Archive pour le Tag 'Désir'

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L’Art de la sieste / Thierry Paquot

(à la manière de G.P.)

Je me souviens, à la frontière irano-afghane, sur la route de Meched à Hérat, de la queue des cars, des voitures, des taxis, des chevaux, des routards, qui attendaient la fin de la sieste des douaniers afghans pour continuer leurs pérégrinations.

Je me souviens, dans la grande mosquée des Omeyyades, à Damas, de musulmans endormis, se protégeant de la forte chaleur, et siestant, sous la protection d’Allah.

Je me souviens de mon plaisir, proche de la gourmandise, à raconter un livre à Aurélie, ma fille, pour qu’elle entre dans sieste parée d’histoires et d’images. Après quelques mois de lectures choisies (ah ! Max et les maximonstres), je me croyais rodé et pourtant, malgré moi, mes yeux aussi se fermaient, je roulais sur l’étroit lit et nous dormions paisiblement. Ce temps est à jamais révolu…

Je ne me souviens pas du tout de ma première sieste.

Je me souviens de siestes, à même le sable de la plage des Porteaux, à l’île d’Yeu, où j’étais bercé, à la fois par le chant rythmé de la mer et le gazouillis des enfants, édifiant d’invraisemblables châteaux de sable…

Je me souviens, avec C., endormis, entrelacés, sur un matelas pneumatique bleu, face à une mer bleue teintée de vert, sous le ciel bleu et brillant de l’été breton, après l’amour. J’en ai, à nouveau, l’eau à la bouche…

Je me souviens d’une sieste inconfortable, dans un minibus surchargé, entre Douala et Yaoundé, serré – coincé serait plus juste, tel un frêle morceau de bois dans la mâchoire inflexible d’un étau d’acier – entre deux impressionnantes matronnes, qui ne cessaient de converser.

Je me souviens d’une sieste interrompue par un léger tremblement de terre, à proximité du lac de Van, à l’est de la Turquie.

Je me souviens d’une sieste impossible, dans un « hôtel » en plein air, près de Mokka, au Yémen, où, dévoré par les moustiques, immobilisé par une chaleur épaisse et dense, je ne pus fermer l’oeil…

Je me souviens d’une sieste voluptueuse, à deux, sous la protection de pins au garde-à-vous, au bord d’une piscine-miroir, le tout baignant dans la lavande fleurie et aromatisante, sur une colline isolée, à l’ouest de Manosque. « Que demander de plus ? » pensais-je alors. L’amour partagé, en début d’après-midi, a des vertus que la sexualité nocturne ne pourra jamais concurrencer : la lumière que le plaisir donne aux yeux de l’autre…

Je me souviens d’une sieste voluptueuse, solitaire, l’après-acmée me conduisit en un sommeil peuplé de créatures à la Delvaux. sans aucun train à prendre.

Je ne me souviens pas d’une sieste voluptueuse à trois ou quatre ? Trou de mémoire ? Mais peut-on bien dormir, si nombreux ?

Je me souviens d’une sieste brisée par une stridente sonnerie téléphonique. Le numéro demandé n’était pas le mien ! Maudits les empêcheurs de siester en rond !

L'Art de la sieste / Thierry Paquot dans Anarchies courbet-le-hamac

Je me souviens de siestes réglées comme du papier à musique, à Albany, après une légère et rapide collation, et avant la causerie de la fin de journée, je m’effondrais, heureux, sur un transat placé près de la piscine du motel middle-class, où l’université m’avait réservé une chambre. Là, dans un sommeil d’entre-deux, je méditais et préparais mes futurs enseignements. La sieste a ce grand mérite de faciliter le classement des idées, de vider la tête et de reposer notre esprit.

Je me souviens d’une chaude sieste, où le dormeur, en nage, comme un lutteur après le combat, se mit lui-même K.O.

Je me souviens d’une maison de vacances qui n’appréciait guère la sieste, il me fallait m’exiler au fond du jardin, à l’ombre des pin parasols. Il y a des maisons strictement autoritaires et sectaires.

Je me souviens d’une sieste éveillée particulièrement agréable, au cours de laquelle je fis le tour du monde et de mes amis. Comme par télépathie.

Je me souviens d’une sieste chrysanthème, prétexte à honore la mémoire de mes morts.

Je me souviens d’une sieste volée par une tablée de bons amis que je ne pouvais, ni ne voulais abandonner.

Je me souviens d’une sieste aérienne au cours de laquelle j’ai pu planer à mon aise, visiter des territoires inconnus, repérer les méandres d’un fleuve cool, cartographier le pays du sommeil désiré.

Je me souviens de très nombreuses siestes, à propos desquelles je n’ai rien à dire.

Je me souviens d’une sieste lourdement pesante qui me laissa un arrière-goût de gueule de bois…

Je me souviens d’une auto-interdiction de siester, le colloque reprenait avec mon intervention !

Je me souviens d’une sieste joyeuse enveloppée de mille bonheurs, comme pour rien. Et au réveil, un envol de rires enfantins…

Je me souviens d’une courte sieste, quelques secondes d’une rare intensité de concentration et néanmoins de détente.

Je me souviens d’une très longue sieste qui m’accompagna jusqu’à la nuit épaisse et protectrice. Ce jour pénétrant dans la nuit m’évoqua la pluie se mariant avec la mer.

Je me souviens de siestes sucrées, musicales, parfumées, illimitées, joyeuses, mais aussi de siestes amères, fades, étroites, fermées, ou encore agitées, chahutéees, capricieuses, couleur chair, couleur mer, de siestes élémentaires, primaires, primitives, et puis des siestes civilisées, policées, et d’autres dévergondées, débraillées, ou suspendues, azurées, insolites, monacales, extatiques, bref des siestes bigarrées et parfois opposées dans leurs effets comme dans leurs causes. La vérité de la sieste nous échappe toujours…

Je me souviens de tellement de siestes que parfois je me surprends à me les remémorer, comme le chercheur de sommeil compte les moutons, pour m’envoler plus vite et gaiement au pays des songes.

Thierry Paquot
l’Art de la sieste / 2008

Et les « Je me souviens » d’une qui n’arrive pas à dormir : ICI
courbet-le-sommeil Désir dans Désir

Ils épient les baigneuses sensuelles / Gilbert Lascault

A travers les millénaires, ils épient les baigneuses sensuelles, les « femmes à la toilette », celles qui se lavent dans les baignoires, les bassins, dans les ruisseaux et les lacs.
Pascal Bonafoux / Indiscrétion, femmes à la toilette / Seuil
Ils épient les baigneuses sensuelles / Gilbert Lascault dans Désir neuschul-150x150 Ils épient sans cesse ; ils se tiennent à l’affût ; ils lorgnent les corps à demi nus ; ils guignent ; ils reluquent ; ils matent ; ils dévorent des yeux les courbes des dames ; ils devinent une silhouette ensorcelée, le rose d’une chair satinée ; ils entrevoient des détails à peine dévoilés, des charmes qui troublent. Il sont des voyeurs, des regardeurs éternels.
Ils épient les aguicheuses secrètes qui se regardent devant leurs miroirs. Ils sont fascinés. Qui sont-ils ? Ce sont d’abord des peintres. Ce sont très souvent des hommes, mais aussi des femmes. Ce sont vous et moi, le roi David qui entrevoit Bethsabée, les deux vieillards de Babylone qui désirent Suzanne, Actéon qui perçoit Diane au bain… Et aujourd’hui, romancier, historien de l’art, Pascal Bonafoux crée sa propre galerie personnelle ; il imagine un musée de nudités, de femmes différentes qui se déshabillent en catimini, en tapinois. Bien des peintres, bien des historiens de l’art seraient des voyeurs absolus. Il s’agit toujours de la féminité, de la peinture, du désir, de l’attirance, de l’envoûtement. Les baigneuses sont des magiciennes.
Le beau livre de Pascal Bonafoux semble, peut-être, proche du catalogue de Leporello qui dresse les conquêtes de Don Giovanni. Tu écoutes alors l’opéra de Mozart, Don Giovanni (acte I, scène 7). Leporello chante : « Vous voyez, des villageoises, / Des soubrettes, des bourgeoises, / Des comtesses, des duchesses, / Des marquises, des princesses, / Et des femmes de tout âge, / De tout rang ! / Chez les blondes, il a coutume / De goûter surtout leur douceur calme ; / Chez les brunes, c’est leur fougue ; / Mais chez toutes il aime la femme ! / Pour l’hiver, la grassouillette ; / Pour l’été, la maigrelette ! / Si la grande est plus noble, / La petite est plus gracieuse. »
Selon Pascal Bonafoux, bien des peintres cherchent à percevoir les gestes incompris d’une femme, un lieu clos, des postures esquissées. La femme hésite, puis elle cède. Elle sait ; elle ne sait pas ; puis elle se décide. Elle est changeante, capricieuse, indécise, flottante.
Vous lisez Mon coeur mis à nu de Baudelaire. A propos des attitudes irrésolues d’une femme, il énumère les « airs charmants et qui font la beauté ». Ce sont « L’air blasé. L’air ennuyé. L’air évaporé. L’air impudent. L’air froid. L’air de regarder en dedans. L’air de domination. L’air de volonté. L’air méchant. L’air malade. L’air chat, enfantillage, nonchalance et malice mêlés ».
Les peintres voudraient connaître les rites des femmes, leurs caprices, leurs attentes, leurs aveux, leurs réticences, leurs mensonges, leurs ruses, leur fourberie, leurs déceptions, leurs jouissances, leurs feintes. Ce sont, peut-être, des êtres de fuite. Certains peintres ne veulent pas entrer dans leurs chambres ; ils devinent une puissance sourde et une luminosité floue de certaines femmes ambiguës. Et Edgar Degas confie, un jour, à un jeune peintre : « Je veux regarder par le trou de la serrure ».
Pascal Bonafoux cite quelques phrases de Zola (Nana, 1880). Tu découvres « un fond d’alcôve, comme une étroite chambre de bain, avec la part de cuvette et des éponges, le violent parfum des essences » ; tu assistes « aux détails intimes d’une toilette de femme, dans la débandade des pots et des cuvettes, au milieu de cette odeur si fort et si douce ».
Tu vois un tableau de Jan Havickszoon Steen, Femme à sa toilette (v. 1659) : elle a enlevé l’un de ses bas et tu perçois la trace laissée par une jarretelle en haut de son mollet. Ou bien, Félix Vallotton peint un Nu (1912) : le jeune fille est debout ; ses yeux sont fermés ; elle est presque triste ; au creux de son aisselle et au bord de son pubis, la toison est sombre. Ou encore, Edouard Manet représente une « femme à la bassine » (1879) ; elle se baisse ; ses deux bas sont noirs ; le triangle du pubis apparaît sous un bras… Ou aussi, bien des peintres perçoivent le dos des baigneuses. Très souvent, Pierre Bonnard contemple sa compagne Marthe, étendue dans sa longue baignoire dans une eau qui serait un frôlement de la lumière… Théo Van Rysselberghe (Nu au tub, 1922) propose un jeu de courbes et de droites et, sur le tapis clair, les pantoufles sombres ont été lancées. Dans le Bain (v. 1867) d’Alfred Stevens, une jeune femme pudique se baigne dans sa baignoire avec une chemise blanche dont la bretelle passe sur son épaule ; sur un coussin, un roman est ouvert ; elle rêve… Une jeune baigneuse (1654) de Rembrandt retrousse sa chemise. Degas (v. 1895) peint (au pastel) une femme qui se sèche…
Dans les salles de bains, les femmes démêlent, peignent, brossent leurs cheveux. Courbet (1865), Mary Cassatt (1896), Dante Gabriel Rossetti (1863) regardent les belles rousses qui se coiffent. Pierre Puvis de Chavannes (1883) peint la longue chevelure d’une femme indifférente, douce, tendre…
Les femmes, les nymphes, les reines dialoguent avec leurs miroirs ; souvent, elles s’inquiètent, elles s’observent, elles hésitent. Elles se maquillent. Elles se poudrent. L’embellissement du visage et la fraude vont de pair. La beauté serait, peut-être, le résultat de retouches et de repentirs…
Et, lentement, la femme se rhabille. Puis, elle noue autour de son cou un collier de perles.
Gilbert Lascault
Ils épient les baigneuses sensuelles / décembre 2012
Publié dans la Quinzaine littéraire n°1073

Baigneuses
Album : Baigneuses

14 images
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au-bain Désir dans Eros

Abécédaire – « D comme désir » / Gilles Deleuze, Claire Parnet

Pierre-André Boutang
l’Abécédaire de Gilles Deleuze / 1988 / 1996
Voir également : G comme Gauche

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