, s’il portait atteinte à des personnes, s’il insultait et diffamait, l’arme démocratique ne pouvait être celle de l’interdiction administrative, où l’État s’érigeait en gardien des bonnes mœurs et des idées conformes. Seule la justice, jugeant publiquement et contradictoirement des faits après qu’ils eurent été commis, au grand jour et non pas dans le soupçon d’un procès en sorcellerie, peut les sanctionner.Or c’est cet héritage démocratique que la circulaire adressée le 6 janvier aux préfets par le ministre de l’intérieur entend remettre en cause (la télécharger ici en format PDF). Les « spectacles de M. Dieudonné M’Bala M’Bala » en sont le prétexte. Oui, le prétexte. Car la réalité délictuelle des spectacles de Dieudonné, militant antiraciste devenu propagandiste antisémite, n’a rien de nouveau. Nous nous en étions émus, ici même, fin 2008, après qu’il eut fait monter sur la scène du Zénith le négationniste Robert Faurisson pour lui décerner le « prix de l’insolence » dans une mise en scène clairement antisémite, assumant sans fard la diffusion d’une idéologie criminelle. Cinq ans après, Manuel Valls fait semblant de découvrir la perdition dieudonnesque et son abjection, au point de la transformer en sujet numéro un d’ordre public, loin devant les misères économiques, sociales, urbaines, qui minent et divisent le pays.À deux reprises, la circulaire Valls utilise l’adjectif « exceptionnel » pour qualifier ce qu’elle entend légitimer : une intervention de l’autorité administrative, de l’État, de ses préfets et de sa police, pour interdire les supposés spectacles de Dieudonné, devenus de fait meetings antisémites. Ce n’est pas un hasard, car il s’agit bien d’introduire un État d’exception au nom du combat, évidemment légitime, contre le racisme et l’antisémitisme. Mais c’est ici que s’ouvre le piège tendu à tous les démocrates et à tous les républicains, ce chemin où la liberté s’égare dans l’interdiction préalable de ceux qu’elle estime être ses ennemis, les ennemis de la liberté. S’égare et se perd durablement car, demain, après-demain, d’autres viendront qui énonceront leurs propres critères des libertés bienséantes et, du coup, se sentiront libres d’interdire sans frais ce qui les dérange ou leur déplaît.Seul le droit, et donc le juge, avec ses jurisprudences, ses instances, ses recours, ses débats contradictoires, ses héritages procéduraux, les lois, la Constitution française et les traités européens, peut protéger nos libertés. Laisser l’État en devenir le maître, de façon « exceptionnelle », c’est ouvrir la porte à l’arbitraire. « Quand une démocratie est attaquée dans ses fondements, elle se montre forte quand elle applique ses principes. Elle est faible si, face aux extrémismes, elle les abdique » : dans un communiqué lumineux, dont ce sont les deux premières phrases, la Ligue des droits de l’homme a, dès le 6 janvier, critiqué la voie empruntée par le ministre de l’intérieur, ces « interdictions préalables au fondement juridique précaire et au résultat politique incertain, voire contreproductif » (lire le communiqué intégral sous l’onglet « Prolonger »).La Ligue des droits de l’homme parle d’expérience. Née des combats fondateurs de l’affaire Dreyfus, contre l’antisémitisme français, la Ligue des droits de l’homme fut aussi marquée, à ses débuts, par le refus des « lois scélérates » par lesquelles la jeune Troisième République avait cru se défendre des attentats anarchistes en portant atteinte à la liberté d’expression des intellectuels de l’anarchie, de leurs idées et de leur propagande. L’un des jeunes juristes, auditeur au Conseil d’État, qui lui fournit alors l’argumentaire en droit pour refuser ce piège où la démocratie prétendait se défendre en se reniant n’était autre que Léon Blum, par la suite figure du socialisme français des origines et président du conseil du Front populaire.

La politique de la peur des néo-conservateurs
Avec Manuel Valls, mais aussi François Hollande qui l’a soutenu depuis un pays pourtant peu connu pour son attachement aux droits de l’homme, l’Arabie saoudite, ou Aurélie Filippetti qui, à cette occasion, transforme son poste en ministère de l’ordre culturel, avec Valls donc, nous sommes bien loin de cette tradition démocratique de la gauche française.
En revanche, nous sommes bien plus proches de la nouveauté politique incarnée, outre-Atlantique, par les divers courants néo-conservateurs qui, à droite comme à gauche, se saisissent des désordres apparents des nations et du monde pour restaurer des dominations ébranlées et fragilisées. Intellectuellement, l’argument invoqué pour interdire sans procès Dieudonné est le même qui, aux États-Unis, a légitimé le Patriot Act qui mit en cause les libertés fondamentales américaines au prétexte des attentats du 11 Septembre. Et, en pratique, le résultat sera aussi désastreux, produisant de nouveaux désordres plutôt que d’instaurer de durables apaisements.
C’est bien pourquoi les défenseurs des libertés s’alarment tout comme nous, sans pour autant faire l’once d’une concession à la posture victimaire prise par l’agresseur antisémite Dieudonné. Dans un entretien fort pédagogique au Monde, l’universitaire Danièle Lochak explique pourquoi « l’on doit se méfier de toute interdiction préventive prononcée par une autorité administrative », précisant : « C’est le prix à payer dans une démocratie qui entend veiller à la défense des libertés » (lire ici). Et, sur son célèbre blog « Journal d’un avocat », Maître Eolas s’en prend avec autant de rigueur juridique que d’humour dévastateur aussi bien à Dieudonné qu’à Manuel Valls, expliquant « pourquoi il ne faut pas faire taire Dieudonné mais ne pas l’écouter non plus » (lire là).
Enfin, à sa manière sobre au point de paraître abrupte, un ancien ministre de l’intérieur socialiste peu suspect de laxisme, Pierre Joxe, a laissé entendre, dès le 2 janvier, tout le mal qu’il pensait du chemin régressif emprunté par son successeur : « Peut-être que j’avais de meilleurs conseillers juridiques que lui… » (c’est à écouter, sous l’onglet « Prolonger », à 8 min 40 sec de la vidéo, avec, auparavant, une brillante illustration de ce que serait une authentique politique de gauche en matière de justice et de sécurité).
Imposant son duel avec Dieudonné comme le feuilleton médiatique du moment, Manuel Valls fait tout bêtement, et sinistrement, du Nicolas Sarkozy. Il exacerbe, hystérise, divise, dramatise, pour mieux s’imposer en protagoniste solitaire d’une République réduite à l’ordre établi, immobilisée dans une politique de la peur, obsédée par la désignation d’ennemis à combattre, tournant le dos à toute espérance transformatrice, authentiquement démocratique et sociale. Avec cette politique avilie, réduite aux émotions sans pensées, aux réflexes sans débats, aux urgences sans discussions, nous voulions en finir en 2012, et hélas nous y sommes toujours.
Sous Nicolas Sarkozy, dès 2009, nous nous étions retrouvés dans cette chanson de Rodolphe Burger qui proposait d’être, de nouveau, rassemblés « ensemble »« mais sans toi », ajoutait le refrain pour désigner celui-là même qui dressait la France contre elle-même.
Et c’est en repensant à cette chanson-manifeste que nous nous dressons, aujourd’hui, contre Dieudonné, mais sans Valls.
Edwy Plenel
Contre Dieudonné, mais sans Valls / 2014
Publié sur Mediapart le 7 janvier 2014
Lire également sur le Silence qui parle :
Dieudonné-Soral : l’anticapitalisme des imbéciles
La nécropolitique à la française / Beatriz Preciado
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Mediapart : l’affaire Bettencourt censurée par la justice de Versailles / Edwy Plenel

La cour d’appel de Versailles a ordonné à Mediapart, jeudi 4 juillet, de supprimer toute citation des enregistrements de l’affaire Bettencourt. Son arrêt nous interdit, de surcroît, de les mentionner à l’avenir. Trois ans après nos révélations, cette décision est bien plus qu’une atteinte à la liberté de l’information : c’est un acte de censure.

Trois magistrats ont donc rêvé la mort de Mediapart. Ils se nomment Marie-Gabrielle Magueur, président, Annie Vaissette, conseiller, Dominique Ponsot, conseiller, et siègent à Versailles, à la première chambre de la cour d’appel.  Dans une décision ubuesque, aussi aberrante factuellement qu’inconséquente judiciairement, ils nous ordonnent de supprimer, sur l’ensemble du site, tout extrait et toute retranscription des enregistrements du majordome qui sont à l’origine de l’affaire Bettencourt et nous interdisent d’en publier à l’avenir. Le tout à compter de huit jours suivant la signification officielle de l’arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et par infraction constatée.

À raison de 894 articles de notre Journal consacrés depuis juin 2010 à l’affaire Bettencourt et de 1 615 billets de blogs du Club où nos abonnés les commentent, sans compter les nombreuses vidéos évoquant ou citant les enregistrements, l’addition se chiffre rapidement en centaines de milliers d’euros et, si nous nous entêtions, en millions. Avec votre soutien, nous avons devant nous une petite dizaine de jours pour tenter d’empêcher qu’un voile noir portant le mot CENSURE ne vienne empêcher la lecture de tous nos articles et de tous vos billets sur l’affaire Bettencourt. Car, si nous allons évidemment nous pourvoir en cassation contre cet arrêt inique, cette décision est immédiatement exécutoire.

Il vous reste donc une grosse semaine pour tout savoir sur Mediapart (notre dossier complet est ici et ), tout y apprendre de cette affaire immensément exemplaire des pratiques oligarchiques qui ruinent notre République, tout en partager pour que nul n’en ignore à l’heure de l’horizontalité numérique. Et, sait-on jamais – car c’est, pratiquement, la seule solution –, pour faire comprendre, grâce à votre protestation massive, à Liliane Bettencourt, à sa famille, à son tuteur, à ses avocats, qu’ils doivent renoncer à faire appliquer cette décision qui sanctionne ceux-là mêmes qui, par leurs révélations, ont sorti Mme Bettencourt des mains de ceux qui abusaient de son état de faiblesse.

Car c’est l’énième folie de cette histoire qui n’en a jamais été avare : c’est à la demande de Liliane Bettencourt que cet arrêt est rendu (le lire ici en PDF), associée pour l’occasion à son ancien chargé d’affaires Patrice de Maistre, lui aussi demandeur (lire là ce second arrêt), dans une procédure qui visait aussi nos confrères du Point, également condamnés. Voici donc Mediapart curieusement récompensé par l’entourage de la troisième fortune de France pour son action désintéressée au service non seulement de la vérité mais de la protection d’une personne âgée, victime d’agissements qui sont au centre de l’instruction judiciaire de Bordeaux et dont les protagonistes ont, tous, depuis été contraints de quitter le service de la milliardaire. Et voici qu’outre la censure de nos informations, nous sommes condamnés à verser 20.000 euros à Mme Bettencourt pour « réparation du préjudice moral » !

L’affaire Bettencourt n’a cessé de nous révéler l’existence de deux justices en France. L’une qui accepte la vérité, l’autre qui la censure. L’une qui se soucie de l’intérêt public, l’autre qui veille aux puissants. L’une qui respecte les lanceurs d’alerte, l’autre qui ne connaît que l’entre soi des initiés. Ainsi, c’est le jour même où, à Bordeaux, l’ancien ministre et trésorier de l’UMP Éric Woerth et l’ex-gestionnaire de fortune Patrice de Maistre sont renvoyés devant le tribunal pour « trafic d’influence » (lire ici), que Mediapart apprend, à Versailles, qu’il doit supprimer les informations qui ont révélé à la France entière les faits en cause, dont s’est ensuite saisie la justice.

Non sans mal, puisque cette bataille pour la justice au sein même de la justice eut pour premier théâtre Nanterre, avec un procureur de la République s’acharnant à entraver la vérité durant quatre mois. Tout comme elle se poursuit aujourd’hui à Bordeaux avec les incessantes tentatives de déstabilisation et de récusation des juges d’instruction bordelais (Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël) à l’initiative des divers protagonistes – parmi lesquels, excusez du peu, l’ancien président Nicolas Sarkozy – dont nos informations ont révélé les arrangements intéressés, les conflits d’intérêts, les affaires imbriqués et le peu de cas dont ils faisaient des lois communes, parmi lesquelles la première d’entre elles, la loi fiscale.

Et il faudrait, sous le coup d’une décision aberrante, fût-elle institutionnellement de justice, supprimer trois ans après leur révélation toute évocation, mention, citation, recension, démonstration, etc., des faits qui ont provoqué le séisme Bettencourt ? De ces faits dont la justice s’est saisie et qui seront, un jour prochain, débattus en public devant un tribunal ? De ces enregistrements clandestins qu’elle a, de longue date, admis comme preuve matérielle des infractions qui l’occupent, par un arrêt du 31 janvier 2012 de la Cour de cassation ? De ces preuves sonores de l’état de faiblesse de Mme Bettencourt et, par conséquent, des abus auxquels il a pu donner lieu autour d’elle dont la fortune est incommensurable ?

Souvenez-vous de la tempête de l’été 2010. Sans les révélations de Mediapart, appuyées sur ces preuves justement, il n’y aurait pas eu cette « Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique », dont le rapport (à lire ici), sans effet immédiat hélas, ouvrait le débat dont s’est aujourd’hui saisi le Parlement sous le choc d’un autre dossier mediapartien, l’affaire Cahuzac. Sans la publicité donnée par notre enquête à cette fraude, il n’y aurait pas eu non plus le gain de plusieurs dizaines de millions d’euros par l’État après le redressement fiscal visant les avoirs offshore non déclarés de Mme Bettencourt. Sans notre feuilleton, il n’y aurait pas eu l’amorce de ce débat, désormais national, sur l’ampleur de l’évasion fiscale et sur ses liens avec des financements politiques illicites.

Sale temps pour les lanceurs d’alerte

La cour d’appel de Versailles n’a cure de tous ces arguments. Elle se contente, sans prendre la peine de l’étayer, de nous objecter les vies privées de Mme Bettencourt et de M. de Maistre que nous aurions violées, à notre tour, en dévoilant les faits découverts par le majordome de la milliardaire, Pascal Bonnefoy. Celui-ci n’a pourtant pas agi en voyeur mais en justicier : il voulait révéler les manigances et intrigues dont sa patronne faisait l’objet, quitte, pour cela, à avoir recours à ce moyen délictueux de l’enregistrement clandestin. De fait, l’expertise médicale ordonnée par les juges de Bordeaux – celle-là même que MM. Sarkozy, Woerth, de Maistre et consort tentent de faire annuler – lui a donné entièrement raison, confirmant que la milliardaire n’était pas maître de ses décisions. Quant à M. de Maistre, que les enregistrements suprennent dans son activité professionnelle de gestionnaire de fortune, laquelle couvrait notamment des délits d’évasion et de fraude fiscale, on voit mal en quoi son intimité privée est concernée.

Mais, surtout, les (sommaires) motivations de l’arrêt de Versailles font litière du droit de la presse, du droit fondamental à l’information, bref du droit de savoir des citoyens. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg, jusqu’à laquelle nous irons si d’aventure toutes les voies de recours sont épuisées, a pour jurisprudence constante de donner le pas à la légitimité d’une information d’intérêt public, c’est-à-dire dans l’intérêt du public et de la démocratie, sur les moyens éventuellement illégitimes ou déloyaux qui ont permis de l’établir. Sous condition, évidemment, de respect de cette haute ambition de souci du public dans la façon de produire cette information. Or c’est précisément ce à quoi a veillé Mediapart tout au long de l’affaire Bettencourt, écartant une vingtaine d’heures d’enregistrements du majordome pour ne garder qu’une grosse heure d’extraits, tous ceux qui attestaient de faits d’intérêts publics ainsi que nous le précisions dans la « Boîte noire » de tous nos articles (cette mise au point est reprise dans la « Boîte noire » ci-dessous).

Respectueux du droit de la presse, les premiers magistrats saisis en référé à Paris par Mme Bettencourt et M. de Maistre l’avaient bien compris qui, en juillet 2010, nous donnèrent raison, en première instance (l’ordonnance est ici), puis en appel (l’arrêt est là). Ce sont ces décisions qui ont, ensuite, été cassées par la chambre civile de la Cour de cassation, laquelle, érigeant en principe absolu l’intimité de la vie privée, indépendamment de tout contexte, de toute complexité publique et conflictualité démocratique, a sciemment ignoré le droit de la presse dont la chambre criminelle de la même Cour de cassation est le gardien habituel. Renvoyés devant la cour d’appel de Versailles, nous espérions que la justice reviendrait dans son lit naturel, celui du « droit de savoir » que la Cour de cassation n’a pas hésité à vanter dans son rapport annuel de 2010.

C’est tout l’inverse, avec une décision caricaturale qui ne prend même pas la peine de discuter vraiment les arguments de droit de nos avocats, Mes Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman (lire ici et leurs longues conclusions et, sous l’onglet « Prolonger » de cet article, les brèves motivations de l’arrêt de Versailles). Faut-il donc que l’audace de Mediapart ait été grande pour qu’on veuille à tout prix la punir, au risque du ridicule, trois ans après les faits ! L’audace d’avoir porté sans vaciller des vérités qui dérangeaient les affaires, opaques et secrètes, de tout un petit monde d’intéressés, de financiers, d’avocats, de politiques, bref de courtisans et de mercantis.

Quelle est donc cette insistante conjuration qui veut la mort du lanceur d’alertes alors même que tout un chacun a pu constater l’intérêt public de ses alertes, en l’occurrence nos informations ? Une conjuration qui, mystérieusement, survit aux conséquences de nos révélations sur l’entourage de Liliane Bettencourt. Car est-ce bien la milliardaire qui nous poursuit depuis 2010 ? L’expertise médicale ordonnée par les juges de Bordeaux n’a-t-elle pas confirmé les craintes de sa fille Françoise sur son état de santé ? N’a-t-elle pas établi que Liliane Bettencourt n’était pas totalement lucide depuis plusieurs années et que, par conséquent, rien ne garantit qu’elle soit clairement informée et consciente des poursuites engagées en son nom contre nous ? Et ses avocats n’ont-ils pas cessé de changer depuis, dans une valse à laquelle les faits révélés par les enregistrements du majordome ne sont évidemment pas indifférents ?

Faisant a priori confiance à la justice de notre pays, nous nous en étions alarmés par l’intermédiaire de nos avocats, le 23 avril dernier, dans une lettre à la juge des tutelles concernée du Service de la protection des majeurs, Stéphanie Kass-Danno (lire ici ce courrier). À ce jour, nous n’avons pas reçu de réponse, aucune, ne serait-ce qu’un accusé de réception. « Prétendre défendre la vie privée de Mme Bettencourt en taisant le processus délictueux dont elle était victime, écrivaient notamment Mes Mignard et Tordjman, relève d’une grossière hypocrisie qu’il nous est impossible de taire et à laquelle nous entendons donner la plus grande publicité. (…) Son comportement était vicié, d’une part en raison de sa pathologie et d’autre part en ce que tout son entourage s’évertuait à dresser un rideau de fumée afin que son état ne soit pas révélé. (…) L’enregistrement a certes pu causer un dommage mais ceci pour éviter un dommage bien plus grand encore. »

Sale temps pour les lanceurs d’alerte. Au moment où l’Assemblée nationale leur donne, timidement, droit de cité à l’occasion des projets de loi sur la transparence de la vie publique (retrouver ici l’article 17 du projet de loi), trois magistrats versaillais veulent leur couper la tête. Mais comment ne pas rapprocher ce rebondissement ubuesque de notre affaire du sort, autrement tragique, fait simultanément à Edward Snowden, ce lanceur d’alerte auquel nous devons la confirmation du mépris des puissances étatiques, et par-dessus tout de la plus puissante d’entre elles, l’étatsunienne, pour la vie privée des citoyens du monde ? D’échelle différente, les batailles n’en sont pas moins identiques.

Et leur enjeu n’est rien moins que la vérité au service de laquelle se doit une presse libre, indépendante et exigeante. C’est aussi à Versailles qu’en juillet 1898 fut condamné Émile Zola pour son « J’accuse…! » qui honore l’histoire du journalisme. Peine déjà ubuesque puisque d’un an de prison et d’une forte amende, qui l’amena à fuir en exil. Quand il revint en France, un an plus tard, sa dénonciation du crime commis contre l’innocent capitaine Dreyfus étant devenue vérité d’évidence, il refusa de triompher, mais demanda à la justice de « simplement dire s’il y a crime à vouloir la vérité ».

C’est, dans l’affaire Bettencourt, le seul crime de Mediapart : avoir voulu la vérité, sans laquelle il n’est pas de justice.

Edwy Plenel
l’Affaire Bettencourt censurée par la justice de Versailles / 4 juillet 2013
Publié sur Mediapart
Mediapart : l’affaire Bettencourt censurée par la justice de Versailles / Edwy Plenel dans Action the-secretary




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