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Gaza dans ma tête / Jean-Philippe Cazier

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Nous en sommes à combien de morts ? 800 morts ? 900 ? Mille morts ? 1500 morts ? Il semble que Gaza soit le nom d’une terre peuplée de morts. Quelqu’un a-t-il calculé quel nombre de morts il fallait atteindre pour – pour quoi au juste ? Le nombre de morts augmente chaque jour, chaque heure. Et ce comptage paraît absurde, vide, tournant à vide comme une mécanique sans but. S’agit-il seulement de tuer, de tuer des gens ? On ne sait pas. On nous dit qu’il y a eu mille morts à Gaza depuis le début des bombardements israéliens. Nous ne savons pas qui sont ces morts. Leur nom ? Leur visage ? Le visage et le nom de chacun d’eux, parce que je suis dans une civilisation où le nom et le visage sont ce qui demeure d’un vivant – jusqu’à ce qu’il soit oublié, qu’il disparaisse, comme s’il n’avait jamais existé. Dire « il y a eu mille morts », « il y a mille morts », est-ce que cela veut dire : ces morts n’existent pas, ces mille vivants n’ont jamais existé ? Le chiffre 1000, l’idée qu’il y a eu « mille morts » laissent sans idée, sans représentation, sans existence.
Depuis que je suis enfant, je sais qu’il y a un conflit, une guerre (comment l’appeler ?). Je le sais parce que depuis 48 ans des images de ce conflit traversent régulièrement, parfois quotidiennement, les écrans de télévision. Les journaux font leur « une » sur ce conflit qui, pour moi, a toujours été là. Je sais aujourd’hui par les médias qu’il y a eu 1000 morts à Gaza depuis le début des bombardements de l’armée israélienne, depuis le début du mois de juillet 2014. Mille morts – plus sans doute – en 20 jours. Depuis 48 ans, combien y a-t-il eu de morts ? Depuis 48 ans que ma vie est régulièrement traversée par ce conflit – cette guerre ? –, combien y a-t-il eu de morts ? De combien de morts lointains, proches, ma vie est-elle ainsi entourée ? Combien de morts palestiniens ? Israéliens ? Combien de milliers, peut-être de millions de morts ? Et combien, parmi ceux qui sont encore en vie, ont vu et voient leur vie massacrée ? Les chiffres recouvrent tout, la mort et la vie de chacun. La grandeur de ces chiffres laisse la tête vide. Laisse un peu hébété. On ne comprend pas : mille morts, dix-mille morts, 500000 morts ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Quel est le but de cette addition sans fin depuis tant d’années ?
On se souvient d’Auschwitz. On se souvient que six millions de Juifs ont été assassinés dans les camps de la mort nazis. Je ne dis pas cela pour identifier l’État israélien actuel aux dirigeants nazis, pour identifier la politique israélienne actuelle au nazisme. L’équation Israël = nazisme ne veut historiquement rien dire, n’a aucune efficacité politique, mais est surtout une idée antisémite, l’idée actuelle d’un révisionnisme antisémite. Auschwitz est le nom qui vient à l’esprit lorsque l’on pense à ce fait : six millions de Juifs ont été assassinés dans les camps de la mort nazis. Dans les camps d’extermination, comme on dit. « Mort » ? « Extermination » ? Est-ce que ce sont les mots qui conviennent ? Est-ce que ce sont les mots qui correspondent à ce chiffre, qui sont à la hauteur de ça : six millions de Juifs sont morts assassinés par les nazis ? Là encore on reste seul devant ce chiffre, devant l’énormité de ce chiffre qui recouvre tout – tous les noms, les visages, les pleurs, les cris, les regards – et qui ne dit rien d’autre que cette mesure inimaginable du meurtre de six millions de Juifs, assassinés parce que Juifs. Mais que dit ce chiffre, également, sinon que ces Juifs n’ont jamais existé ? Est-ce que ce n’est pas cela que voulaient les nazis : tuer des millions de Juifs pour que l’immensité du nombre efface l’existence même de ceux qui ont été assassinés ? Tuer en masse pour supprimer de la surface de la Terre, mais surtout pour que ces millions d’individus n’aient jamais existé ? Est-ce que ce n’est pas cela que fait aujourd’hui l’État israélien, qu’il fait depuis des années : nier l’existence des Palestiniens, les tuer en masse parce que pour l’État israélien les Palestiniens n’existent pas ?
Il semble que les guerres actuelles produisent une mort de masse et surtout produisent des chiffres. Mort industrielle, si l’on veut, puisqu’un des buts de l’industrialisation est de produire des quantités nombrables. Ainsi, la mort devient abstraite, mais la vie aussi. Bombarder une ville, ce n’est pas tuer, c’est atteindre un certain chiffre. Tuer six millions de Juifs, ce n’est pas tuer, c’est remplir un cahier des charges. Tuer mille Palestiniens, ce n’est pas tuer, c’est continuer l’addition de morts qui n’ont jamais existé. La mise à mort, ici, est autant suppression de la vie que négation de la vie – un négationnisme qui devient le principe d’une politique pour laquelle certains vivants sont éliminés parce qu’ils n’existent pas. Ce négationnisme est le principe de la politique d’Israël depuis le début – les Palestiniens n’existent pas – et les bombardements actuels de la population de Gaza n’en sont que la forme la plus visible, le prolongement militaire et médiatique. Une politique où l’industrialisation de la vie et de la mort est le principe de gestion des peuples – peuples dont l’existence est dans tous les cas et de toute façon niée. Et l’idée même de peuple relève de cette logique : un peuple, ça n’existe pas. Vivants, vous n’existez pas. Et morts, vous n’existez pas non plus. Chiffres à la chaîne, comptabilité d’entreprise. Ça a commencé avec Auschwitz, ça continue aujourd’hui, à Gaza.
Cet accroissement du nombre de morts palestiniens dit aussi autre chose : l’absurde mécanique, la surenchère de l’assassinat de masse montrent que, dans ce cas, le gouvernement et l’armée d’Israël n’ont pas de but sinon celui de tuer encore, d’accroître encore le nombre de morts. Pourquoi? Dans quel but tous ces morts – ces cadavres anonymes, ces vies rendues anonymes par la mort de masse –, dans quel but tous ces morts palestiniens et israéliens ? On ne sait pas, parce qu’au fond il n’y en a pas. Le but n’est pas simplement de tuer, mais de tuer le plus possible, encore. De tuer jusqu’à quand ? Jusqu’où ? Jusqu’à quelle limite qui donnerait un sens à ces milliers de cadavres et de vies massacrées – des vies palestiniennes et israéliennes ? L’État israélien justifie ces morts par la nécessité de se protéger. Mais on ne voit pas le rapport qu’il pourrait y avoir entre cet impératif de protection d’un État, de ses habitants, et ces milliers de morts depuis des années – et pour combien d’années encore ? Pour toujours ? Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Palestinien ? Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Israélien ? On ne comprend pas quelle équivalence mathématique permettrait de penser que des milliers de morts civils, que l’assassinat de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, garantissent la protection d’un État. On ne comprend pas comment bombarder une population sans défense, enfermée dans les frontières d’un territoire minuscule, comment bombarder des enfants sur une plage, comment bombarder des écoles et des hôpitaux, pourrait être le moyen d’une politique de défense pour un État. On ne le comprend pas parce qu’il n’y a pas de rapport, parce que ces bombardements et ces morts ne servent pas à défendre quoi que ce soit. Parce que tous ces morts depuis des années ne servent à rien, sinon à augmenter le nombre de morts palestiniens et le nombre de morts israéliens. C’est cela que fait l’État d’Israël : tuer la population palestinienne au nom de sa propre survie, mettre la population israélienne dans la situation d’être tuée au nom de sa propre protection. Se protéger en éliminant une population sans défense, sans armée, pour un État, est-ce vraiment se protéger ? N’est-ce pas plutôt une forme de génocide ? Protéger sa propre population en la maintenant dans le danger, en envoyant sa jeunesse se faire tuer, est-ce vraiment la protéger ? N’est-ce pas plutôt une forme, là aussi, de mise à mort ? C’est cette absurdité d’une mort générale et pour tous, une mort industrielle et aveugle, qui se déroule sous nos yeux depuis des années et qui tient lieu de principe et de finalité politiques pour l’État d’Israël. La mort est leur métier…
Je peux dire tout cela parce que je ne suis pas sous les bombardements et que je ne suis pas depuis des années soumis à la politique folle d’Israël. Je ne suis pas Israélien, je ne suis pas Palestinien. Je vis loin du conflit, géographiquement éloigné de ce qui se passe quotidiennement depuis des années dans cette région du monde. Si j’étais Palestinien et vivant à Gaza, peut-être que je distinguerais entre les morts palestiniens et les morts israéliens. Et peut-être que j’aurais raison. Parce que, aussi, cela me permettrait de survivre, et serait ma façon de trouver une logique et d’espérer. Je ne sais pas. Je ne peux parler que de mon point de vue.
Je sais qu’il y a un conflit, une guerre – comment appeler ça ? – car en un sens, depuis 48 ans, je vis avec ce conflit. Mais qu’est-ce cela signifie ? Je devrais dire : je sais qu’il y a un conflit parce que depuis 48 ans j’en vois des images, des photographies, j’entends des discours qui en parlent. Je me souviens des images de Yasser Arafat. Je me souviens des images de Sabra et Chatila. J’ai lu le texte si fort de Jean Genet sur ce massacre. J’ai lu des articles, j’ai parlé avec des gens. J’ai vu des images de jeunes soldats israéliens et des images de jeunes « martyrs » du Hamas. J’ai vu des photographies de cadavres d’enfants palestiniens. Des photographies de soldats israéliens de 18 ans, de 20 ans, faits prisonniers et exécutés. J’ai vu des reportages sur les colonies israéliennes et la haine de ces colons à l’égard des Palestiniens. J’ai vu des reportages sur des familles de colons désemparées, terrorisées. J’ai vu des photographies de mères palestiniennes déchirées par la mort de leurs enfants. Je me souviens de la poignée de mains entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin et de l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un jeune Juif israélien. Je me souviens de ces images, de ces discours qui pour moi – et pour tous ceux comme moi – non seulement constituent ce que je sais de ce conflit, mais sont le conflit lui-même. Ce conflit est pour moi, de manière directe, un ensemble de photographies et d’articles. Et rien de tout ceci ne me permet de parler comme si j’étais un Palestinien vivant à Gaza ou un Israélien vivant à Jérusalem.
De quoi parler alors ? Et pourquoi parler ? Pourquoi écrire ce texte, sinon parce que je peux parler de la douleur et de l’incompréhension que ces images et ces discours sur le conflit produisent en moi. Et parce que cette douleur, cet effroi, cette incompréhension sont ce qui me relie à Gaza et à Israël, aux gens de Gaza et du territoire israélien – sont ce qui me relie à quelqu’un, quelque part à Gaza ou à Jérusalem, et qui doit lui aussi, vivant ce qu’il vit, sur place, avec les siens, connaître cette douleur, cet effroi, cette incompréhension face à une course folle au massacre et à la mort. À travers ces images, à travers ma mémoire, par cette douleur et cette indignation, je peux parler non à la place des Israéliens ou des Palestiniens, mais avec quelque chose qui nous lie. C’est cela, ici, ce que je peux faire pour ne pas en rester au spectacle médiatique permanent, pour ne pas en rester au comptage des morts, pour ne pas être abruti par le déferlement de photographies atroces, de discours simplificateurs, truqués, racistes, antisémites. Et essayer de dire, aussi, quelque chose de ce qui se passe. Ailleurs. Loin. Ici.
Jean-Philippe Cazier
Gaza dans ma tête / 2014
Publié sur son blog Mediapart le 27 juillet 2014
À lire sur le Silence qui parle :
Si nous le voulons / Mahmoud Darwich / Indiens de Palestine / Gilles Deleuze
Photo : Intervention divine / Elia Suleiman / 2002

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Peut-on parler avec l’ennemi ? / Alain Brossat

L’automate a cent visages comme l’hydre de Lerne a autant de tentacules, et la destination de ceux de ses visages avenants tournés vers la communication est de faire disparaître de notre horizon conceptuel la réalité de la guerre qui se poursuit, ceci au profit des échanges « civilisés ». La communication est le truchement de la pacification comme processus et dynamique inscrite au cœur de la globalisation, non pas comme prétendu état des choses », mais comme fait stratégique, stratégie de reconduite et de rénovation de la domination ; elle est le truchement du mensonge constitutif de cette pacification entendue non pas comme processus ininterrompu de déviolentisation des relations entre les individus, les groupes, les États, les peuples, les cultures, mais comme déni obstiné de la reproduction de la division, et, donc, de l’éternel retour de l’hostilité comme composante de la relation non pas certes à l’ « autre » en général, mais bien à certains autres.
Cette situation générale et l’intensification, dans les pays démocratiques, de l’efficience de ce mensonge constitutif ont pour effet qu’il nous faut adopter des règles de conduite consistant à exercer une contre-violence distincte sur le système en cassant avec la communication. C’est-à-dire en redéployant le geste des deux acteurs mutiques du roman de Vercors [Le Silence de la mer] dans un contexte, où, au contraire la normativité communicante a imposé ses règles urbi et orbi. En assumant donc le caractère d’incongruité absolue, le scandale que constitue (dans cette configuration où n’importe qui doit être en position de communiquer avec n’importe qui et à propos de n’importe quoi, à l’image des « débats » télévisés), le refus de parler avec certaines personnes (contre-conduites, plutôt) inspirées par des énoncés tels que « Nous ne sommes pas du même monde, je n’ai rien à vous dire, je ne vous connais pas et ne veux pas vous connaître, je ne perds pas mon temps à parler avec des automates à visage humain. » Il faut assumer le scandale et l’incongruité manifeste de cette position (qui relève d’une politique et d’une éthique) dans un temps qui n’est plus celui de l’Occupation nazie, mais de la supposée tempérance démocratique (1).
La fluidité communicationnelle est l’élément clé du dispositif destiné à entretenir l’illusion d’un monde sans ennemis – ou plutôt où la figure traditionnelle de l’ennemi politique aurait été remplacée par deux truchements – d’une part l’ « adversaire » auquel ne m’opposent que des désaccords réductibles sans violence aux conditions de la démocratie représentative et de la communication ordonnée à des règles, et, de l’autre, celui qui, en pratiquant des formes de violence insupportables, s’est lui-même exclu du champ de l’humanité et dont l’élimination requise justifie les procédures les plus expéditives – le terroriste en premier lieu, l’islamiste, le djihadiste (2).
Dans le cas du premier, l’euphémisation de l’hostilité qui, ici, cède devant les appareils de pacification du champ politique, a pour effet radical de rendre la division (comme élément constituant du champ politique) inappropriable par les sujets. Le reconditionnement de l’ennemi en adversaire avec lequel l’échange communicationnel et les transactions institutionnelles ne sont jamais rompus entraîne inéluctablement la disparition, aux yeux du public, des enjeux de ce qui est supposé opposer les uns aux autres. L’élision de la division comme facteur constituant de la vie politique, la disparition du régime de l’hostilité déclarée nourrissent auprès de l’opinion l’évidence d’une équivalence universelle des positions en présence et d’une perpétuelle connivence entre prétendus adversaires. Le dégoût amplement partagé de la politique perçue comme domaine des mensonges et des illusions trouve sa source dans la délégitimation de la règle nouvelle selon laquelle ce qui « nous » (les forces, les positions, les partis en présence) rassemble (la démocratie, les « valeurs ») l’emporte sur ce qui nous divise.
Il faut une bien grande présomption et une bien naïve approche de la vérité comme dévoilement pour imaginer que les paroles vraies que nous avons à porter devant le public sont aptes, en toutes circonstances, à faire voler en éclats les dispositifs de la communication. C’est tout l’inverse qui se produit, constamment, sous nos yeux : l’approvisionnement et l’annulation des fortes paroles des uns et des énoncés subversifs des autres par l’inépuisable rumination des estomacs d’autruche de la communication (2).
La fable pacificatrice fondé sur le déni des différends fondateurs et constitutive du « mensonge » démocratique (pour autant que la démocratie institutionnelle donne son efficace, avec le suffrage universel, à cette fable) va autoriser, au rebond, la criminalisation à outrance de ce qui tombe en dehors du champ balisé par cette règle du jeu.
Comme le répète inlassablement Carl Schmitt, le régime traditionnel de l’hostilité suppose une sorte de législation réglant les pratiques de la guerre. Que cette législation n’ait jamais trouvé un commencement d’application dans toutes sortes d’usage de la violence de masse, à commencer par les guerres civiles et les guerres coloniales, ceci n’infirme que partiellement la position de Schmitt : c’est bien, en toutes circonstances, le déni de la persistance du régime de l’hostilité comme fondement de la relation politique entre ceux qu’oppose un différend irréductible (bourgeois et prolétaires, dans une perspective marxienne, colonisateurs et colonisés chez Fanon, hommes et femmes pour les féministes radicales) qui suscite ce retour de violence extrême dont les formes contemporaines sautent aux yeux : brutalisation des pratiques de guerre (usage d’armes chimiques, drones, explosifs à effets retardés) guerres sales (exécution de prisonniers, liquidations ciblées, torture des prisonniers, détentions et transferts illégaux), guerres furtives, sales, utilisation d’Internet à des fins de guerre non déclarée.
La prospérité de la guerre des espèces, celle dans laquelle l’ennemi a le statut d’un nuisible à exterminer, est l’envers de l’effacement de la reconnaissance de l’hostilité comme l’un des éléments fondateurs de la relation politique, aussi bien dans les espaces internationaux que dans les relations entre États, peuples et cultures. On le voit bien avec la guerre de reconquête du nord du Mali, conduite par l’armée française et ses alliés : guerre sans témoins ni prisonniers. Plus prospère l’enseigne de la guerre pour la démocratie et plus celle-ci, sur le terrain, s’apparente à une traque, à une chasse au nuisible ou, alors, à une opération prophylactique destinée à éradiquer une souche microbienne particulièrement dangereuse (le modèle de l’infection).
Le vacarme communicationnel qui entoure ce type d’opération a pour effet de rendre indiscernable cette brutalisation des pratiques de l’hostilité dans les contextes contemporains, toujours plus nombreux, où un appareil militaire étatique suréquipé affronte des guerriers sommairement équipés. L’absence de toute constitution étatique de l’ennemi sert de justification aux États impériaux qui s’offusquent de ce que les groupes qu’ils affrontent osent leur résister pour exclure toute espèce de discussion ou de reconnaissance de ceux-ci comme interlocuteurs. « On ne discute pas avec les terroristes » – la définition première de ceux-ci étant, précisément, qu’ils ne sont pas des figures de l’État. Cette criminalisation à outrance de l’ennemi réintensifie des visions manichéennes et de pratiques expéditives qui sont donc loin d’être l’apanage exclusif des régimes totalitaires. Mais, aussi bien, on ne discute pas avec des agents infectieux, le terrorisme étant considéré à l’égal d’une maladie contagieuse. Dans tous les cas de figure, c’est la notion d’un échange de paroles avec l’ennemi qui est absolument révoquée. Or, dans les guerres du passé, quels qu’aient été leur acharnement et leur coût humain, quels que soient les noms d’oiseau qui y avaient été échangés et les horreurs commises, finissait toujours par survenir ce moment où, les armes s’étant tues, les protagonistes entreprenaient de se parler, ces échanges accompagnant nécessairement le passage de l’état de guerre à la paix. La disparition de cette figure (cette transition dans laquelle quelque chose de nouveau peut s’ouvrir) indique assez clairement la dynamique décivilisatrice dans laquelle sont prises les prétendues guerres démocratiques d’aujourd’hui.
Le jeu de la communication, lorsque se présente ce type de « crise » est de saturer l’espace public de façon à ce que le point de vue et la position de celui qui y occupe la place de l’autre (le « terroriste », le nuisible, l’agent contaminant) devienne rigoureusement inconcevable, inarticulable, inaudible. Ce fut le cas lors de l’intervention franco-britannique contre Khadafi, comme ça l’est avec la guerre au Mali. Le rôle de la communication est bien, dans ces circonstances, de suspendre le supposé principe de la pluralité des points de vue, des opinions, des intérêts, c’est-à-dire d’aliéner entièrement le jugement du quelconque au discours et à la position des gouvernants. Pour cette raison, nous exécrons les communicants et nous restons sur nos gardes face à l’ensemble des dispositifs de la communication (4).
La conclusion tient en peu de mots.
Le Silence de la mer est un modèle indépassable pour penser et énoncer aujourd’hui les puissances infinies du non, un geste qui peut, à la limite, se passer d’énonciation ou s’énoncer comme geste muet. Le non, énoncé ou muet, est le geste qui remet l’ennemi à sa place.
Les puissances infinies du non recèlent en elles une infinité de conduites politiques possibles, ayant pour horizon l’égalité et la communauté.
Nous avons des ennemis, ceux qui s’imposent à nous, ceux que nous déclarons aussi. Nous ne communiquons pas avec l’ennemi, nous le combattons.
Alain Brossat
Peut-on parler avec l’ennemi ? / 2014
Paru aux éditions Noir et rouge

Le-Silence-De-La-Mer

Photo : Nicole Stéphane dans Le Silence de la mer de Jean-Pierre Melville (1947) d’après Vercors

1 Un bel exemple de rupture du consensus communicationnel nous est donné par Pier Paolo Pasolini lorsqu’il refuse que la partie qu’il a réalisée du film La Rabbia sorte, comme il avait été convenu avec le producteur, accompagnée de l’autre partie, réalisée par le publiciste réactionnaire Giovanni Guareschi. Commentant le montage d’images documentaires et le commentaire dont Guareschi les a affublées, Pasolini écrit  » Si Eichmann pouvait sortir de sa tombe, il ferait un film de ce genre [...]. Je ne veux pas collaborer, même en tant qu’antagoniste, à l’absorption de ces idées monstrueuses par des jeunes qui sont sans défense devant une pareille démagogie. » Cette intransigeance lucide s’oppose aux présomptions de ces intellectuels très radicaux qui, lorsqu’ils s’en vont papoter chez Taddeï ou Finkielkraut, sont à ce point imbus de leur assurance de proférer des vérités si forte que celles-ci sont destinées à faire tomber en poussière les dispositifs communicationnels qui se destinent à la normalisation et à l’approvisionnement de leurs éclats. À ce jour, les murs de la Maison de la radio et de France Télévisions, fortement ébranlés par ces performances redoutables, tiennent toujours…
2 De nos jours, les États qui se disant démocratiques s’offusquent de ce que des guerriers (que ce soit en Afghanistan ou au Sahel) prétendent (leur) faire la guerre, ce « droit » étant réservé pour eux à ces automates de la violence étatique légitimée (fût-ce de manière fort litigieuse, dans les situations désignées) que sont leurs soldats. Ils désignent ces guerriers comme terroristes, alors même que le seul tort de ceux-ci est d’imiter les formes de violence indiscriminées (ayant pour effet de tuer indifféremment des civils et des militaires) que pratiquent en grand ces États quand ils bombardent des zones habitées ou font un usage approximatif des lancers de missiles par des drones. Sur le fond, la seule différence entre les uns et les autres tient à la « qualité » étatique – ou non – des moyens de violence mis en œuvre.
3 La notion même de « dialogue » est culturellement spécifique et historiquement située, car tandis qu’un interlocuteur ou une interlocutrice peut être persuadé d’avoir une conversation, un autre peut être convaincu du contraire. Il faut commencer par interroger les rapports de pouvoir qui conditionnent et limitent les possibilités dialogiques. Sans cela, le modèle du dialogue risque de retomber dans un modèle libéral qui suppose que les sujets parlants ont les mêmes positions de pouvoir, et qu’ils parlent tous en se faisant la même idée de l’ « unité » de ce que signifie être « d’accord », et qu’il s’agit bien là de buts à poursuivre » (Judith Butler, Trouble dans le genre, le féminisme et la subversion de l’identité, traduit de l’anglais – États-Unis – par Cynthia Kraus, La découvert, 2005).
4 Sur les conditions dans lesquelles doit prévaloir la maxime « Il est inutile de discuter », voir Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes, résister à la barbarie qui vient (notamment le chapitre 12), La Découverte, 2009.

Tentative de détricotage de l’affaire Dieudonné / Elias Jabre

Amalgame, confusion, antisémitisme, antisionisme, fascisme, et bêtise.
On aura beau démontrer à ces « idiots » qu’ils ont tort, leur crier d’arrêter de supporter cet humoriste, il en ressort toujours plus renforcé et vindicatif ainsi que ceux qui le soutiennent.
Un français dont le père est originaire du Cameroun, ex-pays colonisé par la France, appuie ses spectacles sur la haine des « Juifs » dont les associations représentatives se liguent contre lui avec les institutions françaises pour l’interdire, et les journaux font chorus.
Mettre les Juifs, les Israéliens et les sionistes dans le même panier est une bêtise réductrice. Mais ne pourrait-il pas y avoir un amalgame encore plus grossier qui viendrait renforcer celui-ci en le rendant d’autant plus infernal par un étrange processus de superposition ?
Revenons à ce ressentiment parodique et « nauséabond » qui traverserait cette foule de fans « déraisonnables ». De quel affect s‘agirait-il ? D’une révolte qui se trompe d’adversaire ?
Et si l’amplification de l’affaire Dieudonné et la virulence du débat, derrière le nom de « Juif », visait plus largement le mètre étalon qui dicte la loi de nos démocraties libérales, un discours d’homme-blanc-occidental avec ses effets de domination ? Ne s’agit-il pas d’une condensation où le nom de Juif va servir d’amalgame à plusieurs représentations plus ou moins voilées ?
Bizarrement (ou au contraire, on pouvait s’y attendre), l’argumentation qui consiste à expliquer à l’autre ce qu’il peut dire ou ne peut pas dire ne semble pas contenir le phénomène. La bêtise résiste, comme si le discours n’avait pas d’effet sur l’affect.Posons l’équation affective à travers une autre forme de logique qui travaillerait à partir des notions de déplacement, de métonymie et de condensation qu’on retrouve en psychanalyse.
Qu’est-ce qu’une condensation ? Un ensemble d’ »associations affectives », ou amalgames d’images qui se groupent et se fusionnent uniquement parce que leurs objets sont marqués d’un « ton affectif commun » de joie, tristesse, amour, haine, etc. (Th. Ribot).
Essayons de comprendre comment les mots définissent des appartenances  auxquelles on s’identifie et fonctionnent en réseau, où les ensembles parfois se chevauchent, ce qui ferait dire qu’il y a confusion chez certains qui ont la tête dure, mais cette confusion est peut-être nourrie par des télescopages qui se forment de façon mécanique, des redondances qui donnent consistance à des positions affectives de façon automatique, et le moyen de lutter contre elles ne se réduirait pas seulement à mettre en accusation ou à faire des distinctions raisonnables.
Une quadruple superposition entretiendrait peut-être les amalgames entre Juif, Israélien et sioniste : l’histoire de l’Occident et des peuples colonisés / la Shoah où la valeur des victimes serait à l’avantage des « blancs » / l’ « apartheid » en Israël qui divise les Israéliens « occidentalisés » et les Palestiniens relégués en citoyens de seconde zone / les banlieues métissées et leur exclusion de fait dans une France divisée.
D’après cette perspective, ce ne serait donc plus tant le nom de « Juif » qui serait visé, bien que, par déplacement, il concentrerait les haines de certaines voix révoltées, mais plutôt le discours de domination occidental  et les conséquences qu’il continue à porter en Israël, mais aussi en France, et qui s’est compliqué depuis la période coloniale.
La partition entre colons et « métèques » était acquise de plein droit par le racisme qui imprégnait les discours. Aujourd’hui ces discours sont déconstruits en droit, mais les mêmes coordonnées tiennent toujours la place sous des rapports qui se sont compliqués du fait qu’ils reposent sur des situations qui persistent sous d’autres formes et qui sont désormais en violent décalage avec des principes conquis comme ceux d’égalité des droits, et où lorsque l’inégalité était entendue, elle se vivait avec une conscience plus tranquille, tandis que désormais elle fait gonfler la haine et le cynisme de façon inévitable.
Quel est public de D. sur lequel s’appliquerait cette équation ? Une large palette de français issus de l’immigration, ou alors, solidarité étrange, des partisans de l’extrême droite et d’extrême-gauche, liés ensemble par un antisionisme et un antisémitisme qui ne prend pas la même forme pour les uns et les autres, mais tous nourrissant une haine violente contre Israël et les juifs.
Parmi la multitude de ces groupes, en se contentant de dessiner une simple partition, on pourrait déjà distinguer les supporters issus de la France métissée qui se sentent solidaires des Palestiniens au nom d’un sentiment d’injustice et dont l’antisémitisme a pour composante essentielle l’effet de la politique israélienne, et leur sentiment d’être eux-mêmes exclus en France, disposant de peu de représentativité dans la politique ou dans les médias, sauf sous forme de prototypes assimilés. Du côté de l’extrême droite, des antisémites « vieille France » qui haïssent Israël qui pratique une politique dont ils rêveraient pour la France, et qui s’en prennent aux « Juifs français » qui saperaient les valeurs de l’ « identité française », tandis que, dans le même temps, ils soutiendraient la politique nationale en Israël pour renforcer leur identité « juive »… Egalement des défenseurs de l’ « identité noire » qui s’entendent avec les autres extrémistes au nom de l’idéal du chacun chez soi. Enfin, et le plus surprenant, les partisans d’une nouvelle forme d’identité nationale métissée, nouveau pli étonnant car il semble contradictoire, et qui fonctionne sur une revendication d’égalité qui arriverait à faire coexister extrême droite et métissage…
On pourrait ajouter un pli supplémentaire, et considérer que métissage à la française et capitalisme peuvent également faire bon ménage dans une nouvelle orientation postcoloniale, et que la couleur de la peau ne serait plus même un critère, comme dans le film Grigris de Mahamat Saleh Haroun, où on voit comment un français métropolitain d’origine tchadienne gère une affaire mafieuse en employant des tchadiens « locaux », film qui tout en soulevant cette problématique est lui-même embarrassant, la langue choisie pour faire parler les personnages étant le français.

http://www.clapnoir.org/spip.php?article998

GG

Comme le dit Achille Mbembe à travers une autre perspective, « la condition nègre ne renvoie plus à une affaire de couleur », elle serait devenue post-raciale.

http://www.liberation.fr/livres/2013/11/01/achille-mbembe-la-condition-negre-ne-renvoie-plus-a-une-affaire-de-couleur_943932

Ensuite, si l’on s’attache à la politique étrangère suivie par la France, les gouvernements et leurs représentants, gardiens d’un héritage de valeurs généreuses conquises par les luttes pour les droits,  en usent pour protéger chacune des communautés vivant en France, notamment la communauté juive, et en appeler à la coexistence, tout en étant en porte-à-faux quant à leur politique vis-à-vis d’Israël, pays d’apartheid qui n’est jamais condamné et où les relations commerciales prospèrent malgré l’inégalité qui y sévit et qui est en contradiction avec les mêmes valeurs prônées par les politiciens au nom du vivre ensemble. On ne peut pas dessiner des frontières où des discours sont valables  d’un côté et non de l’autre, et c’est cette hypocrisie qui revient sous forme d’une maladie de façon de plus en plus purulente. Elle attise le cynisme et la haine, et conduit machinalement à  l’amalgame entre Juif, Israélien et sioniste par cette drôle de torsion où le métissage deviendrait la revendication d’une nouvelle forme d’identité nationale homogénéisante au nom de l’égalité. « Etre français » serait devenu une façon de s’opposer à l’identité nationale israélienne qui reste une vieille forme qui essentialise la judéité en créant la discrimination par une politique coloniale classique, cette dernière renvoyant à la France dans laquelle nous serions encore et où les « blancs domineraient toujours » un pays « métissé ».
Ajouté à cela, la compétition victimaire, et si nous ne remettons pas en cause le statut exceptionnel de la Shoah (comme de tout génocide), nous pouvons nous interroger sur l’insistance de ce discours. N’entretient-il pas une autre tension ? Derrière le nom de « Juif », il y aurait la haine du « blanc colon » qui porte un discours de domination et pour lequel, quand une victime est un blanc européen, il vaut toujours plus qu’un métèque, et l’effet traumatique de la violence serait plus fort pour les héritiers « nationaux » (quand ils ne sont pas issus de « fils  et filles de colonies »). Ne retrouvons-nous pas inconsciemment le même rapport dissymétrique entre la vie d’un « blanc » et celle d’un « arabe » ou d’un « noir » ?  Et la vie d’un Israélien n’est-elle pas comparée à celle de plusieurs Palestiniens, alors que la colonisation des territoires continue sans que la France ne sanctionne Israël ?
La relation entre judéité et sionisme trouverait sa logique affective dans cette superposition de conflits, où la condensation consisterait à faire l’amalgame entre les Juifs israéliens en tant que colons et les Juifs en France auxquels on associerait tout un système de domination dont ils deviendraient une des figures représentatives par effet retour de la politique israélienne. Les Israéliens reproduisent la vieille domination occidentale chez les « métèques », de même que les «  français métissés » se sentiraient traités en citoyens de seconde zone en France, amalgame inacceptable logiquement, mais qui prend consistance affectivement par un jeu d’identifications à ces différents rapports d’inégalités. Les discours sur la Shoah ou sur la barbarie coloniale ne sont pas de vieilles rengaines, des boursouflures de la mémoire, leurs spectres résonnent avec notre actualité.
L’avenir de l’humanité se joue sans doute en Israël et la volonté de minimiser ce conflit pour en faire un parmi tant d’autres ne fonctionnera pas, car il résonne avec les coordonnées mondiales. De la même façon que l’Afrique du sud et son système d’apartheid aurait été le centre du monde, et nous pouvons renvoyer à ce cours  de Geoffroy de Lagasnerie sur l’Apartheid à partir d’un texte de Derrida, et sur la façon de penser une démocratie révolutionnaire qui utiliserait le formalisme du droit pour lutter contre un système profondément inégalitaire…

http://geoffroydelagasnerie.com/2013/12/18/sur-nelson-mandela-et-la-democratie-revolutionnaire/

Autre amalgame, la collusion entre judéité et capitalisme. Cette figure est plus connue, plus banale, antisémitisme classique qui est décuplé par la haine du capitalisme et le sentiment d’exclusion qui renvoie au partage entre ceux qui ont et ceux qui sont en dehors. Cette représentation vient renforcer la première, se superpose au discours de domination, se recombine avec elle et emporte le déferlement haineux.
Lutter contre D. ne serait pas l’interdire, mais reconnaître les actions de la France dans la colonisation en revenant sur les horreurs sarkozystes, premier pas fait par Hollande http://www.lexpress.fr/actualite/politique/hollande-en-algerie-a-setif-la-france-a-manque-a-ses-valeurs-universelles_1201455.html qu’il faudrait poursuivre, ouvrir le champ médiatique à des penseurs autres que Finkielkraut (qui est en train de faire de l’antisémitisme son fonds de commerce en le faisant fructifier). Par exemple à Schlomo Sand, à Achille Mbembe, à Butler qui analyse comment judéité et sionisme ne font pas bon ménage, ce qui pourrait aggraver une faille auto-immunitaire en Israël, où l’humour consisterait à en appeler au Juif qui sommeille en chacun des Israéliens pour libérer leur pays de l’imposture d’une identité nationale peu compatible avec certaines dimensions de la judéité.

http://lesilencequiparle.unblog.fr/2014/01/16/judith-butler-judeite-et-sionisme-jean-philippe-cazier/

Sans oublier la question d’un capitalisme ultralibéral en lien avec un modèle de domination occidentale qui trouve ses limites et où il faut d’urgence redéfinir les rapports et changer de civilisation (Nancy, Stiegler).
C’est-à-dire travailler la question du commun en dehors de la notion d’identité nationale qui, pour le moment, en proposant de résister aux flux du capital, sert de contrepoids. Les alternatives ? Une ou plusieurs internationales avec la création de partis politiques qui ne se limiteraient pas à un seul pays, ou uniquement à l’Europe, travaillant le développement nord-sud à partir de nouveaux concepts qu’on pourrait chercher chez Boaventura, Mbembé, etc., d’autres formes qui débordent les frontières et qui répondent aux coordonnées métissées dans lesquelles nous vivons désormais.
Elias Jabre
Tentative de détricotage de l’affaire Dieudonné / 2014
Remerciements à Jean-Philippe Cazier, Oumy, Sonko,
Marco Candore, Christiane Vollaire qui m’ont aidé à retravailler cet article

Sur la « bêtise » :
voir le dernier numéro de Chimères / Bêt(is)es / n°81

coordonné par Manola Antonioli et Elias Jabre : ICI et

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