« la génération invisible »
ce que nous voyons est en grande partie déterminé par ce que nous entendons vous pouvez vérifier cette proposition en effectuant une expérience très simple coupez le son de votre poste de télévision et substituez-y une bande sonore arbitraire pré-enregistrée sur votre magnétophone bruits de la rue musique conversations enregistrements divers d’autres programmes de TV vous constaterez que cette bande sonore arbitraire est appropriée et de fait va déterminer votre interprétation de ce qui se passe sur l’écran des gens courent après un autobus à picadilly avec une bande sonore où éclatent des rafales de mitrailleuses à pétrograd en 1917 vous pouvez prolonger cette expérience en utilisant des matériaux enregistrés plus ou moins appropriés au film par exemple un discours politique télévisé coupez le son et substituez-y un discours un vous aviez déjà enregistré difficile de percevoir une différence il n’y a pas beaucoup de bandes sonores enregistrées par exemple d’un homme-danger ou d’un programme oncle-espion jouez ces bandes interchangez et voyez si vos amis percevront une différence ceci doit être accompli par des magnétophones considérez la machine et voyez ce qu’elle peut faire elle peut enregistrer et playback activant un temps passé fixé par une association précise on peut réentendre un enregistrement plusieurs fois vous pouvez analyser chaque pause étudier chaque inflexion d’une conversation par exemple untel dit ceci ou cela pourquoi ici playback les enregistrements d’untel donc vous pouvez éditer une conversation enregistrée en conservant les fragments ennuyeux et plats et sots un magnétophone peut aller très vite lentement en avant en arrière vous pouvez apprendre à réaliser ces choses enregistrez une phrase et accélérez maintenant essayez d’imiter l’accélération de votre voix retournez une phrase et apprenez à dé-dire ce que vous venez de dire… ces exercices vous libèrent des anciens blocs d’association essayez de graduer la bande ce son est obtenu à partir d’un texte enregistré pour de meilleurs résultats un texte dit par une voix claire et nette puis en frottant la bande en avant et en arrière ce même son peut être obtenu en utilisant un « philips compact cassette recorder » faisant tourner la bande à l’envers et poussant le contrôle sur le microphone « stop » « start » « on et off » par petits intervalles vous obtenez quelque chose qui ressemble à un bégaiement
utilisez n’importe quel texte accélérez ralentissez faites marche arrière graduez-le et vous entendrez les mots qui n’existaient pas encore dans le texte original des mots nouveau fabriqués par la machine toutes sortes de gens scanderont des mots différents naturellement mais certains mots sont là clairs et n’importe qui peut les entendre ils n’existaient pas sur la bande originale mais souvent ils se rapportent au texte original comme si les mots eux-mêmes avaient été interrogés et obligés à révéler leur sens caché c’est intéressant d’enregistrer ces mots des mots littéralement fabriqués par la machine
vous pouvez aller encore plus loin en poursuivant cette expérience votre matériel enregistré original ne sera pas un matériel-mot mais il contiendra des bruits émis par des animaux par exemple enregistrez les cris des cochons baveux dans une auge des aboiements de chiens allez au zoo et enregistrez les grognements des gorilles les gros chats qui rugissent en dévorant des chèvres et des singes maintenant faites marche-arrière et accélérez et ralentissez et graduez ces animaux et essayez de déceler des mots nets voyez ce que les animaux ont à dire et voyez comment ils réagissent au playback d’une bande traitée
la variété du découpage le plus simple sur bande magnétique peut être obtenu avec une machine qui enregistrera n’importe quel texte ré-embobinez jusqu’au début de l’enregistrement maintenant faites tourner la bande en avant à intervalles arbitraires arrêtez la machine et enregistrez un texte court et ré-embobinez stoppez l’enregistrement là où bous avez superposé le texte original les mots sont effacés mais remplacés par de nouveaux mots
faites ceci plusieurs fois créez des juxtapositions arbitraires vous verrez que ces coupures arbitraires sont appropriées et que dans bien des cas votre bande découpée reçoit un sens étonnant des bandes découpées hilarantes il y a vingt ans j’ai entendu une bande intitulée « l’animateur ivre » faite par jerry newman de new york il avait coupé à même les actualités et je ne me souviens plus des mots mais de si loin que cela date je me souviens avoir ri à en tomber de ma chaise paul bowles appelle le magnétophone « le petit jouet du bon dieu » peut être son dernier jouet disparaissant dans l’air froid du printemps posant une question incolore
n’importe quel nombre peut jouer
oui n’importe quel nombre peut jouer n’importe qui avec un magnétophone qui contrôle la bande sonore peut influencer et créer des événements les expériences décrites ici vous indiqueront comment cette influence peut être prolongée avec toutes ses corrélations pour une seule opération précise
c’est la génération invisible il ressemble à un chef de service d’une agence de publicité à un universitaire à un touriste américain votre couverture n’est pas importante pourvu qu’elle vous couvre effectivement vous laissant toute liberté d’action vous aurez besoin d’un « philips compact cassette recorder » une machine portable commode pour enregistrer dans la rue et playback vous pouvez la dissimuler sous votre pardessus elle ressemble à un transistor pour le playback le playback dans la rue révèlera l’influence de votre bande sonore en opération il est bien évident que le playback le plus inaperçu est l’enregistrement de la rue les gens ne reconnaissent pas la voix d’hier ni les trous de voitures fantômes dans le temps présent ni les crissements des pneus ni les freins hurlant un avertisseur absent peut provoquer un accident ici de vieux incendies peuvent détruire de vieux immeubles peuvent toujours tomber ou apporter une bande sonore pré-enregistrée dans la rue tout ce que vous voulez fixer sur le « sublim eire » rejouez alors durant deux minutes et enregistrez deux minutes et mélangez votre message avec la rue faites flotter votre message dans une oreille qui e mérite il y a des magnétophones portatifs supérieurs à d’autres vous les connaissez des lèvres bougeant murmurant qui portent mon message partout dans londres dans notre sous-marin jaune opérant avec le playback de la rue vous verrez que votre playback trouvera un contexte approprié par exemple je marche rejouant quelques-unes de mes bandes les derniers mots de dutch schultz dans la rue un feu cinq alarmes la voiture des pompiers passe au moment voulu vous apprendrez les répliques et vous apprendrez à planter des événements et des conceptions après avoir analysé des conversations vous apprendrez à conduire une conversation la dirigeant là où vous voulez la libration psychologique sera obtenue dès que vous couperez les lignes de mots et les blocs d’associations contrôlés vous serez à même d’atteindre vos objectifs et quoi que vous fassiez vous le ferez mieux
enregistrez votre patron et vos collègues leurs images-associations apprenez à imiter leurs voix vous aurez du succès au bureau mais il n’est pas facile de rivaliser avec le procédé usuel enregistrez les bruits émis par leurs corps avec des micros cachés le rythme de leurs respirations les mouvements de leurs intestins après le déjeuner les battements de leurs cœurs et maintenant superposez les bruits de votre corps aux leurs et devenez le mot respirant vivant et le cœur battant de cette organisation devenez cette organisation les frères invisibles envahissent le temps présent plus nous trouverons de gens capables d’utiliser les magnétophones plus les expériences seront utiles les prolongations viendront d’elles-mêmes pourquoi ne pas organiser des partouzes-magnétophones chaque invité arrive avec son magnétophone et des bandes où sont enregistrées les choses qu’il a l’intention de dire et la bande vierge réservée aux autres invités-magnétophones le summum de l’impolitesse est de ne pas enregistrer quand on vous adresse la parole en direct avec un autre magnétophone et que vous ne pouvez rien dire en direct vous devez d’abord enregistrer les ténias les plus calmes ne parlent jamais
comment était cette partie playback
qu’est-ce qui s’est passé durant le déjeuner playback
vieux yeux sans bluff illisibles il n’a pas proféré un mot en direct depuis dix ans et lorsque vous entendez ce qui se rapporte à cette partie et ce qui s’est passé durant le déjeuner vous commencez à voir clair et net il y avait un voile gris entre vous et ce que vous avez vu et le plus souvent ce que vous n’avez pas vu ce voile gris était mots pré-enregistrés par une machine de contrôle et une fois ce voile levé vous verrez plus clairement et plus nettement que ceux qui sont derrière ce voile tout ce que vous ferez sera mieux et ceux qui se trouvent derrière le voile c’est la génération invisible c’est la génération efficiente les mains travaillent s’en vont voir les quelques résultats intéressants produits par une centaine de magnétophones lors d’un meeting politique ou pendant une marche pour la paix et la liberté supposons que vous enregistrez ce que disent des hommes de loi sudistes les plus laids les plus hargneux et qu’il y a une centaine de magnétophones recrachant leurs paroles ruminant comme des vaches aphteuses vous êtes maintenant en possession du son qui rendrait n’importe quel paysage insoutenable avec quelques centaines de magnétophones branchés les lecteurs pourraient se laisser envoûter par une conférence sur la poésie une magie imprévisible et pensez à ce que pourraient faire cinquante mille fans des beatles à shea-stadium des centaines de personnes enregistrant et diffusant dans la rue serait un happening
un gendarme militaire conservateur parlait de la menace croissante imposée par des hordes de jeunes gens irresponsables avec des magnétophones rejouant les bruits de la circulation qui troublaient les motocyclistes diffusant les pires insultes dans un bouge quelconque à may-fair ou à picadilly cette menace croissante pour l’ordre public par exemple dans la rue mille jeunes gens enregistrent des bruits d’émeutes ce murmure grandit devient de plus en plus violent rappelez-vous qu’il s’agit d’une opération technique pas à pas voici une expérience à la portée de n’importe qui avec deux machines reliées par une rallonge ce qui permet d’enregistrer de l’une à l’autre puisque l’expérience peut provoquer une réaction érotique réelle le partenaire idéal serait quelqu’un avec qui vous avez des rapports intimes nous avons deux sujets b et j b enregistre sur le magnétophone 1 j enregistre sur le magnétophone 2 maintenant alternons les deux bandes vocales playback du magnétophone 1 durant 2 secondes le magnétophone 2 enregistre magnétophone 2 playback durant 2 secondes le magnétophone 1 enregistre alternant la voix de b avec celle de j
pour obtenir un degré de précision les deux bandes devraient être coupées avec des ciseaux et les deux morceaux d’alternance épissés c’est un procédé long qui peut être activé avec succès si vous avez accès à une salle de montage-mixage et si vous employez des bandes sonores de films qui sont plus larges et plus maniables vous pouvez allez encore plus loin en filmant b parlant et j épissant les bandes sonores et images 24 alternances-seconde comme je l’ai laissé entendre il est nécessaire de bien choisir votre partenaire les résultats peuvent être très brutaux b se retrouve parlant et pensant exactement comme j j voit l’image de b dans son propre visage le visage de qui b et j sont continuellement conscients l’un de l’autre séparés par une présence invisible et permanente de fait ils deviennent l’un et l’autre vous constatez que rétroactivement b était j du fait même qu’il a été enregistré et filmé sur les bandes de j des expériences avec des bandes épissées peuvent provoquer des situations explosives mais bien maniées à un degré de coopération efficiente vous verrez que les avantages transposés sur j s’il faisait de telles expériences sans que b le sache et il y a mille façons d’appliquer la méthode épissure elles seront suggérées au lecteur averti supposons que vous êtes un connard en costume de flanelle grise et vous désirez présenter une nouvelle conception de la publicité au vieux c’est de la publicité créative alors vous du fil à retordre avec le vieux vous enregistrez sa voix et vous épissez votre voix avec la sienne tout en exposant votre nouvelle conception et vous émettez dans le système d’airco du bureau puis vous épissez votre baratin avec les voix de vos chanteurs pop favoris épissez-vous avec des animateurs des speakers des présidents des premiers ministres
pourquoi vous arrêtez-vous là
pourquoi vous arrêtez-vous
que tout le monde s’épisse chacun sur chacun oui les gars c’est moi près de la bétonneuse la prochaine démarche et je vous préviens que ça coûte cher sera magnétophones programmés une machine totalement programmée (standard) serait fixée sur un enregistrement playback intervalles choisis puis sera réembobinée et refait après le choix automatique de l’intervalle opération continuité supposons par exemple que vous possédez trois machines programmées magnétophone 1 programmé playback pendant 5 secondes enregistrement du magnétophone 2 playback du magnétophone 2 pendant 3 secondes le magnétophone 1 enregistre maintenant par exemple vous vous disputez avec votre ami ou amie vous vous souvenez de ce qu’il (ou elle) a dit la dernière fois et vous pensez déjà aux choses que vous direz la prochaine fois ça tourne ça tourne et vous ne pouvez pas fermer votre gueule mettez sur le magnétophone toutes vos plaintes tous vos arguments et donnez votre nom au magnétophone 1 sur le magnétophone 2 mettez toutes les choses qu’il (ou elle) a dit aurait pu dire suivant l’occasion hors du magnétophone maintenant faites parler les magnétophones magnétophone 1 playback le magnétophone 2 enregistre magnétophone 2 playback 3 secondes le magnétophone 1 enregistre faites-les travailler pendant un quart d’heure ou une demi-heure maintenant changez les intervalles en employant le bouton-intervalle que vous aviez poussé sur le magnétophone 1 sur le magnétophone 2 le bouton-intervalle peut être aussi important que le contenu de l’enregistrement écoutez les deux machines se mélanger mixez maintenant sur magnétophone 3 vous pouvez introduire le facteur réponse-non-pertinente puis mettez n’importe quoi sur le magnétophone 3 une vieille blague une vieille scie à la mode les bruits de la rue de la télévision de la radio et programmez le magnétophone 3 dans la dispute
magnétophone 1 je t’ai attendu jusqu’à deux heures hier soir
magnétophone 3 ce que nous aimerions savoir qui a mis du sable dans les épinards
l’emploi de la réponse non-pertinente est effective elle peut briser les rails obsessionnels de l’association tous les rails de l’association sont obsessionnels
sortez tout cela de vos têtes et mettez-les dans la machine arrêtez le cours de cette dispute arrêtez-vous ne vous plaignez plus arrêtez la conversation et laissez donc les machines se disputer
se plaindre et parler un magnétophone et la section externiste du système nerveux vous pouvez découvrir tout ce que recèle le système nerveux gagner plus de contrôle vis-à-vis de vos réactions en employant un magnétophone que vous ne pourriez trouver assis depuis vingt ans dans la position du lotus et gaspillant votre temps sur le sofa analytique
écoutez les bandes du temps présent et vous commencez à comprendre qui vous êtes et ce que vous faites ici mélangez hier avec aujourd’hui et entendez demain tout votre avenir surgira des vieux enregistrements vous êtes un magnétophone programmé fixé standardisé pour enregistrer et playback
qui vous programme
qui décide s’il faut playback dans le temps présent
qui choisit les bandes
qui playback votre veille humiliation vos vieilles rancœurs et faillites en vous retenant dans un temps pré-enregistré et fixé d’avance
vous n’êtes pas obligé d’écouter vous pouvez programmer vous-même votre playback vous pouvez décider quelles bandes dans le temps présent étudiez vos modèles d’association et découvrez dans quel cas et avec quels pré-enregistrements dans le temps présent étudiez vos modèles-associations et découvrez quels sont les cas-pré-enregistrements pour le playback programmez ces vieux enregistrements on le fait uniquement avec des magnétophones il y a tant de choses à faire avec les magnétophones programmer des spectacles sur scène à intervalles arbitraires chaque spectacle doit être imprévisible et unique provoquant une tension-participation de l’audience lectures concerts les magnétophones programmés peuvent créer des événements n’importe où ils sont nécessaires dans une partie et aucun hôte moderne n’imposerait une partie emmerdante dans le temps présent dans un foyer moderne par exemple chaque chambre est branchée aux tables d’écoutes qui enregistrent et playback micros et haut-parleurs cachés voix fantômes murmurant dans les corridors et les chambres le mot visible tel une bande-bonne magnétophones dans les jardins se répondent comme des chiens aboyant les bandes sonores amènent le studio sur le plateau et vous pouvez changer l’aspect d’une ville en plaçant votre propre bande dans les rues voici quelques expériences vous filmez les opérations-bandes-sonores sur le plateau trouvez un environnements de toits en ardoises des cheminées en brique rouge une bande cool et bleue dans un vieux marché couvert pavé de persiennes bleues une bande grise des sifflements lointains de trains des grenouilles qui coassent sur le terrain de golf des enregistrements cool tous les vieux cabotins tristes dans le crépuscule bleu un bruissement de ténèbres de fils de fer quand des milliers de personnes travaillent avec des magnétophones filmant les actes ultérieurs choisissant leurs meilleurs bandes sonores et métrages et les épissant vous verrez alors quelque chose d’intéressant maintenant considérez le mal que nous pourrions faire et qui a été fait quand enregistrement et playback sont faits de cette façon les gens affectés ne savent pas ce qui se passe la pensée l’émotion et les impacts sensuels peuvent être manipulés précisément et contrôlés des émeutes des manifestations sur mesure par exemple ils emploieraient de vieux enregistrements antisémites contre les chinois en indonésie feraient fonctionner les magasins et s’enrichiraient et donneraient toujours leurs fonds de commerce à un autre con assez familier supposons que vous voulez faire descendre la région entrez donc et enregistrez le dialogue le plus atroce le plus stupide sur votre bande la plus discordante que vous puissiez trouver et continuez playback éternellement choisissant toujours le matériel le plus atroce les possibilités sont illimitées vous désirez provoquer une émeute placez vos machines dans la rue avec des enregistrements d’émeutes bougez rapidement vous pourrez toujours devancer l’émeute du surf nous l’appelons il n’y a pas de marge lorsqu’il s’agit d’erreur rappelez-vous du pauvre burns pris dans une émeute un marché persan des enregistrements cachés sous sa djellaba et ils l’ont écorché vif une chose crue et gelée se tortillant grouillant sous le soleil de midi et nous avons le tableau
pigez-vous ce tableau
les techniques et les expériences que nous avons décrites ont été faites et sont toujours faites par les agences officielles et non officielles et vous ne vous rendez compte de rien à votre immense désavantage n’importe quel nombre peut jouer wittgenstein a dit qu’aucune proposition ne peut être considérée comme argument la seule chose qui ne peut être enregistrée sur une plate-forme pré-enregistrée est le pré-enregistrement lui-même c’est-à-dire l’enregistrement dans lequel figure le facteur chance n’importe quel enregistrement de rue pré-enregistre votre avenir vous pouvez entendre et voir les expériences décrites ici m’ont été expliquées et suggérées par ian sommerville de londres et j’écris cet article comme si j’étais son nègre
regardez autour de vous regardez la machine de contrôle programmée pour choisir les sons les plus atroces les plus laids les plus stupides les plus vulgaires et dégradés enregistrement et playback provoquent des sons encore pires laids vulgaires et dégradés et ré-enregistrement playback en dégradation inexorable attention cul-de-sac attendez le playback laid et vulgaire demain et demain et demain qui font les journaux ils choisissent les sons les plus laids pour le playback et de fait si c’est vraiment dégueulasse c’est de l’information des nouvelles et cela ne suffit pas alors je cite la page-éditorial du new york daily news nous savons nous occuper de la chine et si la russie intervient nous saurons nous en occuper aussi un bon communiste existe s’il est mort prenons soin du marchand d’esclaves castro ensuite pourquoi attendre bombardons la chine maintenant et soyons armés jusqu’au dents pour mille ans ce vilain braillement émis pour le playback des masses vous donne envie de répandre un enregistrement hystérique et playback pour les réactions les plus stupides et les plus hystériques
la marijuana la marijuana eh oui elle est encore plus mortelle que la cocaïne
elle fabrique un fou criminel comme ça dit-il ses yeux froids quand il pensait aux vampires suçant les richesses du vil trafic de marijuana et littéralement gavé de sang humain il réfléchit farouchement sa mâchoire se contracte tous les fourgueurs devraient frire sur la chaise électrique
dénudez les salauds
très bien montrez-nous vos avant-bras
ou les mots mortels de nany j. anslinger les lois doivent refléter la réprobation de la société pour le toxicomane
une réflexion encore plus dégueulasse que la désapprobation de la société serait difficile à trouver les yeux froids et méchants des femmes américaines convenables lèvres pincées et non merci les marchands grognements émis par les flics pâles yeux des super-tueurs de négros reflétant toute la désapprobation de la société ces putains de pédés je dis qu’il faut tirer dans le tas et si d’autre part vous choisissez les réactions calmes et raisonnables pour les enregistrer et playback vous répandriez le calme et le bon sens
fait-on cela
non évidemment le seul moyen de briser la spirale descendante d’un enregistrement laid encore plus laid et aussi playback serait d’utiliser une contre-enregistrement et un playback la première démarche est d’abord isoler et couper les lignes d’association de la machine de contrôle d’avoir en permanence un magnétophone et enregistrer les choses les plus laides toutes les plus stupides vos bandes enfin accélérer et ralentir et retour en arrière graduation sur la bande vous entendrez alors la voix laide l’esprit vilain et vous constaterez qu’elle est composée de vieux pré-enregistrements laids et stupides plus vous faites tourner les bandes et plus vous les couperez et moins elles ont de la puissance coupez les pré-enregistrements dans l’air raréfié
William Burroughs
le Ticket qui explosa / 1961-1967
Silver Smoke of Dreams / Ian Sommerville & William Burroughs
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Résultat pour la recherche 'negre singe'
Méditations du juge Draper sur le citoyen britannique
considéré comme être humain. Méditation sur la personne.
Universalité des tabous. Surprenante intervention de Lady Draper.
« Les tropis n’ont pas de gris-gris. »
Universalité des gris-gris.
Sir Athur Draper prenait d’habitude le bus pour aller à son club, sur Pall Mall, lequel était le Reform Club, d’où par un matin pluvieux Phileas Fogg partit pour son tour du monde. Le juge y lisait tranquillement le Times, puis rentrait, vers huit heures, à Onslow Mansions, un peu au-delà de Chelsea.
Mais ce soir-là, il se dit que le temps était tiède et beau, et qu’il ferait bon flâner.
En vérité, pour la première fois peut-être depuis trente ans, il n’avait pas envie de retrouver ses vieux amis du club, fût-ce pour ne pas faire en leur compagnie que lire sans un mot les journaux du soir.
Il remontait lentement le long de la Tamise, d’un pas très calme, et pensait à l’audience qui venait de finir : « Quel étrange procès », pensait-il. Le juge n’ignorait point les raisons que l’accusé avait de se faire juger. Il les trouvait courageuses et pathétiques. « Mais il s’ensuit, pensait-il, que c’est l’accusation qui reprend contre lui ce qui doit être au fond sa propre thèse : les tropis sont des hommes. Tandis que la défense est bien forcée de nous assurer le contraire et, pour prouver que ce sont des singes, de produire des témoins qui professent une discrimination raciale contre laquelle précisément l’accusé risque sa vie : lequel donc a dû se résoudre à adopter un système de défense contraire au but qu’il poursuit… Quel imbroglio ! D’autant que s’il est prouvé que les tropis sont des bêtes, la Société du Takoura l’emporte… Et donc l’accusé doit souhaiter que l’accusation ait raison contre lui… Il lui faudrait en somme, s’il veut triompher, se faire pendre. il ne peut sauver sa vie que vaincu… Je me demande s’il est conscient de tout cela, et s’il y a jamais pensé ? Difficile à savoir ; puisqu’il ne dit jamais un mot et se refuse à toute discussion. »
Avec le soir tombait une brume très légère, très bleue ; les passants se croisaient, se mêlaient dans un ballet tranquille et silencieux. Le juge les observait avec une curiosité, une amitié nouvelles. « Voici l’humanité, pensait-il. Les tropis en font-ils partie ? Etrange de pouvoir se le demander sans que la réponse vienne aussitôt. Etrange d’être obligé de se dire que, puisqu’il en est ainsi, c’est que nous ne savons pas ce qui nous en distingue… Force est bien de constater que nous ne nous demandons jamais ce qui précisément définit l’homme. Il nous suffit d’être : il y a dans le fait d’exister une sorte d’évidence qui se passe de définitions… »
Un « bobby », monté sur son petit socle, réglait la circulation avec une lenteur et une gravité solennelles.
« Toi, pensait Sir Arthur avec une vraie tendresse, tu penses : je suis policeman. Je règle la circulation. Et tu sais de quoi il s’agit. Il t’arrive aussi de penser sans doute : je suis un citoyen britannique. Cette idée-là est précise encore. Mais combien de fois dans ta vie t’es tu dit : je suis une personne humaine ? Cette pensée te semblerait grotesque ; mais ne serait-ce pas surtout qu’elle est trop vague, et que, si tu n’étais que cela, tu te sentirais flotter en l’air ? » Le juge souriait : « Je suis tout pareil à lui, pensait-il. Je pense : je suis juge ; je dois rendre des jugements exacts. Si l’on me demande : Qu’êtes-vous ? Je réponds moi aussi : un fidèle sujet de Sa Majesté. Il est tellement plus facile de définir un Anglais, un juge, un quaker, un travailliste ou un policeman que de définir un homme tout simplement !… La preuve, les tropis… Et il est diablement plus confortable de se sentir quelque chose dont chacun sait clairement ce que c’est. »
« Voilà, pensait-il, que par la faute de ces fichus tropis, je redégringole dans les questions sans fin qu’on se pose à vingt ans… Que je redégringole ou m’y élève de nouveau ? songea-t-il avec une sincérité soudaine. Après tout, si j’ai cessé de les poser,était-ce pour des raison bien valables ? » Quand on l’avait nommé juge, il était plus jeune qu’il n’est généralement d’usage dans le Royaume-Uni. Il se rappelait quelles inquiétudes agitaient alors sa conscience : « Qu’est-ce qui nous permet de juger ? Sur quoi nous appuyons-nous ? La notion fondamentale de culpabilité, comment la définir ? Sonder les reins et les cœurs, quelle incroyable prétention ! Et quelle absurdité : qu’une faiblesse mentale diminue la responsabilité d’un délinquant, elle excuse en partie son acte et nous le condamnons moins durement. Or pourquoi l’excuse-t-elle ? Parce qu’il est moins capable qu’un autre de résister à ses impulsions ; mais par conséquent il récidivera. il eût donc fallu au contraire plus qu’un autre le mettre hors d’état de nuire ; lui appliquer une peine plus forte et plus durable qu’à celui qui n’a pas d’excuse : puisque celui-ci ensuite trouvera, dans sa raison et le souvenir de la peine encourue, la force de se surmonter. Mais un sentiment nous dit que ce ne serait pas humain, ni équitable. Ainsi le bien public et l’équité s’opposent implacablement. » Il se rappelait que ces dilemmes l’avaient si bien tourmenté qu’il avait songé à quitter sa charge. Et puis, peu à peu, il s’était endurci. Moins que d’autres : l’incroyable sclérose de la plupart de ses confrères lui était un sujet constant de surprise et de consternation. Toutefois il avait fini, comme les autres, par se dire qu’il est sans profit de perdre ses forces et son temps à des questions insolubles. Par s’en remettre, avec une sagesse tardive, aux règles, à la tradition, et aux précédents juridiques. Par mépriser même, du haut de son âge mûr, cette jeunesse présomptueuse qui prétendait opposer sa petite conscience individuelle à toute la justice britannique !…
Mais voici qu’à la fin de sa vie il était confronté à un stupéfiant problème, qui brutalement remettait soudain tout en cause, puisque ni les règles, ni la tradition, ni les précédents juridiques n’étaient en mesure d’y répondre ! Et il n’aurait sincèrement su dire s’il en était irrité ou ravi. A une sorte de rire silencieux, anarchique, irrespectueux, qui grouillait en lui avec ses pensées, il devait bien reconnaître qu’il penchait à se réjouir. Tout d’abord cela convenait admirablement à son vieux sens de l’humour. Et puis il aimait sa jeunesse. Il l’aimait et il jubilait de devoir lui donner raison.
Avec une sorte d’apostasie joyeuse, il examinait d’un œil impitoyable et critique ces règles, ces précédents, cette tradition vénérable. « Au fond, pensait-il, nous vivons de tabous, comme les sauvages. Il faut, il ne faut pas. Rien jamais de nos exigences ou de nos interdits n’est fondé sur une base irréductible. Puisque toute chose humaine, de proche en proche, peut toujours être réduite, comme en chimie, à d’autres composantes humaines, sauf à parvenir au corps simple d’une définition de l’humain ; or c’est ce que justement nous n’avons jamais défini. C’est proprement incroyable ! Des interdits non fondés, qu’est-ce que c’est, sinon des tabous ? Les sauvages croient tout aussi fermement à la légitimité, à la nécessité de leurs tabous que nous croyons à celles des nôtres. La seule différence, c’est que les nôtres, nous les avons perfectionnés. Nous leur avons trouvé des causes non plus magiques ou totémiques, mais philosophiques ou religieuses ; aujourd’hui nous trouvons ces causes dans l’étude de l’histoire et des sociétés. Il nous arrive aussi d’inventer de nouveaux tabous. Ou d’en changer en route (rarement). Ou de les transformer quand ils apparaissent, malgré la tradition, trop démodés ou trop nuisibles. Je veux bien que dans l’ensemble ce soient de bons, d’excellents tabous. De très utiles tabous, assurément. Indispensables à la vie sociale. Mais alors au nom de quoi juger la vie sociale ? Non seulement la forme qu’elle a, ou celle qu’elle peut prendre, mais si elle est bonne en soi ; ou simplement nécessaire à autre chose qu’elle-même : à qui ? à quoi ? C’est aussi un tabou, rien de plus. »
Il s’arrêta au bord du trottoir, en attendant que le passage fut libre.
« Nous autres chrétiens, songeait-il, nous avons la Parole, la Révélation. « Aime ton prochain comme toi-même. Tends l’autre joue. » Or c’est tout à fait contraire aussi aux grandes lois naturelles. C’est pourquoi, pensons-nous, cette Parole est belle. Mais pourquoi la trouvons-nous belle de s’opposer à la nature ? Pourquoi devons-nous sur ce point rompre avec des lois auxquelles toutes les bêtes obéissent ? « La volonté de Dieu » sans doute est une réponse suffisante pour nous obliger, mais non pour nous expliquer ces obligations. Si ce ne sont pas là des tabous, je veux bien être pendu ! »
Il s’engagea sur la chaussé pour traverser devant Westminster Bridge. « Si je disais cela tout haut, on supposerait que je blasphème. Je n’ai pourtant pas du tout conscience de blasphémer. Car je pense profondément, tabous ou non, que la Parole est juste. Peut-être, précisément, parce qu’elle rompt avec la nature, avec son aveugle loi de l’entre-dévorement universel ? Ainsi la charité, la justice, tous les tabous en somme, ce serait l’antinature ? Si l’on y pense un peu, cela semble évident : à quoi bon lois, règles et commandements, à quoi bon morale ou vertu, si nous n’avions à endiguer et à vaincre ce que la puissante nature propose à notre faiblesse ?… Oui, oui, tous nos tabous, leur base est l’antinature… Tiens, tiens, se dit-il soudain avec une excitation allègre de l’esprit, ne serait-ce pas là une base irréductible ? N’y aurait-il pas là une lueur ? »
Il avait commencé de penser : « La question est peut-être : les tropis ont-ils des tabous ? » quand un bruit de pneus crissants sous le coup de frein le rejeta en arrière : de justesse ! Il demeura quelque temps sur le refuge, le cœur battant. Il ne retrouva pas ensuite le cours de ses réflexions.
Un peu plus tard, il dînait dans la froide salle à manger de Onslow Mansions. Lady Draper lui faisait face à l’autre bout de la longue table de sombre acajou verni. ils étaient silencieux, comme de coutume : Sir Arthur aimait beaucoup sa femme, qui était affectueuse et dévouée, courageuse, fidèle, au demeurant d’excellente famille. Mais il la jugeait délicieusement sotte et inculte, comme il convient dans un ménage respectable. Elle ne posait donc point de questions incongrues sur sa vie de magistrat. Elle paraissait avoir peu à dire sur elle-même. Tout cela était excellent pour le repos de l’esprit.
Pourtant, ce soir-là, elle dit de but en blanc :
- J’espère beaucoup que vous ne condamnerez pas ce jeune Templemore. Ce serait une bien mauvaise action à faire.
Sir Arthur leva sur son épouse des yeux surpris, un peu choqués :
- Mais, ma chère amie, cela ne nous regarde ni vous ni moi : la décision appartient toute au jury.
- Oh ! dit Lady Draper avec douceur, vous savez bien que le jury suivra vos pas, si vous voulez.
Elle versa un peu de sauce à la menthe sur son gigot bouilli :
- Je serais bien fâchée pour cette petite Frances, dit-elle. Sa mère était une vieille amie de ma sœur aînée.
- Cela, commença Sir Arthur, ne saurait peser en aucune façon…
- Naturellement, dit vivement sa femme. Pourtant, dit-elle, c’est une enfant charmante. Ne serait-il pas horriblement injuste de lui tuer son mari ?
- Sans doute, mais enfin… La justice de Sa Majesté ne peut prendre en considération…
- Je me demande quelquefois, dit Lady Draper, si ce que vous appelez justice… Je veux dire que, quand la justice n’est pas juste, je me demande… Cela ne vous tourmente jamais ? questionna-t-elle.
Cette incroyable intrusion de sa femme dans l’essence même de sa profession laissa Sir Arthur si stupéfait qu’il ne trouva rien d’abord à répondre.
- D’ailleurs, continua-t-elle, de quel droit l’enverriez-vous à la potence ?
- Mais, chère amie…
- Vous savez bien qu’il n’a tué en somme, qu’une petite bête.
- Personne ne sait encore…
- Mais, voyons, tout le montre bien.
- Qu’appelez-vous « tout » ?
_ Est-ce que je sais ? répéta-t-elle. Par exemple, tenez : ils n’ont pas même de gris-gris au cou.
Sir Arthur devait se souvenir plus tard de cette réflexion, combien peut-être elle l’avait influencé ensuite au cours des débats ; car elle rejoignait la sienne, qu’elle lui rappela à l’esprit : les tropis ont-ils des tabous ?
Mais, sur le moment, il ne fut sensible qu’à ce qu’elle avait de saugrenu. Il s’exclama :
- Des gris-gris ! Est-ce que vous portez des gris-gris, vous ?
Elle haussa les épaules et sourit.
- Quelquefois je n’en suis pas sûre. Pas sûre de ne pas en porter, veux-je dire. Ni que votre belle perruque, au tribunal, ne soit pas un gris-gris, après tout.
Elle leva une main pour empêcher qu’il protestât. Il eut plaisir à remarquer, une fois de plus, que c’était une main fine et blanche, encore très belle.
- Je ne me moque pas du tout, dit-elle. Chacun a les gris-gris de son âge, je pense. Les peuples aussi, sans doute. Les plus jeunes ont les plus simples, aux autres il faut des gris-gris plus compliqués. Mais tous en ont, je crois. Or, voyez-vous, les tropis n’en ont pas.
Sir Arthur restait silencieux. Il regardait sa femme avec étonnement. Celle-ci poursuivait en pliant sa serviette :
- Il faut bien des gris-gris dès que l’on croit à quelque chose, n’est-ce pas ? Si l’on ne croit à rien… Je veux dire, on peut naturellement refuser de croire aux choses admises, cela n’empêche pas… Même les esprits forts, veux-je dire, qui prétendent ne croire à rien, nous les voyons chercher, n’est-ce pas ? Ils… étudient la physique… ou l’astronomie, ou bien ils écrivent des livres, ce sont leurs gris-gris, en somme. C’est leur manière à eux de… de se défendre… contre toutes ces choses qui nous font tellement peur, quand nous y pensons… N’est-ce pas votre avis ?
Il acquiesça silencieusement. Elle tournait sa serviette dans le rond de vermeil, d’un geste distrait.
- Mais si vraiment on ne croit à rien, disait-elle… si on n’a aucun gri-gri… c’est qu’on ne s’est rien demandé, n’est-ce pas ? Jamais. Dès qu’on se demande… il me semble… on a peur. Et dès qu’on a peur… Même, voyez-vous, Arthur, ces pauvres nègres tellement sauvages, que nous avons vus à Ceylan, tellement arriérés, qui ne savent rien faire, même pas compter jusqu’à cinq, à peine parler… ils ont quand même des gris-gris. C’est donc qu’ils croient à quelque chose. Et s’ils y croient… eh bien, c’est qu’ils se sont demandé… ils se sont demandé ce qu’il y a au ciel, ou ailleurs, dans la forêt, je ne sais pas… enfin des choses auxquelles ils pouvaient croire… Vous voyez ? Même ceux-là, ces pauvres brutes, se le sont demandé… Alors si un être ne se demande rien… mais vraiment rien, rien du tout… eh bien, je pense qu’il faut vraiment qu’il soit une bête, tout à fait, il me semble qu’on ne peut pas vivre et agir sur cette terre sans rien se demander du tout. Vous ne pensez pas ainsi ? Même un idiot de village se demande des choses…
Ils s’étaient levés. Sir Arthur s’approcha de sa femme et l’enlaça d’un bras raisonnable. Il mit sur son oreille un baiser discret.
- Vous m’avez dit des choses singulières, ma chérie. Elles me feront réfléchir, je crois. Si vous le permettez,je le ferai même tout de suite. Avant cette visite que j’attends.
Lady Draper frotta doucement ses cheveux gris contre ceux de son mari.
- Vous le ferez acquitter, n’est-ce pas ? dit-elle dans un sourire suave. J’aurais tant de peine pour cette petite.
- Encore une fois, ma chérie, le jury seul…
- Mais vous ferez ce que vous pourrez ?
- Vous ne me demandez pas de rien promettre, je suppose ? dit Sir Arthur avec douceur.
- Assurément. J’ai confiance en votre équité, Arthur.
Ils s’embrassèrent encore, et il entra dans son bureau. Il se plongea tout aussitôt dans un fauteuil profond.
- Les tropis n’ont pas de tabous, dit-il presque à haute voix. Ils ne dessinent pas, ils ne chantent pas, ils n’ont pas de fêtes ni de rites, pas de signes, pas de sorciers, ils n’ont pas de gris-gris. Ils ne sont même pas anthropophages.
Il dit à voix plus haute encore :
- Peut-il exister des hommes sans tabous ?
Il regardait avec une fixité distraite le portrait devant lui de Sir Weston Draper, baronnet, chevalier de la Jarretière. Il était attentif à une sorte de sourire intérieur qui lentement lui montait aux lèvres.
Vercors
les Animaux dénaturés / 1952
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Le Code Noir à l’ombre des Lumières : de Napoléon à Schoelcher
De belles éclaircies dans le ciel politique français. La grande nation retrouve les Antilles. Elle reprend pied à la Guadeloupe et à la Martinique et songe tout naturellement à reconquérir Saint-Domingue. Tout naturellement elle doit se donner les moyens de sa fin : dominer là-bas au Couchant, y produire, commercer. La loi du 30 floréal de l’an X (1802), en quatre articles, rétablit la traite, l’esclavage, le Code Noir et spécifie que les esclaves retrouveront, à tous points de vue, leur situation « juridique » d’avant 1789.
Deslozières, dont nous savons déjà l’inquiétude qui le tourmentait face au danger de « dégénération entière du peuple français » (1) exulte avec l’ensemble de l’opinion esclavagiste : « Et toi, féroce Africain, qui triomphes un instant sur les tombeaux de tes maîtres que tu as égorgés en lâche, (…) rentre dans le néant politique auquel la nature elle-même t’a destiné. Ton orgueil atroce n’annonce que trop que la servitude est ton lot. Rentre dans le devoir et compte sur la générosité de tes maîtres. Ils sont blancs et français. » (2)
La vision napoléonienne du problème afro-antillais est bien schématisée dans l’éructation de Deslozières. Pour que les maîtres blancs et français puissent sauvegarder leur maîtrise et en voir progresser vénalement les effets il faut réinstaurer la « loi de sang », le Code Noir, et gommer ainsi des mémoires des Noirs, et de leurs rêves si possibles, la moindre trace d’une possibilité de révolte (3). réinstaurer donc le Code Noir. Et poursuivre la traite. Il conviendra aussi, et c’est le troisième point, de dresser plus haut les barrières juridiques et raciales entre les Noirs et les métis, les métis et les Blancs, les Blancs et tous les sangs impurs (4). Napoléon ira jusqu’à ordonner à Leclerc d’expulser de Saint-Domingue toute femme blanche qui aurait eu des rapports sexuels avec des Noirs (5). Souvenons-nous des entrées que l’Ancien Régime semblait avoir ménagées, un temps, pour les Noirs et les métis sur le territoire métropolitain : on retrouve maintenant une interdiction totale de séjour, on la réitère (6). Une certitude : quoi qu’il en soit des récits colportés sur les motivations profondes du racisme maladif dont témoigne la politique antillaise de Napoléon, ses traductions juridiques n’allègent jamais les édits de 1685 et de 1724, elles les alourdissent toujours.
Culturellement, les positions des abolitionnistes de la fin du siècle, timorées pourtant, sont oubliées et bien oubliées. le thème de la stupidité naturelle du Noir, panachée désormais de férocité (Saint-Domingue oblige), jamais totalement enterré ni en métropole ni aux îles, envahit tout le terrain (7). Napoléon parti, la Restauration prend l’engagement de maintenir l’esclavage. On tue et on marque aux Antilles comme aux plus beaux jours du XVIII° siècle.
L’abolitionnisme renaît pourtant avec la Restauration. La première Société des Amis des Noirs avait francisé une initiative anglaise ; le mouvement abolitionniste du XIX°, autour des années 20, est à la traîne des initiatives prises outre-Manche par Wilberforce et Clarkson (8). Une comparaison des statuts des métis en territoire français, espagnol ou anglais de ces années-là montre qu’il vaut mieux être métis chez les Anglais, ou à la rigueur chez les espagnols que chez les Français (9). Le langage abolitionniste s’amalgame à des considérations moralisantes plutôt que revendicatrices et joue sur le registre de la charité ou de la bienfaisance, cependant que l’interdiction absolue de séjour – et de passage – en France des Noirs (10) reste en vigueur. Pas de mélange, plus du tout de risque de mélange.
Sur place, là-bas, les Blancs ne fléchissent pas et se disent fermement attachés au système discriminatoire sur lequel veille le Code Noir (11). La Couronne pousse à la christianisation effective (12) des Noirs et des métis, convaincue que c’est là le meilleur moyen de les tenir les uns et les autres courbés sous le devoir et de les éloigner de toute idée de révolte : le voisinage anglais et espagnol des Antilles françaises ne pouvait pas ne pas pousser les « esclaves » français à Dieu sait quels excès. cependant on quadrille et poursuit, on pend et on décapite. On fait aussi dans la mesure et dans la modération : à trois ans de l’abolition définitive et en référence au Code Noir et à des décrets postérieurs qui dosaient les coups et leur intensité, une loi de 1845 réduit les punitions corporelles et autorise l’esclave à monnayer sa liberté, que cela plaise au maître ou que cela lui déplaise (13).
C’est que l’Etat couronné penche, petit à petit, vers l’abolition. Par raison ? Par bonté d’âme ? Par intérêt ? Par accommodement aux pression étrangères ? Par tout cela à la fois et dans l’indifférence quasi-générale, quelque regain de l’abolitionnisme qu’on puisse noter sous Louis-Philippe (14). Les hommes d’Eglise s’inquiètent. Tout ce petit monde n’est pas prêt, disent-ils. Donnez-nous le temps de les rendre sociables et religieux, après quoi ils seront mûrs pour la liberté (15). On redécouvre, comme avant la Révolution, le charme vénéneux des « moratoires » (16), qui seront consacrés à « préparer l’esclave à son avenir d’homme libre par un dernier effort de moralisation » (17). remarquons en passant que la minorité protestante est, sans aucun doute, majoritaire sur les lignes de l’abolitionnisme ; et pas seulement parce qu’elle pousse plus loin que le commun l’analyse des réalités économiques favorables à l’émancipation et à l’accès des esclaves au droit, mais aussi pour des raisons théologiques, pastorales en tout cas, dont l’évidence saute aux yeux (18).
« Moraliser » les esclaves pour qu’ils soient dignes de la liberté, c’est une fort jolie chose : encore faut-il dédommager les maîtres. Voilà un point sur lequel planteurs et abolitionnistes semblent être d’accords (19). Planteurs et abolitionnistes que rejoignent sur ce point les penseurs les plus illustres. Ecoutons Tocqueville : « Si les Nègres ont droit à devenir libres, il est incontestable que les colons ont droit à n’être pas ruinés par la libertés des Nègres. » (20)
Victor Schoelcher lui-même songea dans sa jeunesse au dédommagement des maîtres, et à un moratoire précédant l’abolition, qu’il calibra entre quarante et soixante années, soixante lui semblant la meilleure longueur, le temps pour les maîtres de bien préparer leurs esclaves à jouir avec modération de la liberté à venir. Mais il ne tarda guère à constater que la mauvaise volonté des planteurs était, et demeurerait, incommensurable (21).
Si l’Etat sous Louis-Philippe libérait les esclaves de ses possessions dès 1845, Schoelcher avait abandonné toute idée de moratoire dès 1840. Dès cette année-là, il se battra indéfectiblement pour l’émancipation générale et immédiate. Assortie, certes, d’un dédommagement pour les maîtres. On sait avec quelle ténacité l’Alsacien, dont conservateurs, esclavagistes et bien-pensants raillaient la « négrophilie », lutta pour l’abolition sur le triple front de l’émancipation immédiate, de l’antiracisme sans nuance, de l’opposition à toute velléité de résurgence de la traite (22).
1848 : II° République. Des partisans de l’abolition sont au pouvoir. Schoelcher est nommé sous-secrétaire aux colonies. La II° République, qui ne vivra pas longtemps, a deux mois lorsque Arago – le Catalan – et Schoelcher abolissent définitivement l’esclavage. Le Code Noir passe pour toujours des prétoires aux archives.
4 mars : « Au nom du peuple français, le gouvernement provisoire de la République, considérant que nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves, décrète : une commission est instituée auprès du ministère provisoire de la Marine et des Colonies pour préparer, sous le plus bref délai, l’acte d’émancipation immédiate de toutes les colonies de la République. Le ministre de la Marine pourvoira à l’exécution du présent décret. » Le même jour Victor Schoelcher est nommé président de cette commission.
28 avril : « Le gouvernement provisoire, considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain « liberté – égalité – fraternité » ; considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l’abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres, décrète : Article 1, l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles [suivent huit autres articles]. Fait à Paris, en Conseil de gouvernement le 27 avril 1848. Les membres du gouvernement provisoire. »
Sur place en Amérique du Vent on ne glissera certes pas facilement du noir au rose, si j’ose dire. Trente ans plus tard, on parlera encore là-bas des innombrables méfaits de l’abolition ; la presse blanche n’en finira pas d’y remâcher la nécessité de rétablir l’esclavage, et de théoriser ferme sur l’infériorité et l’animalité des Noirs (23). Mais un pas définitif est donné avec l’abolition de 1848.
Certes, l’environnement international, politique et économique, exigeait l’abolition avec plus de force encore au milieu du XIX° siècle qu’il ne le faisait soixante ans plus tôt. Il convient néanmoins de souligner le courage et la ténacité d’un homme, dont les motivations ne semblent pourtant pas avoir été celles de quelqu’un qui aurait abreuvé son esprit à la source pure des Lumières. Un courage, une ténacité sans lesquels le Noir aurait eu droit aux fers et à l’inexistence juridique pendant Dieu sait combien de décennies encore. (24)
Et la traite ? Interdite dans sa forme officielle et classique dès avril 1818, elle ne s’effondre pas, loin s’en faut. Le trafic des négriers – illégal, mais réalisé au vu et au su de chacun – sera considérable jusqu’en 1833 au moins ; endémique et moribond, il n’en finit pas de ne pas désarmer. Illégal, ce trafic dont la France se débarrasse en suivant sans aucune originalité l’exemple de l’Angleterre est pratiqué encore après l’abolition. Sur d’autres itinéraires. Sans trop d’aménagements par rapport aux vieilles méthodes (25). A ce propos, « le mouvement abolitionniste français reste silencieux (…) En fait l’Abolitionniste français, son organe principal, prôna en 1849 l’adoption d’un système semblable pour l’Algérie. » (26)
Pourquoi l’Algérie ? Nous sommes à l’heure de la poussée française en Afrique continentale. La France ne veut plus chasser seulement dans le continent austral. Elle entend y rester. L’inonder, probablement, de ses Lumières ; y faire naître le soleil d’un autre matin.
A l’horizon, Ferry. Et le traité de Berlin : 1885, sinistre célébration du deuxième centenaire du Code Noir.
Au troisième centenaire, le blanco-biblisme mouille encore la lèvre de ceux qui assassinent en toute légalité des Noirs dont le seul crime consiste à exister sur leur sol et à y revendiquer l’exercice de la plénitude de leur droit. A paris, des graffiti énoncent dans les couloirs du métro, et dans ceux de la Sorbonne, cette stupéfiante équation : « Noirs = Singes verts ».
Louis Sala-Molin
le Code Noir ou le calvaire de Canaan / 1987
[les notes, étant très volumineuses, n'ont pas été reproduites]
Voir Petite histoire des colonies françaises aux éditions FLBLB
Sur le Silence qui parle : Petite histoire du grand Texas