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« Le fascisme, c’est le parti du désespoir contre-révolutionnaire, disait Trotsky » / Robi Morder et Patrick Silberstein – revue Regards

Syllepse publie un recueil de textes de Léon Trotsky, Contre le fascisme (1922-1940). Deux de ses coordonnateurs, Robi Morder et Patrick Silberstein, expliquent la démarche et l’intérêt de considérer l’époque actuelle à la lumière de ces textes.

Agrémenté d’une postface d’Ernest Mandel sur La théorie du fascisme chez Léon Trotsky et d’une introduction érudite, Contre le fascisme (1922-1940) est une somme de 81 textes et plus de 900 pages qui comporte aussi plusieurs index (noms, géographique, thématique) facilitent une lecture utile en ces temps troublés. Car derrière le détour par les années 1920 et 1930, c’est bien d’une lecture pour le temps présent qu’il s’agit.

Regards – Pourquoi ce livre et pourquoi avoir sous-titré votre introduction « Dernière station avant l’abattoir » ?

Au départ, il s’agissait de rééditer Comment vaincre le fascisme (1) de Léon Trotsky, livre épuisé. Et puis au fil de nos recherches, au regard de l’actualité de la question, de la lecture d’aujourd’hui qui est la nôtre, nous avons été « emportés » dans le projet. Au final, nous avons regroupé 81 textes qui recoupent la quasi totalité de ceux de Trotsky sur le fascisme et l’essentiel de ceux sur la guerre. Le livre aurait d’ailleurs pu s’intituler Contre Le fascisme et la guerre. Notre projet, c’est évidemment de mettre en relief ce qui peut nous servir aujourd’hui dans l’ensemble des réflexions, des intuitions et des théorisations de Trotsky sur le fascisme. D’un certain côté, il s’agit aussi de sortir Trotsky du « trotskysme »…

Vous insistez sur la nécessité d’une définition minimum du fasciste, qu’entendez-vous par là ?

C’est une recommandation de Zeev Sternhell qui indique qu’il faut dégager le dénominateur commun des mouvements se réclamant du fascisme, mais aussi de ceux qui, tout en déclinant la référence, font bel et bien partie de la famille. Disons qu’avec la concordance d’une solution autoritaire, d’une mise en avant du nationalisme et de la xénophobie, du recours à un homme providentiel et adossé à des partis « de masse » (dans les conditions d’aujourd’hui) capable de mobiliser les perdus et les exclus pour les dresser les uns contre les autres, on a des éléments communs à tous les fascismes. Il y a une autre constance, c’est la volonté d’écraser toutes les formes d’organisation populaire autonome et la liquidation de toutes les libertés. Les fascismes de notre temps, comme ceux d’hier, sont capables de rencontrer des groupes humains auxquels ils redonnent un sens, un « but final », est une réalité. C’est déjà ce qu’il y a chez Trotsky en 1933, quand il écrit : « Le désespoir les a fait se dresser, le fascisme leur a donné un drapeau. »

Peut-on comparer l’époque actuelle et les années trente ?

Bien sûr, les formations sociales ont changé, la « poussière humaine » que les fascismes d’hier agrégeaient étaient la petite bourgeoisie ruinée, les armées de chômeurs, des jeunes et des intellectuels, des paysans dont la perspective était celle d’une prolétarisation dans la misère. Ces couches ont en partie disparu, en tout cas leur place s’est fortement réduite dans une société où les salariés constituent près de 90% de la population active. Mais dans des conditions nouvelles, la crainte du déclassement existe dans l’encadrement, chez les jeunes, chez les salariés dans les zones « rurbaines », dans les petites entreprises. La précarité fragilise. Et si le prolétariat moderne, le salariat dirons-nous, n’est pas capable d’agréger toutes ses composantes autour d’un projet et de pratiques progressistes, ce sera l’utopie réactionnaire, nationaliste, xénophobe qui apparaîtra alors comme « réaliste ». Il faut également se méfier des définitions tellement strictes qu’elles n’ont plus aucune fonctionnalité. Bien sûr que nous ne sommes plus dans les années 1930, et alors ? Le fascisme est un hydre-caméléon qui est bien de retour.

La victoire fasciste des années 1930 et parfois analysée comme une réponse à la menace révolutionnaire, rien de tout cela aujourd’hui ?

Cette objection, souvent entendue, appelle au moins deux remarques. En premier lieu, cette approche traduit une vision instrumentale du fascisme, comme s’il n’était que la simple projection de la volonté de la classe dominante. La solution fasciste est plutôt un processus au cours duquel les partis bourgeois traditionnels font finalement appel aux partis fascistes, « en dernier recours » tout en s’en méfiant et en croyant pouvoir les domestiquer, mais, comme le disait Trotsky, les fascistes sont des « nuées de criquets affamés et voraces » qui exigent et obtiennent tout le pouvoir. L’arrivée des fascistes italiens et des nazis allemands au pouvoir s’est faite dans le cadre de coalitions avec la droite « classique ». Dans l’ensemble, les observateurs de l’époque étaient convaincus que les partis de la droite traditionnelle et les institutions maintiendraient en laisse les partis fascistes.

Alors que leur dynamique était à la fois plus puissante et plus large ?

La deuxième remarque, c’est justement que la victoire du fascisme n’est absolument pas la réponse bourgeoise à une victoire possible du mouvement ouvrier. Au contraire, c’est le fruit de la défaite de ce dernier. Le fascisme c’est le parti du « désespoir contre-révolutionnaire », disait Trotsky. Pour Clara Zetkin (2), en 1923, le fascisme était une « punition historique » infligée au prolétariat pour avoir échoué à parachever la Révolution russe. Si l’on considère l’ensemble des situations révolutionnaires épuisées ou manquées au cours des cinquante dernières années, il y a alors des raisons de s’inquiéter et de redouter que faute d’une solution émancipatrice, on assiste au retour de nouvelles barbaries. La montée en France du Front national en est une illustration. Il y en a beaucoup d’autres.

Et le programme dans tout cela ?

Le flou des propositions, les contradictions, le mélange de propositions libérales et anticapitalistes sont consubstantielles au fascisme. Déjà dans les années 1930, Pierre Naville disait qu’il ne servait à rien de passer son temps à « démontrer » que le programme de François de La Rocque était inexistant. Trotsky le dit à plusieurs reprises en examinant les événements du février 1934. C’est justement l’absence de programme défini qui fait sa force. Wilhelm Reich (3) avec qui Trotsky a eu une correspondance dans les années 1930, avait noté que lorsqu’il posait la question sur le caractère intenable du programme nazi à force d’être contradictoire, il obtenait alors la réponse suivante : « Hitler trouvera la solution. »

Le nazisme s’est nourri de contradictions qui lui ont permis de recruter ses soutiens dans différentes classes sociales ?

Le parti d’Hitler, le NSDAP, est capable à la fois de toucher des fonds des milieux d’affaires allemands et de soutenir la grève des traminots à Berlin en 1932. Le KPD, sous la houlette de Moscou a longtemps considéré le mouvement hitlérien comme une « simple » forme de réaction capitaliste, un instrument commode créé par et pour la grande bourgeoisie. Trotsky au contraire, en observant les caractéristiques propres au fascisme, a relevé la dimension plébéienne et de masse du fascisme. Ce dernier est non seulement issu de la petite bourgeoisie mais aussi du prolétariat. Les mouvements fascistes sont capables d’une grande souplesse tactique, pour ne pas dire de contorsions étonnantes. Quand Marine Le Pen soutient Syriza en Grèce contre « le totalitarisme de l’Union européenne et de ses complices, les marchés financiers », cela provoque une certaine stupeur au sein même des troupes frontistes.

Dans votre introduction vous revenez sur une partie de l’historiographie française qui fait du fascisme un phénomène extérieur à la France.

Oui, nous sommes face à un mythe français, celui d’une extériorité du fascisme à la Française. René Rémond, qui fait autorité sur les historiens des droites françaises, ne voit dans les Croix de feu du colonel de La Rocque qu’une forme de « scoutisme politique pour grandes personnes ». Il ne perçoit dans le 6 février 34 que l’échec des ligues et ne voit pas qu’elles ont poussé le pouvoir vers la droite, vers le bonapartisme, dit Trotsky. Face à cette idée de l’immunité française au fascisme, les travaux d’historiens comme Robert Paxton ou Zeev Sternhell ont eu bien du mal à émerger. On pourrait ironiser avec Étienne Balibar quand il dit que « le fascisme est donc quelque chose qu’on voit plutôt chez les autres ». Mais ce débat historiographique n’est pas sans conséquences politiques. Sur le passé d’abord, est-ce que le régime de Vichy n’a été qu’un furoncle sur un corps sain ou n’y a-t-il pas plutôt dans la société française une base pour un fascisme français ? Si Trotsky n’a pu aller plus loin dans son analyse, Paxton montre bien la dynamique de Vichy dès aout 1940. Le principal problème, au plan politique, c’est que cette conception de l’étanchéité supposée au fascisme ne permet pas de comprendre l’irruption, le développement et la nature du Front national, au delà de ses péripéties familiales.

Trotsky insiste beaucoup sur le front unique comme moyen d’action contre le fascisme…

Il faut rappeler que le front unique, ce n’est pas d’abord une question électorale, cet aspect est même assez marginal chez Trotsky. Le Front unique, c’est assurer l’autodéfense face à la violence et aux initatives de l’extrême droite. On peut le résumer par sa formule : « Marcher séparément, frapper ensemble ». D’un certain point de vue, ce qu’on nous propose aujourd’hui c’est l’inverse : marcher ensemble, en réalité derrière le Parti socialiste, sans jamais frapper.

Vous concluez ce recueil par les textes sur la guerre…

Pour Trotsky, l’articulation entre la victoire du nazisme et la perspective d’un nouveau conflit déchirant l’Europe est presque immédiate. Dès novembre 1933, il écrit que « le temps nécessaire à l’armement de l’Allemagne détermine le délai qui sépare d’une nouvelle catastrophe européenne ». Tout de suite, il perçoit la monstruosité et la spécificité du nazisme : « Le fascisme allemand fera apparaître son aîné italien comme quasiment humain. » Et surtout, il perçoit la place et la spécificité de l’antisémitisme nazi et annonce en 1938 « le prochain développement de la réaction mondiale implique avec certitude l’extermination physique des Juifs ». Tout au long des années 1930, sa pensée évolue en particulier sur la question de la démocratie et des droits démocratiques. Ceux-ci ne sont pas pour lui seulement formels, ce qui est souvent une manière de dire qu’il n’y a pas grand chose à garder, mais au contraire essentiels et doivent être défendus de manière inconditionnelle. Une idée centrale apparaît alors  chez lui : «  Les ouvriers ont construit à l’intérieur de la démocratie bourgeoise, en l’utilisant tout en luttant contre elle, leurs bastions, leurs bases, leurs foyers de démocratie prolétarienne. » Si sa conception du front unique est celle d’une totale indépendance de classe, la défense des droits démocratiques se fait sans préalable sur la nature sociale ou politique des organisations. Par exemple, face au nazisme, il défend les Églises allemandes et le droit des croyants « à consommer leur opium ». Il suggère aussi que les organisations ouvrières protègent la franc-maçonnerie. Sa conception dans une lettre de 1935 peut ainsi être argumentée : « Ce dont il s’agit avant tout, c’est d’une question de liberté de conscience, donc d’égalité des droits ». Ce qui l’intéresse, c’est comment traduire ses positions par des questions pratiques. Dans ces situations, il ne faut pas faire confiance à la police et à l’État et encore moins s’en remettre à eux. Pour faire une analogie, après le 7 janvier 2015, est-ce que les forces de gauche n’auraient pas dû proposer aux organisations de croyants d’assurer la sécurité des mosquées, des synagogues ?

Une position qui l’amène à des conclusions sur l’intervention des États-Unis en août 1940…

Oui tout à fait, nous publions une lettre du 13 août 1940, c’est-à-dire à la toute fin de sa vie (4), qui s’intitule Comment défendre la démocratie. Il dit explicitement qu’il faut renforcer la campagne contre les tendances pacifistes et que les États-Unis doivent intervenir sur le terrain européen et qu’il faut accompagner les masses sous les drapeaux tout en développant une « politique militaire prolétarienne » autonome…

Publié sur Regards.fr le 18 juin 2015

1

1 Léon Trotsky, Comment vaincre le fascisme (Écrits sur l’Allemagne 1930-1933), Éditions de la Passion, 1982.
2 Clara Zetkin (1857-1933), figure historique du féminisme, membre du SPD puis des Spartakistes et enfin du KPD.
3 Wilhelm Reich (1897-1957), exclu du KPD en 1933, auteur notamment de La Psychologie de masse du fascisme.
4 Trotsky a été assassiné le 21 août 1940 soit une semaine plus tard.

La Structure psychologique du fascisme / Georges Bataille

La description psychologique de la société doit commencer par la partie la plus accessible à la connaissance — en apparence, partie fondamentale — dont le caractère significatif est l’homogénéité (2) tendancielle. Homogénéité signifie ici commensurabilité des éléments et conscience de cette commensurabilité (les rapports humains peuvent être maintenus par une réduction à des règles fixes basées sur la conscience de l’identité possible de personnes et de situations définies ; en principe ; toute violence est exclue du cours d’existence ainsi impliqué).
La base de l’homogénéité sociale est la production (3). La société homogène est la société productive, c’est-à-dire la société utile. Tout élément inutile est exclu, non de la société totale, mais de sa partie homogène. Dans cette partie, chaque élément doit être utile à un autre sans que jamais l’activité homogène puisse atteindre la forme de l’activité valable en soi. Une activité utile a toujours une commune mesure avec une autre activité utile, mais non avec une activité pour soi.
La commune mesure, fondement de l’homogénéité sociale et de l’activité qui en relève, est l’argent, c’est-à-dire une équivalence chiffrable des différents produits de l’activité collective. L’argent sert à mesurer tout travail et fait de l’homme une fonction de produits mesurables. Chaque homme, selon le jugement de la société homogène, vaut selon ce qu’il produit, c’est-à-dire qu’il cesse d’être une existence pour soi: il n’est plus qu’une fonction, ordonnée a l’intérieur de limites mesurables, de la production collective (qui constitue une existence pour autre chose que soi).
Mais l’individu homogène n’est véritablement fonction de ses produits personnels que dans la production artisanale, lorsque les moyens de production sont relativement peu coûteux et peuvent être possédés par l’artisan. Dans la civilisation industrielle, le producteur se distingue du possesseur des moyens de production et c’est ce dernier qui s’approprie les produits : en conséquence, c’est lui qui, dans la société moderne, est fonction des produits ; c’est lui, et non le producteur, qui fonde l’homogénéité sociale.
Ainsi dans l’ordre actuel des choses, la partie homogène de la société est formée par ceux des hommes qui possèdent les moyens de production ou l’argent destiné à leur entretien et à leur achat. C’est dans la classe dite capitaliste ou bourgeoise, exactement dans la partie moyenne de cette classe, que s’opère, à la base, la réduction tendancielle du caractère humain à une entité abstraite et interchangeable, reflet des choses homogènes possédées.
Cette réduction s’étend ensuite, autant que possible, aux classes dites généralement moyennes, qui bénéficient de parts du profit appréciées. Mais le prolétariat ouvrier reste en grande partie irréductible. La position qu’il occupe par rapport à l’activité homogène est double: celle-ci l’exclut non quant au travail, mais quant au profit. En tant qu’agents de production, les ouvriers entrent dans les cadres de l’organisation sociale, mais la réduction homogène ne touche en principe que leur activité salariée ; ils sont intégrés dans l’homogénéité psychologique quant à leur comportement professionnel, non généralement en tant qu’hommes. Hors de l’usine, et même hors de ses opérations techniques, un ouvrier est par rapport à une personne homogène (patron, bureaucrate, etc.) un étranger, un homme d’une autre nature, d’une nature non réduite, non asservie.
Georges Bataille
La Structure psychologique du fascisme / 1933

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Publié dans La Critique sociale puis dans Hermès

À lire : La Revue des ressources

Revue Acéphale : Réparation à Nietzsche / 1937

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Des « terroristes » à la retraite / Mosco Boucault

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Mosco Boucault
Des « terroristes » à la retraite / 1983 / 1985 / 2014

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