La nouvelle loi sur l’avortement sera, avec l’irlandaise, la plus restrictive d’Europe. Ne laissons pas pénétrer dans nos vagins une seule goutte de sperme national catholique.
Enfermés dans la fiction individualiste néolibérale, nous vivons avec la croyance naïve que notre corps nous appartient, qu’il est notre propriété la plus intime, alors que la gestion de la plupart de nos organes est assurée par diverses instances gouvernementales ou économiques. Parmi tous les organes du corps, l’utérus est sans doute celui qui, historiquement, a fait l’objet de l’expropriation politique et économique la plus acharnée. Cavité potentiellement gestatrice, l’utérus n’est pas un organe privé, mais un espace public que se disputent pouvoirs religieux et politiques, industries médicales, pharmaceutiques et agroalimentaires. Chaque femme porte en elle un laboratoire de l’État-nation, et c’est de sa gestion que dépend la pureté de l’ethnie nationale.
Depuis quarante ans en Occident, le féminisme a mis en marche un processus de décolonisation de l’utérus. L’actualité espagnole montre que ce processus est non seulement incomplet, mais encore fragile et révocable. Le 20 décembre, le gouvernement de Mariano Rajoy a voté l’avant-projet de la nouvelle loi sur l’avortement qui sera, avec l’irlandaise, la plus restrictive d’Europe. La loi de «protection de la vie du conçu et du droit de la femme enceinte» n’envisage que deux cas d’avortement légal : le risque pour la santé physique ou psychique de la mère (jusqu’à 22 semaines) ou le viol (jusqu’à 12 semaines). Mais encore, un médecin et un psychiatre indépendant devront certifier qu’il y a bien risque pour la mère. Le texte a suscité l’indignation de la gauche et des féministes, mais aussi l’objection du collectif des psychiatres qui refusent de participer à ce processus de pathologisation et de surveillance des femmes enceintes annihilant leur droit à décider pour elles-mêmes. Les politiques de l’utérus sont, comme la censure et la restriction de la liberté de manifester, de bons détecteurs des dérives nationalistes et totalitaires. Dans un contexte de crise économique et politique de l’État espagnol, confronté à la réorganisation du territoire et de son «anatomie» nationale (pensons au processus de sécession de la Catalogne, mais aussi au discrédit croissant de la monarchie et à la corruption des élites dirigeantes), le gouvernement cherche à récupérer l’utérus comme lieu biopolitique dans lequel fabriquer à nouveau la souveraineté nationale. Il imagine qu’en le possédant il parviendra à figer les vieilles frontières de l’État-nation en décomposition.
Cette loi est aussi une réponse à la légalisation du mariage homosexuel acquise durant le mandat du précédent gouvernement socialiste et que, malgré les tentatives récurrentes du Parti populaire (PP), le Tribunal constitutionnel a refusé d’abroger. Face à la remise en question du modèle de la famille hétérosexuelle, le gouvernement Rajoy, proche des intégristes catholiques de l’Opus Dei et du cardinal Rouco Varela, entend aujourd’hui occuper le corps féminin comme lieu ultime où se joue, non seulement la reproduction nationale, mais aussi la définition de l’hégémonie masculine.
Si l’histoire biopolitique pouvait être racontée cinématographiquement, nous dirions que le PP prépare un frénétique porno gore dans lequel Rajoy et son ministre de la Justice, Ruiz Gallardón, plantent le drapeau espagnol dans tous les utérus de l’État-nation. Voici le message envoyé par le gouvernement aux femmes du pays : ton utérus est un territoire de l’État, domaine fertile pour la souveraineté nationale catholique. Tu n’existes qu’en tant que mère. Écarte les jambes, deviens terre d’insémination, reproduis l’Espagne. Si la loi que le PP propose prend effet, les Espagnoles se réveilleront avec le Conseil des ministres et la Conférence épiscopale au fond de l’endomètre.
Corps né avec utérus, je ferme les jambes devant le national catholicisme. Je dis à Rajoy et Varela qu’ils ne mettront pas un pied dans mon utérus : je n’ai jamais enfanté, ni n’enfanterai jamais au service de la politique espagnoliste. Depuis cette modeste tribune, j’invite tous les corps à faire la grève de l’utérus. Affirmons-nous en tant que citoyens entiers et non plus comme utérus reproductifs. Par l’abstinence et par l’homosexualité, mais aussi par la masturbation, la sodomie, le fétichisme, la coprophagie, la zoophilie… et l’avortement. Ne laissons pas pénétrer dans nos vagins une seule goutte de sperme national catholique. N’enfantons pas pour le compte du PP, ni pour les paroisses de la Conférence épiscopale. Faisons cette grève comme nous ferions le plus «matriotique» des gestes : une façon de déconstruire la nation et d’agir pour la réinvention d’une communauté de vie post-État nationale où l’expropriation des utérus ne sera plus envisageable.
Beatriz Preciado
Déclarer la grève de utérus
Tribune publiée dans Libération le 17 janvier 2014
Archive pour le Tag 'avortement'
Pour un avortement libre et gratuit, Partout, Pour toutes et sans délai : manifestation samedi 1er février à 14h.
départ place Joffre (métro école militaire) jusqu’à l’ambassade d’Espagne, avenue Marceau
Le gouvernement espagnol s’apprête à interdire l’avortement sauf en cas de viol ou de danger pour la femme si elle arrive à obtenir 2 avis médicaux différents. Ce projet s’appelle « loi organique de protection de l’embryon et des droits de la femme enceinte ». Il revient sur la loi votée en 2010 légalisant l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse et 20 semaines pour raison médicale.
Nous sommes solidaires de toutes celles et ceux qui se battent en Espagne et ailleurs pour un avortement libre et gratuit.
Toutes les femmes devraient pouvoir choisir si elles veulent un enfant et quand elles le veulent. Nos corps nous appartiennent et personne ne devrait pouvoir décider à notre place, la maternité et la paternité doivent être un choix. Nous ne sommes ni mères ni pères naturellement.
Si une femme sur deux avorte en France quelle que soit sa classe sociale, c’est qu’une grossesse peut-être un problème, un accident, le résultat d’un viol conjugal ou pas… la plupart des grossesses non désirées arrive après un échec de contraception. Les femmes ne tombent pas enceintes toute seules pourtant c’est elles qu’on culpabilise.
En autorisant ou non l’avortement mais aussi en en définissant les conditions, l’État dépossède les femmes de la maîtrise de leur reproduction et les assignent à un rôle de couveuse. La sexualité est un enjeu de société car le pouvoir étatique comme religieux vise au contrôle de l’individu dans toutes les strates de sa vie, jusqu’à son intimité pour conserver le modèle hétéro-patriarcal de la famille. Cette morale largement reproduite réprime la sexualité centrée uniquement sur le plaisir. La montée des idées conservatrices et homophobes s’est d’ailleurs récemment manifestée dans les rues, massive, décomplexée : manif pour tous, prières de rue des pro-vie, manifestation anti-IVG, groupes masculinistes…
L’interdiction de l’avortement n’a jamais empêché les femmes d’avorter. Là où il est interdit, l’avortement clandestin risque d’être pratiqué dans des conditions désastreuses et/ou très onéreuses, des milliers de femmes meurent chaque année, d’autres sont obligées de garder une fois nés les enfants qu’elles ne voulaient pas, contraintes à une vie qu’elles n’ont pas choisie.
En France, le délai légal de l’avortement est de seulement 12 semaines de grossesse mais le délai d’attente pour avorter est long : pas assez de centres qui le pratiquent tandis que beaucoup sont menacés de fermeture (Maternité des Lilas…), médecins non coopératifs… Beaucoup de femmes ayant dépassé les délais partaient en Espagne pour avorter. Avec cette loi, l’accès à l’avortement va se compliquer pour toutes.
L’État s’arroge le droit d’interdire l’avortement mais il a également empêché que se développe toute pratique d’avortement hors cadre médical. Dans les années 70, des militant-e-s féministes ont été réprimé-e-s pour avoir réalisé des avortements de manière autonome. Les femmes sont dépossédées des pratiques et des connaissances propres à leur corps ce qui les rend dépendantes de ce système.
Tant que les femmes ne seront pas libres de disposer de leur corps comme elles le souhaitent, nous nous battrons.
Tant que la religion, l’État et le patriarcat existeront, ils seront des pouvoirs à combattre.
Pour un avortement et une contraception libres, gratuits, partout, pour tou-te-s, sans conditions et sans délais.
manifestation samedi 1er février contre la loi anti-avortement en Espagne place Joffre
(Métro Ecole militaire dans le 7eme arrondissement) jusqu’à l’ambassade d’Espagne, avenue Marceau
L’Église et les secteurs les plus réactionnaires se dressent à nouveau contre celles d’entre nous qui exerçons notre liberté et pour nous criminaliser. Il ne s’agit pas de savoir quand commence la vie. Pour ce faire, la science a plus à nous dire que l’Église.
Ils ne défendent pas la vie. Ils ne se préoccupent pas des femmes qui meurent en pratiquant un avortement clandestin, ni des femmes qui ne peuvent se permettre de tomber enceinte parce qu’elles sont sans emploi. Ils ne se préoccupent pas du droit à l’éducation, à la santé, à un logement, à une vie digne pour ceux qui sont déjà au monde. Et ils se taisent face aux politiques d’austérité et de démantèlement des conquêtes sociales.
Car ce n’est pas la vie qui les intéresse : c’est le contrôle du corps des femmes, de leur capacité de reproduction. Il s’agit pour eux de remettre en question la capacité de décision des femmes sur leur propre corps et leur sexualité ; de réinstaurer les rôles traditionnels dans lesquels la femme doit être soumise ; d’imposer un modèle de sexualité lié à la reproduction et de réduire la sexualité au seul modèle hétérosexuel.
Nous ne voulons ni revenir en arrière ni continuer comme maintenant
Le PP nous menace avec une nouvelle loi – proposée par le Ministère de la Justice et non par celui de la Santé – qui éliminera les 14 semaines d’avortement libre et établira un système de pré-requis plus restrictif que la loi actuelle datant de 1985. Mais dans la situation actuelle, l’avortement n’est déjà que partiellement dépénalisé. Le PSOE avait fait quelques pas en avant mais il n’a pas osé s’opposer frontalement à l’Église, ni rompre avec la logique de privatisation.
- 98% des avortements sont réalisés en dehors du secteur de la santé publique, dans des cliniques privées et concertées. Certaines Communautés Autonomes n’en pratiquent pas, dans d’autres il faut payer mais avorter dans un autre centre de santé, dans une autre ville, en cachette, comme s’il s’agissait d’un crime.
- Dès que tu as prévenu ton médecin, tu as trois jours pour réfléchir, avec un document d’information dont le contenu est loin d’être impartial (avantages fiscaux, adoption…). On remet constamment en question le choix de la femme, comme si nous étions des hystériques et des impulsives, incapables de prendre toutes seules une décision.
- Il n’y a pas d’accès gratuits aux contraceptifs. Or, la prévention est fondamentale ; c’est un droit élémentaire.
- Il n’existe pas non plus d’éducation sexuelle et affective qui apporte des réponses à la réalité. L’unique information donnée concerne les maladies sexuellement transmissibles et les aspects biologiques de la reproduction. Or, la sexualité fait partie de notre identité et cela va bien plus loin que la reproduction.
- Beaucoup de médecin qui se déclarent publiquement « objecteurs de conscience » pratiquent des avortements en privé. La morale passe au second plan quand on peut faire de bonnes affaires, mais eux seuls en bénéficient. Pour les autres, on nous impose une moralité absurde qui punit ce qui ne cadre pas dans leurs définitions réductionnistes de la sexualité, de la famille, etc.
- Les coupes dans les aides éducatives, l’assistance sociale, aux personnes dépendantes, les licenciements, les expulsions de logement, etc. limitent nos droits dans tous les domaines. Des coupes et des mesures qui frappent bien plus les femmes parce qu’elles partent d’une situation déjà désavantageuse et parce qu’elles sont les principales bénéficiaires des services publics.
Nouvelle loi du PP, nouveau tour de vis
Le PP menace de convertir à nouveau en délit le choix des femmes sur leur maternité, en nous forçant à devenir mères, sauf si nous pouvons démontrer que nous avons été violées ou si nous courrons un risque grave. Cette loi peut condamner à la mort des femmes qui ne peuvent pas voyager jusqu’à Londres pour avorter. Elle place les mineures sous tutelle en les considérant comme capables de devenir mères, mais pas pour décider de ne pas l’être, alors qu’elles peuvent avoir ce choix lorsqu’il s’agit d’une autre opération chirurgicale.
Cette nouvelle attaque n’est pas isolée des autres mesures que nous subissons : les coupes, les licenciements et la précarité font partie de la même logique. Le capitalisme a besoin de contrôler nos corps pour survivre et sortir de cette crise, pour tirer profit de la situation de la femme sur le marché du travail, pour générer plus de précarité du travail en l’élargissant à toute la classe travailleuse, en chargeant sur le dos des femmes le travail domestique, l’éducation des enfants, les soins aux personnes malades et dépendantes. Pendant ce temps, on coupe dans les budgets publics et on précarise encore plus les conditions de vie des femmes et des autres catégories sociales.
La nouvelle loi est un nouveau tour de vis. Le droit de décider fait partie des droits et des conquêtes sociales et politiques qui entravent les profits du capital et c’est pour cela qu’ils veulent les démanteler. Nous qui luttons au quotidien pour défendre notre dignité, nous devons prendre conscience de ce qui est en jeu. C’est en descendant dans la rue que nous devons faire notre la lutte féministe pour le droit de décider.
Izquierda anticapitalista
Etat espagnol : face à la réforme de la loi sur l’avortement / décembre 2013
Texte intégral en français sur le site du NPA
Texte intégral original sur le site d’Izquierda anticapitalista