Il y a quelque chose de pourri au royaume de France. Quelque chose d’odieux qui monte insidieusement. Quelque chose de malsain qui ressemble au fascisme sans en endosser le nom. L’autoritarisme d’une meute de mâles dominants. Arc-boutés sur leurs mensonges, phagocytés par leurs trahisons et leur coercition d’éternels « obligés ».
Il y a quelque chose de pourri au royaume de France quand, pendant trois ans, un collectif de sauvegarde demande la discussion sur le sujet controversé d’un projet de barrage qui pue la magouille, sans jamais obtenir la moindre audience.
Quelque chose de pourri quand, au royaume de France, un conseil général flanqué de l’État décrète le lancement de travaux alors que des décisions de justice sont en instance. Pourri quand ces institutions continuent d’ignorer l’appel de citoyens éclairés dont les démonstrations seront confirmés, trois ans plus tard, après l’étude qu’une ministre aura enfin diligentée.
Quelque chose de pourri au royaume de France quand les ordres sont donnés à des escouades de gendarmes, CRS, sections d’intervention, de gazer, d’humilier, de tabasser des opposant.es en nombre systématiquement inférieur, ni équipé.es ni entraîné.es, si peu protégé.es, évitant l’asphyxie à la lacrymo en protégeant leur visage d’une écharpe, d’une cagoule.
Quelque chose de pourri quand des hommes qui mettent leur vie en danger en se privant des jours durant de nourriture, pour être enfin écoutés, sont moqués par le président du conseil général qui les tient à distance médiatique.
Quelque chose de pourri quand, alors que le mouvement d’opposition perdure et se renforce, le même président use d’argent public pour le diffamer massivement, à l’aide de communiqués et de publi-reportages qui évitent systématiquement les questions de fond.
Quelque chose de pourri quand, probablement renseigné sur l’ampleur du rassemblement national du 25 octobre, l’État-conseil général organise la discorde en laissant sur le site, d’abord du matériel de travaux, puis des gardes mobiles, alors qu’il en avait été convenu autrement.
Quelque chose d’ignoble, dès le lendemain de l’assassinat de Rémi, quand, au fil des dépêches matinales se profile le camouflage d’une « bavure » policière. Pourri quand on essaie de faire passer un mort pour un criminel, répandant le doute et la rumeur pour tenter de couvrir un dossier véreux, des agissements hors-la-loi, des violences avec usage d’armes non réglementaire répété sans fin.
Il y a quelque chose d’indécent au royaume de France quand le meurtre d’un étudiant vient réveiller les consciences, attiser la haine contre les opposants, attirer enfin massivement les médias.
Quelque chose de scandaleux quand le mouvement des opposants est accusé de tous les maux, alors qu’il manifeste sa colère et dénonce les violences policières. Quelque chose du deux-poids deux-mesures quand les agriculteurs en colère saccagent Albi et que des protecteurs de la planète dénoncent l’arbitraire à Gaillac – deux villes tarnaises.
Il y a quelque chose de d’ignoble au royaume de France, quand un chef de l’État, un gouvernement tout entier tombent dans l’aphasie, omettent de transmettre condoléances et signes d’empathie aux parents d’une jeune homme tué à 21 ans.
Quelque chose de pourri au royaume de France quand un politique en délicatesse avec la justice aboie à la vindicte et se trompe sciemment de coupables. Quand d’autres rejettent la faute sur une femme courageuse qui a, elle, visité le site du barrage de Sivens, discuté avec les opposants, constaté les dégâts et les outrages, dénoncé l’absurde : merci Madame !
Quelque chose de pourri au royaume de France quand le président Carcenac ironise, face caméra, grossier et indécent, sur le fait qu’il est bête de mourir pour ses convictions, vraiment.
Il y a quelque chose de pourri quand au lieu d’étudier les dossiers pour se faire une opinion, de fouiller le net pour y étudier des images, des reportages, d’aucuns prennent position sur un sujet qu’ils ignorent, pensant asséner leur leçon comme la seule qui vaille. Pourri quand, au lieu de s’exprimer sur le fond, ils réagissent sans réfléchir, évitant de considérer le sujet de l’utilisation de l’argent public, de la construction de grands projets inutiles, des conflits d’intérêt, du mirage de la transition énergétique dont on parle à tout va sans jamais l’instaurer. Quand, suivant le mode politique en vogue, ils grognent, ils dénigrent, ne sachant pas de quoi ils parlent.
Il y a quelque chose de pourri au royaume de France quand les chiens aboient en meute pour couvrir l’ordure d’un système parfaitement inacceptable.
Pour Rémi.
Hélène Duffau
Les chiens de la défunte République / 28 octobre 2014
Publié sur son blog Mediapart
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Le 12 avril, il ne s’agit pas d’une manifestation de plus, il ne s’agit pas de protester seulement, mais de se mettre en mouvement… C’est aussi simple qu’une envie soudaine de se remuer, de se secouer, aussi simple qu’une chanson de Lou Reed : Take a Walk On The Wild Side. Traduisez comme vous voudrez, « prendre la tangente », « suivre la mauvaise pente » ; surtout s’ensauvager !
C’est l’évidence qui s’impose à nous. Ces hommes et ces femmes que nous avons portés au pouvoir le 6 mai 2012 dans un remake essoufflé du scénario du 10 mai 1981 : eh bien tout simplement, ils ne sont pas de gauche. Ces hommes et ces femmes à qui nous avons confié nos espoirs de changement n’avaient ni l’idée, ni la capacité, ni même la volonté de changer quoi que ce soit.
Être de gauche c’est une affaire de perception, et la perception que nous avons de ces hommes et ces femmes c’est celle d’hommes et de femmes de pouvoir, prêts à tous les arrangements, à toutes les manipulations, pour y rester.
Sans doute pour les plus lucides, c’était prévisible.
Depuis 2002, les candidats au pouvoir ont continué à faire de la politique à l’ancienne, avec fiefs, régions et affidés, comptant seulement sur le retour de balancier que leur offrirait l’alternance sans même essayer de comprendre ce qui se passait: les uns louchant sur le vieux blairisme que les mensonges sur la guerre en Irak ont pourtant démasqué, d’autres sur Gerhard Schröder et son « agenda 2010 » dont la date d’expiration est largement dépassée. Clinton, Blair, Zapatero, Obama leur ont servi successivement de modèles et les voilà qu’ils découvrent dans le communiquant Matteo Renzi leur maître et leur inspirateur.
Ils se sont leurrés et nous ont leurrés considérant que rien n’avait changé que, par exemple, ils pourraient compter à jamais sur l’Europe, à laquelle une majorité d’électeurs avait dit non il y a plus de dix ans, sans qu’ils ne changent rien politiquement à leur conception de l’Europe, à leur relation à l’Europe, sans se rendre compte que la crise des dettes souveraines creusait au sein de l’Europe un mur, non pas entre l’est et l’ouest mais entre le nord et le sud, et que ce mur traversait la France, la coupant en deux. Ils se sont leurrés à l’idée qu’ils pourraient continuer à compter sur une politique néolibérale à laquelle ils s’étaient abandonnés dès les années 1980 et dont la crise de 2008 avait pourtant montré les effets dévastateurs. Ils se sont leurrés en cédant à l’hypermédiatisation confiant aux médias corrupteurs leur survie dans les sondages, troquant la transformation réelle de la société contre la survie médiatique.
Ils ont eu l’illusion de pouvoir compter à jamais sur la police pour maintenir les graves inégalités dans les quartiers. Ils se sont laissés aller à stigmatiser les minorités, à pourchasser les étrangers, les Roms, pour rivaliser avec les politiques sécuritaires de la droite.
Ils ont cru pouvoir compter sur une armée nationale pour faire respecter, sous le masque des droits de l’homme, leurs intérêts économiques et stratégiques dans les ex-colonies, escomptant retrouver des couleurs régaliennes au prix d’interventions couteuses et déstabilisatrices. Ils ont cru pouvoir leurrer l’opinion en déclarant la guerre à la finance tout en signant un armistice avec le Medef. Ils ont cru pouvoir déplacer la bataille de la réindustrialisassions dans les rayons des supermarchés et faire de la carte bleue des consommateurs un substitut du bulletin de vote, transformant leur ministre de l’industrie en VRP tricolore alors que le pouvoir, qu’eux-mêmes continuaient à détenir et à gérer, continuait la même politique de l’offre, la même compression des soi disant coûts du travail, livrant l’industrie française à la concurrence déloyale.
Ils ont cru pouvoir retrouver une hégémonie culturelle en empruntant à la droite et à l’extrême droite son lexique et son imaginaire sous le prétexte de ne pas lui laisser le monopole de la Nation… Et surtout ils se sont persuadés et ils nous ont persuadés que pour gouverner aujourd’hui il suffit de contrôler la perception des gouvernés. Ils se sont persuadés et ils nous ont persuadés qu’il n’y avait pas d’alternative à leur morne gouvernance… qu’il fallait abandonner nos espoirs, nos désirs, nos révoltes à leurs calculs de comptables, à leurs ajustements de technocrates, à leur vision myope de bureaucrates… Ils ont pris pour du courage ce qui n’était qu’un lâche abandon à l’air du temps.
Le 12 avril il ne s’agit pas d’une manifestation de plus, il ne s’agit pas de protester seulement, mais de se mettre en mouvement…
C’est aussi simple qu’une envie soudaine de se secouer, aussi simple qu’une chanson de Lou Reed : Take a Walk On The Wild Side.
Traduisez comme vous le voulez, « prendre la tangente », « suivre la mauvaise pente » ; surtout s’ensauvager !
Contre l’assignation à résidence des politiques sécuritaires il faut sortir de chez soi,
Contre l’occupation de l’espace public et médiatique par les religieux et les extrémistes, il faut aller dans les rues,
Contre l’injonction à la raison néolibérale, il faut se mettre en mouvement, chercher d’autres chemins,
Contre la préférence médiatique pour le FN, il faut changer de fréquence, prendre la tangente…
C’est pourquoi je me joindrai à la marche du 12 avril.
Devant l’immobilisme du pouvoir mais aussi pour conjurer notre propre immobilisme, il faut se mettre en mouvement :
Take a Walk On The Wild Side.
Christian Salmon
Le 12 avril : « Walk On The Wild Side » / 10 avril 2014
Publié sur le blog Mediapart de l’auteur
lire les appels à manifester sur les sites d’Alternative libertaire et du NPA
Je n’ignore pas être animée d’une volonté rageuse de rendre improductif mon bas ventre. Je sécrète des maladies produites par cette volonté qui ne m’est pas en propre mais est le résultat de l’air que j’avale. Ces maladies sont issues de mon imagination. Mon imagination est issue des multiples corps qui ont multiplié mon imagination. Je suis une extension de l’imagination des autres, ce qui étend nos corps hors de tout contour. Chaque corps de l’autre étend autant de corps que d’imagination. Chaque corps refigure le corps. Chaque corps de l’autre étend autant de corps que d’imagination. Que par des langues propres on cherche à occuper, des langues non mystérieuses faites par des maladies non mystérieuses parce que saines et produites par la syntaxe droite. C’est une sorte de guerre. C’est comme une guerre. La syntaxe droite est l’idée droite qui capture les corps et les occupe. Elle fabrique des corps fermés prêts à entrer dans les tombeaux de ses guerres économiques. La syntaxe droite a besoin de la nature pour rendre opératoire et naturelle l’idéologie coloniale ou patriarcale ou encore patronale. Elle produit des idées naturelles pour asseoir son droit naturel. La vie naturelle est donc une production de la syntaxe droite. La syntaxe straight opère par occupation des esprits et des corps. De toutes les béances, la syntaxe droite en a trouvé une qui assure le pouvoir naturel. Le mot d’ordre de la syntaxe straight est donc l’occupation de l’utérus, c’est par là qu’elle poursuit la procréation de sa loi. Pour garantir son droit naturel elle fait de ce lieu un territoire qui garantit la vie naturelle. Les corps possédant un utérus sont ainsi expropriés par la vie absolue produite par le droit naturel et la syntaxe droite. Les siècles ont cousu les corps pour en fermer chaque trou. C’est aux béances les plus visibles du corps que l’idéologie dominante s’attaque et c’est par elle que toujours elle entre. Sa façon d’attaquer et de pourchasser les femmes voilées tient de la même manie que celle qui consiste à habiter le ventre des femmes. En faisant de la femme une vie faite pour la vie on trouve par là de quoi retirer la vie, ses droits, ses libertés, son corps. Et la possibilité d’un commun, puisque la voici tellement faite pour la vie qu’elle se trouve jetée hors de celle-ci et de son organisation. C’est donc comme une guerre. Oui, c’est une guerre. Contre les corps, car le corps n’existe pas. Le corps n’existe que par les devenirs dans lesquels il est pris : devenir-femme, devenir-animal, devenir-arabe, devenir-bouche. Toujours des devenirs qui défont le corps et l’ouvrent à une altérité qu’il n’est pas, qu’il n’est jamais. Même le corps du Christ est multiple et pris dans des devenirs : mangez mon corps, buvez mon corps, je suis mort, je suis vivant, crucifiez-moi. La bouche ne sert pas qu’à manger, elle est prise dans des mouvements étranges. Elle parle, elle suce et lèche, elle embrasse et mord – et elle peut embrasser et mordre en même temps. Mon corps aime avoir une bite dans le cul, c’est-à-dire aussi dans le cerveau et partout à travers mes nerfs comme à travers les tiens, mon amour. Les corps sont singuliers, mobiles, toujours ouverts, cosmiques. L’État ou l’Église ne cessent de vouloir identifier nos corps, les réduire à un corps figé, ordonné selon des impératifs qui ne sont pas ceux du corps mais de l’argent, des valeurs morales, de la police, de la patrie, de la Nation. Les groupes fascisants qui défilent et s’acharnent contre nos corps veulent la même chose : transformer nos corps en tombeaux, en choses mortes, sans futur ni joie. Ces mouvements réactionnaires, violents d’une violence qui s’organise et dont nous n’avons pas encore commencé à mesurer concrètement le degré, veulent imposer un ordre aux corps, un ordre immuable, fixe. Un ordre raciste, nationaliste, haineux, effrayé. Un ordre mortifère. Ce qu’ils veulent, c’est nous tuer, c’est ce qu’ils veulent précisément : en Russie, en Espagne, en France – tuer des corps, tuer des gens. C’est ce qu’ils font et c’est ce qu’ils feront. C’est donc une guerre. Une guerre contre nos corps. Mélanger nos corps. Par la bouche, les mélanger par la peau. Mélanger nos corps par le sexe, par la peau, par les mains. Mélanger nos corps déjà mélangés. Par la bouche, par la peau, par le sexe, par les yeux. Que les corps suintent. Que les corps s’écoulent, saignent. Que les corps submergent, nos corps submergés. Nos corps esclaves. Par la bouche, par la peau, par le sang, par les mains, par le sexe. Révolte révolte révolte.
Liliane Giraudon, Frank Smith, Amandine André, Jean-Philippe Cazier
C’est comme une guerre / 2014
Publié sur le blog Mediapart de Jean-Philippe Cazier
Vidéo : Le Corps collectif