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Tous Coupat, tous coupables (2) / Alain Brossat

Ce texte, cette décision se fondent en effet sur une certitude : devenir, aujourd’hui, ingouvernable, être en quête d’effets politiques, d’effets de déplacement ou de choc qui ne soient pas reconductibles aux conditions générales du gouvernement des vivants ou de la police
pastorale – cela suppose nécessairement de vifs mouvements d’excentrement, des exils consentis, une forme de solitude organisée, et la recherche assidue de limites, de confins, de points de rupture – non pas, certes, « sortir du système » en créant des isolats, mais bien susciter
toutes sortes de blocages, d’effets d’entrave, exhiber les points de faiblesse du perpetuum mobile, sortir des logiques purement défensives, exposer de nouveaux possibles en s’exposant soi-même, etc. Ceux et celles qui sont habités par ce discours stratégique savent que la politique vive, aujourd’hui, ne peut être en ce sens qu’une activité se déployant non pas sur les marges, au sens social, mais bien sur les bords, au sens politique, et qui, à ce titre, s’associe nécessairement, pour les gouvernants, à la dangerosité. Ceux qui, à l’heure où l’extrême gauche normalisée donne toujours davantage de gages de respectabilité et tend, nolens volens,à
trouver sa place dans le dispositif parlementaire, recherchent les voies de ce que Foucault nomme l’inservitude volontaire et mettent en scène des insurrections de conduite – ceux-là sont dangereux et savent que leur politique fait d’eux, au regard de toutes les polices associées, des coupables plutôt que des innocents (16). La dénonciation de la grossièreté des constructions policières hâtives ne devrait pas nous faire oublier cette condition propre à toute politique radicale aujourd’hui, celle qui énonce : nous ne voulons pas être gouvernés ainsi, nous ne voulons pas être gouvernés par ces gens-là, ce gouvernement est l’intolérable même et nous
nous déclarons en conflit ouvert et perpétuel avec lui. On pourrait aller même un peu plus loin : aujourd’hui, être identifié comme dangereux par ceux qui gouvernent est une distinction et un motif de fierté, non moins que le fait de faire l’objet d’incriminations bâclées et hyperboliques constitue « un scandale » au regard des normes de l’ »État de droit ». La question préoccupante
serait bien, aujourd’hui, celle de savoir pourquoi, parmi ceux-là mêmes qui se solidarisent avec les inculpés, s’impose l’affect scandalisé – « Comment, on emprisonne des innocents ! » –, plutôt que le diagnostic qu’appelle cette affaire : oui, dans les conditions du présent, le simple fait d’énoncer les prémisses d’une politique vraiment radicale expose pleinement ceux qui s’y risquent, car tel est bien l’état du présent… Insistons : l’évidence qui s’énonce ici est, bien entendu, assez dure à avaler. Elle est tout simplement qu’une politique (une stratégie politique et les actions qui en découlent) distinctement agencée autour de cette notion de l’intolérable ne peut être qu’une politique dangereuse et coupable, une politique qui rend vulnérable ceux qui s’y vouent aux représailles de l’État et aux attaques de toutes les polices assemblées (presse, directions syndicales, intellectuels enrégimentés…). Il faut le dire ouvertement : l’état présent de dégradation des libertés publiques, de prolifération du régime de l’exception rampante fait que toute politique fondée sur le refus effectif d’être « gouverné ainsi » et « gouverné par ces gens-là » voue ceux (celles) qui s’y essaient à être placés dans l’illégalité et réprimés en conséquence.
C’est bien là la première des leçons de l’affaire de Tarnac qui n’est pas une « bavure », un abus, mais bien la manifestation de la rigueur de cette nouvelle règle. Or, toute la campagne qui s’est développée en faveur des inculpés est portée par un si vif et si constant désir d’innocence, de si persistantes références à la légalité, à l’inoffensive innocence des inculpés qu’il apparaît très distinctement que, pour l’essentiel, le référent démocratique indistinct continue à obscurcir la perception du présent politique de ceux qui s’y trouvent mobilisés. Pour être dans l’esprit du temps, la victimisation des inculpés, innocents par position et définition, va dans le sens de cet
effacement hâtif et compulsif de tout ce que l’expérience qu’ils avaient entreprise comportait d’inéluctablement insupportable aux yeux des gouvernants. On ne le dira jamais trop : nul ne saurait aujourd’hui entreprendre une politique rétive aux prises du dispositif parlementaire, médiatique, pastoral (etc.) s’il n’entre pas dans la peau du coupable et de l’individu dangereux (ce qui ne signifie en rien, faut-il le préciser, se plier aux conditions d’une incrimination fondée sur une construction discursive hallucinatoire). C’est cela que fait disparaître la campagne de tonalité si morale, si vertueusement indignée, en faveur des inculpés et dont le présupposé implicite et aveugle est donc nécessairement que nous vivons, aujourd’hui comme hier, sous le régime d’un état de droit auquel ferait exception de manière si scandaleuse le traitement réservé à nos amis de Tarnac. sur ce point, d’ailleurs, le parti d’ « invisibilité » mis en avant par ceux qui endos-sent la responsabilité de l’Insurrection qui vient (« Comité invisible ») trouve ici ses limites distinctes : survient rapidement ce moment, lorsqu’on s’engage dans une action politique, lorsqu’on propose des analyses susceptibles de fonder des actions, lorsqu’on énonce des prescriptions, où le parti de l’anonymat débouche sur des impasses et des contradictions inextricables ; survient toujours ce moment où, dès lors qu’il s’agit de ne pas se cantonner dans le domaine de l’ »action directe », il importe que les mots aient une signature, que les propositions un nom, les actions un sigle, etc.
Étrangement, le sens commun du sujet de l’État démocratique (« Nous sommes en démocratie, tout de même ! »), rudement mis à l’épreuve ces derniers temps, trouve matière à se raffermir sur ses bases à l’occasion de cette affaire : les incriminations volent en éclat, une partie des inculpés est remise en liberté, le procès s’annonce plutôt mal pour les instigateurs de l’affaire et, plus que jamais, Mme alliot-Marie est sur un siège éjectable – rêverait-on plus belle leçon de démocratie en acte ? Le malheur est que, à l’examen, c’est tout le contraire qui se discerne ici, au delà des effets de surface tranquillisants – l’implacable efficace des polices de tous ordres.
Le si louable désir de vie coupable (au sens que Foucault donne à cette expression) qui animait nos jeunes gens se trouve dérobé sous le drapé de leur native distinction ; le corporatisme des « élites » fait le reste et, la messe ayant été dite par tant d’esprits éminents et penseurs de renom mondial, le pouvoir intellectuel administre une correction bien méritée au pouvoir policier. Bref, les
choses rentrent dans l’ordre, l’erreur des agités sécuritaires qui conseillent le ministre de l’Intérieur ayant été de sous-estimer ces pesanteurs bien françaises (le juge « antiterroriste » Gilbert Thiel rappelait, à l’occasion de l’affaire, qu’un précédent au moins s’était présenté récemment dans l’usage indiscriminé de l’imputation de « terrorisme » – lorsqu’un jeune postier un peu exalté
avait fait sauter quelques radars routiers, se blessant gravement au passage (17) ; nul, alors, ne s’était soucié de pétitionner pour dénoncer l’extravagance de l’incrimination, ce n’était qu’un postier sans paillettes, qui n’avait jamais frayé avec la philosophie ni jamais rencontré Michel Drucker). Une telle involution du processus engagé par la publication de l’Insurrection qui vient et la création de la commune de Tarnac, détourné au profit d’une démonstration en faveur de la validité quand même, en dépit de tout, de la normativité démocratique – sinistre « leçon » – était-elle inévitable, dès lors que la machination policière avait pris forme ? On se permettra d’en
douter. Il y eut, dans un passé plus ou moins récent, des exemples inoubliables de rassemblements pétitionnaires autour d’acteurs politiques, de militants, d’activistes de différentes causes radicales, et dont le propre était non pas d’ensevelir leur combat sous les gravats de l’idéologie moyenne de l’État démocratique allié au discours moral de la présomption d’innocence, mais bien de se solidariser avec leur combat, dans les formes et dans les termes que celui-ci proposait. Ce fut le cas avec l’Appel des 121, pendant la guerre d’algérie, qui, se solidarisant avec les insoumis et les déserteurs de l’armée française, faisait de ses signataires non pas des grands témoins de moralité inspirés par la charte de l’État de droit, mais bien des coupables par association. Ce fut aussi le cas des femmes de renom qui, en solidarité avec d’autres, anonymes, inculpées pour avoir avorté, proclamaient non pas leur indignation face
à cette incrimination, mais déclaraient en avoir fait tout autant et réclamer leur propre mise en cause. On aurait aimé, dans le même esprit, voir les signataires de l’appel susmentionné non pas rappeler l’État démocratique à ses sacro-saints principes et l’exhorter à renoncer à l’usage de l’exception, mais bien plutôt se déclarer coupables des mêmes torts hétéroclites que ceux reprochés, aux accusés de Tarnac : détester les téléphones portables, être dissidents bien qu’issus de familles très convenables, rejeter le principe des prélèvements d’ADN, posséder une maison à la campagne, participer à des manifestations qui, parfois, tournent mal, citer Auguste Blanqui dans leurs écrits, avoir lu Pouget et Sorel, approcher, parfois, d’une voie ferrée, ne pas respecter la légalité en toutes circonstances et dans le moindre de ses détails, considérer
l’Insurrection comme un possible historique toujours actuel, récuser l’assimilation du mot communisme à la criminalité historique etc. en vertu de quoi, les signataires auraient demandé à être inculpés, pour les mêmes chefs d’accusation que Coupat et les autres emprisonnés. Assurément, un appel de cette tournure – tous Coupat, tous coupables ! – aurait produit un
tout autre effet que celui qui a si fortement contribué à installer la défense des inculpés dans cette espèce de marécage antipolitique, peuplé de sage indignation, de dénis obstinés et de tant de bons sentiments. Pour un peu, on en viendrait à se demander par l’action de quel malin génie funeste la rédaction d’un texte militant signé par le gratin de la philosophie contemporaine se trouve avoir été confiée à un bousilleur dont la pendule politique s’est arrêtée à l’heure de l’antifascisme des années 1930… D’une façon générale, autant que l’incapacité, ici manifeste, pour nos philosophes d’établir un geste politique sur leurs propres fondements théoriques,
apparaît l’extraordinaire difficulté pour un infracteur ou supposé tel, de faire entendre dans une telle configuration, sa propre parole et ses propres raisons, à propos des actions ou des conduites qui lui sont reprochées. Au nom de la nécessité d’une défense efficace et réaliste,
la parole de nos « communards » a été rigoureusement éteinte – et pas seulement parce que, pour certains d’entre eux, ils étaient enfermés –, de même que l’Insurrection qui vient a été déminé et pieusement rebaptisé « un essai politique qui tente d’ouvrir de nouvelles perspectives » (18)… Le « Comité invisible » est devenu inaudible, lui qui avait su trouver les mots les plus justes pour exposer ses analyses et ses motifs, au moment où sa parole était le plus nécessaire – celui où se déversaient sur lui les accusations les plus biaisées et où prenait corps le travestissement de tout ce qu’il avait entrepris. Les derniers à travailler à une telle disparition, une telle dépossession n’ont pas été ceux pour qui cette affaire a été l’occasion de réintensifier la classique opposition entre peuple et plèbe, gens du monde et hommes infâmes ; les uns pour opposer le peuple travailleur qui aime son labeur et soigne son outil de travail (par opposition à ceux qui se disent allergiques à l’emploi et sabotent le bien commun), les autres pour réintégrer de force dans le camp des gens convenables et innocents par origine et statut ceux qui, volontairement, avaient organisé des lignes de fuite hors de ce qui, socialement, les « destinait ». Dans les deux cas, il s’agit de faire en sorte que plus rien, ou le moins possible, ne demeure et s’exprime au grand jour de l’expérience propre de cette plèbe singulière et, surtout, que plus rien n’y fasse sens – seul étant appelé à persister le souvenir du rassemblement vertueux qui mit en échec (on peut, du moins, l’espérer à heure où l’on écrit) le montage policier – un concours de foule qui aura été, à l’échelle de Tarnac, l’équivalent de celui qui donna lieu, en mai 2002, au plébiscite « antifasciste » dont l’effet le plus manifeste a été d’ouvrir une voie royale à Sarkozy. Les nombreuses années passées dans les prisons italiennes par Paolo Persichetti, après son extradition expéditive et félonne par les autorités françaises, la réincarcération de Jean-Marc Rouillan montrent que
ceux qui se refusent jusqu’au bout à plier devant les injonctions d’avoir à admettre, la tête basse, que seule la violence de l’État est légitime, à entrer dans le jeu abject des rites de repentance, de reniement et de soumission sont voués à subir une peine infinie. La dignité, en politique, de ce point de vue, se trouve, au moment où le tout-venant des « élites » change de camp et de discours comme il change de voiture de fonction, repoussée au point le plus excentré – là où, envers et contre tout, ces militants se rendent insupportables à l’État et aux journaux en ne cédant rien, quoi qu’il doive leur en coûter, sur leurs convictions, sur leur passé. en ce temps où les palinodies, les reniements et la mise en œuvre de la règle « efface tes traces ! » font l’essentiel du bagage « éthique » de nos hommes politiques, il est remarquable que ceux des inculpés qui demeurent emprisonnés maintiennent, dans leur silence même, envers et contre tous les certificats de bonne conduite qui leur sont décernés par leurs soutiens bien intentionnés, ce cap de l’intraitable.
C’est évidemment aujourd’hui le rêve ardent du bunker sécuritaire, d’Alain Bauer à Sarkozy, en passant par tous les tâcherons de l’antiterrorisme, de mettre la main sur des groupes activistes dont ils pourraient dire : voilà, les héritiers de la bande à Baader et d’Action directe sont là, ils sont armés, prêts à tuer et en voici les preuves ! C’est leur rêve, car Dieu sait quelle providence
politique, électorale représenterait, à défaut de tout autre, une telle chance d’exhiber la preuve tangible des risques et menaces innombrables qui nous assaillent ! Mais comme une telle manne n’existe pas, il a bien valu l’inventer en travestissant des discours et des conduites, inséparables de formes nouvelles de résistance ou de riposte en « »terrorisme ». L’affaire de Tarnac aura eu au
moins le mérite de dégonfler cette baudruche du « terrorisme » à géométrie variable – mais sans que la critique de ce vocable corrompu aille jusqu’à sa complète récusation : nombreuses sont les bonnes âmes qui pensent que l’accusation de terrorisme lancée contre ces jeunes gens était abusive et scandaleuse, mais qu’au demeurant la lutte contre le vrai terrorisme justifie bien, dans
des circonstances données, quelques atteintes aux libertés publiques. Or, la validation du vocabulaire et des schèmes discursifs de nos gouvernants n’est jamais que le début du consentement à ce qui nous réduit aux conditions du gouvernement qui établit comme sa règle légitime ce dont se nourrit l’état d’exception proliférant. Et ce n’est pas parce que les inculpés de Tarnac ne sont rien de ce qu’en a dit Mme alliot-Marie relayée par quel-ques magistrats « antiterroristes » (encore le vocabulaire corrompu de l’ennemi) que l’Insurrection qui vient est une prophétie vide et une rodomontade sans conséquence ; n’est-il pas pour le moins singulier que les émeutes juvéniles qui ont éclaté en Grèce en décembre 2008, suite à l’assassinat d’un jeune par un policier à Athènes, aient sur le champ été entendues aussi bien
par la presse que par les gouvernants de ce pays, Sarkozy en tête, comme un avertissement, voire le signe avant-coureur de ce à quoi il conviendrait de se préparer ? Du côté de l’État, des « experts » de toutes sortes, le syndrome de l’explosion sociale se développe, en conséquence de quoi sont mises en place toutes sortes de dispositifs destinés à faire face au « coup dur », à la
situation d’urgence. On pourrait même dire qu’une telle commotion constitue pour eux l’un des scénarios non seulement du possible mais du souhaitable – tant ils sont en quête de dérivatifs autoritaires face aux effets durables du tsunami financier de l’année 2008.
« Nous n’avons rien fait de mal, nous sommes irréprochables – l’État de droit, la Ligue des Droits
de l’Homme et Daniel Cohn-bendit avec nous ! » demeurent, dans cette conjoncture, des réponses un peu courtes et surtout mal dirigées. Plutôt que de succomber au charme facile des prédictions apocalyptiques qui annoncent sans frais l’imminence de la chute de notre « ancien régime », nous gagnerions plutôt à dire : en de telles circonstances, il n’est pas exclu, en effet, que nous puissions devenir dangereux, que nous nous destinions à le devenir, tant ce qui nous gouverne est devenu abject, menaçant et insupportable ! Après tout, ce ne sont pas les exemples qui manquent, dans le présent, de pôles et de manifestations de radicalité qui, activement, organisent la résistance à cet insupportable – sans papiers, lycéens, enseignants, ouvriers grévistes, psychiatres même, que rien ne destine à se conduire en subversifs, révoltés par le décret présidentiel leur enjoignant de traiter désormais les malades mentaux
en criminels… Il est intéressant que, dans ce contexte où les lignes de tension et d’affrontement se multiplient, l’accent se trouve porté, en l’absence de toute capacité des appareils politiques traditionnels à se tenir à la hauteur de l’exaspération qui monte, sur les conduites davantage que sur les projets. une nouvelle subjectivité de résistance et de défection émerge, qui trouve son expression dans la multiplication des proclamations et manifestations de désobéissance. Il ne s’agit pas tant de renouer avec le grand mythe de l’illégalité, du soulèvement violent et massif que de dire, simplement : dans ces conditions, nous n’obéirons plus, nos conduites deviendront ingouvernables, cesseront d’être programmables. Nous cesserons d’être les agents de ce que tentent de produire et de reconduire ceux qui nous gouvernent, nous ne serons plus dans ces rôles, nous ne serons plus, si possible, là où nous sommes prévus et attendus.
C’est, pour l’essentiel, ce à quoi exhorte l’Insurrection qui vient, et cela va un peu plus loin que « planter des carottes ». Mais ce ne serait pas la première fois que des parents découvriraient après-coup ce qu’ils ont toujours préféré ignorer : les talents cachés de leur progéniture.
Alain Brossat
Texte mis en ligne le 14 janvier 2009
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Nouvelles Editions Lignes, collection bon@tirer
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16 Voir à ce propos Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, Cours au Collège de France, 1977-78, leçon du 1/03/1978, Gallimard/Seuil, 2004.
17 Libération du 26/11/2008.
18 Lettre ouverte des familles, op. cit.

Trois problèmes de groupe (1) / Gilles Deleuze

Il arrive qu’un militant politique et un psychanalyste se rencontrent dans la même personne, et que, au lieu de rester cloisonnés, de trouver toutes sortes de justifications pour rester cloisonnés, ils ne cessent de se mêler, d’interférer, de communiquer, de se prendre l’un pour l’autre. C’est un événement assez rare depuis Reich. Pierre-Félix Guattari ne se laisse guère occuper par les problèmes de l’unité d’un moi.
Le moi fait plutôt partie de ces choses qu’il faut dissoudre, sous l’assaut conjugué des forces politiques et analytiques.
Le mot de Guattari, « nous sommes tous des groupuscules », marque bien la recherche d’une nouvelle subjectivité, subjectivité de groupe, qui ne se laisse pas enfermer dans un tout forcément prompt à reconstituer un moi, ou pire encore un surmoi, mais s’étend sur plusieurs groupes à la fois, divisibles, multipliables, communicants et toujours révocables.
Le critère d’un bon groupe est qu’il ne se rêve pas unique, immortel et signifiant, comme un syndicat de défense ou de sécurité, comme un ministère d’anciens combattants, mais se branche sur un dehors qui le confronte à ses possibilités de non-sens, de mort ou d’éclatement, « en raison même de son ouverture aux autres groupes ». L’individu à son tour est un tel groupe. Guattari incarne de la façon la plus naturelle les deux aspects d’un anti-moi : d’un côté, comme un caillou catatonique, corps aveugle et durci qui se pénètre de mort dès qu’il ôte ses lunettes ; d’un autre côté, brillant de rnille feux, fourmillant de vies multiples dès qu’il regarde, agit, rit, pense, attaque. Aussi s’appelle-t-il Pierre et Félix : puissances schizophréniques.
Dans cette rencontre du psychanalyste et du militant, trois ordres de problèmes au moins se dégagent :
1) Sous quelle forme introduire la politique dans la pratique et la théorie psychanalytiques (une fois dit que, de toute façon, la politique est dans l’inconscient lui-même) ?
2) Y a-t-il lieu, et comment, d’introduire la psychanalyse dans les groupes militants révolutionnaires ?
3) Comment concevoir et former des groupes thérapeutiques spécifiques, dont l’influence réagirait sur les groupes politiques, et aussi sur les structures psychiatriques et psychanalytiques ?
Concernant ces trois sortes de problèmes, Guattari présente ici un certain nombre d’articles, de 1955 à 1970, qui marquent une évolution, avec deux grands repères, les espoirs-désespoirs d’après la Libération, les espoirs-désespoirs d’après Mai-68, et entre les deux le travail de taupe qui prépara Mai.
Quant au premier problème, on verra comment Guattari eut très tôt le sentiment que l’inconscient se rapporte directement à tout un champ social, économique et politique, plutôt qu’aux coordonnées mythiques et familiales invoquées traditionnellement par la psychanalyse. Il s’agit de la libido comme telle, comme essence de désir et de sexualité : elle investit et désinvestit les flux de toute nature qui coulent dans le champ social, elle opère des coupures de ces flux, des blocages, des fuites, des rétentions. Et sans doute n’opère-t-elle pas d’une manière manifeste, à la façon des intérêts objectifs de la conscience et des enchaînements de la causalité historique ; mais elle déploie un désir latent coextensif au champ social, entraînant des ruptures de causalité, des émergences de singularités, des points d’arrêt comme de fuite. 1936 n’est pas seulement un événement dans la conscience historique, mais un complexe de l’inconscient. Nos amours, nos choix sexuels sont moins des dérivés d’un Papa-Maman mythique, que les dérives d’un réel-social, les interférences et les effets de ceux investis par la libido. Avec quoi ne fait-on pas l’amour et la mort ? Guattari peut donc reprocher à la psychanalyse la manière dont elle écrase systématiquement tous les contenus socio-politiques de l’inconscient, qui déterminent en réalité les objets du désir. La psychanalyse, dit-il, part d’une sorte de narcissisme absolu (Das Ding) pour aboutir à un idéal d’adaptation sociale qu’elle appelle guérison ; mais cette démarche laisse toujours dans l’ombre une constellation sociale singulière, qu’il faudrait au contraire explorer, au lieu de la sacrifier à l’invention d’un inconscient symbolique abstrait.
Le Das Ding n’est pas l’horizon récurrent qui fonde illusoirement une personne individuelle, mais un corps social qui sert de base à des potentialités latentes (pourquoi y a-t-il ici des fous, là des révolutionnaires ?). Plus importants que le père, la mère, la grand-mère, il y a tous les personnages qui hantent les questions fondamentales de la société comme la lutte des classes de notre époque. Plus important que de raconter comment la société grecque, un beau jour, a fait avec Œdipe « le virage de sa cuti », il y a l’énorme Spaltung qui traverse aujourd’hui le monde communiste. Comment oublier le rôle de l’Etat dans toutes les impasses où la libido se trouve prise, réduite à investir les images intimistes de la famille ? Comment croire que le complexe de castration puisse jamais trouver de solution satisfaisante tant que la société lui confie un rôle inconscient de régulation et de répression sociales ? Bref, la relation sociale ne constitue jamais un au-delà ni un par-après des problèmes individuels et familiaux. C’est même curieux, à quel point les contenus sociaux, économiques et politiques de la libido se montrent d’autant mieux qu’on se trouve devant des syndromes aux aspects les plus désocialisés, comme dans la psychose. « Au-delà du Moi, le sujet se trouve éclaté aux quatre coins de l’univers historique, le délirant se met à parler des langues étrangères, il hallucine l’histoire, et les conflits de classe ou les guerres deviennent les instruments de l’expression de lui-même. […] La distinction entre la vie privée et les divers niveaux de la vie sociale n’a plus de portée. » (Comparer avec Freud, qui ne retient de la guerre qu’un instinct de mort indéterminé, et un choc non qualifié, excès d’excitation du type boum-boum.) Restituer à l’inconscient ses perspectives historiques sur fond d’inquiétude et d’inconnu, implique un renversement de la psychanalyse, et sans doute une redécouverte de la psychose sous les oripeaux de la névrose. Car la psychanalyse a joint tous ses efforts à ceux de la psychiatrie la plus traditionnelle pour étouffer la voix des fous qui nous parlent essentiellement politique, économie, ordre et révolution. Dans un article récent, Marcel Jaeger montre comment « les propos tenus par les fous n’ont pas seulement l’épaisseur de leurs désordres psychiques individuels : le discours de la folie s’articule sur un autre discours, celui de l’histoire politique, sociale, religieuse, qui parle en chacun d’eux. […] Dans certains cas, c’est l’utilisation de concepts politiques qui provoque un état de crise chez le malade, comme si elle mettait à jour le nœud de contradictions dans lesquelles le fou s’est empêtré. […] Il n’est pas de lieu du champ social, pas même l’asile, où ne s’écrive l’histoire du mouvement ouvrier * ». Ces formules expriment la même orientation que les travaux de Guattari depuis ses premiers articles, la même entreprise d’une réévaluation de la psychose.
On voit la différence avec Reich : il n’y a pas une économie libidinale qui viendrait par d’autres moyens prolonger subjectivement l’économie politique, il n’y a pas une répression sexuelle qui viendrait intérioriser l’exploitation économique et l’assujettissement politique. Mais le désir comme libido est partout déjà là, la sexualité parcourt et épouse tout le champ social, coïncidant avec les flux qui passent sous les objets, les personnes et les symboles d’un groupe, et dont ceux-ci dépendent dans leur découpage et leur constitution même. Tel est le caractère latent de la sexualité de désir, qui ne devient manifeste qu’avec les choix d’objets sexuels et de leurs symboles (il est trop évident que les symboles sont consciemment sexuels). C’est donc l’économie politique en tant que telle, économie des flux, qui est inconsciemment libidinale : il n’y a pas deux économies, et le désir ou la libido sont seulement la subjectivité de l’économie politique. « L’économique, c’est en fin de compte le ressort même de la subjectivité ». C’est ce qu’exprime la notion d’institution, qui se définit par une subjectivité de flux et de coupure de flux dans les formes objectives d’un groupe. Les dualités de l’objectif et du subjectif, de l’infrastructure et des suprastructures, de la production et de l’idéologie s’évanouissent pour faire place à la stricte complémentarité du sujet désirant de l’institution et de l’objet institutionnel. (Il faudrait comparer ces analyses institutionnelles de Guattari avec celles que Cardan faisait au même moment dans Socialisme ou barbarie.) Le second problème – y a-t-il lieu d’introduire la psychanalyse dans les groupes politiques, et comment ? – exclut évidemment toute « application » de la psychanalyse aux phénomènes historiques et sociaux. Dans de telles applications, Œdipe en tête, la psychanalyse a cumulé bien des ridicules.
Le problème est tout autre : la situation qui fait du capitalisme la chose à abattre par révolution, mais qui a fait aussi de la Révolution russe, de l’histoire qui lui succéda, de l’organisation des partis communistes et des syndicats nationaux, autant d’instances incapables d’opérer cette destruction.
À cet égard, le caractère propre du capitalisme, qu’on présente comme une contradiction entre le développement des forces productives et les rapports de production, consiste en ceci : le procès de reproduction du capital, dont les forces productives dépendent dans le régime, est en lui-même un phénomène international impliquant une division mondiale du travail ; mais le capitalisme ne peut pourtant pas briser les cadres nationaux à l’intérieur desquels il développe ses rapports de production, ni l’Etat comme instrument de la mise en valeur du capital. L’internationalisme du capital se fait donc par les structures nationales et étatiques, qui l’enrayent en même temps qu’elles l’effectuent, et qui jouent le rôle d’archaïsmes à fonction actuelle. Le capitalisme monopoliste d’Etat, loin d’être une donnée ultime, est le résultat d’un compromis.
Dans cette « expropriation des capitalistes au sein du capital », la bourgeoisie maintient sa pleine domination sur l’appareil d’Etat, mais en s’efforçant de plus en plus d’institutionnaliser et d’intégrer la classe ouvrière, de telle manière que les luttes de classes se trouvent décentrées par rapport aux lieux et facteurs de décision réels qui renvoient à l’économie capitaliste internationale et débordent largement les Etats.
C’est en vertu du même principe que, « seule, une étroite sphère de production est insérée dans le procès mondial de reproduction du capital », le reste demeurant soumis dans les Etats du tiers-monde à des rapports précapitalistes (archaïsmes actuels d’un second genre).
Dans cette situation, on constate la complicité des partis communistes nationaux qui militent pour l’intégration du prolétariat dans l’Etat, au point que « les particularismes nationaux de la bourgeoisie sont pour une bonne part le résultat des particularismes nationaux du prolétariat lui-même, et la division intérieure de la bourgeoisie, l’expression de la division du prolétariat ». D’autre part, même quand la nécessité des luttes révolutionnaires dans le tiers-monde est affirmée, ces luttes servent avant tout de monnaie d’échange dans une négociation, et marquent le même renoncement à une stratégie internationale et au développement de la lutte de classes dans les pays capitalistes. Tout ne vient-il pas du mot d’ordre : défense des forces productives nationales par la classe ouvrière, lutte contre les monopoles et conquête d’un appareil d’Etat ? L’origine d’une telle situation est dans ce que Guattari appelle « la grande coupure léniniste » de 1917, qui fixa pour le meilleur et pour le pire les grandes attitudes, les énoncés principaux, les initiatives et les stéréotypes, les fantasmes et les interprétations du mouvement révolutionnaire. Cette coupure consista en ceci : opérer une véritable rupture de la causalité historique, en « interprétant » la débandade militaire, économique, politique et sociale comme victoire des masses. Au lieu d’une nécessité de l’union sacrée de centre gauche, surgissait la possibilité de la révolution socialiste. Mais cette possibilité ne fut assumée qu’en érigeant le parti, hier encore modeste formation clandestine, en embryon d’appareil d’Etat capable de tout diriger, remplir une vocation messianique et se substituer aux masses. Deux conséquences à plus ou moins longue échéance en découlaient. Pour autant que le nouvel Etat se dressait face aux Etats capitalistes, il entrait avec eux dans des rapports de force qui avaient pour idéal une sorte de statu quo : ce qui avait été la tactique léniniste au moment de la NEP se transformait en idéologie de la coexistence pacifique et de la compétition économique. L’idée de rivalité fut ruineuse pour le mouvement révolutionnaire. Et pour autant que le nouvel Etat se chargeait de l’internationalisme prolétarien, il ne pouvait développer l’économie socialiste qu’en fonction des données du marché mondial et sur des objectifs similaires à ceux du capital international, acceptant d’autant mieux l’intégration des partis communistes locaux dans les rapports de production capitalistes, toujours au nom de la défense par la classe ouvrière des forces productives nationales.
Bref, il n’est pas juste de dire avec les technocrates que les deux sortes de régimes et d’Etats convergeaient au fur et à mesure de leur évolution ; mais pas davantage de supposer, avec Trotski, un Etat prolétarien sain qui aurait été perverti par la bureaucratie, et qui pourrait être redressé par une simple révolution politique. C’est dans la manière dont l’Etat-parti répondait aux Etats-cités du capitalisme, même dans les rapports d’hostilité et de contrariété, que tout était déjà joué ou trahi. En témoigne précisément la faiblesse de la création institutionnelle en Russie dans tous les domaines, dès la précoce liquidation des soviets (par exemple, en important des usines automobiles toutes montées, on importe aussi des types de rapports humains, des fonctions technologiques, des séparations entre travail intellectuel et travail manuel, des modes de consommation foncièrement étrangers au socialisme).
Toute cette analyse prend son sens en fonction de la distinction que Guattari propose entre groupes assujettis et groupes sujets.
Les groupes assujettis ne le sont pas moins dans les maîtres qu’ils se donnent ou qu’ils acceptent, que dans leurs masses ; la hiérarchie, l’organisation verticale ou pyramidale qui les caractérise est faite pour conjurer toute inscription possible de non-sens, de mort ou d’éclatement, pour empêcher le développement des coupures créatrices, pour assurer les mécanismes d’autoconservation fondés sur l’exclusion des autres groupes ; leur centralisme opère par structuration, totalisation, unification, substituant aux conditions d’une véritable « énonciation » collective un agencement d’énoncés stéréotypés coupés à la fois du réel et de la subjectivité (c’est là que se produisent les phénomènes imaginaires d’œdipianisation, de surmoïsation et de castration de groupe). Les groupes-sujets au contraire se définissent par des coefficients de transversalité, qui conjurent les totalités et hiérarchies ; ils sont agents d’énonciation, supports de désir, éléments de création institutionnelle ; à travers leur pratique, ils ne cessent de se confronter à la limite de leur propre non-sens, de leur propre mort ou rupture. Encore s’agit-il moins de deux sortes de groupes que de deux versants de l’institution, puisqu’un groupe-sujet risque toujours de se laisser assujettir, dans une crispation paranoïaque où il veut à tout prix se maintenir et s’éterniser comme sujet ; inversement, « un parti, autrefois révolutionnaire et maintenant plus ou moins assujetti à l’ordre dominant, peut encore occuper aux yeux des masses la place laissée vide du sujet de l’histoire, devenir comme malgré lui le porte-parole d’un discours qui n’est pas le sien, quitte à le trahir lorsque l’évolution du rapport de forces entraîne un retour à la normale : il n’en conserve pas moins comme involontairement une potentialité de coupure subjective qu’une transformation du contexte pourra révéler ». (Exemple extrême : comment les pires archaïsmes peuvent devenir révolutionnaires, les Basques, les catholiques irlandais, etc.) Il est vrai que si le problème des fonctions de groupe n’est pas posé dès le début, il sera trop tard ensuite. Combien de groupuscules qui n’animent encore que des masses fantômes ont déjà une structure d’assujettissement, avec direction, courroie de transmission, base, qui reproduisent dans le vide les erreurs et perversions qu’ils combattent. L’expérience de Guattari passe par le trotskisme, l’entrisme, l’opposition de gauche (la Voie communiste), le mouvement du 22 mars. Le long de ce chemin, le problème reste celui du désir ou de la subjectivité inconsciente : comment un groupe peut-il porter son propre désir, le mettre en connexion avec les désirs d’autres groupes et les désirs de masse, produire les énoncés créateurs correspondants et constituer les conditions, non pas de leur unification, mais d’une multiplication propice à des énoncés en rupture ? La méconnaissance et la répression des phénomènes de désir inspirent les structures d’assujettissement et de bureaucratisation, le style militant fait d’amour haineux qui décide d’un certain nombre d’énoncés dominants exclusifs.
Gilles Deleuze
Préface à Psychanalyse et transversalité, Essais d’analyse institutionnelle de Félix Guattari / 1974.
* Marcel Jaeger, l’Underground de la folie, in Folie pour folie, Partisans, février 1972.
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Aux origines était la bulle : la mécanique des fluides des Subprimes / Martha Poon

« Pendant le laps de temps où la bulle a vécu, le souffleur a été hors de lui, comme si l’existence de la bulle avait dépendu du fait qu’elle demeurât enveloppée dans une attention qui accompagnait son vol. Tout manque d’accompagnement, toute négligence dans l’espoir et le tremblement qui escortent cette bulle dans son vol aurait condamné cette chose scintillante à un échec prématuré. » Peter Sloterdijk, Bulles, 2002 (1).

Les bulles sont des objets de fascination enfantine : elles surgissent de nulle part et semblent défier les lois de la gravité lorsqu’elles s’élèvent et dérivent au loin. L’idée d’une bulle en finance joue sur ces qualités aériformes et éphémères. Si fantastiques que soient les bulles, elles n’en sont pas moins substantielles. Elles sont aussi l’expression de faits physiques et mécaniques. Nous vivons dans une époque de bouleversements mondiaux qui sont tout sauf fantasmatiques. Ils découlent d’un phénomène financier que The Economist a fameusement appelé « the biggest bubble in history ». Par un enchaînement d’événements encore difficile à saisir, l’augmentation rapide du prix de l’immobilier résidentiel aux États-Unis a conduit à un gel de l’offre de crédit, ce qui a déclenché une baisse de la productivité et une récession généralisée. Vue d’Amérique, la crise a désormais fait un tour complet sur son orbite. Elle s’est propagée de la frénésie de l’immobilier résidentiel américain jusqu’à une cascade de foreclosures (2), glissant sur les titres et les portefeuilles des investisseurs internationaux, déchirant les institutions géantes de l’industrie financière, des hedge funds aux banques d’investissement ; étouffant le marché des prêts commerciaux et des prêts à la consommation. Et maintenant, dans son dernier développement elle revient au cœur même des dépenses de consommation.Vue de France, il semble que l’endettement insatiable des américains découle d’un mépris pour les principes de base, d’une sorte de témérité financière. Cette lecture a été renforcée par la découverte des « subprimes », une forme spécifique de prêts hypothécaires inconcevable en France. Les subprimes permettent aux Français de prendre la pleine mesure des assises contemporaines des pratiques de crédit américaines.
Le moteur qui a alimenté l’explosion financière récente tout autour de la planète est l’extraordinaire facilité d’accès des consommateurs américains au crédit institutionnel. Cet essai vise à ouvrir une fenêtre sur les rouages de la machine américaine de fabrication des crédits à la consommation. Il décrit un système d’octroi du crédit américain, momentanément cohérent et coordinateur, qui a soutenu, ne serait-ce que pour une brève période, à la fois le mode de vie économique d’une nation et le régime mondial de la finance.
Le souffle. Tout a commencé en 2001 quand le marché immobilier des États-Unis a connu une accélération prodigieuse qui a provoqué une explosion du marché.
Au début de cette période la valeur totale des biens immobiliers détenus par les ménages avoisinait les 14 milliards de dollars. Les taux d’intérêts étaient bas (pour stimuler la croissance après l’effondrement de la nouvelle économie et le 11 septembre) et les prix des maisons déjà relativement élevés au moment du retournement économique : on voyait mal comment le marché immobilier pourrait être le support d’une nouvelle croissance. L’économiste Paul Krugman annonçait en 2002 aux lecteurs de sa chronique du New York Times : “Il est difficile de penser que les prix vont encore augmenter. L’immobilier est, s’il en est, au coeur d’une bulle ” (Paul Krugman, Where’s the Boom, New York Times, 28 mai 2002).
Pourtant, contre toutes les prévisions économiques, l’immobilier qui entre 1997 et 2002 avait augmenté comme jamais en 5 ans depuis 1945, a poursuivi sa course. Depuis la guerre, les prix de l’immobilier avaient crû « approximativement à la même vitesse que les prix des autres biens et services comme les cartes de crédit, l’essence et la santé (3) » mais entre 1996 et 2005 ils ont gagné 45 % de plus que l’inflation. Le prix médian d’une maison est passé de 177 000 dollars en février 2001 à 276 000 en juin 2006 (4). On a calculé que 5 milliards de dollars ont été créés pendant cette période de 5 ans, ce qui représente 70 000 dollars pour une famille de 4 personnes. On a estimé que « chaque dollar en plus de richesse immobilière a ajouté 3 cents de consommation annuelle car les familles ont réduit leur épargne et emprunté en s’appuyant sur la nouvelle valeur hypothécaire de leur maison » (5). Pour profiter du boom, les propriétaires ont transformé l’élévation de la valeur de leur maison en liquidités, dégageant ainsi 700 milliards de dollars de leurs maisons en 5 ans (à peu près 5 % du PNB pour la seule année 2004). Ils ont obtenu du cash par de nombreux programmes de refinancement et la multiplication des produits financiers adossés à leurs logements. Les consommateurs américains ont ainsi appris à utiliser leurs maisons comme des distributeurs d’argent automatique, ainsi que le dit aujourd’hui l’expression. Supplément à des salaires stagnants et à un marché du travail peu dynamique, une bonne part de ces liquidités ont été utilisées pour rembourser des engagements précédents, notamment des dettes contractées sur des cartes de crédit. Le reste a servi à améliorer les habitats, à l’éducation et à acheter des biens de consommation. Les dépenses des ménages Américains ont été substantiellement reconfigurées par ces flux dégagés de l’immobilier et par un niveau d’épargne individuelle négatif pour la première fois depuis les années 1930.

L’espoir. Au moment de l’explosion de la crise financière, je menais une existence modeste d’étudiante de troisième cycle à San Diego, un paradis balnéaire où il ne pleut jamais ainsi qu’un site prolifique en innovations biomédicales, connu pour sa frontière commune avec la ville mexicaine de Tijuana et pour le conservatisme que lui confère son rôle d’importante plate-forme militaire (C’est sur un porte-avion mouillant au large de la côte que le président Bush a annoncé que les Etats-Unis avaient “remporté” la guerre en Irak). San Diego a été l’un des points chauds des excès immobiliers du tournant du siècle, avec des prix qui se sont envolés de 115% pendant le boom. Au début des années deux mille, la ville entière se résumait à qui achetait quoi, où, et à quel prix. On pouvait apercevoir partout des hommes-sandwich, payés 12 dollars de l’heure pour rester plantés aux carrefours et orienter les passants vers les nouveaux logements en construction.
Au-delà d’un flux de transactions extrêmement dense, l’immobilier a alimenté une frénésie consumériste en aval. Durant les week-ends, les nouveaux accédants à la propriété abattaient des cloisons, posaient des carrelages design, et installaient de la robinetterie rutilante, tout en faisant leur choix dans des échantillons interminables de peintures mates satinées. Les bières Corona avec leur tranche de citron vert, les barbecues et les burritos abondamment farcis de viande rôtie agrémentaient un flot ininterrompu de conversations qui portaient sur l’immobilier et la rénovation.
L’argent généré par les transactions liées à l’immobilier – en empruntant plus que la valeur d’une propriété, en empochant des gains sur une vente, ou en monétisant des avoirs immobiliers à mesure que les prix s’élevaient – était utilisé pour acquérir des biens de consommation qui allaient des somptueux canapés en cuir à des Porsches, des yachts de plaisance, et d’imposants 4×4 familiaux. Pour les plus entreprenants, la valeur foncière de la propriété était convertie en apport hypothécaire afin d’acquérir d’autres propriétés à des fins d’investissement ou pour rénover.À l’automne 2003, alors que les prix allaient encore continuer à monter pendant deux ans, il était déjà trop tard pour prendre le train en marche. Ne sachant ce que l’avenir tenait en réserve, j’ai accompagné un ami dans sa quête empressée d’une habitation qu’il pourrait faire sienne. Un électricien auparavant enrôlé dans la marine et pouvant compter sur un revenu annuel de quarante mille dollars, il sentait que le marché était en train de l’écarter.Nous avons commencé à chercher des trois pièces dans l’idée qu’il pourrait prendre un co-locataire afin de couvrir une partie des mensualités de remboursement. Un vendredi après-midi du mois de septembre, après quelques semaines de recherches préliminaires, nous avons visité le dernier trois pièces de la ville offert pour moins de deux cent mille dollars. Tandis que mon ami passait le week-end à hésiter, l’appartement fut vendu. Nous cherchions à nous agripper à un marché qui se dérobait sous nos pieds.
Si les courtiers en prêts immobiliers ont eu droit à leur part d’attention lorsque l’on a cherché par la suite à désigner les coupables de la crise, les personnages les plus agressifs de notre histoire furent les agents immobiliers, une horde de jeunes femmes bien habillées qui n’avaient pas trente ans, et dont l’une nous a avoué avoir obtenu de justesse l’examen requis pour obtenir la licence.
En Californie, les professions de l’immobilier ont connu un tel essor qu’en 2006 on comptait une licence pour cinquante adultes dans tout l’état. Avec une commission standard de 6% partagée en deux s’il y avait un agent pour la vente et un pour l’achat, les agents situés au bas de l’échelle pouvaient se contenter de faire moins d’une vente par mois pour gagner correctement leur vie.
Affichant une ignorance stupéfiante des principes fondamentaux du calcul financier et sans aucune considération pour les dépenses quotidiennes, les apports personnels ou l’intérêt global des prêts, ils nous emmenaient avec assurance visiter des appartements qui, après un apport de 20%, un prêt sur trente ans et les frais d’entretien, auraient facilement englouti plus de 80% du revenu mensuel de mon ami.
Malgré l’excellent crédit (6) dont jouissait ce dernier, les agents lui conseillèrent d’acheter un point de pourcentage (c’est-à-dire de payer une somme fixe afin d’abaisser le taux d’intérêt d’un point) ou de contracter un « prêt in fine » (7). Ils l’encouragèrent à recourir à n’importe quel instrument financier susceptible de réduire les paiements mensuels au prix d’un gonflement de la dette globale, de façon à pouvoir « suivre le rythme » des prix immobiliers en pleine explosion.
Fonçant tel un lapin pris dans la lumière des phares, mon ami fit une offre impulsive sur un deux-pièces de 46m2 disposant d’un plafond voûté, dans un immeuble de 1983. Le prix affiché était de 190 000 dollars, soit à peine quelques milliers de moins que le trois pièces qui nous était passé sous le nez à peine quelques semaines auparavant.
Alors que nous entrions dans l’espace vitré d’une agence du centre ville pour signer les documents relatifs à l’acquisition de l’appartement sis au 4129 de la 33ème rue (j’avais naïvement insisté sur le choix d’une agence située dans le centre, pensant que c’était là un indice de respectabilité), le directeur, une petite cinquantaine et sûr de lui, vint nous féliciter alors qu’il était en chemin vers son club de golf : « Alors, vous prenez quoi ? » demanda-t-il tout bonhomme, sa voix regorgeant d’assurance. « C’est votre premier appartement ? J’ai acheté le mien en 1972 pour vingt-quatre mille dollars. Le jour où je l’ai vendu… »
Il émit un ricanement grave, puis se laissa aller à une feinte nostalgie en nous racontant l’histoire édifiante du voyage d’un jeune homme vers le succès dans l’immobilier. Véritable prélude aux conditions qui régnaient alors, le conte était une fable morale, une flèche en néon qui pointait vers la réussite financière.
L’instant d’après, alors qu’il jetait un coup d’œil sur la déclaration de revenus qui figurait au côté du prix de vente du bien, une ride dubitative vint lui strier le front. « Hmm hmm (pause)… hmm.. » marmonna-t-il nerveusement, tandis que son regard expert sillonnait le document. Sa voix était moins assurée lorsqu’il réitéra ses assurances avant de disparaître dans l’encadrement de la porte.
Gagnée par le malaise, je me lançai alors frénétiquement dans une dernière tentative de recherche. Comme j’allais le découvrir, l’essentiel des informations concernant les transactions financières sont disponibles publiquement en ligne. Les données montraient que l’appartement précis pour lequel mon ami faisait une offre s’était vendu 115 000 dollars en 2001, et 160 000 en 2002, ce qui, en tenant compte du prix auquel il était offert, équivalait à une augmentation fulgurante de 65% en deux ans. Par ailleurs, un appartement identique s’était vendu pour moins de 40 000 dollars en 1998 !
Face à des chiffres aussi incroyables (générés, s’il vous plaît, par l’exercice de mes talents universitaires), la conclusion s’imposait : une telle croissance était insoutenable. « Ah. Quel est le problème ? » insistaient nos amis lorsque j’exprimais des doutes au sujet de la transaction. « Les prix de l’immobilier ne baissent jamais » (aphorisme), « et dans deux ans, s’il se sent trop juste, il pourra toujours le revendre » (pragmatisme).
Me rangeant du côté des données, je luttais contre l’intense pression atmosphérique en amadouant mon ami et en l’implorant de s’arrêter. Il se retira de la transaction à contrecoeur, en y laissant mille dollars en frais de dossiers perçus par l’organisme prêteur, tandis que le Rêve Américain s’éloignait, le laissant psychologiquement dévasté. Ce n’est pas lui, mais quelqu’un d’autre, qui finit par acquérir l’appartement.
Je viens de vérifier les cotations sur www.realtor.com. Un appartement au 4192 de la 33ème rue est aujourd’hui offert pour 90,000 dollars seulement.

Les accompagnateurs. Pendant sa période d’expansion économique, l’Amérique a connu une indiscutable prospérité matérielle. L’année 2005 était déjà bien entamée que le marché continuait de se développer, accompagné par des créations massives d’emplois dans le bâtiment ainsi qu’une flambée des dépenses de consommation.
La transmutation de l’activité dans le secteur de la construction en richesse économique s’est traduite par une augmentation de 150 milliards de dollars de dépenses de consommation et par la création de près d’un million et demi d’emplois supplémentaires.
Fort d’une telle performance économique, George W. Bush pouvait claironner que « le nombre d’Américains propriétaires de leur logement est le plus important jamais connu ». Le taux de possession de logement pour les minorités atteint effectivement des sommets. La confiance des ménages est à son apogée comparée aux quarante dernières années, la productivité est à un bon niveau, l’inflation est contenue, l’activité industrielle croît et le secteur des petites et moyennes entreprises (PME) a le vent en poupe.
La plupart des économistes, qu’ils soient partisans d’une analyse baissière ou haussière (la fameuse opposition “bulls and bears”) du marché, s’accordaient sur l’importance de l’immobilier dans la réussite économique nationale. David Lereah, sans doute le principal représentant de l’analyse haussière et économiste en chef à l’association nationale des marchands de biens, s’est fait remarquer suite à l’écriture d’un livre intitulé Êtes-vous en train de manquer l’explosion du marché de l’immobilier ? paru en février 2000. Un an plus tard, quelques mois seulement après le début de la contraction du marché immobilier, il a ré-intitulé son livre, non sans insolence, Pourquoi le boom immobilier ne retombera pas – et comment vous pouvez en tirer profit. En pleine débandade, Lereah affirmera bravement que “l’immobilier est le seul secteur qui soutient l’économie et le tient à l’abri d’un effondrement en chute libre”. Tenant de l’analyse baissière de l’explosion immobilière et largement pessimiste quant à l’état de santé de l’économe américaine, l’économiste Paul Krugman a acquiescé, en remarquant ironiquement que “les consommateurs sont restés résolument optimistes, comme s’ils croyaient vraiment au slogan facile : « quand la vie devient dure, ce sont les durs qui vont faire les courses au magasin ». Lorsque certains commencèrent à suggérer à Greenspan de faire quelque chose pour ralentir le mouvement, il répondit que les taux d’intérêt étaient un instrument trop brutal pour dompter les prix des actifs. En mai 2005, n’admettant que l’existence de bulles locales, il donna une réponse tristement célèbre : « au minimum, il y a un peu d’écume » dans le marché immobilier. Alerté par le Comité de Conseil des Consommateurs du FRB, Greenspan exprima néanmoins son inquiétude concernant certains produits hypothécaires « exotiques » et suggéra qu’il fallait garder un œil sur leur très forte croissance. Il souligna le fait que des produits non conventionnels pouvaient être en train « de pousser les prix encore plus haut et d’inciter certains acheteurs de biens immobiliers à prendre trop de risques ». Sans remarquer la tautologie apparente, il continua en affirmant que « la grande majorité des propriétaires de biens immobiliers disposent d’un matelas de capital confortable pour absorber la baisse potentielle du prix des maisons » (8). De manière rétrospective, le pic de la tendance est survenu au milieu de l’année 2005, même si les commentaires publics se voulaient rassurants, et cela jusqu’à la fin de l’année. En seulement quelques mois, les volumes des transactions dans l’immobilier avaient commencé à ralentir, stagner et ensuite baisser. En janvier 2006, le mot à la mode était « atterrissage en douceur », ce qui indiquait une acceptation générale du fait que le marché certes se refroidissait, mais ce qui reflétait l’espoir largement répandu que les affaires pouvaient ralentir sans que les prix des maisons s’effondrent vraiment. Craignant que les acheteurs perdent confiance et ne cessent d’acheter, on redoubla d’efforts pour soutenir la confiance des consommateurs. Cependant, pendant l’année 2006, les ventes de logements déjà construits baissèrent de 14% et le prix médian des immeubles neuf baissa de 10%. Ce moment reçu le nom de « bulle de Bernanke » en octobre, lorsque, peu après son élection, le président de la Fed déclara dans des termes choisis que le marché immobilier était en train de subir une « correction substantielle » (9).
Depuis cette annonce, le monde a été submergé par le sifflement caractéristique que fait un pneu qui se dégonfle infiniment.
La crevaison. Si le ralentissement de l’immobilier s’était soldé par un simple marasme (réduction du volume des ventes, accroissement des stocks et baisse du rythme des transactions), il n’y aurait pas eu de quoi crier à la « bulle ». Mais par la suite, les problèmes se sont propagés sur le marché du crédit immobilier, déclenchant de façon dédoublée une amplification complexe qui a fait peser une menace sur la valeur des logements.
À la toute fin de 2006, les taux de remboursement ont explosé sur le segment du marché du crédit immobilier appelé « subprime », auquel les principaux observateurs n’avaient guère prêté attention jusqu’alors. Début 2007, l’incapacité inattendue des prêteurs à récupérer suffisamment de fonds auprès des emprunteurs les a empêchés de verser leurs propres traites aux investisseurs internationaux en possession de titres adossés à des créances hypothécaires résidentielles (« RMBS »).
D’importants prêteurs du secteur des subprimes ont déposé le bilan et plusieurs hedge funds de premier plan ont implosé. C’est ainsi qu’a soudainement été mis en lumière le fait que l’action économique des petits propriétaires américains était étroitement liée, par le biais d’une chaîne complexe d’intermédiaires financiers, à celle des investisseurs internationaux.
Dans les principaux journaux, on a dit que le secteur des subprimes avait été “exposé à des produits immobiliers protéiformes, exotiques, explosifs, originaux – quel que soit le nom qu’on leur donne” (10). Les produits alternatifs de ce type étaient caractérisés par l’option “taux variable” (« adjustable rate mortgages » – ARM) qui fixait le taux d’intérêt et les mensualités uniquement pour les toutes premières années du crédit mais laissait ouverte la possibilité d’un « ajustement » une fois cette période révolue.
Le prêt à taux variable 2/28, par exemple, correspond à un échéancier planifié pour deux ans avec un taux d’intérêt faible, après quoi les montants et les taux peuvent fluctuer en fonction du marché pour les vingt-huit années restantes. Ces produits faisaient sens, financièrement parlant, lorsque la valeur résiduelle des logements augmentait très rapidement, parce que les emprunteurs pouvaient au moins mettre le pied dans la porte, avec l’espoir de vendre leur maison et de rembourser l’emprunt avant de sentir l’impact différé du coût du crédit.
Pendant le boom, les ARM se sont multipliés. Ils représentaient plus de 20% des emprunts réalisés en 2005 et en 2006 (11). En jouant sur les termes du contrat, ces formes alternatives de crédit ont permis à des acheteurs qui avaient à la fois des revenus mensuels faibles et des problèmes de crédit d’acheter au moment du boom, en compensant les risques plus élevés par l’accumulation de différentes augmentations différées du prix du crédit.
De manière paradoxale, ces prêts sont, parmi d’autres, tout à la fois plus coûteux que les emprunts traditionnels d’une durée fixe de 15 ou 30 ans (prime), mais aussi beaucoup plus attrayants du fait de paiements initiaux bien plus faibles (taux d’appel). Par définition, les subprimes, en raison de la structure non-conventionnelle de ces produits, allaient se révéler beaucoup plus sensible aux hausses de taux d’intérêt qui étaient progressivement imposées, comme au ralentissement du marché qui s’ensuivit.

Après le dégonflement de la bulle, ces emprunts immobiliers ont été ouvertement dénoncés comme étant « les prêts les plus compliqués et les plus risqués jamais créés ». Il a été dit que près de deux millions d’ARM devaient voir leur taux augmenter avant la fin de 2008, un déclencheur certain d’une vague de saisies au moment où les ménages se retrouveraient confrontés à ce qu’on a élégamment appelé un « choc de paiement ». C’est quand ils ont appris la nouvelle que les commentateurs ont commencé à invoquer le spectre de la Grande Dépression.
En 2006, vingt-cinq organismes de crédit proposant des subprimes avaient fait faillite, annoncé des pertes, où se mettaient en vente du fait de leur incapacité à générer de nouvelles ressources pour leurs actionnaires suite au défaut de paiement de leurs clients (un site internet permet de suivre leur déclin : http://ml-implode.com). C’est ce qui a déclenché la dimension internationale de la chute, qui s’est ensuite rapidement propagée sur le marché des capitaux.
Au moment où ‘‘le segment du marché qui était autrefois l’enfant chéri de Wall Street” se retrouvait mis à l’index, les agences d’évaluation menées par Standard and Poor’s ont revu à la baisse leurs évaluations de ces produits financiers adossés à des emprunts immobiliers, signe officiel d’une qualité dégradée. Un frisson a traversé Wall Street, qui prit immédiatement ses distances avec ces types d’emprunts qui avaient perdu la faveur des investisseurs. La demande de crédit s’est alors immédiatement contractée.
Les engrenages de la machine à faire des bulles s’étaient arrêtés, et certains de ses éléments faisaient marche arrière dans un grincement sinistre.
La machine. Le terme subprime est entré dans le vocabulaire international parce qu’il est devenu emblématique de la plongée dans la crise du monde de l’investissement. Comprendre la façon dont s’articulent les prêts subprimes, c’est comprendre les mécanismes techniques par lesquels se sont trouvées constituées en un réseau fluide et viable d’opérations financières à haut rendement des créances définies, statistiquement, comme porteuses d’une probabilité élevée de défaillance.
Le déplacement massif des capitaux d’investissement vers le secteur immobilier a pu être associé, à première vue, à un repli prudent des frontières de la finance vers le sol plus solide de la tradition économique. Pourtant, nous le savons aujourd’hui, ce mouvement a été le résultat de profondes transformations du monde de la finance hypothécaire américaine industrie à la source des prêts immobiliers, et lieu d’articulation du marché de l’immobilier et de celui des produits d’investissement adossés à des actifs (asset backed securities).
Le système d’échange des créances immobilières n’est pas une nouveauté aux Etats-Unis, puisqu’il remonte au New Deal. Mais il s’est opéré, dans la période récente, un glissement de cette pratique traditionnellement circonscrite à un marché dont la liquidité était soutenue par des organismes disposant de garanties de l’État les government-sponsored enterprises ou GSE, familièrement appelées Freddie Mac et Fannie Mae et par des prêteurs spécialisés dont les activités de prêt étaient financées par des dépôts, en direction d’une industrie largement tirée par les investissements en capital-risque
Ce n’est que récemment que l’Amérique a pris la mesure de l’entrée en masse et sans entraves du capital privé dans le marché hypothécaire. Selon les mots d’un collaborateur du New York Times Magazine, qui tentait d’exprimer le choc ressenti en apprenant par courrier le transfert de sa créance hypothécaire à un groupe financier, « j’ai eu la soudaine révélation, comme un coup de tonnerre, que mes dettes étaient devenues les actifs de quelqu’un d’autre » (12). On utilise, pour décrire ce mécanisme, l’expression originate-to-distribute. Comme dans une chaîne de production, diverses firmes spécialisées coordonnent leur action pour fabriquer, assembler, synthétiser des produits d’investissement à partir d’agrégats de créances immobilières. Les acteurs de cette chaîne sont les courtiers en prêts immobiliers, en contact direct avec les consommateurs, les intermédiaires qui achètent en gros et réunissent des agrégats de créances selon les spécifications des institutions financières et des fonds spéculatifs (hedge funds) qui, en fin de chaîne, fournissent les capitaux, et enfin les agences de notation (rating agencies) qui déterminent si la composition de ces portefeuilles d’actifs remplit leurs critères de qualité.
L’une des raisons abondamment invoquées pour expliquer l’implosion de la bulle est le recours, par de nombreux prêteurs, à des pratiques de crédit laxistes, manifestement du fait que, en tant qu’émetteurs et gestionnaires des prêts concernés, ils avaient pour une bonne partie un intérêt dans les titres issus de ces prêts. La désinvolture, les faux-semblants, les infractions aux règles, la naïveté dans les calculs de simulation, et la fraude ont connu une augmentation dramatique et ont contribué à maintenir les volumes au plus haut niveau et à faire gonfler les marges de profit dans les dernières années du boom.
A trop mettre l’accent sur les erreurs, cependant, on risquerait d’oublier le nœud central, philosophique, du mécanisme en jeu. S’il y a eu crise des subprimes, ce n’est pas simplement parce que les Américains ont contracté trop de dettes, ou parce qu’on a accordé des prêts à des personnes qui, en soi, ne les « méritaient » pas. L’explication se trouve plutôt, en réalité, dans un mécanisme financier, novateur et unique, dont la raison d’être – y compris dans la stricte application de ses propres règles – est la production en masse de créances calculées pour comporter un risque élevé.
Il est intéressant d’observer que c’est dans l’existence des GSE, ces institutions mandatées par l’état, que réside précisément l’origine du mécanisme en cause. Les GSE Freddie et Fannie étaient à l’origine les seuls acteurs du marché secondaire des créances immobilières, car celles-ci ne présentaient pas d’intérêt pour les investisseurs. Mandatées pour créer un marché, les GSE en contrôlaient les termes en définissant les conditions du transfert des créances aux investisseurs. Les types de prêts éligibles à la titrisation étaient par définition de première qualité (prime) tandis qu’en étaient écartés en vertu des règles fondamentales appliquées par les GSE les prêts dits non conformes ou de moindre qualité (subprime).
Il faut bien comprendre que la classification en subprime, à l’origine, n’était pas tant le reflet de la solvabilité de l’emprunteur que le constat de la non conformité des termes du prêt aux règles sécuritaires établies par les GSE. Il existait, simplement, des types de prêts comportant une part de variabilité que les GSE n’étaient pas disposées à garantir vis-à-vis des investisseurs.
(Il vaut ici d’être noté que l’accusation portée récemment contre les GSE d’avoir garanti la masse des prêts subprimes qui sont à la racine de la crise, et le reproche adressé aux Démocrates de s’être opposés à une surveillance plus poussée de ces institutions, ne sont que rideaux de fumée électoraux. Les GSE, par définition, n’accordaient pas de prêts subprimes. Si elles ont été encouragées à s’impliquer directement dans ce type d’opérations, ce fut dans l’objectif d’apporter un soutien – mal placé – à l’accession des plus modestes à la propriété, et seulement lorsque le jeu prit fin, en 2006, dans un effort désespéré pour enrayer l’érosion de leurs parts de marché au profit des acteurs privés.)
Techniques innovantes de gestion du risque, les subprimes défient les règles conservatrices instaurées par les GSE et poussent jusqu’à leurs limites les stratégies d’émission fondées sur le risque. Les subprimes sont aujourd’hui capitalisées par un ensemble d’institutions financières, qui ont prospéré sur la base de l’organisation du marché secondaire institué par les GSE mais qui sont techniquement équipées pour en modifier les règles dans l’objectif d’émettre les prêts traditionnellement refusés par ces organismes.
Les nouveaux produits d’investissement adossés aux subprimes ont joui d’une attractivité immédiate car, par le jeu de la hausse des taux d’intérêt et des frais de gestion, ils représentaient la promesse d’un meilleur retour sur investissement. Pendant la période faste, ces créances titrisées générées par des banques d’investissement privées, sont devenues extrêmement populaires aux yeux des investisseurs, et notamment des hedge funds avides de risque. L’argent a afflué vers ces produits, doublant leur montant, depuis 2001, jusqu’au niveau record de 476 milliards de dollars.
Cet afflux d’argent vers le marché des prêts immobiliers en a radicalement modifié les termes. La multiplication des prêts et la complexification des contrats ont dans le même temps constitué une puissante dynamique du marché et contribué à en transformer le climat. Les excès réalisés en matière de prêts ont créé les conditions mêmes qui ont conduit à des taux de défaut dépassant les valeurs anticipées par les modèles de gestion du risque utilisés pour prédire la performance des portefeuilles de prêts titrisés et leur assigner une juste valeur de marché.
C’est certainement sur les groupes défavorisés que l’impact immédiat de ces bouleversements, et de la perte de la valeur des biens immobiliers qui s’est ensuivie, a été le plus dévastateur. Les investisseurs, redécouvrant les vertus de la qualité, ont fuit le marché des subprimes, et l’on s’attend à ce que ces retombées soient « le plus durement ressenties par les acheteurs et propriétaires issus des minorités ou des milieux les plus pauvres, qui rencontreront des difficultés à renégocier des prêts à taux variable qu’ils ne peuvent plus assumer » (13).
Cependant, ces observations sur les retombées inégales de l’effondrement du marché immobilier risquent de donner une idée trompeuse de la façon dont la bulle, dans sa globalité, a été générée. Comme l’illustre l’expérience relatée plus haut, les populations exclues du crédit n’ont pas été les seules à être entraînées vers des emprunts exotiques. La force ascendante du marché a servi à justifier la généralisation de ces prêts à une masse indiscriminée d’acheteurs, indépendamment de leur niveau de revenu ou de leur histoire bancaire.
Le phénomène des subprimes est plus complexe que ne l’ont dépeint les media, qui ont largement recouru à ce terme pour se référer à une classe de consommateurs peu solvables, auxquels s’offraient des choix limités sur le marché des prêts immobiliers. Il renvoie aussi, indépendamment, à une industrie financière qui pratique la vente de produits hypothécaires et de titres « exotiques » sur un marché ouvert où se sont également trouvés piégés d’autres catégories d’acteurs, tant emprunteurs qu’investisseurs.
Les subprimes représentent une catégorie financière inédite dont la composition est remarquablement tendue. Il est étonnant de constater à quel point ce type de crédits à haut risque s’oppose au simple bon sens. Inspiré par la logique du « risque », il fait entrer dans une même sphère d’action des populations auparavant exclues de l’accès au crédit et des activités d’investissement à effet de levier.
Figurant un retournement paradigmatique fondamental, qui restera profondément inscrit dans la machine de fabrication du crédit, l’avènement des subprimes nous dit que le défaut de remboursement n’est plus, pour un prêt, un attribut intrinsèquement indésirable. Il est, au contraire, reformulé comme une probabilité conçue statistiquement, en vertu d’un retournement conceptuel qui le transforme en un « risque » gérable à l’échelle d’une population.
L’appétit à jouer avec le risque – et pas seulement pour les « mauvais » prêts et les emprunteurs les plus fragiles – est le moteur universel des marchés financiers et l’inspiration de leurs modèles. Les institutions financières françaises ont elles aussi, à l’évidence, souscrit à cette logique puisqu’elles ont pleinement participé à la production de ce système, même si la réalité en reste encore éloignée du vécu quotidien des citoyens français.

L’ échec. L’éclatement de la bulle renvoie à la perte d’un véritable mode de vie. En témoigne de façon saisissante l’érosion des revenus des administrations locales que va entraîner la chute des valeurs immobilières, et ce juste au moment où la demande de services sociaux est sur le point d’augmenter. L’impôt foncier local finance 28% des écoles publiques, sans parler de la collecte des déchets et des transports publics. A elle seule, la Californie risque de perdre 6,6 milliards de dollars, soit plus que tout autre État.
Avec l’effondrement du mode de vie très dispendieux des Américains, les problèmes nationaux reviennent au centre de l’attention politique aux États-Unis. Dans la foulée des « sauvetages » et des « relances, » le nouveau slogan qui pèse 800 milliards de dollars à Washington est : « rétablissement économique ». Cela pose la question du type d’économie que le nouveau gouvernement souhaite rétablir. Il est peu probable que la planche à billets du Trésor puisse se substituer à une expansion qui n’a pu être réalisée qu’au moyen d’un effet de levier extrême.
Dans un enchaînement d’événements fulgurants, le gonflement puis l’éclatement de la bulle immobilière américaine ont été à l’origine d’une crise financière qui a entraîné un véritable cataclysme économique. La crise économique actuelle, qui résulte de la contraction rapide de la consommation des ménages est la preuve qu’aux Etats-Unis il n’existe plus de séparation entre l’économie financière et ce qu’on a appelé l’économie réelle.
Simple outil pour la commercialisation des biens durables au tournant du siècle, le crédit à la consommation est devenu le pain quotidien de l’industrie américaine. Les problèmes de General Motors touchent tout autant à la production de voitures qu’à la faiblesse de GMAC, sa filiale spécialisée dans le crédit à la consommation, sans laquelle le constructeur ne saurait vendre ses produits aux consommateurs. Les fabricants chinois sont tout aussi gênés dans la mesure où les plafonds des encours autorisés sur les cartes de crédits s’effondrent à la suite de la baisse de la qualité du crédit.
Le crédit à la consommation est devenu la loi fondamentale de l’économie américaine, et le véritable générateur de sa richesse. Quiconque considère ce système comme un château de cartes oublie cette vérité anthropologique qui veut que les systèmes symboliques complexes capables d’assigner aux individus des qualités abstraites, comme le « risque », peuvent devenir, ne serait-ce que temporairement, aussi robustes que des systèmes matériels, par le truchement de dispositifs technico-pratiques.

Conclusion. C’est à double titre que l’on peut considérer une bulle financière comme le produit d’une intense spéculation. En un premier sens, elle renvoie à un écart mesurable entre la valeur « réelle » d’un actif et le prix « artificiel » qu’on considère souvent comme le produit de comportements offensifs des investisseurs. A supposer que la valeur repose sur des fondamentaux, la notion de bulle est profondément réaliste : elle ne voit dans l’accroissement des prix qu’une falsification de la valeur et affirme qu’une « correction » à la baisse est inévitable.Mais les bulles sont de nature spéculative en un second sens, peut-être plus intéressant : elles sont translucides par nature et leurs contours sont difficiles à discerner. Si bien que même lorsque tous les observateurs s’accordent sur le fait que les prix augmentent – autrement dit lorsqu’il y a consensus sur le cours auquel s’échange un titre – une bulle se forme si le bien fondé de cette hausse et la nature de ses fondamentaux deviennent sujets à controverse. Paradoxe ontologique et fiction perpétuelle, l’existence des bulles reste hypothétique jusqu’au moment où, ultimes arbitres de leur propre existence, elles se dissipent et éclatent. Une fois constituée, une bulle peut sembler temporairement échapper aux lois de la physique. Elle entre dans l’ordre de l’intangible à mesure qu’elle dérive dans l’espace, pour finalement devenir un objet de préoccupation une fois qu’elle a disparu.
Les réflexions philosophiques de Peter Sloterdijk sur la nature des bulles éclairent ces contradictions. Pour lui, les bulles sont des objets matériels dilatés par l’action humaine, et dont la durée de vie dépend non seulement de la tension mécanique en surface, mais également de la fascination et des espoirs que leurs créateurs y ont insufflés.
Dans cette perspective, on peut voir dans la bulle immobilière américaine un espace tangible quoique imaginaire, habité et pourtant illusoire. Cette bulle a représenté une forme d’action collective portée par de nombreux acteurs globaux, qui l’ont soutenue par leurs actions et leurs pensées. Dans les termes de Sloterdijk, une bulle prend forme lorsque des individus finissent pas habiter un espace de sens et d’action intrinsèquement cohérent.
En voyant uniquement dans la crise des subprimes un produit de l’irrationalité, de la fraude et de l’erreur, on perd de vue l’imposante coordination requise pour qu’une bulle se forme. La tâche des chercheurs en sciences sociales est en fait purement positive – identifier la présence d’éléments pouvant rendre compte du développement d’une action collective étendue. Cette bulle a été le prolongement d’une forme de lien et de sociabilité.
De ce point de vue, le système financier ne s’est pas effondré parce qu’il était fondamentalement vicié, mais parce qu’il n’a fonctionné que trop bien en créant un vaste collectif global centré autour du crédit immobilier résidentiel aux Etats-Unis. Le système s’est saisi d’agents auparavant dispersés pour les réunir dans un même circuit fondé sur la transmission du risque en contrepartie de flux financiers.
De même qu’une bulle de savon explose lorsqu’elle a gonflé jusqu’au point où sa capacité à gagner encore en volume est épuisée – car telle est sa nature physique – le secteur des subprimes obéit à une dynamique dont rend compte la mécanique des fluides. Il s’agit d’une forme d’économie et de société globalisée qui était réelle, quoi qu’insoutenable, et destinée à laisser libre cours au chaos après qu’elle eut finalement explosé.
Peut-être est-ce ce à quoi Sloterdijk fait allusion quand il écrit que « les sphères intactes portent leur destruction en elles » (14).
Martha Spoon
Article publié dans Mouvements / 15 février 2008

1 Peter Sloterdijk. Bulles, Sphères I. Paris : Librairie Fayard (p 19-20). Nous recourrons à cette citation tout en étant consciente que Sloterdijk définit le terme de « bulle » comme une relation intime.
2 Les foreclosures désignent aux États-Unis la saisie par les banques, selon une procédure judiciaire spécifique, des habitations de leurs clients (NDT).

3 Dean Baker. The Housing Bubble Fact Sheet, Issue Brief. Center for Economic and Policy Research. July 2005.

4 Bob Ivry. Foreclosures May Hit 1.5 Million in U.S. Housing Bust (Update 3). Bloomberg’s. March 12, 2007.

5 Paul Krugman. Safe as Houses. New York Times. August 12, 2005.

6 Aux Etats-Unis, les informations relatives au rapports qu’un consommateur entretient avec le crédit constituent une fonction commerciale régulée, fournie par des agences appelées « credit bureaus ». « Avoir un bon crédit » signifie qu’un rapport émis par un de ces bureaux, dans lequel sont rassemblés des informations provenant de différents organismes prêteurs et de bases de données publiques, ainsi qu’un indice statistique attaché à ce rapport sont considérés comme solides.

7 Interest-only loan : prêt dont on rembourse d’abord les intérêts avant d’entamer le remboursement du capital (NDT).

8 Remarques du Chairman Alan Geenspan, Mortgage Banking, devant la American Bankers Association Annual Convention à Palm Desert, California, le 26 septembre 2005.

9 Remarques du Chairman Ben S. Bernanke, devant la National Italian American Foundation, à New York, New York, le 28 novembre 2006.

10 Intervention du Président Directeur Général de Fannie Mae, Daniel Mudd, à l’édition 2007 de la conférence Citigroup sur les services financiers (Citigroup 2007 Financial Services Conference), le 31 janvier 2007.

11 Victoria Wagner. A Primer for the Subprime Problem. Business Week. March 13, 2007.

12 Walter Kirn. My Debt, Their Asset. New York Times Magazine. June 11, 2006.

13 Vikas Bajaj. Freddie Mac Tightens Standards. New York Times. February 28, 2007.

14 Peter Sloterdijk. Bulles, Sphères I. Paris : Librarie Fayard (p 55).

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