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La gifle de Badiou à la rhétorique de Bensussan / Alain Badiou et Cécile Winter

Du haut de sa position de professeur à l’université de Strasbourg, monsieur Bensussan croit pouvoir dire, non seulement que je suis un stupide manieur de notions indigentes, ce qui est la moindre des choses qu’on puisse dire sur moi quand on parle de si haut, mais que je suis en quelque sorte le fondateur d’un supposé «antisémitisme d’extrême gauche» (lire antisémitisme du 23 juillet). Le premier point peut être laissé au jugement de l’opinion publique : que ceux qui préfèrent la haute contribution intellectuelle du professeur Bensussan à ma médiocre entreprise se lèvent, je n’y vois nul inconvénient.
Le second, je l’ai déjà dit à propos de quelques précédents, relève en droit des tribunaux : outre que, par définition, il ne saurait exister un antisémitisme d’extrême gauche – c’est un oxymore aberrant -, je défie en effet quiconque de trouver une seule phrase dans la totalité de mon œuvre qui puisse être qualifiée d’antisémite. Mais je n’aime ni les Etats tels qu’ils sont (l’Etat français, soit dit en passant, pas plus que l’Etat d’Israël) ni, par conséquent, les tribunaux. La conclusion est simple : si un jour je croise le professeur Bensussan, je lui donnerai une gifle, que sa rhétorique calomniatrice mérite amplement.
S’agissant des références du calomniateur au livre de 2005, Portées du mot « juif », elles sont toutes inexactes, ce qu’impose le but poursuivi par leur faussaire d’auteur. En outre, elles sont pour l’essentiel extraites, si l’on peut qualifier d’extraction de telles venimeuses déformations, de la contribution de Cécile Winter à ce livre. J’associe donc Cécile Winter à mon droit de réponse, dans le texte qui suit.
Alain Badiou

Monsieur Bensussan dit, l’attribuant à Badiou, que j’ai écrit que «le nom juif est une création politique nazie». J’en appelle donc à la simple lecture du texte. J’ai écrit : «Avant Hitler il y avait des juifs, individus et peuple, mais Hitler a fait de Juif un signifiant idéologique et étatique justifiant l’extermination.» Monsieur Bensussan conteste-t-il ce point ? Il semble que oui, puisqu’il s’élève contre l’idée d’une «invention hitlérienne au service de l’extermination», semblant considérer que l’hitlérisme n’était rien de nouveau sous le soleil.
J’ai dit ensuite que ce signifiant de Juif – avec une majuscule -, mis en avant comme devant être l’alpha et l’oméga de l’explication des événements de la dernière guerre mondiale, associé à l’invention de la notion de crime contre l’humanité, avait servi d’écran et d’intimidation empêchant l’examen historique détaillé de ce qui s’était réellement passé alors. Et que l’examen détaillé des faits conduisant forcément à envisager l’attitude des gouvernements et armées alliées – qu’ont fait tous ceux à qui les juifs ont lancé des appels désespérés à l’aide? -, lesdits gouvernements et armées ont préféré en faire un impensable relégué dans le ciel de Grandes Majuscules.
J’ai dit enfin que l’Etat d’Israël, sous le nom d’Etat juif, avait largement profité de ce dispositif issu de la fort compréhensible culpabilité occidentale pour justifier sa politique dans sa situation qui n’est pas celle des juifs d’Europe ; mais une situation du Moyen-Orient où le problème est de traiter des suites d’une installation sur un territoire, petit de surcroît, où vivait déjà un autre peuple ; soit, le difficile problème d’une situation coloniale. Et j’ai conclu que le maniement intimidant du signifiant Juif, servant à interdire tout examen et toute critique – immédiatement taxée d’antisémite – ne servait pas les gens, tant palestiniens qu’israéliens, qui sont nés et qui doivent faire leur vie là-bas – là encore, ceux qui brandissent ainsi ce signifiant brandissent le Juif contre les juifs.
M. Bensussan semble regretter que la solution de deux Etats ait fait long feu, et il en impute l’échec à «l’intervention badiousienne». C’est faire grand honneur à un «ectoplasme de pensée aux hypothèses indigentes» ! Là encore, suivons peut-être plutôt la méthode de l’examen des circonstances. Le pays dans sa totalité est petit et, c’est un fait, les gens, juifs et Arabes, y vivent côte à côte – c’est d’ailleurs un effet de la colonisation israélienne en Cisjordanie. Alors, que veulent messieurs Bensussan et consorts ? Nous pouvons dire ce que nous voulons, et qui nous paraît l’unique solution raisonnable : un seul pays, un Etat commun, où tous peuvent vivre et jouir des mêmes droits. Et nous osons prétendre que les gens, où qu’ils soient d’ailleurs, et là en particulier, sont parfaitement capables de vivre ensemble : «Nous partagions le travail et les jours de fête.» Ce sont toujours des intérêts coloniaux étrangers qui, sans vouloir dire ce qu’ils cherchent vraiment, poussent à la division, à la peur et à la haine. Quelle autre issue peut-il y avoir à une situation créée par une installation coloniale ? Il y a l’exemple américain de l’extermination des premiers habitants. Ou alors ? Vous tenez vraiment à pousser toujours plus les habitants d’Israël à une mentalité assiégée de pieds-noirs ? A qui voulez-vous faire croire que ce faisant vous ne les poussez pas dans le mur, tous juifs qu’ils sont, tout en hurlant à l’antisémitisme ? Vous vous élevez contre les manifestations où«des synagogues ont été attaquées sans vergogne» : c’est faux. Je vous renvoie à la déclaration du rabbin de la synagogue concernée qui a tenu à faire savoir que celle-ci n’avait fait l’objet d’aucune agression.
A l’origine des manifestations, un collectif d’organisations, dont en premier lieu l’Union juive française pour la paix et des comités Palestine. Au cours d’une conférence de presse, leurs représentants ont dit que Valls avait interdit la manifestation pour empêcher que «juifs et Arabes défilent main dans la main». Oui, parfaitement, ce sont ces gens qui manifestent ensemble qui montrent la seule voie raisonnable pacifique et juste, et vous, encore une fois, qui tenez pour néant ou pire tout juif où qu’il soit qui cherche la vérité et la justice, et ce, prétendez-vous, au nom de la lutte contre l’antisémitisme, que cherchez-vous ?
Cécile Winter
La gifle de Badiou à la rhétorique de Bensussan / Alain Badiou et Cécile Winter
Publié dans Libération le 12 août 2014

Invalides

Gaza 2014 ou quel antisionisme ? / Sophie Bessis / Javier Bardem, Penelope Cruz et Almodovar contre les bombardements de Gaza / Mise en examen d’Alain Pojolat (NPA) / Soutenons les Palestiniens, dégageons les antisémites / Alternative libertaire

Depuis qu’Israël a «évacué» Gaza en 2005, Tsahal envahit régulièrement l’enclave au prétexte de neutraliser la capacité de nuisance du Hamas. L’opération «Bordure protectrice» lance aujourd’hui ses chars pour y éliminer les lanceurs de roquettes, au prix de la mort de centaines de civils que le langage militaire appelle «dommages collatéraux». Comme d’habitude, les parrains des deux camps finiront par obtenir un cessez-le-feu. Jusqu’à l’explosion suivante. Jusqu’à quand ?
Plus que jamais, cette tragique répétition et l’impossibilité pour les Palestiniens de vivre en peuple libre sur la terre qui est la leur obligent à reposer la question de l’antisionisme. Vu le caractère inacceptable de l’occupation israélienne, il est facile de se ranger sous sa bannière. Mais il faut, dans ce cas, définir l’antisionisme dont on se réclame.
Les nationalismes, à ne pas confondre avec la libération nationale, se reconnaissent entre autres à leur mythification systématique de l’histoire.
N’échappant pas à cette règle, la construction du roman national israélien repose sur une fiction et une imposture. Le mouvement sioniste a toujours affirmé le droit inaliénable du peuple juif à recouvrer «sa» terre en entretenant l’illusion qu’«une terre sans peuple» attendait le «retour» chez lui d’un peuple sans terre. Ce mensonge a longtemps rendu les Palestiniens invisibles aux yeux du monde. L’imposture, elle, a consisté à transformer l’immémoriale promesse messianique du retour des juifs en Terre sainte en droit de propriété exclusif sur un territoire auquel la Bible, passée du statut de livre saint à celui de manuel d’histoire, est censée servir de cadastre. Or, le sionisme est une idéologie née dans l’Europe de la seconde moitié du XIXe siècle qui a inventé l’Etat-nation, et légitimée par la multiplication des persécutions antijuives qui ont connu leur monstrueux apogée avec l’extermination des Juifs européens dans les camps de la mort nazis.
Pendant des décennies d’ailleurs, théologiens et rabbins ont refusé de le cautionner. Ils jugeaient que le moment du retour ne pouvait être fixé que par l’Eternel et voyaient le signe de l’élection du peuple juif dans le fait qu’il a reçu de Dieu la Loi, plus que la terre, donnée, elle, sous conditions. Construction historique moderne, le sionisme ne saurait donc octroyer par lui-même aucune légitimité à l’Etat-nation israélien qu’il a construit au prix d’une instrumentalisation du religieux et d’une entreprise coloniale n’ayant jamais voulu dire son nom, c’est-à-dire de la conquête, du nettoyage ethnique et de la négation des droits de ceux qu’il a expulsés ou soumis.
Sur le plan politique, comme tout nationalisme, le sionisme s’est donné pour mission de régner sur une communauté dont il s’est autoproclamé l’unique mandataire. Comme tout nationalisme, il définit pour elle un «espace vital» d’où doivent être bannis tous ceux qui portent atteinte à sa pureté. Jamais les dirigeants sionistes, avant puis après la création d’Israël, n’ont voulu désigner de frontières claires à leur Etat, convaincus que ce dernier doit englober la totalité d’un mythique «Eretz Israël» aux limites non définies. Tout au plus, les plus réalistes ont convenu qu’il faudrait un jour lâcher quelque chose, le moins possible, pour obtenir la paix. Mais ces réalistes ont été balayés par l’idéologie même qui était la leur. D’occupation illégale en répression brutale de toute aspiration palestinienne à l’autodétermination, Israël ne s’est donné que la guerre sans fin pour horizon.
Enfin, des siècles d’oppression dont les juifs ont été l’objet les dirigeants sionistes ont tiré une sorte de «droit» à l’impunité pour toute persécution commise, au nom de la réparation des souffrances subies. Cette posture n’est pas recevable. L’éthique oblige donc à l’antisionisme pour deux raisons au moins : les Palestiniens ont le droit de vivre libres dans leur pays, et la persécution subie, quelle qu’en ait été l’ampleur, n’autorise en aucun cas à devenir persécuteur, elle ne libère personne du respect du droit.
Voilà trois raisons, historique, politique, éthique qui donnent sens à l’antisionisme. La détérioration continue de la situation depuis l’échec d’Oslo a rallié à lui ceux qui crurent, sincèrement, que le sionisme pouvait régler de façon positive la «question juive», et qui en constatent aujourd’hui les dérives. C’est le cas de la gauche pacifiste israélienne qui regarde, terrifiée, sa société se laisser séduire par la droite la plus radicale. Antisionistes et postsionistes peuvent donc se rejoindre en un combat commun. A condition, on l’a dit, de savoir de quoi l’on parle.
Tout au long du XXe siècle, tous les nationalismes – portés par une inéluctable dynamique interne à leur point d’incandescence, c’est-à-dire à une modalité ou à une autre du fascisme, quel que soit le nom qu’on lui donne – ont engendré la mort, la destruction, les nettoyages religieux ou ethniques. A chaque fois, des hommes et des femmes se sont levés pour combattre les assignations identitaires, la haine raciale, la stigmatisation des minorités, et pour ouvrir d’autres pistes aux aventures humaines. C’est au nom de ces principes qu’il faut être antisioniste. Pas au nom d’un nationalisme concurrent. Or, la majorité des élites arabes et des opinions qu’elles formatent combattent le sionisme en usant du même logiciel. Elles sont, elles aussi, habitées par le fantasme de la pureté, qui engendre l’exclusion de l’autre du territoire, de la mémoire, de la culture. Le nationalisme arabe a ainsi procédé depuis plus d’un demi-siècle à une série d’épurations ethno-religieuses qui ont exclu des communautés nationales tout ce qui n’était pas arabo-musulman. Cela n’exonère pas le sionisme de ses méfaits. Cela ne donne ni moyens ni légitimité pour le combattre. Pour les parties séculières des opinions arabes, la Palestine est un territoire arabe à récupérer. Pour leurs segments religieux, c’est une terre musulmane qui doit revenir à la Oumma. Les uns et les autres mènent une bataille identitaire contre Israël, dans laquelle les intérêts des Palestiniens réels ne pèsent pas grand-chose, l’histoire l’a, plus d’une fois, montré. La diabolisation courante de tout juif en archétype sioniste a, en outre, conduit la majorité des Arabes à un intolérable déni d’histoire passant par le refus de reconnaître la réalité du génocide hitlérien et par une cécité commode sur les ravages de leur propre nationalisme. Outre leur caractère insupportable, ces postures ont contribué à renforcer la rhétorique sioniste qui n’a cessé de jouer sur la menace antisémite pour souder autour d’elle la société israélienne.
Que faire pour sortir de l’impasse ? D’un côté, la droite israélienne au pouvoir ne veut pas d’un Etat palestinien, si modeste et impuissant soit-il. Pour elle, l’Etat hébreu a vocation à s’étendre de la mer au Jourdain. Or, jamais les Palestiniens ne se résigneront à vivre dans la servitude. De l’autre, une société israélienne existe, si discutables que soient les bases sur lesquelles a reposé sa création. Enfin, la colonisation systématique de la Cisjordanie, où vit désormais 10% de la population juive israélienne, éloigne chaque jour davantage la possibilité de la partition de la Palestine historique en deux Etats. L’occupation a produit le paradoxe d’instaurer l’apartheid dans le cadre d’un mélange inextricable. Dans la mesure où ni les Palestiniens ni les Israéliens juifs ne quitteront une terre qui est la leur ou qui l’est devenue, c’est donc à une autre forme de coexistence qu’il faut désormais songer. Pour que le rêve d’une cohabitation égalitaire puisse se transformer en horizon possible, les Arabes doivent renoncer au stérile déni d’existence de la société israélienne. Seul un combat commun entre les anticolonialistes israéliens et les gauches arabes libérées du vieux réflexe tribal pourrait permettre de briser le cercle. L’antisionisme libérateur ne peut être, de part et d’autre, qu’un antinationalisme.
Sophie Bessis
Gaza 2014 ou quel antisionisme ? /2104
Publié le 30 juillet 2014 dans Libération

À lire :
Javier Bardem, Penelope Cruz, Almodivar contre les bombardements de Gaza

Libération
El Diario
Europa Press

et :
Mise en examen d’Alain Pojolat (NPA)
Soutenons les Palestiniens, dégageons les antisémites / Alternative libertaire

Manif samedi 2 août 15h Denfert-Rochereau Paris

intervention divine

Tentative de détricotage de l’affaire Dieudonné / Elias Jabre

Amalgame, confusion, antisémitisme, antisionisme, fascisme, et bêtise.
On aura beau démontrer à ces « idiots » qu’ils ont tort, leur crier d’arrêter de supporter cet humoriste, il en ressort toujours plus renforcé et vindicatif ainsi que ceux qui le soutiennent.
Un français dont le père est originaire du Cameroun, ex-pays colonisé par la France, appuie ses spectacles sur la haine des « Juifs » dont les associations représentatives se liguent contre lui avec les institutions françaises pour l’interdire, et les journaux font chorus.
Mettre les Juifs, les Israéliens et les sionistes dans le même panier est une bêtise réductrice. Mais ne pourrait-il pas y avoir un amalgame encore plus grossier qui viendrait renforcer celui-ci en le rendant d’autant plus infernal par un étrange processus de superposition ?
Revenons à ce ressentiment parodique et « nauséabond » qui traverserait cette foule de fans « déraisonnables ». De quel affect s‘agirait-il ? D’une révolte qui se trompe d’adversaire ?
Et si l’amplification de l’affaire Dieudonné et la virulence du débat, derrière le nom de « Juif », visait plus largement le mètre étalon qui dicte la loi de nos démocraties libérales, un discours d’homme-blanc-occidental avec ses effets de domination ? Ne s’agit-il pas d’une condensation où le nom de Juif va servir d’amalgame à plusieurs représentations plus ou moins voilées ?
Bizarrement (ou au contraire, on pouvait s’y attendre), l’argumentation qui consiste à expliquer à l’autre ce qu’il peut dire ou ne peut pas dire ne semble pas contenir le phénomène. La bêtise résiste, comme si le discours n’avait pas d’effet sur l’affect.Posons l’équation affective à travers une autre forme de logique qui travaillerait à partir des notions de déplacement, de métonymie et de condensation qu’on retrouve en psychanalyse.
Qu’est-ce qu’une condensation ? Un ensemble d’ »associations affectives », ou amalgames d’images qui se groupent et se fusionnent uniquement parce que leurs objets sont marqués d’un « ton affectif commun » de joie, tristesse, amour, haine, etc. (Th. Ribot).
Essayons de comprendre comment les mots définissent des appartenances  auxquelles on s’identifie et fonctionnent en réseau, où les ensembles parfois se chevauchent, ce qui ferait dire qu’il y a confusion chez certains qui ont la tête dure, mais cette confusion est peut-être nourrie par des télescopages qui se forment de façon mécanique, des redondances qui donnent consistance à des positions affectives de façon automatique, et le moyen de lutter contre elles ne se réduirait pas seulement à mettre en accusation ou à faire des distinctions raisonnables.
Une quadruple superposition entretiendrait peut-être les amalgames entre Juif, Israélien et sioniste : l’histoire de l’Occident et des peuples colonisés / la Shoah où la valeur des victimes serait à l’avantage des « blancs » / l’ « apartheid » en Israël qui divise les Israéliens « occidentalisés » et les Palestiniens relégués en citoyens de seconde zone / les banlieues métissées et leur exclusion de fait dans une France divisée.
D’après cette perspective, ce ne serait donc plus tant le nom de « Juif » qui serait visé, bien que, par déplacement, il concentrerait les haines de certaines voix révoltées, mais plutôt le discours de domination occidental  et les conséquences qu’il continue à porter en Israël, mais aussi en France, et qui s’est compliqué depuis la période coloniale.
La partition entre colons et « métèques » était acquise de plein droit par le racisme qui imprégnait les discours. Aujourd’hui ces discours sont déconstruits en droit, mais les mêmes coordonnées tiennent toujours la place sous des rapports qui se sont compliqués du fait qu’ils reposent sur des situations qui persistent sous d’autres formes et qui sont désormais en violent décalage avec des principes conquis comme ceux d’égalité des droits, et où lorsque l’inégalité était entendue, elle se vivait avec une conscience plus tranquille, tandis que désormais elle fait gonfler la haine et le cynisme de façon inévitable.
Quel est public de D. sur lequel s’appliquerait cette équation ? Une large palette de français issus de l’immigration, ou alors, solidarité étrange, des partisans de l’extrême droite et d’extrême-gauche, liés ensemble par un antisionisme et un antisémitisme qui ne prend pas la même forme pour les uns et les autres, mais tous nourrissant une haine violente contre Israël et les juifs.
Parmi la multitude de ces groupes, en se contentant de dessiner une simple partition, on pourrait déjà distinguer les supporters issus de la France métissée qui se sentent solidaires des Palestiniens au nom d’un sentiment d’injustice et dont l’antisémitisme a pour composante essentielle l’effet de la politique israélienne, et leur sentiment d’être eux-mêmes exclus en France, disposant de peu de représentativité dans la politique ou dans les médias, sauf sous forme de prototypes assimilés. Du côté de l’extrême droite, des antisémites « vieille France » qui haïssent Israël qui pratique une politique dont ils rêveraient pour la France, et qui s’en prennent aux « Juifs français » qui saperaient les valeurs de l’ « identité française », tandis que, dans le même temps, ils soutiendraient la politique nationale en Israël pour renforcer leur identité « juive »… Egalement des défenseurs de l’ « identité noire » qui s’entendent avec les autres extrémistes au nom de l’idéal du chacun chez soi. Enfin, et le plus surprenant, les partisans d’une nouvelle forme d’identité nationale métissée, nouveau pli étonnant car il semble contradictoire, et qui fonctionne sur une revendication d’égalité qui arriverait à faire coexister extrême droite et métissage…
On pourrait ajouter un pli supplémentaire, et considérer que métissage à la française et capitalisme peuvent également faire bon ménage dans une nouvelle orientation postcoloniale, et que la couleur de la peau ne serait plus même un critère, comme dans le film Grigris de Mahamat Saleh Haroun, où on voit comment un français métropolitain d’origine tchadienne gère une affaire mafieuse en employant des tchadiens « locaux », film qui tout en soulevant cette problématique est lui-même embarrassant, la langue choisie pour faire parler les personnages étant le français.

http://www.clapnoir.org/spip.php?article998

GG

Comme le dit Achille Mbembe à travers une autre perspective, « la condition nègre ne renvoie plus à une affaire de couleur », elle serait devenue post-raciale.

http://www.liberation.fr/livres/2013/11/01/achille-mbembe-la-condition-negre-ne-renvoie-plus-a-une-affaire-de-couleur_943932

Ensuite, si l’on s’attache à la politique étrangère suivie par la France, les gouvernements et leurs représentants, gardiens d’un héritage de valeurs généreuses conquises par les luttes pour les droits,  en usent pour protéger chacune des communautés vivant en France, notamment la communauté juive, et en appeler à la coexistence, tout en étant en porte-à-faux quant à leur politique vis-à-vis d’Israël, pays d’apartheid qui n’est jamais condamné et où les relations commerciales prospèrent malgré l’inégalité qui y sévit et qui est en contradiction avec les mêmes valeurs prônées par les politiciens au nom du vivre ensemble. On ne peut pas dessiner des frontières où des discours sont valables  d’un côté et non de l’autre, et c’est cette hypocrisie qui revient sous forme d’une maladie de façon de plus en plus purulente. Elle attise le cynisme et la haine, et conduit machinalement à  l’amalgame entre Juif, Israélien et sioniste par cette drôle de torsion où le métissage deviendrait la revendication d’une nouvelle forme d’identité nationale homogénéisante au nom de l’égalité. « Etre français » serait devenu une façon de s’opposer à l’identité nationale israélienne qui reste une vieille forme qui essentialise la judéité en créant la discrimination par une politique coloniale classique, cette dernière renvoyant à la France dans laquelle nous serions encore et où les « blancs domineraient toujours » un pays « métissé ».
Ajouté à cela, la compétition victimaire, et si nous ne remettons pas en cause le statut exceptionnel de la Shoah (comme de tout génocide), nous pouvons nous interroger sur l’insistance de ce discours. N’entretient-il pas une autre tension ? Derrière le nom de « Juif », il y aurait la haine du « blanc colon » qui porte un discours de domination et pour lequel, quand une victime est un blanc européen, il vaut toujours plus qu’un métèque, et l’effet traumatique de la violence serait plus fort pour les héritiers « nationaux » (quand ils ne sont pas issus de « fils  et filles de colonies »). Ne retrouvons-nous pas inconsciemment le même rapport dissymétrique entre la vie d’un « blanc » et celle d’un « arabe » ou d’un « noir » ?  Et la vie d’un Israélien n’est-elle pas comparée à celle de plusieurs Palestiniens, alors que la colonisation des territoires continue sans que la France ne sanctionne Israël ?
La relation entre judéité et sionisme trouverait sa logique affective dans cette superposition de conflits, où la condensation consisterait à faire l’amalgame entre les Juifs israéliens en tant que colons et les Juifs en France auxquels on associerait tout un système de domination dont ils deviendraient une des figures représentatives par effet retour de la politique israélienne. Les Israéliens reproduisent la vieille domination occidentale chez les « métèques », de même que les «  français métissés » se sentiraient traités en citoyens de seconde zone en France, amalgame inacceptable logiquement, mais qui prend consistance affectivement par un jeu d’identifications à ces différents rapports d’inégalités. Les discours sur la Shoah ou sur la barbarie coloniale ne sont pas de vieilles rengaines, des boursouflures de la mémoire, leurs spectres résonnent avec notre actualité.
L’avenir de l’humanité se joue sans doute en Israël et la volonté de minimiser ce conflit pour en faire un parmi tant d’autres ne fonctionnera pas, car il résonne avec les coordonnées mondiales. De la même façon que l’Afrique du sud et son système d’apartheid aurait été le centre du monde, et nous pouvons renvoyer à ce cours  de Geoffroy de Lagasnerie sur l’Apartheid à partir d’un texte de Derrida, et sur la façon de penser une démocratie révolutionnaire qui utiliserait le formalisme du droit pour lutter contre un système profondément inégalitaire…

http://geoffroydelagasnerie.com/2013/12/18/sur-nelson-mandela-et-la-democratie-revolutionnaire/

Autre amalgame, la collusion entre judéité et capitalisme. Cette figure est plus connue, plus banale, antisémitisme classique qui est décuplé par la haine du capitalisme et le sentiment d’exclusion qui renvoie au partage entre ceux qui ont et ceux qui sont en dehors. Cette représentation vient renforcer la première, se superpose au discours de domination, se recombine avec elle et emporte le déferlement haineux.
Lutter contre D. ne serait pas l’interdire, mais reconnaître les actions de la France dans la colonisation en revenant sur les horreurs sarkozystes, premier pas fait par Hollande http://www.lexpress.fr/actualite/politique/hollande-en-algerie-a-setif-la-france-a-manque-a-ses-valeurs-universelles_1201455.html qu’il faudrait poursuivre, ouvrir le champ médiatique à des penseurs autres que Finkielkraut (qui est en train de faire de l’antisémitisme son fonds de commerce en le faisant fructifier). Par exemple à Schlomo Sand, à Achille Mbembe, à Butler qui analyse comment judéité et sionisme ne font pas bon ménage, ce qui pourrait aggraver une faille auto-immunitaire en Israël, où l’humour consisterait à en appeler au Juif qui sommeille en chacun des Israéliens pour libérer leur pays de l’imposture d’une identité nationale peu compatible avec certaines dimensions de la judéité.

http://lesilencequiparle.unblog.fr/2014/01/16/judith-butler-judeite-et-sionisme-jean-philippe-cazier/

Sans oublier la question d’un capitalisme ultralibéral en lien avec un modèle de domination occidentale qui trouve ses limites et où il faut d’urgence redéfinir les rapports et changer de civilisation (Nancy, Stiegler).
C’est-à-dire travailler la question du commun en dehors de la notion d’identité nationale qui, pour le moment, en proposant de résister aux flux du capital, sert de contrepoids. Les alternatives ? Une ou plusieurs internationales avec la création de partis politiques qui ne se limiteraient pas à un seul pays, ou uniquement à l’Europe, travaillant le développement nord-sud à partir de nouveaux concepts qu’on pourrait chercher chez Boaventura, Mbembé, etc., d’autres formes qui débordent les frontières et qui répondent aux coordonnées métissées dans lesquelles nous vivons désormais.
Elias Jabre
Tentative de détricotage de l’affaire Dieudonné / 2014
Remerciements à Jean-Philippe Cazier, Oumy, Sonko,
Marco Candore, Christiane Vollaire qui m’ont aidé à retravailler cet article

Sur la « bêtise » :
voir le dernier numéro de Chimères / Bêt(is)es / n°81

coordonné par Manola Antonioli et Elias Jabre : ICI et

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