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Les limbes ou l’anté-purgatoire : qu’en est-il de la joute à la fin du XXème siècle ? (1) / Stéphane Nadaud / Fight Club / David Fincher

En guise d’introduction savante : Nietzsche et la joute
C’est dans une perte, ou plus précisément dans un oubli, que repose la principale critique que Nietzsche fait à ce qu’il appelle les Humanités (et, par extension, l’humanisme) (1) : l’oubli moderne du fait que toute civilisation réellement vivante doit, à l’image du monde grec antique, s’articuler autour de l’âgon, de la joute (Wettkampf). Nietzsche situe même (essentiellement dans ses travaux des années 1869-1874) l’abandon de la joute comme articulation du monde dans l’issue d’un combat autre : celui qui s’est soldé par la victoire de Parménide sur Héraclite par K.O. A la vision dionysiaque du monde d’Héraclite (« le conflit [polemos] est père de toutes choses, et de toutes choses il est le roi ; c’est lui qui fait que certains sont des dieux et d’autres des hommes, que certains sont des esclaves quand d’autres sont libres ») (2), le monde moderne – métaphysique d’abord, chrétien ensuite, humaniste enfin – a préféré, dans un mouvement impulsé par Socrate et Platon, l’unicité ontologique de l’Être parménidien. On peut d’ailleurs interpréter la féroce critique faite par un Platon, tout empreint de la méthode socratique, à l’ »étranger » qu’était pour lui le sophiste (fils « naturel » d’Elée, patrie de Parménide, et pourtant « différent » de lui) (3) comme la difficulté qu’avait le père de la philosophie à saisir un concept (la joute oratoire) qui, déjà, ne subsistait que d’une façon travestie et quelque peu dégénérée chez son pire ennemi. Répétant la leçon de Socrate, Platon nous a appris que la dualité entre l’Être et le non Être n’est déjà plus une joute.
Pour Nietzsche, il n’y a que la lecture agonale de la philosophie grecque qui peut nous empêcher de sombrer dans le péjoratif humanisme qui n’est rien d’autre que « la réaction contre le goût ancien, le goût artistique — contre l’instinct “agonal” (…) » (1888, CI [Ce que je dois aux anciens, — VIII* (4) Lorsque Foucault développe dans son cours Il faut défendre la société, l’hypothèse selon laquelle « le fond du rapport de pouvoir, c’est l’affrontement belliqueux des forces », il l’appelle, « par commodité, l’hypothèse de Nietzsche » (M. Foucault, Il faut défendre la société, Hautes Etudes, Gallimard, Paris, 1997, pp. 17-18). « Je voudrais essayer de voir dans quelle mesure le schéma binaire de la guerre, de la lutte, de l’affrontement des forces, peut effectivement être repéré comme le fond de la société civile, à la fois le principe et le moteur de l’exercice du pouvoir politique »(5). C’est dans La Joute chez Homère que Nietzsche s’explique de façon détaillée sur ce concept d’âgon, de joute. Elle est la garante de l’équilibre de la cité, idée, selon Nietzsche, des plus difficile à appréhender pour un moderne : car cet équilibre centré autour de la joute prend ses racines dans un sentiment qui pourrait paraître des moins aptes à garantir une quelconque stabilité politique, à savoir la convoitise, l’envie (eris) : « Le Grec est envieux et ressent ce trait non comme un défaut, mais comme l’influence d’une divinité bienfaisante : quel abîme entre son jugement moral et le nôtre ! »(6). Cette convoitise est à comprendre comme un moteur, le moteur nécessaire pour que la joute permette « le bien-être de tous, de la cité en général ». C’est parce qu’un individu expérimente un sentiment de l’ordre de l’envie qui le pousse à se surpasser, à se laisser prendre par son ambition et pour finir à s’abandonner à ce sentiment (pathos), que la joute est possible. L’efficacité politique qui procède de l’utilisation constructive de ce sentiment puissant (et donc potentiellement dangereux, destructeur, chaotisant) doit nécessairement passer par un équilibrage des forces entre les deux individus mus par cette aspiration compétitive. La circonscription de ce que doit être une telle conflictualisation (les règles du jeu de la joute) a selon Nietzsche permis au Grec de passer de la bête cruelle (tel Ulysse et ses compagnons qui « amenèrent ensuite Mélanthios par le vestibule et la cour (…) lui tranchèrent le nez et les oreilles avec le bronze cruel, lui arrachèrent les organes virils qu’ils jetèrent crus comme pâture aux chiens, lui coupèrent mains et pieds, étant ivres de colère ») (7) au citoyen grec dont l’« égoïsme trouvait là [dans la joute] à s’enflammer ; et par là, il était refréné et restreint » (8). La règle est en soi tout à fait simple : l’homme ne joute qu’avec l’homme. Ce serait à imaginer qu’une confrontation soit possible entre lui et un dieu, et à entamer un tel combat, que l’homme expérimenterait douloureusement le plus cruel des fatum. Et c’est également à ne pas respecter cette règle d’un équilibre entre les parties – non pas tant au niveau d’un équilibre des forces de chaque participant que d’un équilibre des finalités de la participation de chacun à cette joute (à savoir : une ambition et un égoïsme tournés vers des buts nobles et reconnus comme s’intégrant dans cette règle du jeu) –, c’est à ne pas jouer ce jeu que des cités entières expérimentent la chute et la décadence. Ainsi, bien plus que domptée, la bête est apprivoisée : « le génie grec a valorisé cet instinct autrefois si terriblement présent et l’a considéré comme légitime » explique Nietzsche. Il ne faut pas lire la proposition nietzschéenne comme la nécessité qu’aurait eu la civilisation hellène de se défouler, de sublimer ou encore de proposer une catharsis à la bête qui aurait été en elle. La finalité de la joute est tout autre : elle est politique. C’est dans le but d’éviter la suprématie d’un seul sur tous les autres, et donc d’ouvrir la possibilité de vivre ensemble en bonne intelligence au sein de la polis, qu’ont été élaborées, à un niveau légal (au sens d’un cadre, tout autant social que naturel, qui réglemente et organise les interactions entre individus regroupés en société), les règles agonales garantissant qu’aucun ne sera meilleur que les autres, que le gagnant de la joute (car il existe bien entendu un gagnant à cet âgon), même s’il est le plus fort, ne se retrouvera pas en fin de compte à rester le seul. La finalité n’est pas d’être le meilleur, mais bien d’être ensemble : « “Chez nous, personne ne doit être le meilleur ; mais si quelqu’un le devient, que ce soit ailleurs et chez d’autres”. Pourquoi personne n’aurait-il donc le droit d’être le meilleur ? Parce qu’ainsi la joute finirait par disparaître et que le fondement éternel qui est au principe de la vie de l’Etat grec serait mis en péril (…) Tel est le cœur de l’idée grecque de la joute : elle exècre la suprématie d’un seul et redoute ses dangers ; comme moyen de protection contre le génie, elle exige… un second génie » (9).
Combien est sensible, dans la façon mélancolique qu’a Nietzsche de présenter ce temps de la joute, le précepte selon lequel c’est d’oublier le conflit héraclitéen qu’advient le glissement vers la décadence et son horreur inhumaine (unmenschlich) : « Otons au contraire la joute de la vie grecque, notre regard plonge aussitôt dans cet abîme préhomérique de sauvage cruauté faite de haine et de plaisir destructeur » 10). La sauvagerie, pour l’homme, repose dans l’affrontement impossible. L’envie qui le pousse alors est d’une autre nature que celle qui préside à la joute : c’est l’envie d’être ce qu’il ne peut pas être, à savoir un dieu. L’affrontement au dieu est en effet impossible dans la joute. Non pas parce qu’un dieu est plus fort qu’un homme (même un dieu peut mourir, tué par les hommes) mais parce que, si un dieu et un homme joutaient ensemble, ils n’auraient pas la même finalité, la même raison de participer à cet âgon. La joute évite la démesure de l’homme qui, ne respectant pas les règles du jeu, se prendrait pour ce qu’il n’est pas (encore) : un dieu. Selon Hésiode, « il y a sur terre deux Eris [déesse de l’envie] (…) La première Eris, l’homme sensé devrait la louer, autant qu’il devrait blâmer la seconde, car ces deux déesses ont des tournures d’âme tout à fait opposées. L’une fomente male Guerre et Dissension, la cruelle ! Nul mortel n’aime à la subir, mais c’est sous le joug de la nécessité qu’on honore l’Eris au lourd fardeau, suivant le décret des Immortels. C’est elle la plus ancienne qui mit au monde la noire Nuit. Mais l’autre, Zeus, le tout-puissant, l’a placé aux racines de la terre, et parmi les hommes car elle est bien meilleure. C’est elle qui pousse au travail même l’homme malhabile ; ainsi, celui qui ne possède rien fixe-t-il ses regards sur celui qui est riche et se hâte-t-il, en l’imitant, de semer, de planter et de bien tenir sa maison ; le voisin rivalise avec le voisin qui aspire au bien-être. Cette Eris est bonne pour les hommes » (11). Au contraire de la jeune Eris qui pousse l’individu à se dépasser pour, participant à la joute, vivre en bonne intelligence avec les autres individus, la plus ancienne des Eris développe un sentiment de jalousie qui, tel un feu intérieur, ravage tout. Cette vieille Eris pousse l’homme à se battre avec ce qu’il ne peut affronter sans tomber dans l’hybris (c’est-à-dire tout ce qui dépasse la juste mesure : l’orgueil, la violence, etc.) : « Lorsqu’un homme parvient à être l’égal des dieux, il devient aussitôt leur adversaire. Mais les dieux le poussent alors à un acte de démesure (hybris) qui l’accable et le brise » (12). L’âgon est la preuve que la vieille Eris ne saurait être un fondement politique et que l’envie, de jalousie destructrice qui dresse les hommes les uns contre les autres, est devenu le ciment de la polis. Précisons un point essentiel : même si l’affrontement au dieu n’est pas possible dans ce jeu, le moderne que nous sommes ne doit pas interpréter cette limite du Grec à l’aune de son « Homme » (Humane, celui des « droits de l’homme »). Il ferait une erreur en considérant l’individu de la joute, interdit de combat avec les dieux, comme moins libre, en interprétant la joute qui consiste à être soumis à l’ananke (la nécessité de ne pas aller au delà des limites imposées par le Fatum, le destin) comme une servitude. Nietzsche nous enseigne au contraire que, « Dans l’Antiquité, les individus étaient plus libres : leurs buts étaient plus proches et plus tangibles. L’homme moderne, au contraire, est sans cesse cloué sur place par l’infini, comme Achille aux pieds agiles dans le paradoxe de l’Eléate Zénon : l’infini le paralyse, jamais il ne rattrape la tortue » (13). A vouloir se battre contre les dieux, l’homme qui a perdu l’âgon (et cela vaut pour le monde dans lequel il vit) se détruit lui-même de l’intérieur – et devient décadent.
L’affrontement défendu par les sophistes, « les plus grand maîtres de l’Antiquité, [qui] ne s’affrontaient qu’en lice » (14), a été bien décrié par l’histoire classique de la philosophie. Une juste critique repose effectivement dans la finalité d’un telle rencontre : les sophistes sont bien loin de la joute si, contrairement à l’art de la gymnastique (et à celui de ses jouteurs sportifs qui se livrent à l’âgon), le combat qu’ils prônent présente comme unique enjeu de gagner l’adversaire à sa cause ; car ce combat, une fois achevé, laissera fatalement chacun des protagonistes seul de son côté, et ceci même si le perdant s’est rangé du côté du gagnant : celui-là ne sera alors plus que l’objet du désir de lui-ci (ce désir auquel il s’est soumis), autrement dit son esclave. Dans la joute, deux agonistes se font face, chacun tentant d’amener l’autre à une expérience qui va le remettre en question et le changer, et, dans le même temps, expérimente lui-même une révolution subjective. Il ne s’agit pas tant de gagner l’autre à soi que de proposer que chacun change de place subjective. C’est à ne pas correspondre à cela que les combats sophistiques dénoncés par Platon dégénèrent en batailles où le gourou tente d’augmenter les membres de son église ou de son armée. De telles rencontres ne sont en fin de compte motivées que par une finalité égoïste bien loin de servir, au contraire de la jeune Eris dans le jeu agonal, une quelconque expérience de l’ »être ensemble » où chacun pourrait garder ses différences de point de vue mettant ainsi en scène une politique du dissensus. Si l’on veut valoriser l’aspect le plus intéressant des expériences sophistiques, qui les rapprocherait de la joute, on insistera sur l’élaboration d’un mécanisme duel dont la finalité n’est pas d’emporter la victoire mais d’arriver à une action politique, c’est à dire à un changement de la modalité de la vie commune passant par l’expérience subjective du rapport à l’autre. C’est dans la recherche de cette distinction subtile que J.F. Lyotard, dans une tentative de retrouver une dynamique agonale explique que « tout énoncé doit être considéré comme un “coup” fait dans un jeu. Cette dernière observation conduit à admettre un premier principe qui sous-tend toute notre méthode : c’est que parler est combattre, au sens de jouer, et que les actes de langage relèvent d’une agonistique générale » (15).
Il n’est pas ici pour nous question de définir les critères d’une distinction entre un usage légitime de l’affrontement, la joute (cet « ancien goût, [ce] goût noble ») et un usage illégitime, le combat (où « un homme parvient à être l’égal des dieux [qui] le poussent alors à un acte de démesure (hybris) qui l’accable et le brise »). Notre ambition n’est pas morale mais diagnostique. Nous relèverons simplement la façon dont deux films du cinéma illustrent l’affrontement au sein de notre temps présent : du côté du combat et de l’hybris, Fight Club de David Fincher (1999) et du côté de la joute et du « vivre ensemble », They live de John Carpenter (1988). Ces deux films ont en effet comme point commun de poser un même diagnostic péjoratif sur la société capitaliste présente et d’apporter une réponse à cet état de fait qui passe par un affrontement physique entre deux individus, combat ou joute, d’où va surgir une tentative d’action de résistance au système dénoncé.
Fight Club (D. Fincher, 1999) : le combat avec soi-même
Le personnage principal de Fight Club n’a pas de nom (nous l’appellerons X : il est joué par Edward Norton). Il est cadre supérieur, possède un appartement meublé IKEA, gagne très bien sa vie et a probablement des actions en bourse. Mais il critique la société dans laquelle il vit, le système dans lequel il est pris. Plus précisément, le système en question l’empêche de dormir. Voilà son symptôme : l’insomnie. Une insomnie qui le rend fou. Il est le prototype de l’individu occidental qui sait profiter du système capitalistique mais qui, tout de même, sent bien que quelque chose cloche. Jusqu’au jour où il rencontre un étrange individu, particulièrement extraverti et qui semble sans limites, le véritable déclic d’une remise en question de sa condition. Cet individu, au contraire du héros, a un nom : Tyler Durden (joué par le charismatique Brad Pitt). La confrontation avec un autre va-t-elle être la condition d’une transformation politique ? Non, car toute l’astuce du film tient dans le fait que Tyler n’est pas un autre, que le personnage principal et Tyler ne sont qu’un. Nous sommes devant un cas de dédoublement de la personnalité. Nous apprendrons à la fin du film (c’est son gimmick) que le personnage principal était en réalité un schizophrène, mais pas un de ceux qui sont définis par Henry Ey, à la « française » (il n’est pas dissocié au point d’être subjectivement désindividualisé). Le héros est plutôt un schizophrène « à l’américaine », un schizophrène facile à appréhender : il présente un dédoublement de la personnalité.
Cette rencontre du héros avec un autre lui-même va néanmoins être à l’origine d’un tentative de bouleversement de l’ordre établi — projet appelé d’ailleurs « Chaos« . Nous interrogeant sur la place de la joute dans la configuration politique et sociale de la fin du XXe siècle, ce film est particulièrement intéressant car ce projet révolutionnaire commence par un combat, que l’on peut qualifier d’originaire : X, après avoir à de nombreuses reprises croisé Tyler Durden (notamment en images subliminales qu’on peut, a posteriori et grâce à un lecteur DVD, retrouver dans de nombreuses scènes du début du film), entame un soir une discussion avec lui sur un terrain vague, derrière un bar. Après quelques bières virilement échangées, Tyler a l’idée d’un jeu : il propose à X que, chacun leur tour, les deux protagonistes demandent à leur adversaire de le frapper « aussi fort qu’il peut ». Quelques coups gênés s’échangent, puis la bataille s’engage. Un combat très court et très violent, en plan séquence très large : au loin, sur le terrain vague, deux silhouettes se battent. Le plan s’achève sur une scène conclusive post-coïtum : X et son double lui-même, Tyler, fument une cigarette et descendent une bière ; « il faudra recommencer à l’occasion ». C’est ainsi que commence la création d’une vaste organisation. X et Tyler mettent en place un « Fight Club » où tous les hommes — il ne s’agit que d’hommes  (16) — peuvent se battre deux par deux sous le regard des autres. Une suite de combat centrée autour d’une idéologie édictée par X en voix off : « Personne n’était le centre du Fight Club, exceptés les deux combattants ». Les choses ne s’arrêtent pas en si bon chemin puisque le chef (Tyler, la face sombre de X et dont les desseins restent, jusqu’au bout du film, inconnus à ce héros sans nom) décide, à partir de ce matériel viril, de monter une armée. Ainsi s’organise une gente paramilitaire, au look fasciste (béret et treillis noirs), dirigée par le personnage principal, schizophrène américain clinique, qui l’utilise pour mener des attaques terroristes sur les symboles de cette société qu’il considère dans un premier temps plus à détruire qu’à transformer. Toutes ces actions sont présentées comme un jeu : détruire en une seule action une « oeuvre d’art contemporaine urbaine » et un « commerce franchisé » en lançant sur un restaurant une sphère géante qui sert de fontaine ! Le fonctionnement de ce groupe paramilitaire n’a certes rien d’un collectif. Il ressemble plutôt à une armée de zombies vêtus de noir, obéissant aveuglément à leur chef (à deux têtes), sans aucune discussion politique possible en son sein. Ils ne sont que du « compost », les « rebuts à tout faire du monde » comme leur crie dessus Tyler alors qu’ils creusent des trous ou construisent des objets dans ce qui ressemble à une fourmilière géante. A l’image de ces poèmes retrouvés par X dans la grande maison abandonnée qui sert de squat à cette organisation secrète, « écrits à la première personne par un organe : “je suis le coeur de Jack” », tous ces individus sont les organes d’un organisme monstrueux où, si une cellule vient à mourir, une autre la remplacera (le remplacement se fait par l’attente de la recrue, deux nuits entières sans bouger sur le perron de la maison, à se faire insulter par tout le monde). Un organisme dirigé par un organe malade : un cerveau schizophrénique. Quand un individu rencontre ce collectif, et qu’il participe au fight club, il n’existe qu’en tant qu’il devient une cellule supplémentaire de cet organisme : tout se passe au sein d’un même corps, sans rencontre possible avec l’autre entendu comme organisme indépendant – l’autre n’existe qu’en tant que potentielle pièce de la machine en construction. Les combats ne servent qu’à se défouler, et ne représentent nullement un quelconque affrontement susceptible d’aboutir à l’intégration de deux individus foncièrement différents (deux organismes si l’on veut) dans une organisation politique commune où chacun garderait son individualité irréductible. Le combat est l’épreuve initiatique qui permet d’être intégré, comme un organe de plus, dans l’organisme unique qu’est le personnage principal du film. On pourra donc ici difficilement parler de joute : X nous donne une définition de ces combats : « L’important n’était ni dans la victoire ni dans les mots (…) Quand le combat était fini rien n’était résolu, mais rien ne comptait : après ça, on se sentait sauvé ». A la question « peut-on, subjectivement, changer tout seul sans avoir recours à l’autre ? », Fight Club semble vouloir répondre par l’affirmative en proposant la construction d’un organisme géant, suivant le projet d’un seul qui intègre chaque individualité au sein de sa machine de guerre. Mais ce personnage, du même coup, n’expérimente jamais la moindre remise en question de son projet écrit une fois pour toute et, s’il rencontre un autre, c’est toujours pour l’intégrer à son projet, pas pour faire l’expérience de l’altérité. En ce sens, le combat de Fight Club n’est pas une joute. Et tout pourrait aussi bien se passer dans la tête du personnage principal que cela n’y changerait rien – peut-être est-ce d’ailleurs en fin de compte le cas.
Le constat de Fight Club est celui de la disparition, au niveau individuel, de toute possibilité politique au sens classique du terme, de l’ »être ensemble ». Tyler explique à X que le Fight Club ne leur appartient pas (« Nous ne sommes personne ») et c’est à partir de là que le seul changement possible reste celui, isolé, de l’individu : le combat fondateur de ce mouvement visant à changer le monde est d’ailleurs celui d’un organisme individualisé (un américain normal de l’Amérique capitaliste) avec lui-même. L’individu se scinde en deux pour faire de son corps désindividualisé le ring d’un combat lui permettant de se mettre à l’égal des dieux – lui permettant de refaçonner le monde selon son seul désir. Le personnage se bat contre lui-même pour ne plus être ce que le Capitalisme a fait de lui, un cadre supérieur heureux de choisir des accessoires IKEA fabriqués pour donner l’illusion d’être unique (« Je feuilletais les catalogues en me demandant quel genre de vaisselle me définit en tant que personne. J’avais tout ; même les bols et les assiettes en verre avec des petites bulles et des imperfections pour prouver que c’était bien l’œuvre des artisans simples, honnêtes et travailleurs des régions rurales de… Dieu sait où. »). Il lutte directement avec les dieux en se proposant lui-même comme lieu du combat. Et ne peut qu’affronter la démesure de l’hybris : le film s’achève sur la réussite du « projet chaos » consistant à faire sauter tous les immeubles des organismes de crédits et de banques de New York, à organiser « l’effondrement de l’histoire de la finance, un grand pas en avant vers l’équilibre économique (…) pour faire repartir tout le monde à zéro, générer le chaos total ». Les explosions desdits immeubles symbolisant l’ordre tyrannique abattu (qui s’effondre dans un véritable « abîme préhomérique ») servent de toile de fond à la scène finale : le héros (redevenu normal, un coup de pistolet dans la tête le mutilant gravement suffit à faire disparaître définitivement Tyler) et l’héroïne, ensemble, main dans la main, regardent médusés les ruines sur lesquelles il va falloir maintenant construire l’avenir. Tout s’est passé entre ce personnage sans nom et lui-même. Face, ou plutôt au sein du capitalisme, le personnage principal reste au bout du compte « cloué sur place par l’infini » (pour reprendre les termes de Nietzsche) et bien vaine semble cette destruction à laquelle succède immédiatement l’Eden final sensé inaugurer le nouvel ordre à venir, et qui rappelle étrangement celui qui a présidé au nôtre. Si le héros est devenu, un court temps, un dieu qui adapte le monde à sa mesure, qui le construit à la hauteur de son désir, le nouvel Adam tenant la main de la nouvelle Eve ne fait rien d’autre qu’assouvir, au bout du compte, un banal désir œdipien – cet Œdipe indispensable à la schizophrénique immortalité du Capitalisme.
Stéphane Nadaud
Article inédit / 2009

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Fight Club / David Fincher / 1999
d’après le roman de Chuck Palahniuk
avec Brad Pitt, Edward Norton et Helena Bonham Carter

1 « Quel mépris envers les études « d’Humanités”, pour qu’on les ait nommées belles lettres [en français dans le texte] (bellas litteras) (…) Elles ont au reste des aspects qui attirent par tout autre chose que par la beauté » (fragment 3 [6] de 1875). Nietzsche, Fragments posthumes 1874-1875 in. Œuvres philosophiques complètes II**, Paris, Editions Gallimard, 1988, p. 258 & p. 551 (note 2 de la p. 258), trad. P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy. Humanitäts est le terme allemand pour Humanités mais Nietzsche utilise également le terme Philologie ou Litteratur qui recoupent plus ou moins la même notion. Rappelons l’opposition fondamentale que fait Nietzsche entre human (qui caractérise l’homme construit par le christianisme, la métaphysique et la science qui va avec, et dont les philologues recherchent en vain les origines dans le monde antique) et menschlich (pour l’homme qui s’inscrit, ou tente de s’inscrire, dans les dessins de la nature, à l’image des Grecs que Nietzsche exhaussent dans la Naissance de la tragédie – cf. Menschliches Allzumenschliches, Humain trop humain) : « L’humain [das Menschliche] que nous montre l’antiquité ne doit pas être confondu avec l’humain [das Humane]. C’est une opposition qu’il faut faire ressortir avec force, la philologie est malade de vouloir opérer cette substitution ; on n’y amène les jeunes gens que pour les rendre humains [humane]«  (fragment 3 [12] de 1875). Ibid., p. 259.
2 Héraclite (fragment DK 53). Polemos renvoie, chez les Grecs, à l’idée de la guerre qui a comme fonction de repousser l’élément non souhaité hors de ses frontières (la guerre de la Polis contre les Barbares par exemple), alors que âgon renvoie à l’idée de joute (interne à une cité : la tragédie, les joutes sportives ou rhétoriques ; ou entre cités civilisées du monde grec : les rivalités, par jeux ou guerres, entre Sparte et Athènes par exemple). La lecture humaniste classique consiste à poser l’âgon comme plus pacifique que le polemos. C’est vouloir associer les luttes internes au monde « civilisé » (luttes qui sont autant de potentielles guerres civiles : nous renvoyons sur cette question aux travaux d’Alain Brossat) avec les Belles Lettres que de faire une telle distinction. Nous ne la ferons donc pas et envisagerons l’âgon et le polemos comme deux modalités d’un même esprit contradictoire que nous appellerons, par commodité pour la suite du texte, âgon, joute.
3 Platon, le Sophiste, trad. N. Cordero, Paris, Garnier Flamarion, 1993, 216a.
4 F. Nietzsche, le Crépuscule des idoles (Ce que je dois aux Anciens), in Œuvres philosophiques complètes tome VIII*, Paris, Gallimard, 1974, p. 149, trad. J.-C. Héméry.
5 M. Foucault, Il faut défendre la société, Hautes Etudes, Gallimard, Paris, 1997, pp. 17-18. « Je voudrais essayer de voir dans quelle mesure le schéma binaire de la guerre, de la lutte, de l’affrontement des forces, peut effectivement être repéré comme le fond de la société civile, à la fois le principe et le moteur de l’exercice du pouvoir politique ».
6 F. Nietzsche, la Joute chez Homère (Cinq préfaces à cinq livres qui n’ont pas été écrits), in Œuvres philosophiques complètes I** : Ecrits posthumes 1870-1873, Paris, Editions Gallimard, 1975, p. 195, traduction de Backès, Haar & de Launay.
7 Homère, l’Odyssée, Paris, Garnier Flammarion, 1965, chant XXII (474-501), trad. M. Dufour et J. Raison.
8 F. Nietzsche, la Joute chez Homère, op. cit.
9 F. Nietzsche, la Joute chez Homère, op. cit., pp. 196-197. La citation est d’Héraclite (fragment DK 121) : tirade antidémocratique, elle visait à critiquer les Ephésiens qui avaient exilé Hermodore, le meilleur d’entre eux (ce qui prouvait aux yeux d’Héraclite la stupidité démocratique capable d’exclure ses meilleurs éléments). Nietzsche le lit ici d’une façon différente des lectures classiques.
10 la Joute chez Homère, op. cit., p. 198.
11 Hésiode, les Travaux et les jours, 11-26.
12 la Joute chez Homère, op. cit., p. 199.
13 F. Nietzsche, la Joute chez Homère, op. cit., pp. 197-198.
14 Ibid, p. 198.
15 J.F. Lyotard, la Condition postmoderne, les Editions de Minuit, Paris, 1979, p. 23
16 La composante homosexuelle est distillée tout le long du film, du « jeu » à l’arrière du bar au massacre par X d’un jeune blondinet qui participe au Fight Club (à Tyler qui lui demande « où étais-tu psycho-boy ? », X répond :« j’avais envie de démolir du beau »). X explique d’ailleurs en voix off : « Nous étions en couple (…) A-t-on vraiment besoin des femmes ? ». Une homosexualité qu’on pourra dire, si l’on tient à une interprétation psychanalysante, narcissique, comme le suggère cette remarque de Tyler à X (d’un personnage à lui-même donc) devant une affiche de jeune homme en slip pour une publicité Calvin Klein (« L’autoémulation c’est de la masturbation. L’autodestruction… »). La schizophrénie du personnage perd avec cette analyse encore plus de sa dimension psychotique : le personnage principal semblant plutôt dans une préoccupation œdipienne homosexuelle narcissique. On retrouvera ici les liens entre la schizophrénie et le complexe d’œdipe sur toile de fond capitalistique tels que les développent F. Guattari et G. Deleuze dans l’Anti-Œdipe, Paris, Editions de Minuit, 1972.
17 Projet dont le mécanisme peut donc être qualifié de paranoïaque – ce qui confirme l’idée que la schizophrénie du personnage principal, au delà de l’astuce scénaristique, est bien celle du Capitalisme tel qu’Il balance entre les reterritorialisations paranoïaques et les déterritorialisations schizophréniques. G. Deleuze et F. Guattari, l’Anti-Œdipe, op. cit., p. 335.

Foucault, Historien du présent / Gilles Deleuze

La conséquence d’une philosophie des dispositifs est un changement d’orientation, qui se détourne de l’Eternel pour appréhender le nouveau. Le nouveau n’est pas censé désigner la mode, mais au contraire la créativité variable suivant les dispositifs : conformément à la question qui commença à naître au XXe siècle, comment est possible dans le monde la production de quelque chose de nouveau? Il est vrai que, dans toute sa théorie de l’énonciation, Foucault récuse explicitement «l’originalité» d’un énoncé comme critère peu pertinent, peu intéressant. Il veut seulement considérer la « régularité » des énoncés. Mais ce qu’il entend par régularité, c’est l’allure de la courbe qui passe par les points singuliers ou les valeurs différentielles de l’ensemble énonciatif (de même il définira les rapports de forces par des distributions de singularités dans un champ social). Quand il récuse l’originalité de l’énoncé, il veut dire que l’éventuelle contradiction de deux énoncés ne suffit pas à les distinguer, ni à marquer la nouveauté de l’un par rapport à l’autre. Car ce qui compte, c’est la nouveauté du régime d’énonciation lui-même, en tant qu’il peut comprendre des énoncés contradictoires. Par exemple on demandera quel régime d’énoncés apparaît avec le dispositif de la Révolution française, ou de la Révolution bolchevique : c’est la nouveauté du régime qui compte, et non l’originalité de l’énoncé. Tout dispositif se définit ainsi par sa teneur en nouveauté et créativité, qui marque en même temps sa capacité de se transformer, à moins au contraire d’être rabattu de force sur ses lignes les plus dures, les plus rigides ou solides. En tant qu’elles s’échappent des dimensions de savoir et de pouvoir, les lignes de subjectivation semblent particulièrement capables de tracer des chemins de création, qui ne cessent d’avorter, mais aussi d’être repris, modifiés, jusqu’à la rupture de l’ancien dispositif. Les études encore inédites de Foucault sur les divers processus chrétiens ouvrent sans doute des voies nombreuses à cet égard. On ne croira pas pourtant que la production de subjectivité soit dévolue à la religion : les luttes antireligieuses sont aussi créatrices, de même que les régimes de lumière, d’énonciation ou de domination passent par les domaines les plus divers. Les subjectivations modernes ne ressemblent pas plus à celles des Grecs qu’à celles des chrétiens, et la lumière de même, et les énoncés et les pouvoirs.
Nous appartenons à des dispositifs, et agissons en eux. La nouveauté d’un dispositif par rapport aux précédents, nous l’appelons son actualité, notre actualité. Le nouveau, c’est l’actuel. L’actuel n’est pas ce que nous sommes, mais plutôt ce que nous devenons, ce que nous sommes en train de devenir, c’est-à-dire l’Autre, notre devenir-autre. Dans tout dispositif, il faut distinguer ce que nous sommes (ce que nous ne sommes déjà plus), et ce que nous sommes en train de devenir : la part de l’histoire, et la part de l’actuel. L’histoire, c’est l’archive, le dessin de ce que nous sommes et cessons d’être, tandis que l’actuel est l’ébauche de ce que nous devenons. Si bien que l’histoire ou l’archive, c’est ce qui nous sépare encore de nous-mêmes, tandis que l’actuel est cet Autre avec lequel nous coïncidons déjà. On a cru parfois que Foucault dressait le tableau des sociétés modernes comme autant de dispositifs disciplinaires, par opposition aux vieux dispositifs de souveraineté. Mais il n’en est rien: les disciplines décrites par Foucault sont l’histoire de ce que nous cessons d’être peu à peu, et notre actualité se dessine dans des dispositifs de contrôle ouvert et continu, très différents des récentes disciplines closes. Foucault s’accorde avec Burroughs, qui annonce notre avenir contrôlé plutôt que discipliné. La question n’est pas de savoir si c’est pire. Car aussi nous faisons appel à des productions de subjectivité capables de résister à cette nouvelle domination, très différentes de celles qui s’exerçaient naguère contre les disciplines. Un nouvelle lumière, de nouvelles énonciations, une nouvelle puissance, de nouvelles formes de subjectivation ? Dans tout dispositif, nous devons démêler les lignes du passé récent et celles du futur proche : la part de l’archive et celle de l’actuel, la part de l’histoire et celle du devenir, la part de l’analytique et celle du diagnostic. Si Foucault est un grand philosophe, c’est parce qu’il s’est servi de l’histoire au profit d’autre chose : comme disait Nietzsche, agir contre le temps, et ainsi sur le temps, en faveur je l’espère d’un temps à venir. Car ce qui apparaît comme l’actuel ou le nouveau selon Foucault, c’est ce que Nietzsche appelait l’intempestif, l’inactuel, ce devenir qui bifurque avec l’histoire, ce diagnostic qui prend le relais de l’analyse avec d’autres chemins. Non pas prédire, mais être attentif à l’inconnu qui frappe à la porte.
Rien ne le montre mieux qu’un passage fondamental de l’Archéologie du savoir, valable pour toute l’œuvre (p. 172). « L’analyse de l’archive comporte donc une région privilégiée : à la fois proche de nous, mais différente de notre actualité, c’est la bordure du temps qui entoure notre présent, qui le surplombe et qui l’indique dans son altérité, c’est ce qui, hors de nous, nous délimite. La description de l’archive déploie ses possibilités (et la maîtrise de ses possibilités) à partir des discours qui viennent de cesser justement d’êtres les nôtres ; son seuil d’existence est instauré par la coupure qui nous sépare de ce que nous ne pouvons plus dire, et de ce qui tombe hors de notre pratique discursive ; elle commence avec le dehors de notre propre langage ; son lieu, c’est l’écart de nos propres pratiques discursives. En ce sens elle vaut pour notre diagnostic. Non point parce qu’elle nous permettrait de faire le tableau de nos traits distinctifs et d’esquisser par avance la figure que nous aurons à l’avenir. Mais elle nous déprend de nos continuités; elle dissipe cette identité temporelle où nous aimons nous regarder nous-mêmes pour conjurer les ruptures de l’histoire ; elle brise le fil des téléologies transcendantales ; et là où la pensée anthropologique interrogeait l’être de l’homme ou sa subjectivité, elle fait éclater l’autre et le dehors. Le diagnostic ainsi entendu n’établit pas le constat de notre identité par le jeu des distinctions. Il établit que nous sommes différence, que notre raison c’est la différence des discours, notre histoire la différence des temps, notre moi la différence des masques ».
Les différentes lignes d’un dispositif se répartissent en deux groupes, lignes de stratification ou de sédimentation, lignes d’actualisation ou de créativité. La dernière conséquence de cette méthode concerne toute l’œuvre de Foucault. Dans la plupart de ses livres, il assure une archive bien délimitée, avec des moyens historiques extrêmement nouveaux, sur l’hôpital général au XVIIe siècle, sur la clinique au XVIIIe, sur la prison au XIXe, sur la subjectivité dans la Grèce antique, puis dans la Christianisme. Mais c’est la moitié de sa tâche. Car, par souci de rigueur, par volonté de ne pas tout mélanger, par confiance dans le lecteur, il ne formule pas l’autre moitié. Il la formule seulement et explicitement dans les entretiens contemporains de chacun des grands livres : qu’en est-il aujourd’hui de la folie, de la prison, de la sexualité? Quels nouveaux modes de subjectivation voyons-nous apparaître aujourd’hui, qui, certainement, ne sont ni grecs ni chrétiens? Cette dernière question, notamment, hante Foucault jusqu’à la fin (nous qui ne sommes plus des Grecs ni même des chrétiens …). Si Foucault jusqu’à la fin de sa vie attacha tant d’importance à ses entretiens, en France et plus encore à l’étranger, ce n’est pas par goût de l’interview, c’est parce qu’il y traçait ces lignes d’actualisation qui exigeaient un autre mode d’expression que les lignes assignables dans les grands livres. Les entretiens sont des diagnostics. C’est comme chez Nietzsche, dont il est difficile de lire les œuvres sans y joindre le Nachlass contemporain de chacune. L’œuvre complète de Foucault, telle que la conçoivent Defert et Ewald, ne peut pas séparer les livres qui nous ont tous marqués, et les entretiens qui nous entraînent vers un avenir, vers un devenir : les strates et les actualités.
Gilles Deleuze
Extrait de l’intervention au colloque Michel Foucault, philosophe / 1988
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Sodome ou Hocquenghem, fils de Vincennes… jusqu’à la mort / Stéphane Nadaud / Chimères n°69

Hocquenghem, fils de Vincennes…
Que Guy Hocquenghem soit un fils de Vincennes (de l’université de Vincennes), cela n’aura échappé à personne. Ses deux premiers livres qui sont pour le premier, le Désir homosexuel (1972), la partie sur travaux de sa thèse et le second l’Après mai des faunes (1974), des textes originaux collés à des articles déjà publiés pour cette même thèse titrée Volutions ont profondément marqués par au moins deux figures vincennoises : Gilles Deleuze (avec Félix Guattari) dont l’Anti-Œdipe traverse de part en part le désir homosexuel, et Jean-François Lyotard dont une citation, extraite de son important article Capitalisme énergumène (consacré, dans Critique, à ce même Anti-Œdipe, 1972), ouvre sa thèse et l’Après mai des faunes. Citons l’incipit de Lyotard : « Attitude qui ne serait même plus révolutionnaire au sens du renversement, retournement (et de la spécialisation dans ces opérations théâtrales), et donc encore distribution de l’énergie selon l’édifice et l’artifice de la représentation, mais volutionaire au sens de la Wille, au sens de vouloir que soit ce qui se peut. » (1) Dans cette phrase est opposée à la révolution la volution, proposition de traduction du Wille allemand, la volonté (de puissance par exemple (wille zur macht) qu’on pourrait alors, avec Lyotard et Hocquenghem traduire par volution de puissance). La volution serait donc une volonté qui n’est pas volonté de quelque chose – ce qui sous-entendrait sinon forcément le retour à un but prédéterminé – mais au contraire volonté tout court, volonté de tous les possibles, y compris les plus terrifiants pour nous, humains trop humains. Nous y verrons bien entendu la leçon qu’Hocquenghem retient de Mai 68, leçon qu’il renverra à la gueule de ceux qui ne l’ont pas entendue dans la Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary Club : à savoir que la révolution revendiquée si haut et si fort par la france (2) comme une capacité subversive qui lui serait propre, n’est en réalité que le signe de l’incapacité à changer. Hocquenghem forge, dans La beauté du métis, le concept de francité qui reprend cette idée : « on fait une révolution en france [sans majuscule] pour se retrouver au point de départ. » (3) Mai 68, en france, n’a pas échappé à cette triste et nationale règle, et Hocquenghem, mieux que quiconque, a compris le retour au point de départ que cette « courte après-midi d’été », ainsi qu’il appelle Mai 68 dans l’Amphithéâtre des morts, a été. C’est fort de ce constat qu’il affirme sa volonté d’ôter à révolution le re de trop et de faire sien le geste nietzschéen (Nietzsche : la véritable toile de fond sur laquelle se peint Vincennes) : « nous ne voulons plus partager les préfixes qui amarrent l’envol des vouloirs, leurs épanchements corrodant les pouvoirs ». (4)L’ambition d’Hocquenghem, en ouvrant sa thèse et l’Après mai des faunes par cette phrase, est commune à nombre de philosophes de la jeune université née des soubresauts de l’après 68 (5) : il s’agit de lutter contre la « civilisation qu’on veut justement oublier » (abolir écrit-il encore plus abruptement dans le texte original de la thèse). Vincennes comme le lieu d’indistinction entre la théorie et la pratique, entre l’enseignement universitaire et la prise sur le réel (la politique), Vincennes comme l’espace où peut s’opérer une critique de ce que l’on entend habituellement sous le vocable de civilisation. Hocquenghem retient donc la leçon, lui qui écrit le Désir homosexuel comme une féroce critique de la conception freudienne de la civilisation conçue comme l’entité qui frustre, qui castre, qui rabote les passions sous le faux prétexte que, contre Fourier, Schérer et bien d’autres, ce serait la seule condition possible du vivre ensemble. Ainsi, l’Anti-Œdipe et l’université de Vincennes, fruits de Mai 68, sont-ils, pour Hocquenghem, la réinterrogation la plus radicale de la civilisation, une réinterrogation qui s’opère sur le terrain de la subjectivité : « il est question de partir dans toutes les directions. De semer, comme on sème un suiveur, le pouvoir civilisé. De creuser, partout où on peut miner l’édifice. Toujours surprendre l’ennemi par-derrière. Ne jamais être là où précisément il attend. Et que devienne pratique l’évidence : il n’y a pas de sujet révolutionnaire, pas de sujet du tout. » (6) La volution qu’est Mai 68, l’expression d’une volonté (volution) de puissance, doit donc se jouer sur tous les terrains, et avant tout sur le terrain subjectif. Hocquenghem l’a compris qui s’est lui-même, comme Pasolini nous allons le voir, posé comme le terrain de ce combat. Le terrain de la volution Mai 68 : soi Hocquenghem lutte. Il ne cesse de lutter. Contre, nous venons de le voir, un monde où ces principes politiques, portés par Vincennes, sont laminés et disparaissent. Ainsi, lors d’un voyage, dans les années quatre-vingt en Californie – voyage sur lequel nous allons revenir en détail – pressent-il un monde qu’il n’arrive pas à saisir, dans lequel il pense difficile sa propre inscription subjective : « un nouveau paysage se dresse dont les USA peuvent donner l’avant-goût. Le futur ordre sexuel n’est pas fondé comme l’ordre répressif, sur la Nature ; il divise rationnellement un secteur libéré, celui d’un érotisme de plus en plus commercialisé et avoué entre mâles, et un secteur sauvegardé, femmes qui se refusent aux étreintes brutales, enfants mis hors d’atteinte des pédérastes. » (7) Ce monde, où l’État tout puissant répartit et dicte les désirs, les discipline et les organise en dispositifs plus ou moins visibles et repérables (influence de Foucault… encore Vincennes), Hocquenghem ne cesse de le démonter, de l’analyser, de le mettre à l’épreuve. Et, pour ce faire, il n’y a pas trente-six solutions, il n’y en a qu’une : se mouiller. Il faut parler de soi. De soi, et pas de moi. Car parler de moi reviendrait à prendre la place du témoin, à l’image de ceux qui défilent dans les émissions télévisuelles abjectes d’un Delarue par exemple. Non ! Parler de soi en tant que c’est à l’intérieur de soi, sur soi, que se jouent les forces politiques désirantes du socius : j’entends donc le soi comme opposé, en ce sens, au moi psychanalytique ; le soi comme territoire, certes artificiel mais bien réel, où peuvent être agies les forces politiques qui secouent les peuples et l’histoire – forces qui, en le déterritorialisant, vont rendre le soi schizophrène : c’est cela la volution. Hocquenghem va donc faire de son territoire subjectif, de soi, le lieu même de la politique. Il va être tous les territoires sur lesquels se jouent les forces de vie : Mai 68 ? C’est lui. L’homosexualité ? C’est lui. La subversion de Mai 68 et de l’homosexualité ? C’est lui. Leurs limites ? C’est lui également. Leur absence de limites ? Toujours lui. Ainsi s’explique la déterritorialisation subjective que je viens d’évoquer. Hocquenghem fait plus que prendre sur lui les problématiques sociales, il fait de soi le terrain où s’engagent les luttes, au risque – inévitable – que ces luttes lui coûtent la vie. Soyons clair : il ne s’agit nullement ici d’exhausser Hocquenghem et d’en faire le sacrifié par excellence – notamment, je vais y revenir, du Sida. Il ne s’agit pas ici de commémorer un Hocquenghem beau et formidable. Ce que je veux exposer ici, c’est sa capacité – schizophrénique, c’est-à-dire politique – à s’indifférencier du socius duquel il procède. Qu’il l’ait fait consciemment ou pas, qu’Hocquenghem (son moi) l’ai voulu ou pas, ce n’est pas mon affaire – je laisse sa machine narcissique à d’autres analystes, ayant déjà bien du mal avec la mienne. Le concept qu’avec Hocquenghem je construis pour comprendre  ces jeux de déterritorialisations et territorialisations subjectives et sociales, c’est : sodome.
sodome
Le roman inachevé d’Hocquenghem, l’Amphithéâtre des morts que sa mort l’empêchera de terminer, finit (dans la version qui nous reste) sur un voyage aux États-Unis. Aussi, en le lisant, ai-je aussitôt pensé à Kerouac, dont je souhaite présenter à présent un extrait tiré de Sur la route : « A l’aube grise, qui vint par bouffées fantomatiques des fenêtres de la salle et se coula au ras du toit, j’étais assoupi, la tête sur le bras en bois d’un fauteuil, tandis que convergeaient vers moi six employés du cinéma, poussant leur bilan nocturne de balayures d’immondices, énorme tas de poussière qui me montait sous le nez pendant que je ronflais la tête en bas, jusqu’au moment où ils faillirent me balayer moi aussi. Ceci me fut rapporté par Dean qui observait, une dizaine de fauteuils derrière moi. Tous les mégots de cigarettes, les bouteilles, les carnets d’allumettes, des ordures de toutes sortes, ils les jetaient d’un coup de balai sur ce tas. M’auraient-ils enfoui là-dedans que Dean ne m’aurait plus jamais revu. Il lui aurait fallu battre tout le territoire des États-Unis et fouiller tous les seaux d’ordures d’une côte à l’autre avant de me trouver tel un fœtus blotti parmi les détritus de ma vie, de sa vie et de la vie de chacun, qu’il fût dans le coup ou pas. Qu’aurais-je pu lui dire du fond de ma matrice ordurière? « T’en fais pas pour moi, mon pote, je suis heureux là où je suis. Tu m’as égaré une nuit à Détroit au mois d’août 1949. Qu’est-ce qui te permet de venir troubler ma rêverie dans tout ce dégueulis. » En 1942, je fus la vedette d’un des drames les plus ignobles de tous les temps. J’étais marin et j’allais à l’Impérial Café de Scollay Square à Boston pour boire ; je bus soixante verres de bière et je me retirai aux waters où je m’enroulai autour de la cuvette et sombrai dans le sommeil. Durant la nuit, au moins une centaine de marins et de civils de tous poils entrèrent et lâchèrent sur moi un trop plein bien senti, si bien que j’en étais gluant et méconnaissable. Qu’est-ce que ça peut faire après tout ? L’anonymat dans le monde des hommes vaut mieux que la renommée dans le ciel, car le ciel, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que la terre ? Question d’idée. » (8)
Ce long extrait explicite parfaitement comment j’envisage Guy Hocquenghem, ce que j’entends donc par production de subjectivité, à savoir : une figure de sodome. Le thème de la ville de l’Ancien Testament détruite par Dieu revient souvent dans ses écrits. Fréquemment il se met face à ce spectacle de la punition divine: « La face éclairée par le feu, je suis là, contemplant le châtiment de Sodome. (Car j’ai toujours cru au caractère blâmable de mes amours, bien que n’en ayant jamais pour autant arrêté les pratiques.) » (9) Cet extrait, qui correspond dans l’Amphithéâtre des morts à l’incendie qui détruit le moulin, une communauté pédée, est un des horizons de ce roman, comme l’est aussi ce voyage en Amérique, que l’on imagine à la fin de L’amphithéâtre des morts. Voyage qu’Hocquenghem a fait, dans sa vraie vie, et qu’il décrit dansun article consacré à San Francisco sur lequel je vais maintenant m’apesantir. Notre question politique est : « Comment soi devient-il le territoire du socius ? » L’hypothèse que je formule pour tenter d’y répondre est la suivante : c’est l’expérimentation de ce que j’appelle sodome qui le permet – sodome, c’est-à-dire l’expérience de la limite : de la limite du socius (la catastrophe) ; et de la limite du corps (la mort). Hocquenghem va trouver, en la Californie des années quatre-vingt, un parfait exemple expérimental : la Californie, pour les pédés des années quatre-vingt qui luttent dur, en france, contre un État nationaliste, violent et réactionnaire, c’est la vie – c’est-à-dire la possibilité de vivre, en tant que pédé, parmi des pédés. C’est la vie, certes, mais avec, en son sein même, l’imminence de la catastrophe. C’est ainsi qu’il faut tout d’abord entendre ce thème hocquenghémien de sodome. La ritournelle de la danse sur le volcan est chère à Hocquenghem, et est visible dans le deuxième acte du film qu’il a fait avec Lionel Soukaz, Race d’ep (1979). Dans son article sur San Francisco, Hocquenghem compare la condition pédée à la position des habitants de la Californie que le bestseller de 1979 de Jeffrey Goodman définissait ainsi : We are the earthquake generation. Pour Hocquenghem, la Californie est l’impossible jonction entre une punition divine dans le sens le plus chrétien du terme (« Anita Bryant déclarait que les tremblements de terre de Californie étaient la punition divine destinée aux « spermeaters », aux pédés buveurs de sperme de San Francisco » (10) et une position subjective qui est la seule possible pour vivre vraiment (« la catastrophe : s’ils ne vivaient dans le permanent état de grâce que suppose l’attente du tremblement de Terre, les San Franciscains ne se seraient pas laissés conquérir par les gays. La « décadence » de San Francisco est exemplaire : devenue la Sodome utopique de l’ère de l’ordinateur, elle échappe à la rhétorique catastrophique, à force de vivre au bord de la catastrophe. » 11). On le voit : Hocquenghem convoque le terme de « Sodome » non pas tant pour insister sur les conséquences de la catastrophe que sur la catastrophe elle-même. Ce qui l’intéresse, c’est l’expérience de la catastrophe, non ses causes (des actes qui seraient moralement, chrétiennement, condamnables) ni même ses conséquences (qui seraient plus ou moins méritées). Nous retrouvons avec ce concept, sodome, la volonté – la volution – telle qu’un Nietzsche la construit avec son concept Volonté de puissance. Car l’expérimentation qu’Hocquenghem tente de saisir est avant tout une expérience du présent de la catastrophe : « loin de vivre dans l’angoisse du jugement dernier, les gays de San Francisco jouent avec le spectre de la fin du monde » et font preuve de « cet humour distrait, [de] cette chaude sociabilité que procure le fait de vivre en permanence, et dans l’acceptation, la rumeur de l’anéantissement. » (12) Hocquenghem a trouvé dans ce voyage l’exemple d’une vie telle qu’il ne peut s’empêcher de la vivre : une vie qui intègre la catastrophe comme expérience subjective permettant de vivre pleinement le présent. Il la présente, cette façon de vivre, comme un vécu du temps évoquant une expérience de la folie – folie qu’il assume lorsqu’il affirme que « la carte de San Francisco ressemble à ces dessins de jeunes autistes que Deligny publie régulièrement. » (13) Et même si les dessins qu’évoque Hocquenghem ne sont pas dessinés par les autistes (leur folie va jusqu’à les en empêcher), ces lignes d’erre de Deligny sont autant de tracés de leurs parcours, de tentatives de suivre les traces de subjectivités qui ne savent pas, ne peuvent pas, s’inscrire dans l’histoire, ces lignes sont les subjectivités d’autant de fous dont la vie se résume à un présent éternellement renouvelé. Comme Deligny, Hocquenghem tente de dessiner ces parcours, de saisir ces expériences folles du temps qu’ont en commun les homosexuels et, nous allons le voir, les drogués et les militants de 68 – il ne peut d’ailleurs pas faire autrement que de remarquer qu’il est, lui-même, un de ces fous : « car le secret des « gays » de San Francisco, c’est de ne pas se préoccuper du long terme ou de le considérer comme déjà présent. Une civilisation bâtie en dix ans, depuis la création du mouvement gay en 69, ne croit guère à l’Histoire. Le catastrophisme n’est que le piment, ajouté avec le sourire, d’un refus plus fondamental : celui de cette histoire de la civilisation à l’européenne, avec ses fidéismes progressistes et ses oppressions durables. » (14) Ce vécu du temps, du présent, comme une urgence de la vie, et c’est à Nietzsche que l’on pense, à nouveau. Et l’on entend aussi, dans cette critique de l’Histoire, celle de la dialectique hégélienne faite par Deleuze ; on entend les tentatives pour construire une autre conception de l’Histoire : on entend François Châtelet. Hocquenghem enfant de Vincennes a-t-on dit – qui en a retenu l’une des principales leçons : autre chose que l’histoire écrite par les vainqueurs. Nous nous posons donc la question en ces termes : « que demande Hocquenghem lorsqu’il convoque, comme il le fait, la catastrophe, lorsqu’il subjectivise sodome ? » Selon nous, comme Kerouac, il demande à vivre. Et, pour que cela soit possible, il lui faut intégrer à la vie l’expérience de la mort. Celle-ci ne doit pas être entendue, dans cette démarche, comme un ultime, un idéal, une limite extérieure. Mais au contraire comme l’affirmation, à chaque instant, du choix. Si horizon il y a, celui-ci est transversal. Hocquenghem a besoin de la mort comme Nietzsche a besoin de l’éternel retour. Pour laisser la vie exploser. Ainsi conclut-il son voyage à San Francisco sur ce vécu de l’expérience : « En compagnie des « gays » san-franciscains, la fin du monde n’est plus un terrifiant trou noir, mais une charmante comptine enfantine. [...] Oui, la fin du monde est une fête. » (15)
Stéphane Nadaud
Extrait de l’article publié dans Chimères n°69 / 2009

1 Jean-François Lyotard, Capitalisme énergumène, Critiques n°306, novembre 1972, p.925.
2 Je suis ici Hocquenghem et écrit france avec une minuscule.
3 Guy Hocquenghem, la Beauté du métis, Paris, Ramsay, 1979, p.39.
4 Guy Hocquenghem, Volutions, in l’Après Mai des faunes, Paris, Grasset, 1974, p.19.
5 L’université actuellement appelée Paris 8, Vincennes à Saint-Denis naît en décembre1968, sur la volonté, complexe à analyser, d’Edgar Faure alors ministre de l’éducation de de Gaulle à partir d’un centre universitaire expérimental dont Foucault, Deleuze, Lyotard et Popper sont les figures de proue.
6 G. Hocquenghem, Volutions, op. cit., p.22.
7 Guy Hocquenghem, Prélude, in la Dérive homosexuelle, Paris, Jean-Pierre Delarge, 1977, p.12.
8 Jacques Kerouac, Sur la route, Paris, Gallimard, 1960, folio, p.347. Trad. Jacques Houbard.
9 Guy Hocquenghem, l’Amphithéâtre des morts, Paris, Gallimard, coll. Digraphe, 1994, p.80.
10 Guy Hocquenghem, San Francisco ou Sodome suspendue, in Autrement, Californie, rêve et cauchemar n° 131, avril 1981, p.134.
11 Ibid.
12 Ibid., p.135.
13 Ibid., p.137.
14 Ibid., p.138.
15 Ibid., p.145.

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