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Eloge de l’idiotie / Alain Naze / Chimères n°81 / Bêt(is)es

« Horreur de ma bêtise » / Arthur Rimbaud
On sait bien que la bêtise n’est pas l’autre de la pensée, dans le sens où elle lui serait purement extérieure, mais qu’elle en constitue bien plutôt la constante menace. Il y a des pensées bêtes, comme le soulignait Deleuze : « La lâcheté, la cruauté, la bassesse, la bêtise ne sont pas simplement des puissances corporelles, ou des faits de caractère et de société, mais des structures de la pensée comme telle » (1). Il s’ensuit par conséquent que la bêtise n’est aucunement l’ignorance, ou l’erreur – qui occupent précisément la place de « faits », et non de « structures de la pensée » -, et qu’il peut donc y avoir des vérités bêtes. Nuire à la bêtise ne pourra donc pas consister à seulement introduire un savoir pour rectifier un jugement erroné. La bêtise peut en effet résider au sein de discours informés, savants, et le risque est alors grand de succomber à des effets de pouvoir, identifiant alors notre ignorance que ce savoir viendrait combler à une des modalités de la bêtise. Du moins, si l’on s’adresse à soi-même le reproche d’être bête, n’encourt-on pas le risque de la pure et simple stupidité : lorsqu’on l’identifie (ou croit l’identifier) chez soi, ou chez les autres, la bêtise nous contraint en effet à penser, et c’est en ce sens que Deleuze pouvait en faire à la fois « la plus grande impuissance de la pensée », mais aussi « la source de son plus haut pouvoir » - car « si la pensée ne pense que contrainte et forcée, si elle reste stupide tant que rien ne la force à penser, ce qui la force à penser n’est-il pas aussi l’existence de la bêtise, à savoir qu’elle ne pense pas tant que rien ne la force ?  » (2). C’est en ce sens que la figure de l’idiot peut apparaître comme une arme utile contre la bêtise, à travers sa capacité à la révéler. En effet, qui endosse le rôle de l’idiot (et non de l’imbécile) est susceptible de contester les vérités qui, pour sembler les mieux établies, n’en sont pas moins parfois de pures sottises. L’enfant est sans doute le plus à même d’épouser cette fonction, lui qui n’a pas encore complètement intériorisé les règles de la bienséance, et plus généralement de l’hypocrisie sociale – « […] l’enfant / Gêneur, la si sotte bête »(3) -, raison pour laquelle la figure de l’idiot emprunte tant de traits à l’enfance, pour sa capacité à ridiculiser l’esprit de sérieux.
Si l’ensemble d’À la recherche du temps perdu est riche d’enseignements quant à la question de la bêtise, et particulièrement du point de vue des discours, on peut dire que le narrateur adolescent d’Ā l’ombre des  jeunes filles en fleurs constitue un cas particulièrement intéressant pour effectuer l’analyse des mécanismes par lesquels la fonction d’idiotie conduit la bêtise à se révéler, mais aussi pour cerner certaines caractéristiques de la bêtise elle-même. En effet, le personnage de Monsieur de Norpois est très instructif à cet égard, qui représente, à travers ses propos et attitudes, les modalités mondaine et journalistique de la bêtise, en ce que ses paroles reposent sur des formules éculées, venant se substituer à toute pensée personnelle – sa pensée semble à l’arrêt, figée. Le narrateur, guettant les moments de possible intervention, dans les interstices des enchainements bien huilés du discours, viendra enrayer cette belle mécanique, en en dévoilant ainsi au lecteur toute l’inanité.
Ambassadeur, Monsieur de Norpois est celui dont on attend qu’il lève un peu le voile, dans le cadre d’une soirée privée, sur certains des dessous de la diplomatie, ou de la psychologie des grands hommes qu’il côtoie, de leurs travers à l’occasion. Pour ce faire, indique le narrateur, M. de Norpois pouvait citer « tantôt […] une période ridicule dite par un homme politique coutumier du fait et qui les faisait longues et pleines d’images incohérentes, tantôt telle formule lapidaire d’un diplomate plein d’atticisme » (4). Or, remarque l’adolescent, le critère par lequel l’ambassadeur distinguait ces types de formules demeurait souvent obscur à l’auditeur qu’il était : « les mots qu’il récitait en s’esclaffant ne me paraissaient pas très différents de ceux qu’il trouvait remarquables »(5). C’est que le narrateur, jeune, n’a pas encore intégré le jeu mondain consistant à faire abstraction du contenu du discours, et que la dimension essentiellement performative des propos du diplomate (empruntant la voie des sous-entendus et des jugements jamais explicités, mais dont l’autorité du locuteur interdit même qu’on les interroge) ne passe donc qu’imparfaitement auprès de lui. Et toute l’ironie de celui qui endosse le rôle de l’idiot ici (ironie qui n’est certes pas celle de l’adolescent lui-même, mais celle du narrateur adulte qui se souvient) apparaît, lorsque le narrateur fait remarquer que si nombre de choses lui demeuraient mystérieuses dans ces discours, au moins l’une d’entre elles lui semblait claire : « Je démêlai seulement que répéter ce que tout le monde pensait n’était pas en politique une marque d’infériorité mais de supériorité. Quand M. de Norpois se servait de certaines expressions qui traînaient dans les journaux et les prononçait avec force, on sentait qu’elles devenaient un acte par le seul fait qu’il les avait employées et un acte qui susciterait des commentaires »(6). Que de tels discours formatés ne valent guère par leur contenu, plus que banal, que l’important n’est pas la teneur en pensée présente en ces énoncés, partout répétés, et qui ne sont plus que des formes vides, c’est ce que révèle ici le regard de l’adolescent, reconduisant de tels propos à leur simple statut performatif au sein d’un jeu social reposant entièrement sur les conventions. L’esprit de sérieux de l’ambassadeur est pareillement ridiculisé, lorsque le narrateur évoque les expressions codifiées par lesquelles se reconnaît le « diplomate de carrière » (ou le journaliste pourrait-on ajouter) : « […] il suffisait que M. de Norpois écrivit à point nommé – ce qu’il ne manquait pas de faire - : “Le Cabinet de Saint-James ne fut pas le dernier à sentir le péril” ou bien “L’émotion fut grande au Pont-Aux-Chantres où l’on suivait d’un œil inquiet la politique égoïste mais habile de la monarchie bicéphale”, ou “Un cri d’alarme partit de Montecitorio” ou encore “Cet éternel double jeu qui est bien dans la manière du Ballplatz”. A ces expressions le lecteur profane avait aussitôt reconnu et salué le diplomate de carrière » (7). Cette façon stéréotypée d’éviter les formules attendues (la cour d’Angleterre, le ministère des Affaires étrangères à Saint-Pétersbourg, etc.) aboutit à l’usage attendu de clichés, donc au signe d’une pensée à l’arrêt – le langage ne fonctionnant plus alors qu’à titre de marqueur social, ces formules creuses revêtant bien davantage une fonction d’indice, quant au statut du locuteur.
Au-delà de ce jeu social, tellement vain, et qui passe pour une marque de distinction sociale et intellectuelle, c’est bien la question de la bêtise qui se pose, lorsque le narrateur adolescent en vient à s’interroger sur ses propres dispositions intellectuelles, à travers ce qu’il juge être son incapacité à saisir ce qu’aurait eu d’exceptionnel le jeu de la comédienne « la Berma », interprétant Phèdre. A cet instant en effet, l’adolescent va occuper de façon délibérée le rôle de l’idiot – non certes, dans son esprit, pour révéler la bêtise des propos de Norpois, mais pour contraindre celui-ci à exposer les raisons du caractère exceptionnel du jeu de l’actrice, autrement dit, pour venir au secours de sa propre intelligence, qu’il juge défaillante. Puisque c’est de façon unanime que l’actrice est jugée géniale, l’adolescent en arrive à la conclusion, qu’il juge nécessaire, que s’il n’a pas été transporté par le spectacle auquel il a assisté, c’est bien que quelque chose lui aura échappé : « M. de Norpois, mille fois plus intelligent que moi, devait détenir cette vérité que je n’avais pas su extraire du jeu de la Berma, il allait me la découvrir […] Je n’avais qu’un moment, il fallait en profiter et faire porter mon interrogatoire sur les points essentiels. Mais quels étaient-ils ? Fixant mon attention tout entière sur mes impressions si confuses, et ne songeant nullement à me faire admirer de M. de Norpois, mais à obtenir de lui la vérité souhaitée, je ne cherchais pas à remplacer les mots qui me manquaient par des expressions toutes faites, je balbutiai, et finalement, pour tâcher de le provoquer à déclarer ce que la Berma avait d’admirable, je lui avouai que j’avais été déçu » (8). On aperçoit bien, à travers ces mots, la manière dont l’ignorance (ou ce qui se donne pour telle) cherche à être dépassée (au moyen d’une « vérité », et non à travers des « expressions toutes faites », qui auraient pu permettre de sauver la face, socialement, mais n’auraient pas éclairé l’esprit de celui qui cherche réellement à comprendre), et n’hésite pas à occuper la place socialement intenable de l’idiot, seul contre tous (le père du narrateur lui-même se désole d’ailleurs de l’effet produit sur l’ambassadeur par cette sortie de son fils). M. de Norpois, bien sûr, répondra au moyen de formules exsangues, très générales, et comme on en pourrait trouver partout dans la presse, évoquant en effet « le goût parfait qu’elle apporte dans le choix de ses rôles et qui lui vaut toujours un franc succès, et de bon aloi », ou encore « ce goût [qu’]elle apporte dans ses toilettes, dans son jeu », signe que, malgré ses tournées en Angleterre et aux Etats-Unis, « la vulgarité je ne dirai pas de John Bull, ce qui serait  injuste, au moins pour l’Angleterre de l’ère victorienne, mais de l’oncle Sam n’a pas déteint sur elle » (9)etc. Cette insistance sur le vocable de « goût », de bon goût, indique assez le registre, essentiellement vague, et tout négatif, auquel se cantonne l’ambassadeur, renvoyant ainsi ces éloges à quelque cause semblant relever de l’indicible. C’est bien entendu au moyen de semblables subterfuges qu’on parvient le plus souvent, en société, à s’accorder, au rythme des effets de mode, sur le talent de tel ou tel artiste, car il ne s’agit pas alors de fournir en effet les raisons conduisant à un tel jugement. C’est même le fait de réclamer des comptes quant à la formulation d’un tel avis qui paraît déplacé – et c’est ce que fait ici l’adolescent, qui éprouvait « le besoin de […] trouver des explications » à l’intérêt croissant qu’il prenait au jeu de la Berma, depuis que la représentation était finie. A cette occasion, le narrateur va se laisser persuader par les paroles de M. de Norpois, parce qu’elles fournissent « une cause raisonnable » à cet intérêt, « dans ces éloges donnés à la simplicité, au bon goût de l’artiste » : « C’est vrai, me disais-je, quelle belle voix, quelle absence de cris, quels costumes simples, quelle intelligence d’avoir été choisir Phèdre ! Non, je n’ai pas été déçu » (10). C’est qu’après tout, ce que l’ambassadeur énonce n’est même pas faux, et qu’une telle « cause raisonnable » sera jugée suffisante par l’adolescent, précisément parce qu’elle répond au désir de celui qui aurait tant aimé être transporté d’enthousiasme au spectacle de Phèdre, qu’il avait attendu et espéré, de longue date. Il y trouve des raisons pour un enthousiasme rétrospectif. Que cette interprétation de la pièce de Racine ait en effet présenté un caractère exceptionnel, c’est un avis auquel, plus tard, le narrateur se ralliera, mais alors à travers toute une réflexion, qui ne niera pas, précisément, la déception vécue lors de cette présentation, laquelle s’explique d’abord par la nature des attentes qui étaient à cet instant celles de l’enfant. Si le narrateur cède à l’autorité de Norpois en cette occasion, c’est qu’il espérait tellement des raisons pour revenir sur son impression de déception qu’il n’est pas très regardant quant à leur qualité – c’est au lecteur de Proust qu’ait ici procuré le bénéfice de la fonction de l’idiot endossée par l’adolescent.
Le couperet du jugement d’autorité de M. de Norpois s’abattra également sur l’église de Balbec, que le narrateur anticipait comme « admirable », quand l’ambassadeur la réduisit à rien, en regard des cathédrales de Reims et de Chartres, l’église de Balbec, selon lui, méritant tout au plus une visite « si un jour de pluie vous ne savez que faire » (11). Là encore, c’est le triomphe du « on » qui s’affirme à travers ce discours, l’ambassadeur ne prenant guère de risque à faire l’éloge d’un patrimoine unanimement reconnu comme admirable – l’église de Balbec, elle, eût réclamé de la part de Norpois un jugement plus personnel, une sensibilité spécifique, raison pour laquelle il l’écrase sous le poids de la comparaison. Et puis l’absurdité de ces rapprochements est mise en lumière par cette petite question, d’apparence modeste, et involontairement insidieuse, de l’adolescent : « Mais l’église de Balbec est en partie romane ? » (12). Norpois ne fléchira certes pas pour si peu, n’hésitant pas alors à se livrer à un éloge du gothique en tant que tel, contre le style roman, jugé, d’une seule pièce, comme « extrêmement froid » (13). On notera que l’aveu d’admiration à l’égard de l’église de Balbec, de la part de l’adolescent, révèle une accointance évidente entre l’idiot et le plébéien, du point de vue d’une attention véritable accordée aux choses sans renom, à des architectures modestes, non précédées par le jeu des réputations – qu’on pense en cela à l’aveu de Rimbaud : « J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs » (14). L’enfant ne bride pas ses enthousiasmes, n’étant pas encore prisonnier du jeu social, conduisant si souvent à l’habitude de l’insincérité, masquée par un discours intellectualisant, duquel toute naïveté (et l’enthousiasme non joué, non médiatisé est socialement naïf) doit être bannie. Et c’est bien encore dans le même esprit, consistant à dénier à toute œuvre recélant quelque fragilité la moindre qualité véritable que M. de Norpois va s’attaquer à l’écrivain Bergotte, si apprécié par le narrateur adolescent : « Bergotte est ce que j’appelle un joueur de flûte ; il faut reconnaître du reste qu’il en joue agréablement quoique avec bien du maniérisme, de l’affèterie. Mais enfin ce n’est que cela, et cela n’est pas grand-chose. Jamais on ne trouve dans ses ouvrages sans muscles ce qu’on pourrait nommer la charpente. […] au total tout cela est bien mièvre, bien mince, et bien peu viril » (15). Le manque de finesse du jugement saute aux yeux, chez cet ambassadeur qui soumet les œuvres d’art à des critères tout militaires… Mais dans cette absence de « charpente », de « virilité », il englobe également le narrateur, puisqu’il va opérer un rapprochement entre le texte que l’adolescent avait écrit et que le diplomate avait lu, et l’écriture de Bergotte – et encore la méchanceté de Norpois va-t-elle le conduire à ajouter qu’aucune des qualités qui font le style de Bergotte ne se retrouve dans la page qu’il a lue : « Évidemment, je ne vous étonnerai pas en vous disant qu’il n’y avait là [dans la page de la main du narrateur] aucune de ses qualités [celles de Bergotte], puisqu’il est passé maître dans l’art tout superficiel du reste, d’un certain style dont à votre âge vous ne pouvez posséder même le rudiment. Mais c’est déjà le même défaut, ce contresens d’aligner des mots bien sonores en ne se souciant qu’ensuite du fond. C’est mettre la charrue avant les bœufs » (16). En ces mots, outre la bonne vieille coupure forme/fond, on trouve une forme de condamnation de la jeunesse au profit de l’âge adulte : il valorise le muscle, la charpente et la virilité, contre ce qu’il identifie comme maniérisme, mièvrerie, minceur. C’est un éloge de la maturité auquel il se livre ainsi, entendue comme âge où les choses prennent leur place, en viennent à prendre du poids, de l’ampleur, bref, deviennent sérieuses ; sous ce rapport, la jeunesse et l’enfance ne seraient qu’imperfection. Or, loin que la vérité de l’enfance soit dans l’âge adulte, on pourrait sans doute bien plutôt soutenir que l’évidente bêtise adulte est mise à nu par cette enfance encore en devenir, et non pas figée dans des formes définitives, vidées de leurs virtualités initiales.
Le narrateur adolescent reste bien conscient de la menace de la bêtise. S’il n’aperçoit guère, ou en tout cas pas toujours, les formes de bêtise que pourtant il révèle chez les autres, en revanche, il est hanté par la crainte d’être bête – crainte qui, en elle-même, est pourtant de nature à la tenir à distance. Alors que c’est chez Norpois que la bêtise est révélée au lecteur, son révélateur adolescent se l’attribue cependant, comme en un effet de boomerang, tant la méchanceté est intimement liée à la bêtise, à la façon d’un mécanisme spontané de défense : « Atterré par ce que M. de Norpois venait de me dire du fragment que je lui avais soumis […], je sentis une fois de plus ma nullité intellectuelle et que je n’étais pas né pour la littérature. […] Il venait de m’apprendre au contraire quelle place infime était la mienne (quand j’étais jugé du dehors, objectivement, par le connaisseur le mieux disposé et le plus intelligent). Je me sentais consterné, réduit ; et mon esprit comme un fluide qui n’a de dimensions que celles du vase qu’on lui fournit, de même qu’il s’était dilaté jadis à remplir les capacités immenses du génie, contracté maintenant, tenait tout entier dans la médiocrité étroite où M. de Norpois l’avait soudain enfermé et restreint » (17). C’est la tristesse dont est porteuse la bêtise qui constitue probablement la meilleure justification au fait de mener contre elle un combat : là où l’enfance (non limitée à une définition d’état civil) est joie, accroissement d’être, intensification d’existence, la bêtise est rétrécissement des possibilités de vie, à l’instar du vase aux dimensions restreintes que Norpois tend au narrateur, et à travers lequel ce dernier croit saisir le reflet de sa propre médiocrité.
Que la place de l’idiot soit exemplairement occupée par l’enfant, c’est ce que ne vient pas contredire le roman de Dostoïevski, car si le prince Muichkine insiste pour qu’on ne confonde pas son affinité avec les enfants avec le fait qu’il serait lui-même un enfant, c’est qu’il ne veut pas qu’on le voie comme un adulte qui singerait l’enfant. Et ce n’est pas dans un autre sens qu’on a parlé de l’enfance/adolescence dans la cadre de l’évocation de l’œuvre de Proust : si le personnage susceptible de jouer le rôle de révélateur de la bêtise est bien un adolescent dans le roman, ce qui lui permet d’occuper la place de l’idiot est bien le fait que cette enfance ne se limite pas à un âge empirique, dans ce dispositif littéraire, qu’elle n’est donc pas ce phénomène éphémère que l’âge adulte ferait cesser purement et simplement – comme par un simple effet de calendrier. C’est bien en ce sens qu’il faut comprendre le fait que le prince Muichkine, lors de son séjour à l’étranger qui précède l’épisode de sa vie racontée dans L’idiot, se soit fait de l’instituteur, Jules Thibault, un ennemi, ainsi que du pasteur. L’idiot est le personnage anti-pédagogique par excellence, du moins si, par pédagogie, on entend l’ensemble de démarches par lesquelles on conduit l’enfance à se réaliser dans l’âge adulte, c’est-à-dire à s’y abolir.
Comment l’instituteur n’aurait-il pas vu d’un mauvais œil celui qui renonce à l’idée selon laquelle les adultes ont un savoir à transmettre aux élèves, puisque toute l’autorité du maître en dérive ? C’est précisément à cette autorité que le prince renonçait : « Quant à Thibault, ce n’était que jalousie ; il ne faisait d’abord que hocher la tête et s’étonner de ce que les enfants me comprissent si bien alors qu’ils ne comprenaient à peu près rien à ce qu’il leur enseignait ; puis il s’est mis à se moquer de moi quand je lui ai dit que ni lui ni moi n’avions rien à leur apprendre et que c’étaient plutôt eux qui pourraient nous apprendre quelque chose. Comment pouvait-il me jalouser et me calomnier, lui qui vivait lui-même parmi les enfants ? Auprès des enfants une âme guérit » (18). Si l’on replace ces paroles dans le contexte du roman de Proust, on voit bien en effet ce que le narrateur jeune aurait pu apprendre à M. de Norpois, et le danger qu’il y aurait dans le fait qu’à l’inverse il devienne élève de l’ambassadeur. Les enthousiasmes de la jeunesse ne demandent pas à être refroidis – comme le fait pourtant M. de Norpois, du haut d’un savoir, ou supposé savoir écrasant -, mais à être interrogés – et c’est bien ce que le narrateur faisait lui-même, en cherchant à comprendre sa réaction en face du spectacle tant espéré de Phèdre. Quant à l’ambassadeur, ce qu’il aurait pu apprendre de l’adolescent, c’est notamment la nécessité de revenir à des jugements personnels, sans souci des positions de légitimité sociale, de réputation ou de mode. Ce genre de conception ne peut que rencontrer des résistances, et si on finit par pardonner au prince ses idées en la matière, c’est parce qu’on le réduit au statut d’enfant – on peut en effet parler ici de réduction, car cela revient à enfermer le prince dans un certain âge de la vie, et à le définir à partir de cette inscription : « Schneider me fit […] part d’une idée très curieuse qui lui était venue – cela se passait juste avant mon départ – il me dit qu’il était absolument convaincu que j’étais moi-même un véritable enfant, c’est-à-dire un enfant à tous les points de vue, que je n’avais d’un adulte que la taille et le visage, mais que par l’âme, le caractère, la formation, et peut-être même par l’intelligence, je n’étais pas adulte, et que je demeurerais ainsi, dussé-je vivre soixante ans » (19). Cette réconciliation, comme on le voit, se fait au prix d’un désamorçage de la charge explosive que représente le personnage de l’idiot : ses conceptions relatives aux rapports avec les enfants, par exemple, perdent leur portée scandaleuse si on les réduit à de simples idées d’enfant, à des enfantillages. S’il n’est lui-même qu’un enfant, il n’a en effet rien à apprendre aux enfants en tant que tels, et cela semble aller de soi, tout comme irait alors de soi, également, le fait qu’il puisse apprendre des choses auprès de ceux qui seraient alors ses camarades. Et c’est bien de cette façon que, plus généralement, la bêtise peut se réassurer : là où l’idiot tend à révéler la bêtise, le fait de transformer l’idiot en un enfant (entendu comme un être en formation, à l’intelligence embryonnaire) tend à inverser l’effet produit, au bénéfice de la bêtise. C’est bien ainsi que M. de Norpois, négligeant la charge critique des propos du narrateur adolescent, les reconduit à des paroles enfantines, ou encore, qu’il reconduit à une activité sans conséquence (et qu’il est même enclin à pardonner) l’écriture à laquelle s’est livré l’enfant. Le prince Muichkine niera être un enfant, reconnaissant seulement ne pas aimer la compagnie des adultes : « Peut-être ici aussi me prendra-t-on pour un enfant ; eh bien, qu’importe ! Tout le monde me tient aussi pour idiot ; je me demande pourquoi. J’ai en effet été malade jadis au point de ressembler à un idiot ; mais en quoi suis-je un idiot à présent, puisque je comprends que l’on me considère comme tel ? » (20). C’est bien là qu’est tout l’intérêt du personnage de Dostoïevski, de n’être ni un enfant, ni un idiot, mais d’occuper la place de l’idiot et de l’enfant, souvent indissociablement. Il relève en cela du minoritaire, et ce qu’il ne supporte pas dans le fait de côtoyer les adultes, c’est d’abord qu’il puisse venir s’agréger au majoritaire – il y a de l’enfance et de l’idiotie chez le prince, ce qui lui confère la structure d’un personnage ne pouvant que nuire à la bêtise.

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On pourrait reconnaître une autre occurrence de l’idiot ainsi entendu sous les traits de Ninetto Davoli, l’acteur fétiche de Pasolini, notamment dans Théorème, à travers l’idée qu’en ce cas aussi, sous des modalités certes spécifiques, la fonction de l’idiot consiste avant tout à occuper la place de l’hétérogène. Dans le cas présent, ce dehors sera d’abord ce qui vient briser l’homologation consumériste, c’est-à-dire notamment ce devenir uniforme des corps à l’ère du néo-capitalisme. Le corps toujours en mouvement de Ninetto, ainsi que son rire viennent bien alors briser le sérieux petit-bourgeois de la famille milanaise de Théorème, mais plus généralement, font surgir des traits et attitudes sous-prolétaires et méridionaux sur l’écran. Le cinéma de Pasolini, en cela, jouerait un rôle d’antidote à l’égard de l’influence délétère de la télévision. Or, si la télévision est jugée jouer un rôle déterminant dans cette uniformisation, il est important de noter ici que Pasolini ne sépare pas cette fonction de celle d’abêtissement : « Il y a, au tréfonds de la dite “télé”, quelque chose de semblable […] à l’esprit de l’Inquisition : une division nette, radicale, taillée à la serpe, entre ceux qui peuvent passer et ceux qui ne peuvent pas passer : ne peut passer que celui qui est imbécile, hypocrite, capable de dire des phrases et des mots qui ne soient que du son ; ou alors celui qui sait se taire – ou se taire en chaque moment de son discours – ou bien se taire au moment opportun, comme le fait aussi Moravia, quand il est interviewé ou qu’il participe à des “tables rondes”, toujours viles et pédantes, naturellement. Celui qui n’est pas capable de ces silences ne passe pas. On ne déroge pas à pareille règle. Et c’est en cela – essayez de bien y réfléchir – que la télévision accomplit la discrimination néo-capitaliste entre les bons et les méchants » (21). Par ces mots, Pasolini indique bien la vacuité du discours télévisuel, composé de « mots qui ne soient que des sons », et celui qui viendrait briser ce néant de pensée jouerait le rôle de l’inconvenant, du gêneur, du méchant, autant dire de l’idiot – tel qu’on l’a défini dans son opposition à la bêtise. Le crible télévisuel vient opérer le tri que les salons opéraient dans l’œuvre de Proust – avec les fracassantes exclusions que pouvait provoquer un manquement à l’étiquette. Intelligent, Moravia se garde bien d’enrayer ce jeu, préférant se taire plutôt que de provoquer un scandale – et l’on entend bien le sourd reproche que lui adresse ainsi Pasolini de continuer à participer à de tels spectacles. La télévision développerait donc un conformisme de la bêtise, et ce, à l’intérieur d’un dispositif ne laissant aucune place à l’hétérogène, en ce que la présence même d’intervenants qui, de toute évidence, ne sont pas bêtes, ne pourrait venir briser ce conformisme qu’à la condition qu’un de ces intervenants accepte de jouer le rôle de l’idiot, c’est-à-dire précisément de celui qui ne joue pas le jeu. Or, si l’inconvenant peut être un intellectuel venant tenir un discours qui ne soit pas creux, il peut tout autant être un intervenant non homologué, un habitant des faubourgs de Rome, par exemple. La bêtise développée par la télévision a donc bien une portée politique : la réalité dont la télévision produit l’image est bien une réalité bête (coupée de toute pensée qui ne soit pas creuse) et d’un racisme petit-bourgeois (d’une part, l’intellectuel qui garde le silence sans provoquer de scandale sur un plateau télévisé révèle ainsi son caractère petit-bourgeois, et d’autre part, le caractère imprévisible de la plèbe exclut les corps pauvres des plateaux de télévision). Lorsque la télévision vient à montrer des corps et faire entendre des paroles hétérogènes, elle fait toujours en sorte que le dispositif télévisuel puisse digérer cette rétivité, et la réduire aux conditions d’acceptabilité du conformisme petit-bourgeois ; et Pasolini le montre exemplairement à travers l’évocation d’un « bidonnage » auquel il a assisté, à la télévision italienne : « […] tout à coup [Pasolini raconte qu’il regardait alors une émission pour laquelle jusqu’ici il éprouvait « un certain respect »], […] je vois la tête de Piero Morgia. Piero Morgia était un habitant des faubourgs oubliés de Rome (et qui sont encore là, inchangés), que j’avais connu dix ans auparavant et que j’avais choisi pour jouer dans deux de mes films : il avait fait carrière – pour ainsi dire – à cette époque-là ; il avait travaillé dans de nombreux films, et avait même fait la couverture de certaines revues populaires, etc. Et bien le morceau de “réalité”, c’était lui (payé évidemment, vu qu’il touche désormais un cachet pour tout ce qu’il fait); et la voix qui confessait aux téléspectateurs consternés qu’il était un pauvre voleur, etc., une voix qui m’était familière… une voix qui, en recoupant mes souvenirs… mais oui ! c’était la voix de Silvio Citti, le frère cadet de Franco et Sergio. C’était un bidonnage. Pourtant, reconsidéré avec lucidité et un certain recul, il fait peut-être partie des choses les plus honnêtes que puisse produire la télévision » (22). On voit, dans cet exemple, que la télévision se prémunit de toute irruption plébéienne en faisant intervenir (à l’écran et en voix playback) des habitants des faubourgs romains passés par le filtre petit-bourgeois du cinéma. Lorsque Pasolini dit que ce bidonnage constitue peut-être une des choses « les plus honnêtes » que puisse produire la télévision, il ne me semble user en cela d’aucune ironie, mais bien plutôt indiquer que les corps pauvres des habitants bien réels des faubourgs sont impossibles à l’écran, tout simplement parce qu’ils feraient scandale – et que le dispositif télévisuel est, en tant que tel, une arme contre le scandale, sauf aux conditions du spectacle télévisuel lui-même (les faux-scandales internes au dispositif prémuni contre le véritable scandale). Au fond, c’est l’irruption de la plèbe qui est impossible à la télévision, ce qui signifie que c’est le rôle de l’idiot qu’il est impossible d’y endosser – qui chercherait à adopter ce rôle ne parviendrait pas alors à révéler la bêtise de la télévision, mais serait lui-même ridiculisé, l’animateur télé plaçant alors les rieurs de son côté (comme en un remake des exclusions des salons mondains de la Recherche). La fonction de l’idiot est prévue par le dispositif télévisuel, qui l’empêche ainsi de nuire à la bêtise, puisque l’idiot ne peut remplir cette fonction (nuire à la bêtise) qu’à la condition de pouvoir surgir à l’improviste ; ici, il est attendu à la place du « mauvais client », de celui qui ne joue pas le jeu, alors même qu’on lui donne la parole, etc.
On pourrait dire que toute la différence entre le cinéma et la télévision est bien là, dans le traitement qui peut être réservé à la bêtise. Qu’on pense à Théorème, et à la manière dont le facteur fantaisiste (Ninetto Davoli) et la servante (Emilie), tout en endossant le rôle des idiots, loin d’être ridiculisés, sont ceux qui révéleront l’absence de réalité propre à l’univers bourgeois. On est ici face à une inversion des valeurs, la bêtise généralement attribuée au corps (qui ne penserait pas – alors que d’une part il est seulement dépourvu de conscience, et que, d’autre part, la bêtise n’est pas l’absence de pensée) passe ici du côté de la conscience (dont l’hyper-développement produit des corps infirmes, inaptes à étreindre la réalité – on notera que l’hôte est un lecteur de Rimbaud). Dans ce registre, la bêtise prendrait donc la forme du conformisme, et le personnage de la servante, qui va croire au miracle, pour finir par entrer en lévitation après s’être nourrie exclusivement de soupe d’orties, occupera bien sûr la place de l’idiot, en décalage complet vis-à-vis des valeurs modernes de rationalité. En face du conformisme de la tristesse (miroir de l’esprit de sérieux, en même temps que des névroses petites-bourgeoises), Ninetto jouera lui-même le rôle d’un être inconscient, qui se réjouit de tout (et que Pasolini, dans La séquence de la fleur de papier, avait montré comme l’objet d’un sacrifice au nom des valeurs d’une modernité culpabilisant l’innocence elle-même, au nom de la responsabilité) : « Emilie se précipite à la porte pour ouvrir. Et voici que surgit devant elle l’Angelot, […] une sorte d’elfe. Tout en effet tient en lui de la magie : les boucles, absurdes et drues, qui lui pleuvent jusque dans les yeux, comme celles d’un épagneul, son visage espiègle, couvert de furoncles, et ses yeux en demi-lune, tout remplis d’une réserve de joie enfantine » (23). L’enfant et la sainte, si l’on veut, deux êtres relevant d’un univers ancestral, saturé de magie, vont donc occuper tout naturellement les places réservées aux idiots, dans un univers où triomphent les valeurs du rationalisme, mais aussi de l’efficacité et de la responsabilité. Ce sont les irréalistes de l’histoire, serait-on tenté de dire, en précisant aussitôt que le propre de la réalité petite-bourgeoise a toujours été, pour Pasolini, de représenter la forme par excellence de l’irréalité. L’inversion des valeurs est donc là, qui entraîne l’inversion des places entre les supposés imbéciles (inaptes à la réalité) et les supposés intelligents ; la frontière ne passe pas entre intelligents et inintelligents, mais entre idiots et bêtes : l’idiot est ici ce corps rétif au conformisme petit-bourgeois, mais aussi cet âge qu’on appelle improprement « bête », parce qu’il n’est pas sérieux (Rimbaud encore !) ; quant au conformisme, il est, en soi, une des modalités de la bêtise.

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Cet écart entre cinéma et télévision, on peut également le rendre perceptible à travers la considération du film de Pasolini Uccellacci e uccellini, placé en regard du téléfilm de Liliana Cavani intitulé Francesci di Assisi, tel que le commente Pasolini lui-même. On se souvient en effet du duo Ninetto / Toto, parcourant les routes, en compagnie d’un corbeau bavard, mais aussi de ce même couple renvoyé un temps aux débuts du XIIIème siècle, dans le rôle de moines cherchant à convertir les oiseaux (les faucons, puis les moineaux), à la demande de saint François. Cet épisode, plein d’humour dans le film de Pasolini, évoque littéralement une tentative pour apprendre le langage des oiseaux, pour établir avec eux une forme de communication, qui rendra possible leur conversion. Il y a même quelque chose d’un devenir oiseaux qui s’empare des personnages (non exempt de mimétisme, il est vrai), et par lequel, sifflant et remuant les bras, comme pour voler, Ninetto et Toto sautillent joyeusement, s’entretenant avec les moineaux. A l’image de ce qu’il avait déjà fait dans L’Evangile selon saint Matthieu, Pasolini traite les miracles d’une façon littérale et réaliste, ne cherchant nullement à les éviter, en tentant de les interpréter dans un esprit plus moderne. Or, c’est précisément, selon Pasolini, ce que ferait Liliana Cavani, privant ainsi son film pour la télévision de toute chance d’occuper la place de l’idiot – se trouvent ainsi réduites toutes les possibilités éventuelles d’échappées vers l’hétérogène. Et l’on sait quelle fonction disruptive Pasolini attribuait au sacré, dans notre modernité : « Mme Cavani – du fait de l’innocence de son esprit laïque – s’est bien gardée – selon la règle, et non selon le scandale – de faire faire des miracles à François : elle a occidentalisé François au maximum […]. Malgré tous ses efforts [ceux de Cavani], ce François ne parvient pas à être Différent, et donc Saint. Il reste comme les autres : cela démontre une exigence laïque et démocratique très louable chez Cavani, mais on ne peut pas dire que cela ait grand-chose à voir avec le fol et sublime caractère aristocratique de la religion […] » (24). Cette impossibilité de conserver une hétérogénéité à François d’Assise relève bien d’une tendance à tout juger selon un point de vue moderne et petit-bourgeois, autrement dit d’une incapacité à se décentrer, à accorder une place à l’hétérogène. Or, cette impossibilité s’apparente à une incapacité d’entendre la voix de l’autre, de l’idiot, et cet enfermement au sein de l’homogène, du même, est à l’image de la fermeture sur soi de la bêtise – rappelons-nous que la fonction de l’idiot endossée par le narrateur adolescent face à M. de Norpois n’affectait en rien l’ambassadeur lui-même, qui tenait l’enfant pour un simple faire-valoir, dont la position propre ne méritait aucun égard, mais demandait tout juste à être redressée. Et c’est bien une telle intention pédagogique qui transparaît, lorsqu’en réduisant l’écart entre nous-mêmes et une époque lointaine, ou un peuple éloigné, on les reconduit à une position d’homogénéité à notre égard, comme si nous constituions la vérité de ce qui peine à se dire dans ces temps reculés et/ou en ces contrées lointaines. Le miracle serait la vision mythique et enfantine de réalités que nous serions devenus capables d’articuler rationnellement – là est le rejet instinctif à l’égard des univers traditionnels qu’emporte toute philosophie (même involontaire) de l’histoire comme progrès.

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Et si notre époque était bête ? Comment serions-nous capables de nous réveiller de notre bêtise, si nous n’avons rien de plus urgent à faire que de nous barricader dans nos certitudes, celles qui, précisément, opèrent le partage entre l’acceptable et ce qui ne l’est pas ? C’est qu’il est une manière pleine de bonnes intentions de réduire l’écart entre soi-même et l’autre ; mais comme cela s’effectue toujours à partir de notre propre point de vue, la réduction de l’écart se réalise en s’amalgamant l’autre. Et c’est bien cette violence que Pasolini reprochait à Cavani : « C’est en cela [en glissant des éléments petits-bourgeois dans le personnage de François d’Assise] naturellement qu’elle violente l’histoire ; comme si elle voulait dire : “Cher petit-bourgeois italien, mon semblable, mon frère téléspectateur, François n’était pas un Autre que toi, il était comme toi, il avait un père petit-bourgeois avec un revenu familial élevé et une petite industrie qui marchait bien, etc., etc. Donc, c’est à toi que je parle quand je te dis que François voulait être artificiellement pauvre, voulait faire comme les vrais pauvres. L’authenticité que François a cherchée est celle que tu cherches confusément toi-même, etc., etc. […]”. D’où les allusions aux exigences du socialisme, d’où les critiques du film très favorables venant de la presse communiste (entièrement petite-bourgeoise) » (25). On n’oubliera pas que c’était aussi pour éviter ce piège consistant à nier l’altérité de l’autre que Pasolini avait adopté dans ses premiers romans le style indirect libre – façon d’éviter que l’écrivain annexe les expériences existentielles dont il parle à celles de sa propre classe sociale.  On aura une pensée également pour les petites revues en frioulan auxquelles Pasolini faisait participer ses élèves, réservant ainsi une place à une parole orale et populaire, en même temps qu’il mettait en application l’idée d’un apprentissage mutuel entre enseignant et élève – entre enfant et adulte. Rompre avec l’idée que la bêtise puisse être combattue au moyen d’un savoir, c’est en effet d’abord opérer la destitution de la place du maître, en acceptant l’idée que la bêtise constitue une menace constante, et qui nous est commune.
Alain Naze
Éloge de l’idiotie / 2014
Texte intégral pour la version numérique de Chimères n°81 / Bêt(is)es

Un projet bête ICI

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1 Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p.196.
2 Id., p.353.
3 Arthur Rimbaud, « Honte », in Illuminations.
4 Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Paris, Gallimard, 1988, p.30.
5 Id.
6 Id.
7 Id., p.33.
8 Id., p.28.
9 Id., p.29.
10 Id.
11 Id., p36.
12 Id.
13 Id.
14 A. Rimbaud, « Alchimie du verbe », in Une saison en enfer.
15 M. Proust, op. cit., p.44-45.
16 Id., p.45.
17 Id., p.46.
18 Fédor Dostoïevski, L’idiot 1, trad. G. Arout, Paris, LGF, 1972, p.108.
19 Id, p.118-119.
20 Id., p.120.
21 Pier Paolo Pasolini, « Contre la télévision », in Contre la télévision, et autres textes sur la politique et la société, trad. Caroline Michel et Hervé Joubert-Laurencin, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2003, p.29.
22 Id., p.30-31.
23 P.P. Pasolini, Théorème, trad. José Guidi, Paris, Gallimard, 1978, p.21.
24 Pasolini, Contre la télévision…, op. cit., art. cit., p.44-45.
25 Id., p.43.

Notre libération n’est précédée d’aucun testament / Alain Naze

La référence liminaire aux célèbres mots de René Char, tirés des Feuillets d’Hypnos, écrits entre 1943 et 1944, et commentés par Hannah Arendt, dans le cadre de sa non moins célèbre préface au recueil d’articles constituant l’ouvrage La crise de la culture : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » (1), vise à inscrire le propos qui va suivre dans cette « brèche » qu’Arendt situe entre le passé et le futur, pour autant que cette brisure interroge quelque chose d’essentiel quant à la possibilité même de l’action politique, en son articulation complexe avec la pensée. Arendt nous invite en effet, dans ce livre, à des exercices de pensée, comme une manière de pratiquer l’expérience inconfortable d’une endurance de la pensée, au sein de la brèche, c’est-à-dire hors de toute prescription : « Ce n’est que dans la mesure où il pense […] que l’homme dans la pleine réalité de son être concret vit dans cette brèche du temps entre le passé et le futur. […] Il se peut bien qu’elle soit la région de l’esprit ou, plutôt, le chemin frayé par la pensée, ce petit tracé de non-temps que l’activité de la pensée inscrit à l’intérieur de l’espace-temps des mortels et dans lequel le cours des pensées, du souvenir et de l’attente sauve tout ce qu’il touche de la ruine du temps historique et biographique. Ce petit non-espace-temps au cœur même du temps, contrairement au monde et à la culture où nous naissons, peut seulement être indiqué, mais ne peut être transmis ou hérité du passé ; chaque génération nouvelle et même tout être humain nouveau en tant qu’il s’insère lui-même entre un passé infini et un futur infini, doit le découvrir et le frayer laborieusement à nouveau » (2).
Il va s’agir, ici, et dans le sillage ouvert par ces mots d’Hannah Arendt, d’essayer de penser quelque chose comme une possibilité de libération, pour notre temps – ce qui ne signifie évidemment pas reproduire et épouser les prescriptions propres à notre époque, non plus que chercher à réactiver quelque noyau objectivable de passé. Il s’agirait plutôt de s’emparer d’une question contemporaine, en l’occurrence celle qu’on peut dégager des débats récents en France autour de ce qu’on a appelé le « mariage pour tous », afin de chercher à dégager une voie de libération qui, susceptible de valoir dans le cas présent pour les dits  gays et lesbiennes, pourrait être élargie à quiconque, pour autant que s’y trouveraient déployées certaines des conditions de possibilité pour une émancipation politique, c’est-à-dire pour une pratique permettant de déjouer certains des mécanismes propres aux innombrables dispositifs bio-politiques structurant les formes contemporaines du pouvoir pastoral. La brèche dans laquelle nous aurions alors à nous tenir serait celle au sein de laquelle deux forces contradictoires s’exerceraient sur nous : l’une, venue du passé, et nous incitant, en nous poussant vers l’avant, à poursuivre le mouvement, jugé intrinsèquement progressiste, des luttes de libération contre des pouvoirs essentiellement répressifs, et l’autre, venant du futur, et nous repoussant vers l’arrière, qui tendrait à nous désigner comme libératrices, en tant que telles, les évolutions politiques et sociétales par lesquelles les interdits et autres censures sont allées s’atténuant.
1 theoreme
Pourtant, il nous semble bien qu’un trésor – à l’image de celui qui faisait écrire à René Char, pris dans l’action de la Résistance : « Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor »(3) – fut un jour entre nos mains, fuyant, mais bien réel, à l’image de celui que purent connaître ces Résistants, au nombre desquels René Char, dans les moments de lutte : « Dans cette nudité, dépouillés de tous les masques […] ils avaient été visités pour la première fois dans leurs vies par une apparition de la liberté, non, certes, parce qu’ils agissaient contre la tyrannie et contre des choses pires que la tyrannie – cela était vrai pour chaque soldat des armées alliées – mais parce qu’ils étaient devenus des “challengers”, qu’ils avaient pris l’initiative en main, et par conséquent, sans le savoir ni même le remarquer, avaient commencé à créer cet espace public entre eux où la liberté pouvait apparaître »(4). Hors d’une résistance à la tyrannie, ou aux formes totalitaires de pouvoir, il existe donc bien aussi des manifestations, évidentes et pourtant informulables, de la liberté – elles n’apparaissent cependant qu’à partir d’une dimension d’autonomie, d’initiative, à la différence des formes de liberté octroyées. Sans nom, ce « trésor » échappe à toute convocation ; n’ayant pas de forme déterminée, il n’est pas susceptible d’être anticipé par la pensée ; et pourtant, l’on ne doute pas de l’avoir perdu, lorsque cela se produit, tout comme son arôme est évident au sein de l’espace partagé dans lequel il lui arrive de se manifester. Critique, le questionnement consistera donc ici à tenter de déterminer certaines des conditions de possibilité d’une pensée de la libération homosexuelle, non plus aux conditions du dispositif moderne de sexualité, mais au regard de ce qui pourrait se présenter comme son dehors. Inventer des formes de vie, expérimenter des modes de subjectivation et de désubjectivation, c’est en effet bien là des pratiques que ne précède aucun testament, et qui pourtant peuvent ouvrir sur des formes de libération réelles, et pas seulement formelles.
2 accatone-1961
En simplifiant un peu les enjeux de la discussion, on pourrait dire que l’erreur dans laquelle on est susceptible de tomber – à propos de ce qu’il faut bien appeler un « trésor » (que le commentaire du film Race d’Ep ! de Lionel Soukaz et Guy Hocquenghem tend même à rapprocher d’un âge d’or), et qui fut, pour les homosexuels occidentaux, les mouvements de libération des mœurs des années 60 et 70 -, ce serait de considérer ce moment comme susceptible d’être objectivé en sa dimension proprement libératrice. S’il y a eu de la libération pour les gays, les lesbiennes, les femmes dans ces deux décennies, l’erreur serait de considérer que le secret même de cette libération se situait dans leurs formes objectives, et non pas d’abord dans les pratiques elles-mêmes, avec les modalités subjectives d’engagement qu’elles supposent : la transgression d’un tabou n’est pas nécessairement libératrice, et si la liberté sexuelle des années 60 et 70 en est passée par de telles transgressions, on n’allait pas tarder à déboucher sur une forme de conformisme de la transgression comme nous l’indiquait déjà Pasolini. Si, dans cette optique, le cinéaste italien avouait éprouver plus de sympathie pour le personnage incarné par Jean-Pierre Léaud, dans Porcile (1969), que pour celui du grand transgresseur (parricide et cannibale) incarné par Pierre Clémenti, c’est que l’incertitude, bourgeoise, écartait le premier d’un « nouveau conformisme »(5) de la transgression, visant le « mal radical ». Ce n’est donc pas que la transgression des tabous soit, en elle-même, libératrice, mais c’est que des pratiques qui, pouvant en elles-mêmes être libératrices, sont aussi susceptibles par ailleurs de conduire parfois à transgresser des tabous – mais alors leurs qualités éventuellement émancipatrices débordent le simple fait de transgresser, se contentant d’en passer par la transgression, comme par surcroît (à l’image de ce surcroît de puissance, dont parle Nietzsche, susceptible de conduire à des formes innocentes de destruction). Plus généralement, ce n’est pas la suppression d’un interdit qui fait la liberté en tant que telle – ce qui pose déjà la question de la traduction de la logique d’une émancipation sexuelle en termes juridiques : l’interdit de se marier entre personnes dites de même sexe constitue-t-il une barrière à abattre de façon à gagner nécessairement en liberté ? On comprend bien qu’il ne s’agit pas non plus de soutenir ici que l’interdit lui-même constituerait un ingrédient nécessaire au désir, et que la suppression de l’interdit tuerait le désir – non, si l’on place sur deux plans distincts la logique des désirs et celle des interdits juridiques, on peut penser que la première se déploie indépendamment de la seconde (et toutes les lois sur l’égalité entre les citoyens qu’on pourra décréter ne changeront rien au fait que le désir se situe sur un plan tout autre que juridique et contractuel – sur un plan toujours susceptible de réintroduire des éléments essentiellement a-démocratiques).
3 leaud
On doit donc reconnaître que la question dite du « mariage pour tous », placée du côté d’une demande émancipatrice en matière de mœurs, aboutit à identifier liberté (de se marier) et égalité (le mariage possible aussi entre personnes dites de même sexe) juridiques avec une forme de liberté effective. Or, s’il est évident que la suppression d’interdits juridiques majeurs (comme l’abrogation du paragraphe 175 du code pénal allemand en 1994) participe bien d’une libération effective pour les gays et lesbiennes, c’est qu’il s’agit ici de supprimer une loi qui, en droit au moins (avec le risque, toujours présent, d’une réactivation du paragraphe), interdisait tout simplement les relations sexuelles entre personnes dites de même sexe. C’est donc négativement que le droit peut participer à une émancipation sexuelle, notamment en cessant d’interdire, ou de limiter de façon discriminatoire certaines pratiques – mais la liberté ne deviendra effective que dans les formes autonomes de ces pratiques que la loi, par définition, ne peut pas anticiper. L’autorisation du mariage entre personnes dites de même sexe en France, mais aussi dans un certain nombre d’autres pays, participe-t-elle à une libération effective des gays et lesbiennes ? L’interdit de se marier entre personnes dites de même sexe n’a, en tant que tel, aucune incidence sur les pratiques sexuelles elles-mêmes, mais seulement sur la reconnaissance sociale et symbolique des couples de personnes dites de même sexe, et donc sur les droits (dont celui d’adopter) auxquels avaient accès jusqu’ici les seuls couples hétérosexuels – mais aussi tout célibataire. Ici, on pourrait dire que l’intervention du droit n’est, en l’occurrence, négative qu’au regard de la liberté individuelle : la liberté de quiconque de se marier, quand bien même il serait homosexuel – ce qui signifie alors, avec une personne dite de même sexe, sans quoi, le maintien de l’obligation de se marier (pour qui veut se marier) avec une personne dite de sexe opposé reconduit à une discrimination évidente au regard de l’orientation sexuelle. Mais c’est bien à cela qu’il faudrait limiter l’effet libérateur de l’obtention de ce droit à se marier entre personnes dites de même sexe – une question de liberté et d’égalité juridiques, une question de principe si l’on veut, mais pas du tout une question affectant en profondeur les pratiques. Ou plutôt, si l’on voit en cette loi un élément d’émancipation – et nombre de gays et non gays ayant milité pour le « mariage pour tous » partageaient cette conception – c’est qu’on l’envisage alors comme un élément susceptible d’influer réellement sur nos pratiques. En ce cas, on tend à conduire la loi à jouer un rôle normatif, ce qui signifie donc que la revendication du droit de tous à se marier cesse alors d’être libératrice (elle l’était au moins d’un point de vue strictement juridique, et elle le reste à ce niveau). Reconnaître cette loi dite du « mariage pour tous » comme émancipatrice pour les vies gays, c’est reconnaître, de fait, son influence sur les formes d’existence elles-mêmes – en jugeant alors positivement cette influence.
Qu’il faille avoir prise sur les modes d’existence pour avoir quelque chance d’entrer dans des formes de pratiques de la liberté, c’est une évidence, mais que cette reprise en main de nos existences en passe inévitablement par la loi, c’est ce dont on est en droit de douter – la prolifération même des types de relations possibles et autonomes entre les individus indique que demander à la loi quoi que ce soit en la matière, c’est prendre le risque de devoir renoncer à ce fourmillement. Dans ces conditions, on pourrait même dire que faire appel à la loi en cette matière, c’est prendre le risque d’ouvrir la voie à un développement des formes susceptibles d’entrer dans le cadre de la loi, et participer ainsi aux progrès d’une norme dominante pour nos comportements en termes de sexualité, comme de socialité – c’est, de fait, militer pour une réduction des formes possibles d’existence, ou plus exactement pour le triomphe des formes les plus pauvres. Au mieux cette autorisation du mariage entre personnes de même sexe ne changera rien (des modes d’existence alternatifs continuant à se développer pareillement), au pire, elle constituera en norme (et donc en formes jugées désirables) les modes de vie les plus appauvris. Ce que Michel Foucault écrit, à sa manière, dans une interview de 1982 : « Qu’au nom du respect des droits de l’individu, on le laisse faire ce qu’il veut, très bien ! Mais si ce qu’on veut faire est de créer un nouveau mode de vie, alors la question des droits de l’individu n’est pas pertinente. En effet, nous vivons dans un monde légal, social, institutionnel où les seules relations possibles sont extrêmement peu nombreuses, extrêmement schématisées, extrêmement pauvres. Il y a évidemment la relation de mariage et les relations de famille, mais combien d’autres relations devraient pouvoir exister, pouvoir trouver leur code et non pas dans des institutions, mais dans d’éventuels supports ; ce qui n’est pas du tout le cas »(6). L’erreur, ici, serait certes de considérer le refus de l’existence en couple comme constituant, en tant que tel, le secret même du trésor de la libération sexuelle, mais l’erreur serait tout aussi patente de considérer cette existence en couple, maritale de surcroît, comme la forme achevée de la libération des gays et des lesbiennes. C’est dans cette dernière forme d’illusion que tombe Frédéric Martel, dans son récent ouvrage Global gay, comme on va le voir rapidement.
4 porcile
Faire de la revendication du droit des personnes dites de même sexe à se marier entre elles un élément indispensable au mouvement d’émancipation des gays et lesbiennes, cela revient d’abord à s’inscrire dans une logique progressiste et unificatrice de l’histoire, mais cela signifie aussi le fait d’identifier le terme de cette histoire à un accès des gays à des formes de vie qu’on pourrait dire sécularisées, c’est-à-dire devenues indiscernables des modes d’existence majoritaires, dont le type-idéal serait le couple hétérosexuel marié avec ou sans enfant(s) – on aurait là l’aboutissement de la logique propre au « droit à l’indifférence », qui n’est en fait que l’envers d’un rejet de la différence, comme en témoigne notamment le souci de respectabilité qui a conduit certains gays à reprocher aux « folles » de donner une mauvaise image des homosexuels lors des gay pride. Dans ces conditions, comment interpréter toutes ces expériences autonomes de vie, de modalités d’existence qui ont émaillé l’histoire effective des gays, des cabarets homosexuels de l’entre-deux guerres aux pratiques de travestissement, en passant par les amours collectives, buissonnières et aérées des années 60 et 70, sinon comme autant d’étapes contenant en elles-mêmes les contradictions qui les conduiraient nécessairement aux poubelles de l’histoire – ou les réduirait aux marges, tout juste tolérées, de la société. Souvenons-nous pourtant de ces mots, extraits de La dérive homosexuelle, par lesquels Guy Hocquenghem en appelait à notre vigilance : « Je pense […] que la chance de l’homosexualité réside encore, même pour un combat de libération, dans le fait qu’elle est perçue comme délinquante. Ne confondons pas l’auto-défense avec la respectabilité » (7).
Si la brèche dans laquelle on s’est proposé de s’installer pour la présente réflexion est bien, selon les termes d’Hannah Arendt  « […] ce petit tracé de non-temps que l’activité de la pensée inscrit à l’intérieur de l’espace-temps des mortels et dans lequel le cours des pensées, du souvenir et de l’attente sauve tout ce qu’il touche de la ruine du temps historique et biographique », alors il nous faut convenir de la nécessité d’adosser notre réflexion à une pensée discontinue du temps. Le temps continu (les ruptures éventuelles n’étant plus alors que des effets de retard, ou des témoignages du mouvement dialectique à l’œuvre) de l’histoire considéré comme le mouvement même du progrès conduit en effet inévitablement à faire des éléments du passé des choses dépassées ou devant être dépassées dans le présent, des choses révolues, au moins en droit, et qui n’auraient finalement constitué que des brouillons préparant l’avenir – cet avenir, qui les réaliserait en les dépassant. Dans ces conditions, l’histoire homosexuelle dessinerait un continuum qui, dans l’esprit de Frédéric Martel (et malheureusement pas seulement dans le sien, mais aussi dans l’impensé de bien des discours), nous conduirait au mariage, institution dès lors invitée à signer la fin de cette histoire (raison pour laquelle il parlera d’un âge « post-gay »). Ecoutons quelques extraits tirés de Global gay, certes un peu longs, mais tout à fait significatifs pour la démarche dont ils témoignent, et par laquelle on en vient à unifier dans un même mouvement progrès, démocratie, modernité, capitalisme, droits de l’homme, libération gay et mariage gay : « En quittant Madian [il s'agit du patron palestinien d'un bar gay jordanien], le jour de Prophete Day, je me rends compte que le Books@Café est à la fois “pré-gay” et “post-gay”. Cette atmosphère hors temps le rend fascinant. Pré-gay, car on est ici, à l’évidence, avant la “libération gay” du monde arabe – si l’expression a un sens. Post-gay, car on est aussi au-delà, dans une modernité que j’ai vue naître à East Village à New York, à West Hollywood à Los Angeles ou dans les villes d’Europe du Nord : celle d’une vie homosexuelle moins cloisonnée et plus fluide […]. Mais un bar peut-il changer une ville ? un pays ? Peut-il changer le monde arabe ? Non, bien sûr. Le Books@Café est un lieu trop simple pour le but trop complexe auquel il participe et qui le dépasse : la modernisation arabe. […] Madian-al-Jazerh est peut-être un ouvreur de route, mais en terre d’Islam le chemin de la libération gay est encore long. […] Par le prisme de la question gay, il est possible de voir surgir l’esprit du temps […] Fil rouge de l’évolution des mentalités, la question gay devient ainsi un bon critère pour juger de l’état d’une démocratie et de la modernité d’un pays. […] Dans les restaurants de Chelsea [un quartier de Manhattan], […] on croise des couples gays épanouis, la quarantaine, barbe-de-trois-jours-poivre-et-sel-façon-George-Clooney, cravate avec col dégrafé “casual Friday”, déjà fiers d’avoir réussi leur vie dans la banque, la finance ou l’immobilier “affinitaire”. Hier, dans le Greenwich Village des années 1970, le mouvement gay se voulait radical et anticapitaliste. On provoquait. On faisait de la guérilla. A Chelsea aujourd’hui, on ne conteste plus le pouvoir : on consomme, on veut être gay dans l’armée, se marier et même être élu au Congrès. On veut le pouvoir. […] On se moque parfois de cette libération homosexuelle qui a pris du muscle, en troquant les corps efféminés pour la gonflette et la caricature. Mais le quartier mérite mieux que ces préjugés. C’est aujourd’hui une communauté gay assagie certes, mais qui sait encore faire la fête. […] A Chelsea, les gays vivent de plus en plus souvent en couple et, depuis 2011, ils peuvent se marier légalement. Du coup, ils font aussi du fundraising afin de collecter de l’argent pour les campagnes électorales ; les gays américains ont compris que c’est seulement en montrant leurs muscles qu’ils feront avancer leur cause et leurs droits. Alors, ils financent sans sourciller les combats des grands lobbys gays américains pour défendre le “same-sex marriage”, lutter contre la droite évangéliste homophobe et, en 2012, faire réélire Barack Obama »(8).
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Et voilà les luttes radicales des années 70 – après Stonewall – rapportées à des enfantillages et à des formes de provocation correspondant à une sorte de révolte adolescente, que les gays américains auraient heureusement su dépasser, mais tout en conservant (l’Aufhebung hégélienne !) le sens de la fête. Ce mouvement de globalisation et de modernisation devient dès lors le critère du degré de développement démocratique d’un pays et donc de l’avancement du processus de libération homosexuelle – libération homosexuelle et démocratie deviennent dès lors synonymes sous la plume de Martel, de même que le néo-capitalisme lui-même apparaît comme facteur de démocratisation. L’homosexualité dont nous parle ici Martel n’a bien évidemment plus rien à voir avec ce que Guy Hocquenghem pouvait désigner à travers ce terme : là où ce dernier la définissait comme non substantielle, et par là même susceptible de concerner toutes les formes de sexualité, le premier la réduit à une substance développant toutes les caractéristiques des corporatismes identitaires, quand bien même cela devrait conduire à se fondre dans les formes ordinaires de la vie sociale. Cette homosexualité « à la Martel », qui ne semble pouvoir connaître de véritable « libération » dans le « monde arabe » (autre version du jugement islamophobe d’incompatibilité entre démocratie et Islam), est bien cette homosexualité blanche, honnie par Hocquenghem, dès 1977 : « La pression normalisante va vite, même si Paris et les boîtes de la rue Ste Anne ne sont pas toute la France. Il reste encore des folles à Arabes en banlieue ou à Pigalle. N’empêche que le mouvement est lancé d’une homosexualité enfin blanche, dans tous les sens du terme. Et il est assez curieux de constater, à regarder les publicités ou les films, puis la sortie des boîtes de tantes, l’apparition d’un modèle unisexuel – c’est-à-dire commun aux homosexuels et aux hétérosexuels – proposé aux désirs et à l’identification de chacun. Les homosexuels deviennent indiscernables, non parce qu’ils cachent mieux leur secret, mais parce qu’ils sont de cœur et de corps uniformisés, débarrassés de la saga du ghetto, réinsérés à part pleine et entière non dans leur différence, mais au contraire dans leur ressemblance » (9). Cette « globalisation » vantée par l’auteur de Global gay et débouchant sur des supposés mouvements de « libération gay », s’effectue donc aux conditions mêmes de cette « homosexualité blanche ». Ce qui est alors rejeté hors de toute possibilité de salut, c’est notamment ce qui s’inscrit dans les pratiques marginales des homosexuels vivant sous des régimes réprimant l’homosexualité, du moins lorsque ces pratiques ne peuvent pas être récupérées par Martel comme des formes embryonnaires de comportements qui ne trouveront leur forme achevée qu’en régime de modernité – car l’auteur cherche bien à faire une place à des singularités irréductibles au mouvement de globalisation qu’il décrit, mais alors, soit il explique cet écart par une différence culturelle (secondaire, donc, et ne remettant pas en cause le mouvement d’ensemble), soit il rend compte de cette distance à travers la survivance d’un archaïsme, évidemment amené à disparaître. Frédéric Martel supprime ainsi la question qu’on se posait : le syntagme « libération gay » n’est aucunement pour lui le nom d’un problème, d’un questionnement théorique, mais un donné effectif, qu’il n’y a plus qu’à décrire.
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Ce que Frédéric Martel appelle ainsi « libération gay », c’est un mouvement de domination progressive, et tendant à l’hégémonie, d’une norme démocratique générale, et s’il accepte de ne pas uniformiser tout à fait ce mouvement de globalisation, c’est qu’il reconnaît qu’il peut y avoir des versions culturellement variables de cet idéal démocratique. Le devenir démocratique du monde annoncerait par conséquent la libération gay universelle… Ainsi entendue, la « libération gay » se situe donc dans un parfait rapport d’homogénéité avec la question de l’obtention de droits supplémentaires – on pourrait même dire que ces formes de revendications épousent les formes consuméristes d’un certain démocratisme contemporain. La différence n’est donc ici aucunement établie entre une forme de liberté octroyée (à travers des droits accordés), que Pasolini nommait « fausse tolérance », et une forme de liberté réelle, pour laquelle il s’agit d’inventer soi-même des espaces et des pratiques de libération. Et cette dernière forme, effective, de liberté, elle ne saurait se gagner qu’en marge des institutions, là où une politique autonome est possible, c’est-à-dire là où des gestes, en s’inventant, ouvrent un espace d’immanence pour des relations inédites et imprévues – ce qui est une manière de se déprendre d’une logique subie des positions susceptibles d’être occupées, en inventant dès lors sa propre place, non encore cartographiée. Si les années 70 pouvaient en effet relever de la guérilla, en ce qui concerne les mouvements de libération gay, ce n’est pas là un indice d’immaturité, contrairement à ce qu’en juge Martel, c’est au contraire le signe de la nécessité même d’un combat clandestin – et la libération gay aurait sans doute à renouer avec une certaine clandestinité (post coming out si l’on veut), du moins si elle ne veut pas s’effectuer dans le cadre asséchant des formes institutionnelles de la politique.
Si, par définition, les formes d’existence, de relations s’inventant hors institutions ne peuvent être anticipées en pensée – on a vu qu’elles n’étaient précédées d’aucun testament -, on peut au moins tenter de les cerner un tant soit peu en creux, comme formes toujours à venir. C’est d’ailleurs un peu ce que fait Michel Foucault, dans l’interview qu’on a évoquée tout à l’heure. En effet, au lieu d’inscrire sa démarche dans le cadre d’une revendication d’accès à des droits existants, il prône plutôt l’invention d’un nouveau type de droit, essentiellement négatif, sans prescription particulière, donc, et laissant par conséquent le champ à l’invention autonome de formes d’existence et de relations : « Plutôt que de faire valoir que les individus ont des droits fondamentaux et naturels, nous devrions essayer d’imaginer et de créer un nouveau droit relationnel qui permettrait que tous les types possibles de relations puissent exister et ne soient pas empêchés, bloqués ou annulés par des institutions relationnellement appauvrissantes » (10). Ce n’est donc pas que Foucault nie l’importance d’une reconnaissance légale et sociale des relations diverses, notamment homosexuelles, c’est seulement qu’il considère que « si l’on demande aux gens de reproduire le lien de mariage pour que leur relation personnelle soit reconnue, le progrès réalisé est léger » (11). Au fond Foucault propose d’inverser le raisonnement classique, qui triomphe d’ailleurs encore, bien que de façon inaperçue le plus souvent, dans la revendication d’un droit à se marier entre personnes dites de même sexe : « Il faut renverser un peu les choses, et, plutôt que de dire ce qu’on a dit à un certain moment : “Essayons de réintroduire l’homosexualité dans la normalité générale des relations sociales”, disons le contraire : “Mais non ! Laissons-la échapper dans toute la mesure du possible au type de relations qui nous est proposé dans notre société, et essayons de créer dans l’espace vide où nous sommes de nouvelles possibilités relationnelles”. En proposant un droit relationnel nouveau, nous verrons que des gens non homosexuels pourront enrichir leur vie en modifiant leur propre schéma de relations » (12). Si Foucault semble revenir à l’idée d’une institutionnalisation des relations entre individus, quand la citation de tout à l’heure laissait entendre qu’il préférait penser ce type de relations en marge des institutions, ce n’est pas sans effectuer de cette façon une sorte de subversion de la notion même d’institution. En effet, on retrouve dans l’idée foucaldienne d’un « droit relationnel nouveau » et l’idée d’une homosexualité qui, non substantielle, concerne tout le monde, et l’idée d’un espace inter-individuel où la liberté puisse se manifester. Aux antipodes d’une homosexualité homogénéisante « à la Martel », les réflexions de Foucault pourraient notamment nous conduire, tout au contraire, à remettre en mouvement notre rapport à l’étranger, étiqueté comme « clandestin » ou non : là où l’accès des gays au mariage ne change rien en la matière, un « droit relationnel » tel que l’envisage Foucault pourrait permettre de renverser la perspective, car alors, c’est la relation elle-même, en l’occurrence avec un étranger, qui ouvrirait sur un droit nouveau. En cela, l’établissement de la relation ne serait pas précédé par un cadre juridique, c’est ce dernier qui aurait à épouser les contours, souples et largement indéterminés, de la relation effective. Dans cet ordre d’idée, et s’intéressant aux relations d’amitié dans le monde hellénistique et romain d’avant le Christianisme, Foucault est parvenu à mettre en évidence la prise en compte institutionnelle (parfois alors fort rigide et contraignante, certes) de types de relations complexes, dont on n’aurait pas pu dire, de l’extérieur, en quoi exactement elles consistaient : « Quand vous lisez un témoignage de deux amis de cette époque, vous vous demandez toujours ce que c’est réellement. Faisaient-ils l’amour ensemble ? Avaient-ils une communauté d’intérêts ? Vraisemblablement, aucune de ces choses-là – ou les deux » (13). A travers un cadre institutionnel souple, il y aurait possibilité de prise en compte légale et sociale de relations entre amis sans que ce cadre ne soit contraignant, appauvrissant, c’est-à-dire sans que la nature des relations ne soit impliquée par le type du lien institutionnel – subvertissant l’idée d’institutions essentiellement normatives, un tel cadre se révèle alors susceptible de fournir un espace où peut prendre place une grande invention relationnelle. On pourrait penser à des formes d’adoption entre adultes par exemple, ouvrant à tous types effectifs de relations, entre un nombre en droit non limité d’individus, où l’adoptant n’aurait pas nécessairement à être l’aîné, etc.
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Cette référence à un cadre institutionnel, fût-il souple, ne doit donc pas laisser penser que pour Foucault la question des droits des gays est première dans la stratégie de bataille pour ce qu’on pourrait appeler la libération homosexuelle : à travers ce cadre institutionnel, il s’agit bien davantage, pour lui, de ménager ainsi une place sociale, une inscription sociale aux relations entre individus de même sexe, comme un préalable à des pratiques effectives de libération. Il s’en explique d’ailleurs : « Il peut y avoir une discrimination envers les homosexuels, même si la loi interdit de telles discriminations. Il est donc nécessaire de se battre pour faire place à des styles de vie homosexuelle, à des choix d’existence dans lesquels les relations sexuelles avec les personnes de même sexe seront importantes. Il n’est pas suffisant de tolérer à l’intérieur d’un mode de vie plus général la possibilité de faire l’amour avec quelqu’un du même sexe, à titre de composante ou de supplément. […] Il ne s’agit pas seulement d’intégrer cette petite pratique bizarroïde qui consiste à faire l’amour avec quelqu’un du même sexe dans des champs culturels préexistants ; il s’agit de créer des formes culturelles » (14). On trouve chez Foucault, ainsi, le refus d’une homosexualité pensée dans sa relation à l’hétérosexualité à travers une simple différence dans le choix de l’objet du désir, ce qui suffirait déjà pour ne pas faire du mariage entre individus dits de même sexe une revendication intéressante pour les gays, mais on retrouve aussi cette méfiance qui était la sienne à l’égard des étiquetages de tous types, ce qui le conduit aux antipodes de l’injonction contemporaine au coming out : de la même manière que des formes institutionnelles de relations entre individus peuvent conduire à appauvrir leurs relations effectives, tout en en garantissant une forme de publicité, de même, la pratique du coming out, si elle présente bien un intérêt comparable d’affirmation sociale, n’est pas exempte d’un revers appauvrissant, lui-même tout à fait semblable, cette fois dans la relation de soi à soi – qu’on pense seulement aux jeunes gens, incités à faire leur coming out (et donc à s’attribuer une identité et /ou une orientation sexuelle, quand ils sont probablement davantage dans un temps de découverte et d’expérimentation). Dans des formes de socialité plus souples, mais institutionnellement reconnues, il y aurait possibilité de maintenir du jeu dans les relations entre individus, mais aussi quant à sa propre identité, du point de vue de l’appartenance de sexe, de l’orientation sexuelle, des pratiques sexuelles, etc, tout en introduisant du jeu dans l’ensemble de la société, en ce qui concerne les relations aux autres et à soi-même. A travers ces formes institutionnelles souples, il y a déjà une forme d’injonction contemporaine, et fondamentalement policière, à laquelle on peut ainsi échapper : l’injonction à la transparence. En réintroduisant du flou dans l’identification des relations entre individus, on rouvre du même coup des possibilités inédites de relations, on gagne en liberté, en se déprenant, de fait, d’une injonction à tout dire, à tout avouer pourrait-on dire – avec cette contrainte supplémentaire qu’en devant tout dire, on a aussi à tout se dire à soi-même, et donc à assurer pour soi-même une relative cohérence entre ses diverses relations et ce que l’on considère comme son identité. Car c’est cette identité même qui peut être remise en mouvement, le jeu introduit dans les catégories et les pratiques réintroduisant, de fait, du jeu dans notre définition identitaire. Plutôt que de restreindre le champ de l’homosexualité aux formes compatibles avec les formes de relations sociales existantes, il s’agirait d’élargir les formes sociales de relations pour faire une place aux relations entre personnes dites de même sexe – du coup, c’est l’ensemble de la société qui pourrait profiter de cet enrichissement, quand la reprise de la forme sociale du mariage hétérosexuel par les gays constitue une forme d’appauvrissement des possibilités de relations homosexuelles, et donc, plus généralement, de toutes les formes de relations sexuelles.
Peut-être la conservation d’un trésor a-t-elle toujours partie liée avec un certain secret – tout comme ce trésor que René Char partageait avec ses compagnons de combat se serait révélé inséparable de l’arôme conservé de ces années-là. Le trésor de la lutte pour une libération homosexuelle, toute spécifique que puisse être cette dernière, serait, dès lors, peut-être lui-même inséparable d’un arôme lié à une certaine clandestinité – non pas parce qu’il s’agirait de regretter un interdit supposé fonder le désir, mais parce que la pleine lumière faite sur les relations homosexuelles (et le mariage gay constitue l’occasion d’une pleine publicité accordée à celles-ci) est de nature à faire fuir cette vibrante liberté, éprouvée au sein de rencontres, furtives, et d’abord gagnées face à l’interdit. Foucault écrit : « Le clin d’œil dans la rue, la décision, en une fraction de seconde, de saisir l’aventure, la rapidité avec laquelle les rapports homosexuels sont consommés, tout cela est le produit d’une interdiction » (15). Et ce sont bien ces formes de rencontres, aventureuses, fugaces qui conservent cet arôme si reconnaissable de la liberté, qui nous font éprouver une manifestation sensible de la liberté, parfum que les formes normalisantes de la « libération gay » ont laissé s’évaporer. Bien loin des mairies, dans des espaces hétérotopiques, la liberté continue d’être cette création sans terme ni testament – toujours à réinventer.
Alain Naze
Notre libération n’est précédée d’aucun testament / 2013
Communication au Colloque d’Istambul / voir : Ici et ailleurs
Site de Zilda
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1 René Char, cité in Hannah Arendt, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972, p.11.
2 Hannah Arendt, op. cit., p.24.
3 René Char, cité in H. Arendt, op. cit., p.12.
4 H. Arendt, op.cit., p.12-13.
5 Pier Paolo Pasolini, source Internet : http://www.ina.fr/video/104154763
6 Michel Foucault, « Le triomphe social du plaisir sexuel : une conversation avec Michel Foucault », in Dits et écrits II, 1976-1988, Paris, Quarto Gallimard, 2001, p.1128).
7 Guy Hocquenghem, La dérive homosexuelle, Paris, Jean-Pierre Delage, 1977, p.130 – je souligne.
8 Frédéric Martel, Global gay. Comment la révolution gay change le monde, Paris, Flammarion, 2013, p.18-30.
9 G. Hocquenghem, op. cit., p.132.
10 M. Foucault, art. cit., op. cit., p.1129.
11 Id., p.1128.
12 Id., p.1130 – je souligne.
13 Id., p.1129.
14 Id., p.1127-1128.
15 M. Foucault, « Choix sexuel, acte sexuel », 1982, op. cit., p.1148.




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