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Gérer sa vie – De la force de travail au capital humain / Philippe Coutant

Ce travail part d’un constat : la norme a changé, aujourd’hui la norme est celle de « gérer sa vie ! », de « se gérer », auparavant, dans la période du capitalisme industriel, la norme était celle du travail. L’individualisme et la gestion ont tendance à prendre le dessus sur l’obligation de mobilisation du corps dans le travail. Notre hypothèse est que le changement de norme est une transformation liée à l’évolution du capitalisme industriel au capitalisme contemporain. L’industrie utilisait principalement le corps, aujourd’hui le système économique a besoin de l’esprit et de la subjectivité humaine pour faire fonctionner la production et la consommation de notre temps. Le capitalisme industrie fonctionnait dans une société disciplinaire, maintenant nous vivons dans une société de contrôle basée sur la liberté. La norme gestionnaire va de pair avec la conception de l’individu entrepreneur de lui-même si en vogue dans le néolibéralisme.

Gérer sa vie – De la force de travail au capital humain vient de paraître, on peut le commander auprès de l’auteur :

Philippe Coutant c/o Bellamy 17 – 17 rue Paul Bellamy 44000 Nantes

Prix libre pour les précaires – 5 Euros si vous avez un peu de thunes – 10 Euros si vous avez un revenu

1libertaire@free.fr

Retour temporel sur quelques métamorphoses
La notion de capital humain a été proposée et développée par les économistes libéraux de l’Ecole de Chicago, dont Gary Becker. Une des figures les plus connues de ce courant de pensée est Milton Friedman. Ils ont été des militants actifs du néolibéralisme, la version la plus récente du capitalisme globalisé et mondialisé. Ce sont eux qui ont inspiré « La stratégie du choc » de Naomi Klein, notamment. Cet article a pour origine un texte écrit suite à un appel à contribution d’une revue universitaire canadienne pour un numéro sur « Le capital humain trente ans après ». Gary Becker a eu le prix Nobel d’économie en 1992 pour son travail sur le capital humain. Il s’était fait une spécialité de faire entrer dans l’économie la vie quotidienne comme la scolarité, le nombre d’enfants, les liens familiaux et les relations affectives ou le domaine du don d’organe. La notion de capital humain était censée expliquer la différence de développement entre les Usa et les autres pays. L’écart viendrait du fait que les Usa ont plus de capital humain que les autres pays et que celui-ci serait de meilleure qualité. Si on admet ce point de vue, la domination impérialiste n’y serait pour rien, ce qui est une autojustification, une autoglorification facile de la part des dominants américains.
Pour aborder la question du capital humain trente ans après, nous partirons d’une question apparemment naïve : « Gary Becker est-t-il un grand-père heureux ? ». Elle se pose parce que les notions de capital humain et celle de capital ont essaimé dans toute la société. En effet, pour le sujet d’aujourd’hui tout est capital : son capital santé, son capital jeunesse, son capital temps, son capital relationnel, son capital érotique, son capital image, son capital sympathie, son capital de créativité, etc. Tout est capital parce que tout se gère, le paradigme gestionnaire concerne tous les domaines de la vie. Gérer sa vie est devenu un axe qui nous place d’emblée dans une ambiance particulière où la notion de capital humain fait partie du sens commun. Cette diffusion s’est accompagnée d’un glissement de sens. Gary Becker s’exprimait dans le cadre de la connaissance théorique de l’économie. Il analysait le calcul rationnel propre au fonctionnement du capital humain. Aujourd’hui, cette notion s’est banalisée et s’est diffusée dans notre vie sans se référer à un calcul économique rationnel et comptable. Ce concept a tendance à devenir un synonyme de ressources humaines et est admis comme tel. C’est ce changement de sens que nous souhaitons étudier. La banalisation de l’usage de la notion de capital humain n’est pas contestable, mais ce succès comporte une perte. D’un côté, nous repérons une altération du concept par la sortie du champ de l’étude intellectuelle en économie qu’avait mené Gary Becker. De l’autre côté, nous constatons la puissance d’une norme qui nous enjoint de gérer notre vie dans le contexte de liberté du capitalisme contemporain. Le triomphe de l’utopie néolibérale s’accompagne d’un effacement de ce qui lui a servi de base dans la théorie économique. L’idéologie de notre temps ne retient que la norme gestionnaire, norme qui touche tous les aspects de la vie. Par exemple, nous devons être capables de gérer nos enfants, notre vie professionnelle, la séparation de notre couple et plus tard notre retraite et notre fin de vie.
Ce transfert de l’analyse savante vers le sens commun est corrélé à l’évolution de notre société nommée néolibéralisme ou capitalisme néolibéral pour le différencier de l’ancien libéralisme. Les mots du capitalisme sont passés dans le langage courant. L’existence du capital humain et l’injonction de gérer sa vie sont devenues des évidences. Pourtant associer capital et humain, voir la vie sous l’angle de la gestion ne vont pas de soi, parce que la vie humaine n’est pas a priori une donnée économique qu’il faut gérer, ce n’est pas non plus un bien à préserver ou à faire fructifier. La vie n’est pas une somme d’argent. Appréhender la vie comme un capital est une idée assez récente, c’est cet axiome que nous allons tenter de comprendre. Philippe Coutant (extrait d’un article de 2012)

Télécharger le texte intégral : fichier pdf De la force de travail…

Photo : Cosmopolis / Cronenberg d’après DeLillo

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