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Danse contemporaine : les formes de la radicalité / Christiane Vollaire

Interroger le geste de la danse contemporaine, c’est beaucoup plus globalement interroger le geste esthétique dans toute sa radicalité. Radicalité qui, tout à la fois, constitue sa force comme une constante originelle dans l’histoire des hommes, et le détermine comme spécifiquement contemporain. La danse nous semble ainsi mettre le corps non pas seulement en mouvement, mais véritablement en jeu, et atteint en ce sens le cœur même de tout enjeu esthétique : la tension qu’il entretient en permanence entre pulsion et contrôle, entre naturalité et rigueur intentionnelle. C’est cet enjeu qui définit, dans sa violence même, l’humanité. Cette tension dans laquelle s’enracine l’humanité, on l’interrogera ici de trois façons : d’une part dans la manière dont elle prend forme dans l’esthétique sadienne, par un jeu de subversion de la naturalité ; d’autre part à travers l’exemplarité du travail chorégraphique actuel de Gilles Jobin ; enfin dans l’esthétique de la crise que génère nécessairement un tel mode tensionnel.

I. L’ordre sadien de la danse
Si le rythme, souvent qualifié de “primitif” ou de naturel, est pourtant bien ce qui appartient en propre aux hommes et ne se manifeste dans aucune autre espèce animale, on peut en dire autant de la danse, activité présente sous les apparences les plus diverses, non seulement dans toutes les formes, mais à tous les stades du développement culturel. Or la danse, en ce sens, ne semble pas seulement commune à toutes les pratiques culturelles. Elle serait bien plutôt l’objet culturel par excellence, celui qui nous permet de comprendre comment fonctionne toute culture par rapport à la nature : non pas en s’y opposant, en la niant ou en la dépassant dans un beau mouvement dialectique ; mais, littéralement, en la subvertissant, en soumettant le donné naturel au processus de son propre mouvement, pour l’inverser en geste culturel. C’est précisément de ce geste de subversion que témoigne le travail littéraire de Sade, et en ce sens il peut nous fournir un modèle d’interprétation de l’activité chorégraphique.

A. La violence naturelle comme principe de légitimité
Sade, en effet, se donne pour principe de légitimité l’ordre même de la nature, ordre violent où se manifeste la constance des rapports de domination à soumission. La nature est dans son essence même sauvage, c’est-à-dire essentiellement brutale et destructrice. Et l’ordre humain de l’interdit, établi en vue d’une pacification, ne saurait être qu’un ordre contre-nature, une dégénérescence opacifiante masquant la violence naturelle et nécessaire des rapports entre les vivants, et interdisant dès lors tout accès à la transparence de la jouissance, précisément parce qu’elle impose la paix. Mais cet ordre de la nature, il le figure dans un processus intégralement culturalisé. Il n’y a pas soumission des corps à l’ordre naturel, mais subversion de cet ordre dans une activité proprement culturelle : celle de la mise en scène des corps, qui les fait passer de la présence à la représentation. Tout le texte sadien est intégralement théâtralisé, destiné à donner à voir. Or le passage de la présence immédiate à la représentation est aussi passage d’un temps naturel (le présent de l’immédiateté sensible) à un temps culturel (les processus de mémorisation et de projection anticipatrice que suppose la médiation de la conscience de soi). Le passage de la vie vécue à la vie représentée est un passage de la spontanéité à l’oeuvre. C’est précisément l’acte même de la danse, que de théâtraliser la naturalité du corps, de faire œuvre de sa présence pour y introduire la médiation d’une représentation. Le geste dansé n’est pas le mouvement nu de la spontanéité, mais une énergie concentrée dans le mouvement ritualisé de l’acte communautaire.
Chez Sade, la mise en scène des corps suppose ainsi l’usage, dans son sens le plus contraignant, d’une direction d’acteurs, comme Barthes le met en évidence dans ses essais sur Sade : le dominant sadien n’est pas celui qui domine physiquement ou sexuellement (puisqu’il peut être aussi bien actif que passif), mais celui qui domine par la parole, c’est-à-dire celui qui donne les ordres. Celui qui impose l’ordre symbolique et sémiotique du langage, et contraint par là même l’ordre réel et biologique des corps. Danser en ce sens, c’est répondre à l’injonction, paradoxale et parfaitement sadienne, d’écouter son corps et de le dominer, de le suivre et de le diriger. C’est en quoi la direction d’acteurs impose aussi une rhétorique de la posture : le dominant est celui qui maîtrise une telle rhétorique et la met à son service. Le langage du corps est donc une symbolique qui donne forme culturelle au principe naturel de domination : il s’agit d’un code de figuration, et par là même d’une sémiotique. Or cette sémiotique interroge le principe même de la jouissance : pour qu’il y ait jouissance, il faut que quelque part soit présente la pulsion naturelle de violence et de domination, mais sous une forme codifiée, ritualisée, bref signifiante, c’est-à-dire porteuse d’un sens communicable. Et il faut que cette communicabilité du désir ne contredise pas l’épreuve radicalement individuelle de la jouissance. Bref, il faut atteindre ce point précis où la discipline devient non pas ce qui fait obstacle au désir, mais ce qui le suscite et le conditionne.
 Danse contemporaine : les formes de la radicalité / Christiane Vollaire dans Danse aude3-copie

B. Rhétorique et comptabilité
D’où, chez Sade, la fonction centrale du blasphème, de l’inceste, de l’acte même de transgression. Si l’interdit constitue bien une contre-nature, sa transgression n’est pas retour à la nature, mais accès à une plus que nature, à une nature essentialisée dans la discipline qui lui donne son lieu, autant que dans l’interdit qui lui donne son sens. La nature est ici respectable en tout, sauf dans ce qui la caractérise le plus essentiellement, à savoir sa spontanéité. C’est pourquoi la discipline s’applique moins à l’objet du désir qu’à son sujet lui-même : se rendre digne de la nature est, pour Sade, un véritable travail, une rigoureuse ascèse. Dans la perspective sadienne, c’est le dominant qui s’autodiscipline pour pouvoir soumettre son objet. D’où la nécessité, contre-nature par excellence, d’une comptabilité de la luxure, reprise dans le comptage chorégraphique des places, des pas, des mouvements et des rythmes. Le rythme qui scande la dynamique conduit aussi à mathématiser l’activité sexuelle, c’est-à-dire, par là même, à la techniciser. Ainsi Barthes peut-il écrire dans son premier essai sur Sade : “De la sorte, devant la scène sadienne, naît une impression puissante, non d’automatisme, mais de minutage, ou si l’on préfère, de performance.”1 Il n’est pas indifférent que le terme employé ici par Barthes soit celui-là même qui désigne l’une des modalités spécifiques de l’art contemporain, qu’il partage précisément avec la danse. Car le temps de la performance n’est pas un temps d’improvisation spontanée. C’est au contraire un temps programmé, prévu, codifié, concentré, déterminé aussi rigoureusement qu’organisé. Pour que la performance fasse œuvre, il faut qu’elle intensifie cette comptabilité du temps dans la présence, ne produisant l’intensité immédiate que par le renoncement à la spontanéité. Or c’est précisément cette intensification dans le geste d’un temps en quelque sorte dénaturé qui caractérise la danse. L’interprétation qu’en donne Barthes dans son second essai sur Sade conduit à la figure du tableau vivant, comme paradigme esthétique : “Le groupe sadien, fréquent, est un objet pictural ou sculptural : le discours saisit les figures de débauche, non seulement arrangées, architecturées, mais surtout figées, encadrées, éclairées ; il les traite en tableaux vivants ».
L’essence de la danse semble moins donnée ici dans la dynamique du mouvement que dans la statique suspendue du geste. C’est dire que cette attitude suspensive elle-même, dans sa non-naturalité, est au cœur d’un usage signifiant du corps : la nature qui fait sens dans un corps dansant est celle qui soumet l’ordre du temps à la scansion de l’espace. C’est cela que Bergson, dans L’Évolution créatrice, désignera comme “mécanisme cinématographique de la pensée”3 : le pouvoir de l’intelligence de culturaliser l’ordre du temps par son appropriation spatiale. Mais, définissant ainsi l’intelligence, c’est aussi le rythme qu’on définit, puisqu’il a précisément pour effet de substituer, à l’épreuve continue de la durée, l’épreuve discontinue d’un temps divisé, scandé. Faisant en quelque sorte du temps compté un temps non plus comme chez Bergson mis à distance, mais au contraire le temps le plus intensément vécu. Le temps le plus acculturé serait le temps même de la pulsation physique, et le rythme ne serait rien d’autre que cet oxymore d’une rhétorique pulsatile. La condition même de la jouissance.
Ainsi le rythme de la danse nous donne-t-il ce qui est au cœur même de la technique : l’appropriation de la nature par le savoir qu’on a sur elle est une position non pas simple et naïve, mais authentiquement subversive. C’est faire servir la nature à sa propre destitution, l’utiliser comme instrument de sa soumission. Chez Descartes même, dans le Discours de la Méthode, il ne s’agit jamais que de restaurer par le savoir une puissance qui est celle-là même de la nature ; de faire de l’homme le dépositaire des forces naturelles. Connaître la nature, c’est la plier à l’ordre du langage, c’est-à-dire à la discipline d’une méthode. Mais le pouvoir que donne cette puissance symbolique n’est à nouveau pour l’homme qu’un pouvoir d’ordonner la nature à sa propre mise en scène, de l’enchaîner à “l’ordre des raisons”. De même que pour Sade, selon Barthes, “il n’y a d’érotique que si l’on raisonne le crime”4 , de même pour Descartes, il n’y a de technique que si l’on raisonne le savoir, et la finalité du savoir est toujours technique, de même que la finalité du crime est toujours érotique. Dans tous le cas, l’ordre du langage est le moyen même de la jouissance, et plus encore, il en est la condition.

C. Subversion du biologique
Ainsi, la posture même de soumission à l’ordre naturel, d’écoute du biologique, telle qu’elle se présente dans la danse, est subversive parce qu’elle prétend réaliser ce qu’en réalité elle contredit ; parce qu’elle fait de son modèle même, biologique et naturel, à la fois l’objet de sa négation et l’instrument de son activité. Dans tous les cas, le corps expressif de la danse est un corps discipliné, c’est-à-dire nécessairement assujetti, au double sens, négatif du devenir soumis, et positif du devenir-sujet . Du premier sens relève la conception dualiste selon laquelle le corps doit être soumis par l’âme, dans un principe de hiérarchisation qui trouve son expression politique dans la danse classique issue de la danse de cour, comme le montre Agnès Izrine dans La Danse dans tous ses états (paru en 2002 aux éditions de l’Arche). La position du danseur-étoile y est celle du corps du roi, manifestant le rapport que la danse établit au pouvoir, dans son double usage politique et religieux. La hiérarchisation des corps dansants y est représentation corrélative d’une hiérarchie politique (soumission des sujets au souverain) et d’une hiérarchie existentielle (soumission platonicienne du corps à l’âme). Du second sens relève la conception moniste d’un corps-et-âme indissociable de la pulsion vitale. La discipline s’exerce alors à l’encontre du conditionnement culturel, pour permettre au sujet de restaurer en lui les énergies originelles dont il a été dessaisi. Et être à l’écoute de cette dimension fondatrice suppose un véritable travail ascétique, autant qu’une refondation rhétorique du corps, comme le montrent, en précurseurs de la danse contemporaine, les orientations de Laban autant que celles de Mary Wigman ou de Martha Graham, et plus tardivement celle de Merce Cunningham, jusque dans leurs filiations actuelles. Or, si la danse contemporaine ne revendique que cette seconde tradition, elle s’inscrit aussi nécessairement quelque part dans la filiation de la première, qui ne constitue pas seulement un épiphénomène, mais véritablement l’une des constantes de ce qu’on pourrait appeler le devenir-danse des hommes. Il y a bien en effet une double tradition de la danse, celle de l’extase et celle de la contrainte. Double tradition intégralement assumée en particulier dans l’esthétique de Merce Cunningham, organisant le passage de l’expression à l’abstraction. Extase comme déchaînement, possession, à l’encontre d’une contrainte comme discipline et hiérarchisation. Dimension de l’abandon à l’encontre de la dimension du contrôle ; dimension thérapeutique et communautaire à l’encontre de la dimension ascétique et hiérarchique. Mais aussi potentialisation de l’une par l’autre, s’il est vrai, comme le montre le paradigme sadien, que la discipline est la condition même de la jouissance, comme le langage est la condition d’une renaturation.
En ce sens, s’il est vrai que l’esthétique n’est rien d’autre que la potentialisation d’une sensation remaniée par le langage, elle coïnciderait avec la définition du désir comme pulsion remaniée par l’interdit. Et c’est cette double postulation elle-même qui produirait l’émotion, comme intensité mentale déterminée par la mobilité, puisqu’on retrouve dans le terme même d’émotion le verbe latin “movere” qui désigne le mouvement. La danse ne serait alors pas un art, mais le paradigme de tout art, ce qui définit l’art dans la radicalité contradictoire du désir esthétique, dans l’injonction paradoxale dont il est le lieu à l’égard de la nature, et qu’on a interprétée ici comme sa dimension sadienne : à la fois intégration d’une mémoire naturelle du corps primitif, et subversion de cette naturalité archaïque par la construction d’un langage physique.

II. Ontogenèse et phylogenèse : l’exemple de Gilles Jobin
A. L’archaïque et la communauté esthétique
Or qu’entend-on par “archaïque”, si ce n’est ce qui est antérieur à l’acquisition du langage articulé ? Le chorégraphe Gilles Jobin, qu’on voudrait prendre ici pour exemple, semble être ainsi un homme de l’archaïque, du commencement, du retour à l’origine. Un homme de la régression assumée. Mais ce qui caractérise cet archaïque est qu’il est collectif avant d’être individuel : la genèse de l’individu n’est que la réitération, ou l’expression particulière, de la genèse de l’espèce, et une telle réitération ne concerne les individus que dans la mesure où elle leur est commune. Ce qui donc, dans le travail de Jobin, est particulièrement troublant, c’est qu’on y trouve réinscrite une épopée de l’espèce, un devenir de l’humanité comme espèce animale spécifique, un devenir de l’animalité dans l’espèce humaine, ou une incarnation de chaque homme dans ce que Deleuze appelait dans Mille Plateaux un “devenir-animal”. Mais cette régression est la condition-même d’un enracinement du corps dans son origine, la recherche d’un fondement ontologique du corps dans sa naturalité biologique, dans sa dimension la plus élémentaire. Devant ce travail, on est ainsi sans cesse en train de réaccomoder au sens optique du terme, par une oscillation permanente entre ontogénèse et phylogénèse, entre devenir de l’individu et devenir de l’espèce, mais aussi entre histoire naturelle et histoire culturelle. La chorégraphie broie ici et mixe les éléments de l’évolution et ceux de l’histoire récente, les éléments psychanalytiques de la genèse de l’identité et les éléments mythiques de l’origine du monde, pour nous les jeter littéralement à la face. Ce faisant, ce travail cristallise, semble-t-il, ce qui est l’essence même de la danse : la manière dont elle ressaisit dans l’expression gestuelle toute la part de l’indicible textuel. C’est un défi, et quasiment une trahison, de parler du travail de Gilles Jobin, précisément parce que ce travail s’est intégralement construit sur l’inefficacité de la parole, ou mieux, contre la parole, pour surmonter l’obstacle que constitue le discours à la manifestation du corps. La danse est bien à cet égard une oeuvre de transgression de l’interdit lié au langage. On ne traduit pas ce travail en mots, parce que ce n’est pas un travail conceptuel ; mais tout au plus peut-on par le mot désigner de loin, dans la puissance du corps, ce qui dépasse le signe du mot, à la manière dont on fait signe du rivage à un navire qui s’éloigne, ou de terre à un avion qui prend son envol, pour tenter une ultime relation à un pouvoir qui échappe. C’est ce signe du rivage qu’on voudrait esquisser ici. Mais ce dont on est éloigné par la parole est aussi ce dont on se sent intégralement saisi par le corps. Si l’art transcende la parole, il ne peut jamais transcender le corps, parce qu’il en est, au sens propre du terme, la raison d’être : ce qui rend raison de son être.
L’activité esthétique est ainsi l’activité la plus spécifiquement humaine du corps, celle qui le reconnaît comme une entité pulsionnelle, porteuse d’une corrélation étroite entre sensation et émotion, dans laquelle le physique et le mental sont si étroitement enchevêtrés qu’ils sont indémêlables. Dans son ouvrage sur Le Corps, réédité en 95, Michel Bernard évoquait le concept de “coénesthésie”, fondé par la physiologie du XIXème pour définir l’interaction entre les différentes sensations éprouvées corrélativement par le corps. On pourrait à cet égard parler d’une coénesthésie du corps social : faculté qu’a le corps dansant de susciter l’identification collective la plus immédiate.La danse contemporaine est par excellence l’art dans lequel le corps du public est convoqué, un art qui n’est pas un art du spectacle mais un art de la faculté de sentir en commun, qui est précisément ce que Kant appelait “esthétique” dans son double sens : ce qui informe, de manière universelle, notre faculté de perception, et ce qui produit une émotion communicable. A cet égard, on ne peut pas parler de “spectateurs”, mais véritablement d’un “public”, d’une mise dans l’espace public commun du vécu du corps individuel. L’universalité de la danse tient précisément à ce qu’elle abolit la diversité des langues dans la présentification du corps. Rousseau écrit dans l’Essai sur l’origine des langues  : “Les premières langues furent chantantes et passionnées avant d’être simples et méthodiques.”5 Or ces premières langues constituent la matrice initiale de toute langue, le son musical comme origine commune de l’humanité, antérieurement à la différenciation culturelle du son articulé : on voit bien ici en quoi, dans cette quête de l’origine qui caractérise le travail de Rousseau, se retrouve le sens du travail chorégraphique de Gilles Jobin. En quoi il restaure par le mouvement cette origine commune de l’humanité que Rousseau cherchait dans la voix. On voit aussi en quoi ce travail touche à ce qu’il y a de commun en toute danse, à quelque culture qu’elle appartienne, et qui est la raison même pour laquelle la danse contemporaine est entrée en rupture avec son expression classique : une intensité immémoriale du corps irréductible à l’ordre du récit autant qu’à celui de la convention sociale qui fonde ce récit. Dans le ballet classique, le mouvement est orienté par l’ordre du discours, par la narration qu’il est supposé illustrer. Dans la danse contemporaine, l’ordre du mouvement abolit l’ordre du discours pour se substituer à lui. On est dans un temps sans narration.
a8-copie alain badiou dans Dehors

B. Poids du corps et dynamique de recyclage
Mais c’est aussi en quoi il n’y a pas, dans le travail de Jobin, de thématique qui serait formalisée dans une gestuelle : l’objet de la danse et la forme dansée ne font qu’un. C’est l’attitude même du corps, sa manière d’être rivé au sol plus que son mouvement, qui ne cesse de réitérer le motif de l’enracinement originel qui traverse ce travail. Et il s’agit bien d’un motif au sens musical du terme : la sensation structurante qui tisse l’œuvre. C’est ainsi au même sens où Jung parle d’inconscient collectif en psychanalyse, que l’on peut parler ici de corps collectif : un corps de l’humanité, dont son travail chorégraphique accouche. Un corps chorégraphique en travail dans le sens d’une parturition. Car il n’y a rien de léger dans les chorégraphies de Jobin, rien d’aérien, rien d’expansif ; rien, à vrai dire, de jouissif, rien de dansant au sens nietzschéen du terme, rien de cet état d’apesanteur qui caractérise la danse selon Nietzsche. On est au contraire, précisément par cette volonté d’enracinement, dans la pesanteur. La danse n’y est rien d’autre que la conscience du poids du corps, de son rattachement à la terre, de son incarnation violente, de sa gravité dans tous les sens du terme. Au point même que ce poids finit par résumer le corps tout entier, réduit dans plusieurs séquences à l’inertie du cadavre.
Jobin réussit ainsi ce tour de force, de faire du cadavre un sujet chorégraphique. Mais, ce faisant, il s’inscrit dans l’une des grandes traditions picturales du Moyen-Age, qui est celle de la danse macabre, et qu’on voudrait interroger ici, pour montrer à quel point ce travail exclut paradoxalement toute dimension morbide. La danse macabre réalise en effet l’expression picturale d’une volonté ambivalente : d’une part elle est supposée montrer, en période post-épidémique, un triomphe de la mort et une égalité des conditions devant elle, renvoyant à ce que Nietzsche dénonçait dans la religion chrétienne comme “adoration du cadavre” ; mais en même temps, elle montre une pure cyclicité biologique excluant toute transcendance, dans un mouvement qui, sous le déguisement du squelette, demeure celui de la vie. Or cette seconde intention nous semble exactement similaire de celle de GJ : volonté de représenter la statique de l’immobilité de la mort dans la dynamique du mouvement de la vie. Ce qui pousse à danser la mort est cette intention prométhéenne de réinscription de la mort dans un cycle vital, de recyclage de la mort individuelle en moment de la vie de l’espèce. Et c’est de cette volonté de recyclage que nous semble participer le travail de Jobin, dans un “Tout est vie” très proche du “Tout est nature” de Spinoza. Le jeu y travaille incessamment sur cette relation alternative du statique au dynamique, qui met aussi en oeuvre les effets tactiles. Dans ses chorégraphies, les corps se touchent par la main, comme dans la danse macabre, ou comme dans les vieilles figures de la ronde : figures d’intégration sociale des jeux enfantins, des fêtes rurales ou des rites de fécondité. Il s’agit de manifester une communauté des corps, tout autant que de créer un corps commun.
Mais ils se touchent aussi de corps vivant à corps mort : c’est la manipulation du cadavre, du corps devenu objet, du corps désubjectivisé. Or ce processus de désubjectivation des corps n’a jamais cessé de faire l’objet d’une esthétisation, que ce soit dans les descentes de croix de la tradition chrétienne baroque, dans les représentations des camps d’extermination, photographiques ou picturales comme chez Zoran Music, ou dans l’ambivalence des photographies contemporaines des charniers de l’Europe de l’Est et du Rwanda, érigées en œuvres d’exposition : les corps à la pelleteuse. Le travail de Jobin nous semble se situer à l’opposé d’une telle complaisance morbide par ce qu’on pourrait appeler la dimension clinique de sa chorégraphie. Ce n’est pas le regard voyeur sur le corps qui est ici convoqué, mais l’épreuve anticipatrice dans son propre corps de la dimension du cadavre, la virtualité dont il est objectivement porteur. C’est tout ce qui est occulté dans la réalité hospitalière et quotidienne du corps, que le chorégraphe met ici en scène corrélativement à l’évocation des charniers : déshabillage, toilette du mort, transfert du lit au charriot et du charriot au tiroir de la morgue. Mais ce sont des corps vivants qui nous le donnent à voir et à éprouver, non dans un processus de mimèsis, mais dans une activité d’incarnation. Du devenir-animal au devenir-mort, il n’y a qu’un pas de danse, que la manipulation chorégraphiée nous fait éprouver de la façon la plus radicale, incarnant ainsi dans la dynamique de la danse l’impossibilité d’une fixation du sujet dans l’être.

C. Mémoire du corps et distance abstractive
Si la mémoire des camps d’extermination est ici convoquée, ce n’est donc pas dans une intention consensuellement commémorative, mais au sens même où elle s’inscrit dans une réalité constante de l’humanité, de ce que Robert Antelme appelait, précisément à son retour des camps, “l’espèce humaine”. La danse de Jobin ne dénonce pas les charniers, ils ne sont présentés par elle que de la façon la plus clinique, comme une figure du réel recyclée dans l’acte chorégraphique, de façon presque documentaire. Or il se trouve que ce rapport de l’inertie à la manipulation est aussi inscrit dans le passé de notre propre corps, dans l’expérience du nouveau-né, manipulé de la façon la plus originelle pour l’accouchement, avant de l’être quotidiennement pour les soins du corps : corps-objet approprié par l’environnement médical avant de l’être par l’environnement familial. C’est de cette perpétuelle dépossession du corps que traite le travail de Jobin. C’est pourquoi le toucher lui-même y est un toucher sans affect de corps animalisé, une expérience tactile du monde et de l’autre, un tâtonnement qui sert à la détermination de l’équilibre, ou à la reconnaissance de sa propre position dans l’espace. Un contact animal, purement utilitaire ; un sensitif dénué de sentiment. Une approche précisément archaïque, c’est-à-dire à la fois infantile, primitive et originelle du monde. Les corps y ont la sensibilité d’une tête chercheuse, les visages y sont dépassionnés, sans sourire ni expressivité. S’il y a extase, c’est au sens originel du terme celle de l’absence, à la manière des figures de William Forsythe, plutôt que celle de la jouissance comme chez Loïe Fuller.
Mais c’est cette dépathétisation même qui suscite l’émotion du public : ce qui lui est jeté au regard dans la plus grande froideur ne peut que mobiliser ses affects. Plus la détermination de l’artiste est clinique, privée de decorum ou de sentimentalisme, plus l’effet qu’elle produit est intense, plus elle touche, par sa radicalité même, à une racine de l’humain, à une profondeur qui n’a pas été atteinte par le discours. Or cette dépathétisation du corps est liée, dans l’acte chorégraphique, à sa spatialisation. Merce Cunningham prononce dans un entretien cette formule saisissante : “Le danseur produit l’espace qui l’habite”. Cela signifie d’abord que c’est l’espace intérieur, ce que Michaux appelait “l’espace du dedans”, qui est extériorisé par la danse. Mais cet espace du dedans ne se constitue que de notre rapport à celui du dehors. L’espace scénique est donc un espace modulé corrélativement par l’intériorité du danseur et par les interactions environnementales dont elle se constitue, un espace cosmique en même temps qu’un espace intime. C’est de cette tension entre dimension clinique et dimension intime, que naît la force du geste chorégraphique. Gilles Jobin se situe ainsi au coeur du paradoxe suscité par le travail de Cunningham, qui est de faire œuvre de la quotidienneté du geste, de sa trivialité. On est à l’opposé de la danse sacrée, mais aussi à l’opposé d’un corps métaphorisé. Le corps désacralisé ne représente plus que lui-même, et c’est là qu’il trouve son intensité. Il est l’entité pulsionnelle qui donne sa visibilité au désir ; et la danse est le statut esthétique accordé à cette visibilité. Mais ce corps désacralisé n’abandonne sa dimension métaphorique que pour accéder à une dimension métonymique : la valeur chorégraphique du corps du danseur ne tient qu’en ce qu’il est la représentation de tout corps. On peut dire à cet égard que GJ radicalise la position de Cunningham par le choix qu’il fait du vêtement : non pas un justaucorps qui souligne l’harmonie des proportions, mais une banale tenue de jogging. C’est ce qui donne sens au processus de dénudation. Le justaucorps rend le déshabillage inutile parce qu’il est une seconde peau, la forme socialement acceptable du nu, c’est-à-dire aussi sa sublimation : le collant est une magnification de la nudité du corps, qui en révèle les formes en en masquant les plis et les pilosités. Au contraire, dans le travail de Jobin, à partir du vêtement ordinaire, la dénudation est une véritable et brutale mise à nu, aléatoire, souvent partielle, qui laisse à découvert la trivialité du corps. Elle est, là encore, l’objet d’une manipulation chorégraphiée évocatrice du viol.
Or ce rapport à la trivialité et à la violence est, lui aussi, historiquement construit, par sa relation à l’art contemporain. Il est clair, à cet égard, qu’on peut dater l’émergence progressive de l’art contemporain, de la rupture née de la seconde guerre mondiale, et du bouleversement esthétique qu’elle a engendré. Qu’aurait été, à partir des années soixante, le travail purement conceptuel d’On Kawara sur le temps, s’il n’avait, dans les années cinquante, dessiné les visages mutants de l’après-Hiroshima sous le titre de “Thanatophanies” (apparitions de la mort) ? Un tel travail plastique est à rapprocher de l’apparition chorégraphique du “Butô” au Japon, liée à l’ère post-atomique : régression du corps empoussiéré vers une terre originelle. Mais il est aussi à rapprocher de l’actionnisme viennois qui lui est contemporain dans ce qu’Adorno appelait, dans les Minima Moralia, “l’après Auschwitz”, comme exhibition dans la performance artistique d’une violence faite au corps, à la fois radicalement humaine et totalement déshumanisante. Ce que montrent en particulier les photographies des performances mutilantes de Schwartzkogler dans les années soixante. C’est d’une fracture dans la représentation que l’homme peut se faire de lui-même, que peut émerger un nouveau courant esthétique, et la guerre est par excellence le facteur déclenchant d’une telle fracture. De ces filiations-là, le travail de Jobin est aussi tributaire, et une chorégraphie comme celle de “Bloody Mary” a toute la violence retournée contre soi de l’actionnisme, y compris dans sa dérision. Mais c’est aussi d’un rapport entre l’abstraction conceptuelle et la chorégraphie, que témoigne ce travail, comme le montre le titre même du “Ruban de Mœbius” pour l’une de ses dernières créations : la continuité du cycle vital y est rapportée à la détermination géométrique de la figure continue, ou des surfaces indifférenciées. Le tout dansé sur un espace au sol mathématiquement quadrillé. Cette relation entre vécu du corps et abstraction crée ainsi une forme de distance ironique, spécifiée par les dissociations temporelles du mouvement. Jobin use du ralenti du geste à la manière dont en use actuellement le travail vidéographique de Bill Viola : non pour magnifier le mouvement, mais au contraire pour mettre en évidence le rapport problématique du corps à l’espace environnant, pour faire saisir les jeux de déséquilibre qui construisent sa position. Mais cette distance se spécifie aussi par les dissociations spatiales de la chorégraphie, qui en rendent souvent le travail authentiquement photographique. Par exemple, à un moment, le dos plié d’un danseur est éclairé par le faisceau lumineux d’une lampe de poche, de telle sorte que la saillance des vertèbres devient un véritable relief géographique, dans son mouvement ondulatoire. Une telle image nous renvoie au museum d’histoire naturelle, à la classification des vertébrés, au processus originel de la verticalisation. Mais tout aussi bien est-elle évocatrice de l’activité radiographique, d’une véritable clinique de l’espèce humaine mise en lumière et focalisée comme un objet spécifique sur la scène, dans la dynamique du gros plan. On est ainsi renvoyé au travail photographique d’Etienne Jules Marey, à la fin du XIXème, sur l’ossature du mouvement, dans sa dimension corrélativement esthétique et biologique. Ce travail à vocation scientifique sur la dynamique du corps constituera par exemple la matrice esthétique du “Nu descendant l’escalier” de Duchamp en 1912, à propos duquel Duchamp écrivait : “J’ai voulu créer une image statique du mouvement : le mouvement est une abstraction, une déduction articulée à l’intérieur du tableau”.
La Ribot, chorégraphe et danseuse, donne dans une vidéo une définition de la contemporanéité qui désigne parfaitement le travail de Jobin : “Travailler dans la présentation des choses plutôt que dans la représentation”. C’est effectivement à la brutalité de cette présentification qu’il vise. Pour lui en effet, la danse manifeste plutôt qu’elle n’exprime. Et ce qu’elle manifeste est un noeud de contraintes qu’il s’agit d’actualiser par le geste : elle n’est pas libération du corps, mais mise en scène de son aliénation, et en particulier, par le travail horizontal, de son aliénation à la terre. En même temps, y font irruption des moments de véritable magie, comme cet acmè de “Braindance” où le corps inerte de la danseuse, passivement redressé par la manipulation, trouve par la seule force d’inertie son état d’équilibre vertical, comme dissocié de l’espace-temps. La contemporanéité du travail de Jobin tient donc aussi dans une forme d’intemporalité : la manière dont il ressaisit les moments du devenir collectif, pour les réinscrire, par l’intensité in carnante et abstractive du travail chorégraphique, dans notre vécu perceptif individuel. Il fait alors de la danse un art au sens le plus rigoureux du terme : une reconstruction du devenir de la sensation par la production esthétique.

III. Une esthétique de la crise
A. Valeur polémique de la danse
C’est ainsi de toutes ces manières que la danse entre dans la catégorie des arts du temps, ceux dont l’exhibition requiert un laps de temps, une distance temporelle, ceux dont la présentation ne peut se faire que dans la durée. Elle partage ce statut avec le théâtre, la musique et le cinéma. Mais la durée de la représentation se confronte elle-même à une autre durée, celle de la préparation. Entre la temporalité longue de la gestation du spectacle, de sa conception, de son organisation, de ses répétitions, et la temporalité brève, sans retouche possible, de la représentation, il se produit un véritable hiatus. Ce hiatus s’accroît du statut ambigu et contemporain de la performance. Ce concept est en effet désormais commun aux arts plastiques et aux arts réputés traditionnellement du spectacle, obligeant à identifier les domaines ou à trouver entre eux des voies de passage et de circulation. Or la notion de performance dans la danse contemporaine suractive le hiatus temporel, dans la mesure où le temps même du spectacle s’inscrit dans un processus de réélaboration. La performance n’est en effet pas un improvisation, mais elle inclut, dans le rendu final d’un travail préparatoire intense, la dimension de l’impréparé, de l’imprévisible. Le surgissement d’une nouvelle temporalité qui subvertit l’essence même du spectacle comme préméditation d’une forme. Il y a dans la performance une dimension d’immédiateté, qui en fait le surgissement d’ un événement pour l’acteur lui-même et non plus seulement pour le spectateur, et cette rupture temporelle constitue une véritable mutation du statut du spectacle. Laurence Louppe écrit : “L’état performatif est une faille qui donne à l’œuvre son existence.”6 Cette faille oblige à considérer le contexte de la performance comme celui d’une esthétique de la crise, qui ne met pas seulement en danger le danseur ou le spectateur, mais le concept même de spectacle, tant il est vrai que ce qui se donne à voir dans la performance est moins son résultat, qui la produit. Le verbe grec “krinein” signifie en effet juger, décider, et par là séparer. L’esthétique de la crise est donc une esthétique de la rupture : en faisant le partage entre deux temporalités, elle détermine un nouveau cycle. Être en crise, c’est ne plus pouvoir faire fond sur la temporalité antérieure ou sur les acquis précédents, c’est être livré à l’indétermination. Entrer en performance, c’est donc prendre le risque majeur de ce basculement dans l’indéterminé.
Mais ce basculement, produit dans l’espace public, se potentialise de la complexité des relations que la danse établit entre corps physique et corps social. C’est peut-être en effet un des premiers effets de toute organisation sociale, de produire l’injonction paradoxale de la valorisation du risque d’un côté, et de l’exigence de sécurité de l’autre. C’est pourquoi l’un des premiers effets du langage dans la constitution du corps social est la production de l’ “epos” : le discours sur l’acte, qui n’est précisément que la valorisation discursive de ce qui n’est plus en acte. L’épopée n’est pas le fait des guerriers, mais le fait des poètes ; et c’est elle, plus que les actes, qui construit l’histoire comme regard rétrospectif sur le monde. Non comme action, mais comme parole. Chanter les exploits, les dangers et la mort des guerriers ne peut se faire que dans la quiétude d’une paix instituée. Le théâtre, comme l’analyse la Poétique d’Aristote, a cette fonction politique d’une exaltation cathartique de la violence. Et la catharsis réalise précisément cette injonction paradoxale de la valorisation du risque au service d’une exigence de sécurité : la catharsis est ce qui, par la puissance du regard sur la violence, nous dispense de la violence de l’action.
En ce sens, les discours contemporains ne font que reproduire, dans leur dimension la plus consensuelle, cette double unanimité contradictoire de la valorisation du risque et de l’exigence de sécurité. D’un côté le culte du gagnant, de l’affrontement au danger, du courage ; une mise en scène héroïsante du monde dans les sports violents ou les jeux autour de la guerre, le besoin du spectaculaire. De l’autre, l’essor exponentiel des compagnies d’assurance, les succès électoraux des discours sécuritaires, la tendance au repli familial ou identitaire, l’encouragement des dispositions régressives. Dans La Société du spectacle, Guy Debord, en 1967, mettait en évidence cette aliénation des sujets réduits à devenir spectateurs des risques dont ils ne sont pas acteurs, passifs face à des dangers purement virtuels qui ne les mettent pas en danger.
C’est précisément ce consensus contradictoire, que l’expérience de la danse contemporaine est susceptible de remettre en cause, dans la mesure où cette expérience apparaît d’abord dans sa dimension polémique, pour le spectateur comme pour l’acteur. La danse contemporaine peut en effet se définir, par sa mise en scène de la tension des corps, comme un art de combat, une activité de résistance qui ne peut s’affirmer que contre, comme le montrait déjà la posture de Martha Graham, celle du corps en réaction, du corps tragique.
a6-copie-2 Aude Antanse dans Désir

B. Tension entre résistance et abandon
Parce qu’elle est représentation d’une résistance, la danse contemporaine s’affirme ainsi d’abord comme force de lutte contre la contrainte culturelle. Dans Poétique de la danse contemporaine, Laurence Louppe se réfère à la pensée de Michel Foucault pour donner à la danse le sens politique d’une lutte contre les volontés d’oppression et de régulation des corps. Dans la mesure où le rapport d’oppression n’est jamais un rapport symbolique, mais toujours un rapport de forces physique, la danse elle-même ne se présente plus, contrairement à sa version classique, comme un agencement de signes, mais comme une mise en oeuvre de forces : “De la force, la danse contemporaine fera un ressort esthétique fondamental, qui recouvrira et débordera le pouvoir de visibilité du signe.”7 La danse exhibe ainsi ce que le carcan social impose de refouler : la force d’expression est une force de refus de l’inhibition sociale, et dès lors de transgression de l’interdit, comme l’affirme Ivan Goll en parlant de l’ “irrecevable du corps” à propos du travail de Mary Wigman. Les photos qu’en donne Charlotte Rudolph en 1925 mettent en évidence, dans la statique même, cette force de résistance, ce refus de l’harmonie chorégraphique, la brutalité discordante qui confronte le danseur au risque de n’être pas reçu du public. L’ “irrecevable du corps” manifeste ce premier danger pour l’artiste que constitue l’esthétique de la réception. Kant, dans la Critique de la Faculté de Juger, en fera l’un des objets de l’ “Analytique du sublime” : la tension entre attraction et répulsion qui désoriente le jugement esthétique. Chez Merce Cunningham, à partir des années soixante, une telle attitude pousse à mettre en scène les gestes triviaux, élémentaires, faisant spectacle des rebuts de la visibilité. Mais ce déploiement d’énergie et de tension s’opère aussi à l’encontre des contraintes naturelles. Ce n’est pas seulement la loi sociale, ce sont aussi les lois de la nature qui sont ainsi mises au défi. C’est à elles que le danseur s’affronte, mettant aussi son corps en danger par des formes de dénaturation. C’est ce qu’impliquent toutes les attitudes de suspension du temps ou de décomposition du mouvement, qui manifestent la précarité du corps. C’est ce qu’appellent aussi les élancements contre la pesanteur, renvoyant la danse du côté de l’excès et de la démesure, dans le versant nietzschéen d’une danse aérienne, métaphore de la légèreté de pensée, à l’encontre de l’esprit de pesanteur : c’est une telle interprétation qu’en donne Alain Badiou dans le Petit manuel d’inesthétique : “Il y aurait dans la danse la métaphore de l’infixé”.
À ce double rapport de résistance, à l’ordre social et à celui de la nature, la danse oppose cependant, corrélativement, l’attitude antagoniste de l’abandon. Abandon à la gravité originelle, mettant en évidence le rôle positif du poids comme facteur de la circulation du corps. La pesanteur, loin d’être un obstacle à surmonter, devient au contraire le moteur du mouvement. Dans les chorégraphies actuelles de Gilles Jobin, le corps-masse est le sujet même de la danse, et la force d’inertie en devient la seule dynamique. Ce qu’un tel concept interroge, c’est l’essence même du corps, puisqu’un corps mû par sa seule inertie n’est rien d’autre qu’un cadavre. Le corps chorégraphié est alors réduit à un pur objet de manipulation, et la scène devient charnier, entassement et réorganisations successives de chairs privées de dynamique interne. La mise en scène de cette pesanteur est alors celle de la perte du sens, par la densité d’un corps rendu d’autant plus présent qu’il est dévitalisé : un corps violenté, que la violence même ne peut plus atteindre. Le corps pondéral dit ainsi ce qu’est l’essence matérielle du corps, sa réalité brute privée de toute animation, et d’autant plus choquante qu’elle devient l’objet d’un processus chorégraphique. Le risque de l’abandon, c’est celui de l’affrontement à la mort dans l’activité de la danse : une mort intériorisée dans le corps en danse, qui anticipe par là sa propre mort. Mais l’abandon du corps dansant est aussi la manière dont il se livre à la circulation énergétique des flux. “Qu’aucun blocage ne s’oppose à la fluctuation”, dit Trischa Brown . C’est-à-dire que rien ne résiste à la dynamique physiologique de la circulation. La danse convoque ici le corps biologique, dans la dimension de ce que Deleuze, à la suite d’Artaud, appellera le “corps sans organe”, réduit à un lieu de transit, de passage des influx nerveux et des circulations liquidiennes, un corps par là corrélativement abandonné à sa dynamique interne et mis en relation avec le tellurique.
Dans la résistance et dans l’abandon se manifestent ainsi deux formes antagonistes du risque : celui du conflit contre l’ordre, qu’il soit naturel ou culturel ; celui de la désubjectivation, puisque l’abandon est précisément la perte de la reconnaissance de soi comme sujet, l’émergence d’une indétermination. Une position dans laquelle le mouvement, en présentant le corps dans sa dimension la plus physique, conduit paradoxalement à le déréaliser.

C. Instabilité et maîtrise ; intériorité et exposition
Dès lors, la danse contemporaine, comme expérience des limites, semble remettre en jeu tout ce qui définissait classiquement l’équilibre. “La vie commence avec l’instabilité”, disait déjà Mary Wigman, dans une orientation parfaitement nietzschéenne, puisque l’instable est ce qui s’oppose aux volontés fixatrices et délimitantes de la raison. Le corps dansant est un corps intentionnellement déstabilisé, et les créations contemporaines jouent sur cette dynamique du vacillement et du déséquilibre, à partir du principe d’incertitude qui caractérise les orientations de la post-modernité. Les hésitations du corps, ses retraits, ses atermoiements, ses oscillations, restituent en quelque sorte ce premier risque oublié qu’a constitué pour chacun l’apprentissage de la marche : le danger permanent de la chute, l’incertitude sur la position du corps dans le monde, le vertige du rapport de la conscience à l’espace, la difficulté à trouver son centre de gravité. C’est la mémoire du corps qui est ici convoquée, dans la dimension déstructurante de la régression. Ainsi la formule même de Mary Wigman est-elle ambiguë : dire que “la vie commence avec l’instabilité”, c’est montrer dans l’instabilité la double dimension de la puissance vitale (puisqu’elle est la condition du mouvement) et de la précarité (puisqu’elle définit notre statut originel). L’instabilité du corps produit alors des effets de dislocation : le corps instable par rapport à l’espace est aussi un corps qui perd sa propre unité interne et voit se disloquer son propre “espace du dedans”, selon la formule de Michaux. Ainsi la dislocation peut-elle être interprétée corrélativement comme perte de l’unité du lieu (“locus”) et comme perte de l’unité de la parole (“loquor”) : le corps disloqué est un corps aphasique, comme le montrent les chorégraphies de Pina Bausch, dans lesquelles l’impossibilité d’aménager l’espace va de pair avec la dimension saccadée et autistique du mouvement. Un “expressionnisme”qui n’est que la manifestation de l’impuissance à s’exprimer. Or, de cet indécidable du corps, provient aussi sa plasticité : la danse n’est pas seulement mouvement du corps dans l’espace, mais mouvement même de l’espace du corps, c’est-à-dire capacité de métamorphose. Le corps dansant devient l’objet plastique par excellence, celui qui n’a pas d’identité.
Mais l’objet plastique est celui qu’un art peut maîtriser, et c’est précisément le paradoxe du danseur d’être à la fois sujet et objet de son art. Par les finalités spécifiques qu’elle s’impose, la danse contemporaine doit donc conjuguer deux exigences contradictoires : celle de laisser émerger les dimensions indécidables et indifférenciées du corps, sa maladresse et sa précarité, et celle d’assurer la maîtrise et le contrôle absolu de leur représentation. On pourrait dire, dans le vocabulaire aristotélicien, que sa cause matérielle ( son matériau initial, ce dont elle doit faire art) est contradictoire de sa cause formelle (de l’exigence même d’une forme, ou des impératifs d’une formalisation esthétique). Ainsi la danse doit-elle assumer le risque d’une tension permanente entre la nécessité d’une maîtrise rigoureuse du corps, des énergies, des flux, de la spatialité (supposant entraînement, préparation, virtuosité et discipline), et la mise en œuvre incessante de ce qui contredit cette maîtrise : la nécessité d’être à l’écoute de l’informe.
Or être à l’écoute impose un corps concentré dans tous les sens du terme : réflexif, questionnant son centre, lieu d’une concentration d’énergie. Corps intériorisé jusqu’à l’abstraction, puisque la danse, dans sa radicalité, interroge toujours l’essence du corps. Le danseur, ramassé sur lui-même, fait de sa corporéité l’enclosure de sa singularité, et de sa danse un corps à corps avec lui-même. C’est la dimension proprement méditative de la danse, celle de l’accès à l’intime. Il y a là quelque chose de l’expérience mystique, comme éprouvé d’un abîme intérieur, qui renvoie autant au “deus interior intimo meo” de Saint Augustin, qu’aux principes de la méditation transcendantale, tant il est vrai que l’épreuve de la transcendance n’est rien d’autre que celle du caractère abyssal de l’intériorité, et de son vertige ; de l’inconnu en soi, qui est aussi l’objet de la recherche psychanalytique. L’abord de ce vertige intérieur est peut-être alors l’une des formes les plus radicales, et les plus vitales, du risque auquel s’affronte le danseur : le corps intériorisé ne peut que mettre l’esprit en danger de dissolution, tant il est vrai que l’intériorisation du corps met en évidence l’essence physique de la conscience elle-même, dynamitant le confort des dissociations dualistes entre âme et corps, et dès lors interdisant au corps de faire fond sur l’âme.
Mais en même temps, le geste même de la danse retourne cette intériorité en extériorité ; le corps dansant est un corps dont l’intériorité a été retournée comme un gant , pour devenir spectacle. Le corps du danseur est ainsi l’équivalent du corps de l’écorché, exposant sans protection ce que le corps humain ordinaire occulte dans ses profondeurs, et y donnant accès au regard de l’autre. Ainsi le danseur fait-il œuvre de son propre corps en lui accordant ce qui pour Benjamin définit la dimension contemporaine de l’art : sa valeur d’exposition. Cette fois, c’est dans une esthétique de la réception que se situe le risque de la danse : dans le geste, obscène au sens originel, que constitue la publicité de l’intime, son exhibition. Car ce geste, évidemment, convoque le désir du spectateur. Il est saisissant, au tournant du XXème siècle, d’établir le parallèle entre les photographies d’ “hystériques” prises dans le service de Charcot, et les photographies de Loïe Füller prises lors de ses exhibitions chorégraphiques. Outre que, visuellement, le jeu des voiles sur les secondes renvoie aux plis des draps sur les premières, ce qui saisit est la commune expression d’extase qui se lit sur le visage. Ce que dit d’abord ici la photographie, c’est la visibilité de la jouissance ; la manière dont la danse, identiquement à l’aliénation, exhibe le vécu le plus intime et le plus intense, celui de la sexualité. Si l’oeil du photographe le capte aussi avidement, c’est qu’il s’est d’abord donné à voir, dans un sourire qui n’est pas celui de la coquetterie, mais celui de la transe et de la dépossession de soi. Cependant le corps exposé peut aussi être un corps désexualisé, corps réduit à la maigreur androgyne, n’exposant sa nudité totale et immédiate que dans un geste antagoniste de celui du streap-tease. C’est le sens du travail de La Ribot, exposant la nudité comme une forme de dérision burlesque, et la chorégraphiant en séquences successives de mise à distance du désir. C’est aussi, sous une autre forme, le sens du travail de Mathilde Monnier photographiée par Isabelle Waternaux : une radicalisation du corps et du mouvement, qui fait tendre le nu vers l’épure d’un corps brut dans sa fluidité dynamique. Le nu, sorti de son contexte érotique, y devient d’autant plus dérangeant, intriguant, difficile à regarder, qu’il apparaît dans sa plus extrême élémentarité. Le risque apparaît alors bien comme un risque réciproque, celui de la production autant que celui de la réception. Risque de l’affrontement au regard pour le danseur, risque de l’affrontement identificatoire à l’élémentarité de son propre corps pour le spectateur. Si le corps corrélativement intériorisé et exposé est donc par excellence un corps vulnérable, il justifie pleinement cette injonction d’Helen Mac Gehee citée en exergue de son ouvrage par Laurence Louppe : “Nous devons être assez forts pour accepter d’être vulnérables”.
On le voit, la danse contemporaine est porteuse de tous les éléments d’instabilité, de déconstruction, de tension, de contradiction, que déploie la culture post-moderne depuis ce que Jean-François Lyotard a appelé “la fin des grands récits”. En cela, le risque qu’elle véhicule est protéiforme, lié autant à la dimension de sa production qu’à celle de sa réception, puisque, faisant travailler les danseurs sur la limite, elle conduit aussi les spectateurs au bord de leurs propres limites. Mais s’il est vrai qu’un tel travail sur les limites donne la définition même de la contemporanéité, il n’exclut pas le risque ultime qu’une telle définition implique : celui d’académiser la limite pour construire cet oxymore que serait une rhétorique de l’informe. Et du risque de basculer dans un tel académisme, aucun artiste, danseur ou pas, n’est protégé. Si donc l’académisme est le premier symptôme du vieillissement d’un art, de la perte de sa vitalité, de son incapacité à se mettre en danger, de son conformisme et finalement de sa consensualité, l’antidote à un tel risque de la perte du risque pourrait être cette simple définition que donne Pina Bausch de la danse, radicalement caractérisée dans la violence de tous ses dangers : “barbarie positive de l’enfance”.
Christiane Vollaire
Danse contemporaine : les formes de la radicalité / octobre 2013
Publié sur Ici et ailleurs
Lire : Les usages politiques du corps / Sylvie Parquet
Université d’été 2014 en Albanie

Photos Mécanoscope-Aude Antanse / Vidéo Xavier Le Roy
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Une philosophie plébéienne / Centre de réflexion et de documentation sur les philosophies plébéiennes / Atelier du 2 novembre 2013, ferme Courbet de Flagey

La philosophie, comme le reste des activités créatrices, est largement embourbée dans le marécage de la « culture ». Comme telle, elle se résume à produire des marchandises qui possèdent une (petite) valeur d’échange sur le marché culturel. Ses produits sont pourtant particuliers en tant qu’ils prétendent toujours être aussi tout autre chose que des marchandises : une voie vers le salut, la sagesse, la révolution ou le bonheur (comme bien-être essentiellement). Or, c’est précisément cette prétention qui produit leur valeur d’échange, le « supplément d’âme » philosophique comme facette originale du divertissement. On consomme de la philosophie pour prendre plaisir à une suspension illusoire du cycle de production-consommation aliéné qu’est notre existence. Le point d’extériorité transcendant à partir duquel parle la philosophie mainstream, que ce soit la Vérité, le Bien, l’Homme, la Nature, la Vie, l’Événement, toutes ces superstitions, produit un plaisir particulier d’inquiétude-réassurance : inquiétude face aux turpitudes du présent, réassurance dans la contemplation dernière qui l’explique et le justifie. Elle reste de ce point de vue une philosophie patricienne en tant qu’elle justifie l’état de choses actuel, ou suspend sa critique à la contemplation d’un état futur, de toute façon elle légitime des positions sociales supérieures, au nom de transcendances inaccessibles, comme l’ont toujours fait toutes les « noblesses ».
Face à cette figure, par ailleurs très ancienne, de la philosophie, il faut réactualiser, partout où c’est possible, un geste de sécession à l’image du « camp sans général » de la plèbe romaine en 494 avant J.-C. La multitude rejette alors le principe d’autorité théologique et traditionnel qui la prive de parole et démontre ainsi sa capacité d’autonomie. Son horizon n’est, ni un système social séculaire qui détermine le présent, ni le rêve d’une société future qui devrait guider pas à pas un processus révolutionnaire. C’est une position d’extériorité critique qui témoigne du caractère « politique relatif » et non « naturel absolu » de l’ordre du présent et donc de la possibilité indéterminée de le modifier. La seule conséquence réellement prescriptive de ce geste, c’est que désormais tous les citoyens ont droit à la parole, pas à n’importe quelle parole, à une parole de mise en question effective de la validité et de la légitimité des discours de commandement. Le vrai et le juste sont sur la table.
Ce geste, on le retrouve sans difficulté dans la vie et les engagements de Courbet : influencé jeune par le fouriérisme, toujours pacifiste, contre l’Empire et contre l’Empereur, militant pour une autonomie régionale démocratique incluse dans une Europe fédérale, élu de la Commune, condamné pour avoir eu le projet du « déboulonnement » de la Colonne Vendôme, il doit ensuite partir en exil. Ces engagements ne peuvent pas être détachés du travail de Courbet, véritable « peinture socialiste » selon Proudhon, parce qu’il a intégré le social et le politique dans son art. Sans se faire le messager d’une cause dite avant son art, il a fait du geste de peindre un geste politique.
En suivant cette inspiration, une philosophie plébéienne repose sur un geste de critique radicale, permanente et indéfinie. Son but n’est pas de retrouver un fondement mais de supprimer la possibilité de penser tout fondement de vérité ou d’autorité. Elle est donc farouchement anti-théologique. Elle joue Socrate contre Platon. De même l’œuvre de Courbet ne fait pas parler une « divinité rageuse », pas de Liberté à la Delacroix ou d’allégories à la Papety, tout juste en 1848 un homme sur une barricade. La politique n’est pas ici une présence massive, elle est l’affaire des hommes, elle est immanence. Le spectateur ne contemple pas l’aliénation, il y pénètre, enfoncé avec les personnages dans une terre qui n’a pas de sol. Sur le sol marchent des sujets, pris par la terre, il n’y a plus de sujet, mais un être en proie à sa finitude, à la dureté de sa condition, à une fragilité qui déjoue toute certitude de la maîtrise.
Inévitablement, une pratique plébéienne de la philosophie refuse les dignités académiques nécessaires pour obtenir les « biens et les honneurs » sur le marché officiel. Dignité qui permet également de rendre prégnante la ligne imaginaire entre « philosophe » et « non-philosophe ». Elle s’adresse à tous autant qu’elle peut être produite par tous. De même, elle ne repose pas sur le commentaire de la tradition sacralisée. Son but n’est jamais d’expliquer un texte par un autre texte (au final de commenter le commentaire d’un commentaire d’un commentaire…) mais de disséquer une situation présente dans laquelle elle est prise. Elle enquête sur les conditions de possibilité de notre actualité. Même inspiration dans le projet de Courbet, avec Claudet et Buchon, de reprendre l’art populaire, de le faire reconnaître comme art, de constituer des passages d’un art populaire à l’autre, d’entrer dans les vies du peuple en s’incorporant dans ce qui est peint. Tendre à une forme d’engagement dans un lieu qu’il ne s’agit pas seulement de décrire mais où il est question d’introduire de la démocratie tout en le décrivant, « si vous voulez que le peuple vous comprenne, endossez vite sa blouse bleue, dans vos œuvres ; enfoncez-vous vite son casque à mèche jusque sur la nuque, chaussez vite ses gros souliers » écrit Buchon.
Finalement, la philosophie plébéienne est une analyse critique du présent, en particulier des prétentions de vérité et de légitimité des différentes formes d’exercice du savoir et du pouvoir, afin d’en démontrer les contradictions, lacunes, tours de passe-passe, mécanismes de domination, effets de pouvoir inaperçus. Son but n’est pas de retrouver l’Un qui se perdrait dans les ramifications chaotiques d’un présent en manque de repères, mais de faire bouger les lignes qui structurent ce présent, en trouvant des marges de manœuvre de pensée, et donc d’action, dans les relations entre la multiplicité des éléments qui le constituent.« En concluant à la négation de l’idéal et de tout ce qui s’ensuit, j’arrive en plein à l’émancipation de la raison, à l’émancipation de l’individu, et finalement à la démocratie. Le réalisme est, par essence, l’art démocratique. » (Courbet au Congrès d’Anvers en 1861).
Un Centre de réflexion et de documentation sur les philosophies plébéiennes ne serait donc pas un lieu où l’on vient se cultiver, mais où l’on vient produire des outils pour démonter les agencements de pensée du présent. Il ne s’agit pas d’éducation populaire ici, mais de rendre possible un geste artisanal et commun de critique radicale. Or, face à l’hégémonie académique et médiatique de la philosophie patricienne, nous avons d’abord besoin d’un travail de réappropriation et de consolidation théorique de la démarche d’une philosophie plébéienne, vouée sinon à l’invisibilité et à la dissémination. Un séminaire annuel de réflexion sur les philosophies plébéiennes permettrait d’en clarifier les enjeux conceptuels et méthodologiques. Cette élaboration appuierait le repérage et le recueil des discours et des gestes qui donnent corps à cette pratique plébéienne de la philosophie. Un centre de documentation dépassant de loin les limites de la philosophie universitaire et des seules ressources textuelles permettrait de réunir autour de ce fil directeur des formes de pensée et d’action qui se vivent aujourd’hui largement sur le mode de la dispersion et de l’isolement. Il donnerait certainement à voir des liaisons inattendues et fertiles entre des démarches théoriques, artistiques, politiques hétérogènes. Enfin, un colloque annuel relayé par des publications dédiées permettraient d’ouvrir le débat et d’en permettre la publicité. Il reste qu’un défi majeur de ce qui reste de l’ordre de la production et de la transmission d’un savoir, sera la capacité de dépasser la relation pédagogique en permettant la participation active du plus grand nombre. Non pas dans l’idée d’une « vulgarisation » de la connaissance, mais avec l’obsession de l’utilité épistémologique, éthique et politique de ces outils de pensée critique.

Atelier du 2 novembre :

10h -12h30 « Dans la glèbe ou sur le terrain : de CoriolanL’Établi »
Christiane Vollaire

Le Coriolan de Shakespeare oppose, à la plèbe considérée comme un simple ventre affamé, l’héroïsme des guerriers. A ceux qui ne sont pas véritablement sortis de la glèbe, ceux dont le corps s’offre aux blessures pour la défense du territoire. La tradition philosophique, vouée depuis Platon à la contemplation, s’abstrait autant de l’un que de l’autre. Ce faisant, elle méconnaît le rapport au terrain comme part nourricière de l’activité intellectuelle. On veut promouvoir ici l’oxymore que semble constituer une philosophie de terrain, à travers des figures telles que celles de George Orwell, de Simone Weil ou de Robert Linhart. Un terrain qui n’est ni celui de la sociologie, ni celui de l’anthropologie, mais fait de la pensée un lot commun, enraciné dans les pratiques et la pluralité des expériences qu’on interroge. Faire un entretien, ce n’est pas considérer l’interlocuteur comme ce « témoin » en position d’infériorité qu’un juge met à la question, mais comme le sujet d’un discours réflexif et nourricier, indispensable à l’usage affûté des concepts.

12h30- 14h Buffet (gratuit)

14h-16h30 « Rendre visible, faire du bruit » Noël Barbe
Courbet envoie Une Après-dinée à Ornans au Salon en 1849 ; entre 1955 et 1957 Bernard Clavel écrit Vorgine, premier roman publié ; Maurice, son homonyme, fait paraître en 1974, les Paroissiens de Palente ; Armand Gatti tourne à Montbéliard Le Lion, la cage et ses ailes entre 1975 et 1977 ; François Bon, en 1982, publie Sortie d’usine. Souligner la grandeur, lutter contre l’effacement, faire entendre des voix inaudibles ou œuvre polyphonique, réaliser avec, produire des éclats de réalité, se faire ou non porte-parole. Figurer ou représenter ceux qui ne le sont pas, et pour cela entretenir avec eux des rapports différenciés, tel est l’un des points communs de ces différentes œuvres – peinture, littérature, cinéma. C’est aux différents dispositifs qu’elles construisent pour ce faire que nous nous intéresserons.

Ferme Courbet de Flagey
28 grande rue 25 330 FLAGEY
Depuis Besançon, suivre Ornans puis Chantrans
Possibilités de transport depuis les gares de Besançon
Inscription et renseignements :
crdpp25@gmail.com ou Philippe Roy 06 51 38 43 45

http://centre.philoplebe.lautre.net/
Une philosophie plébéienne / Centre de réflexion et de documentation sur les philosophies plébéiennes / Atelier du 2 novembre 2013, ferme Courbet de Flagey dans Dehors bartok-pirate

Lectures de Foucault / Alain Brossat

La réception longuement contrariée de Foucault dans l’espace de la philosophie universitaire produit, depuis quelques années, un intense effet de rattrapage : les travaux savants se multiplient, les thèses en premier lieu, s’attachant pour les unes à élucider telle partie ou dimension de l’œuvre, pour les autres à en proposer une lecture plus ou moins novatrice. Faire en sorte que Foucault, désormais, ne puisse plus être lu comme il l’était jusqu’alors – c’est au fond l’ambition ouverte ou rentrée de tout jeune « foucaldologue » qui publie sa thèse aujourd’hui.
Une relation tendue s’établit entre les exigences normalisatrices et disciplinaires de l’institution universitaire qui président à la réception d’un philosophe contemporain (ceci d’autant plus que celui-ci a longtemps été catalogué comme atypique, indocile, voire « dangereux ») et le geste qui inspire la pratique de la philosophie mise en œuvre par Foucault, les différentes stratégies qui ont inspiré son travail dans ses différentes époques ou chantiers. Pour autant que ce geste (et le style qui l’accompagnent) font référence, d’une part à la discontinuité et de l’autre à la recherche d’un point d’extériorité (en relation à la philosophie comme discipline et champ d’inclusion), sont posées les conditions d’un litige durable sinon perpétuel entre ce qui s’est publié et continue de se publier sous le nom de Foucault et les réquisits de la philosophie comme institution et qui tiennent autant à des exigences d’unité de l’œuvre (et, autant que possible, de « systématicité ») que de docilité aux taxinomies en usage (la place de tout ce qui se subsume sous le nom de cet auteur dans le tableau général de la philosophie contemporaine, européenne, occidentale, française, etc.).
Cette tension « travaille » dans le dos des chercheurs qui s’activent aujourd’hui à faire valoir leurs propres lectures de Foucault : ils sont établis sur une ligne de front, pris sous les tirs croisés d’une pensée dont la puissance de perturbation et de dissolution ne se dément pas et d’une institution ou d’un dispositif (la philosophie universitaire) qui ne saurait transiger avec ses règles et ses normes : pour qu’un auteur puisse être enseigné et utilisé comme moyen de validation des connaissances (car c’est bien de cela qu’il s’agit, en premier lieu), il convient qu’il ait un « état civil » philosophique, que certaines conditions d’homogénéité de l’œuvre et d’adéquation entre un corpus de textes et un nom propre soient remplies. La façon dont nos foucaldologues plus ou moins aguerris vont faire face (ou non) à cette difficulté constitue généralement un excellent test de qualité de leurs recherches.
Dans l’immense majorité des cas, ce qui se soutient et se publie aujourd’hui dans l’espace universitaire français à propos de Foucault est inspiré par une position empathique, si ce n’est un parti de « fidélité ». Une telle posture suscite, tout naturellement, ses exigences propres : elle suppose que le commentateur ne s’inscrive pas en faux contre le geste et la pratique de recherche de l’auteur de référence. Or, on le sait, le « genre » de Foucault, ce n’était pas l’histoire des idées, ce n’était pas la biographie des grands hommes qui ont changé le cours de l’histoire du monde, ce n’est pas cet usage autarcique de la philosophie qui revient sur elle-même et se mire, inlassablement, dans son propre commentaire. Le genre de Foucault, ce serait plutôt les découpes dont l’effet est de produire un trouble radical dans tout ce qui s’impose à nous comme l’a priori (ordre des discours, savoirs, conduites formatées par les disciplines, etc.). Le propre des découpes est de rendre friable et douteux ce qui s’impose à nous dans la tiédeur familière des systèmes d’évidence constitués : dangers de la folie et de la délinquance, impartialité de la Justice, répression de la sexualité, etc. Pour Foucault, il s’agit toujours moins de « faire le tour » d’une question que de réaliser une percée – en prenant les choses « de biais » (j’avance en crabe, disait-il) plutôt qu’en tentant une vaste synthèse. Cet art de « problématiser » impose, en principe, un certain nombre d’obligations pour ceux qui entendent travailler sur Foucault en respectant, voire en prolongeant ce que son geste présente de singulier.
C’est bien ce dont se souvient, me semble-t-il, Philippe Chevallier lorsqu’il nous livre, après son essai remarqué sur Foucault et la bataille (Editions Pleins Feux, Nantes 200 ), son Foucault et le christianisme. L’exercice va consister, pour l’essentiel, à montrer que les termes mêmes qui sont posés dans cet intitulé, doivent être fracturés et rendus problématiques : existe-t-il quelque chose comme un Foucault qui, continûment aurait élaboré avec esprit de suite une notion unitaire du christianisme, ou bien sa théorie propre du christianisme ? Existe-t-il, se demande d’emblée Philippe Chevallier, « quelque chose comme ’le christianisme’ chez Foucault ? » – et nous voici déjà dans le vif du sujet : pour autant que le philosophe refuse de placer son intérêt pour cet objet (immense, diffus) sous le signe d’une « science » destinée à l’enfermer dans un concept synthétique (histoire des mentalités, typologie des religions, tableau des idéologies…), le christianisme va se présenter comme un champ de dispersion et surtout, dans la dynamique et l’ « histoire » du travail de Foucault, comme un espace, une topographie où se produisent des rencontres et des points d’intensification, des occurrences de problématisation. Philippe Chevallier en dresse l’inventaire avec précision, mettant en évidence l’élément de discontinuité marquée qui ressort de ce que l’on pourrait appeler ces rencontres en série avec « le christianisme » : le compagnonnage avec les écrivains qui explorent les limites de l’écriture sous le signe de la « mort de Dieu » et de l’a-théologie post-chrétienne (Flaubert, Bataille, Klossowski, Blanchot…), la découverte de l’immense continent du pastorat chrétien et l’étude du christianisme comme gouvernement des vivants (les techniques d’aveu, d’examen, de direction de conscience) et enfin, l’étude du christianisme comme « régime de vérité », le christianisme « non seulement comme une nouvelle éthique, mais également comme une nouvelle ontologie de soi ».
Du coup, cette recherche porte bien au delà de l’inventaire et de la présentation de ce que Foucault a dit du christianisme, de la façon dont celui-ci entre en composition dans nos identités ou nos subjectivités (moderne, occidentale, sexuelle, familiale, politique…). Elle expose exemplairement la façon dont se déploie le travail de Foucault – en s’arrêtant sur un problème : comment faire de la (supposée) mort de Dieu « l’espace constant de notre expérience » ? Comment saisir la confession chrétienne comme un laboratoire de la constitution des individus en sujets de leur propre existence ? Comment lire les Pères de l’Eglise sans les passer à la moulinette de l’herméneutique ? Comment saisir l’avènement du motif de la chair (Tertullien) dans la discursivité chrétienne ? Comment prendre acte de la singularité absolue de ce pastorat qui prétend au gouvernement des hommes dans leur vie quotidienne « à l’échelle de l’humanité toute entière » ?, etc. Autant de questions spécifiques relevant d’une « manière » propre, laquelle consiste (Foucault dixit) à « découper un objet et [à] forger une méthode d’analyse » et donc à dissoudre, chaque fois, à faire voler en éclat la notion a priori de l’objet compact et insécable – « le christianisme » ; il s’agira ainsi de faire apparaître que, comme le dit Philippe Chevallier, « le terme ’christianisme’ n’est pas exact, il recouvre en vérité toute une série de réalités différentes ».
Mais en même temps, au fil de ce parcours, à défaut du christianisme comme idéalité, c’est bien chaque fois, quelque chose comme un domaine ou un continent « christianisme » qui est rencontré, mis en question, interrogé à l’occasion, pourrait-on dire, de la confession, du pastorat, des disciplines monastiques, du pouvoir ecclésial, de la production du sujet docile et gouvernable, du discours de la chair… Ces traversées qui, itérativement, correspondent à un point de problématisation font revenir dans le champ du questionnement philosophique non pas le christianisme comme grande forme définie a priori mais ce « quelque chose » d’indépassable, d’obsédant, de récurrent qui entre en composition dans ce qui nous constitue comme ce que nous sommes et qui fait non pas que l’Occident serait tout uniment chrétien, que notre culture serait intrinsèquement chrétienne, mais bien que l’élaboration de notre actualité propre (de nous-mêmes dans l’horizon du présent comme ce qui est en question) ne saurait faire l’économie de la rencontre avec cette dimension de notre culture – pour employer une formule convenue. Ce n’est pas pour rien que, dans la continuité discontinue du travail de Foucault, le christianisme survient sur ce mode de l’éternel retour - dans une succession de métamorphoses où il est, en même temps, toujours question de la même chose au bout du compte (c’est le « dernier » Foucault : le fait avéré que « la subjectivation de l’homme occidental est chrétienne, elle n’est pas gréco-romaine ». Mais, bien sûr, avec ce retour des « gros mots » (« l’homme occidental »…), l’énoncé visant à définir quelque chose comme un aboutissement ou un point final du parcours de Foucault expose toute sa fragilité – le dernier énoncé ne dit la « vérité de l’oeuvre » qu’aux conditions d’une convention finaliste plus ou moins inavouable.
L’enquête conduite par Philippe Chevallier se déploie alors sur deux plans : sur le premier, il s’agira d’évider et invalider toute la série des fausses questions – trouve-t-on chez Foucault une théorie ou une doctrine, un concept du christianisme, voire jusqu’à quel point Foucault est-il lui-même un penseur chrétien ? Ce travail de destruction (déconstruction) porte bien au delà de l’enjeu spécifique que constitue la relation entre notre philosophe et l’objet « christianisme ». Il vise aussi et sans doute surtout à nous rendre sensible à ce que la méthode (ou ce que j’appelais plus haut le geste) de Foucault a de singulier : le rejet des abstractions généralisantes, le balisage de l’espace propre d’un « problème » (un chantier de recherche) comme condition de la production des concepts.
La seconde dimension de l’enquête va donc se déployer dans cette direction : il s’agira de visiter successivement les différents chantiers ouverts par Foucault dans lesquels le christianisme est, par quelque biais, en question. Il s’agira de tenter de cerner la relation qui s’établit entre chacun d’entre eux et tous les autres, sans jamais postuler l’existence d’un unique fil rouge qui conduirait de l’un à l’autre et dont l’existence livrerait le secret de la cohésion synthétique de l’ensemble. L’auteur va être amené ainsi à mettre l’accent, en spécialiste averti, sur un certain nombre de points clés sur lesquels s’illustre le risque de la pensée tel que le cultive Foucault.
Premièrement, si le christianisme est bien, tout d’abord, un « ensemble de faits » subsumés sous cette appellation, il est aussi une inépuisable machine discursive, une machine dont la puissance est de faire valoir interminablement les jeux d’oppositions et les séparations qu’il promeut (Occident chrétien, Orient…), de baliser le champ de toute expérience et de toute production de subjectivité dans nos sociétés, de créer les conditions d’une dramaturgie spécifique et dont notre rapport au langage, à la loi, à la vérité porte constamment la marque. Rien n’expose mieux la puissance de cette machine discursive que le motif – on pourrait dire le test – de la mort de Dieu : plus ce motif va se trouver intensifié, dans la littérature, et plus prévaudront les droits d’une théologie masquée ou inversée, chez Bataille par exemple, toute entière soumise aux conditions de cela même dont elle entend se désamarrer. Le domaine sans frontières déterminées du post-christianisme se présente ici comme une modalité exemplaire du post-moderne : une reprise par déplacement, un redéploiement spectral du même. Le premier Foucault est amplement placé sous le signe de la fascination, via la littérature, pour cette figure spectrale d’un christianisme rêvé (une machine à fantasmes) agencé sur les motifs de la disparition de Dieu, de celle du sujet, de la pure immersion dans le langage ou l’écriture…
Deuxièmement, le christianisme est ce milieu dans lequel, par le biais de techniques d’aveu, d’examen et de direction de conscience, s’est inventé, expérimenté un mode de gouvernement du « troupeau » humain en général et de chaque individu en particulier, un mode de gouvernement des conduites dont on peut dire qu’il est unique, sans équivalent dans l’histoire humaine. On a là une matrice et un champ d’expérimentation étendu sur des siècles et des siècles (depuis les IIème et IIIème siècles) d’une technologie du gouvernement des vivants sans le substrat desquels les pouvoirs modernes n’auraient pu se dégager de l’emprise du modèle de la souveraineté classique, de la Raison d’Etat. Cette matrice, c’est celle de la gouvernementalisation des populations qui passe par la constitution des individus en sujets de leur existence propre et une observation constante de leurs dispositions, elles mêmes destinées à s’énoncer à travers un certain nombre d’actes de parole ou de « publications de soi » (en ce sens, ce n’est pas le divan de l’analyste mais bien l’isoloir qui, généalogiquement, se rattache au confessionnal). L’originalité de la position présentée par Foucault est double : il s’agit d’une part de soutenir que la ligne de force des pouvoirs modernes est davantage celle du pastorat que celle de la souveraineté : leur élément est davantage « le bienfaisant et le médicinal » que l’exhibition de la force et la conquête de la supériorité. Mais d’un autre côté, les pouvoirs modernes ne sont pas un pur et simple décalque du pouvoir pastoral qu’invente le christianisme. Le pasteur chrétien guide la brebis vers son salut, sans l’assurer, celui-ci n’appartenant qu’à Dieu. Les pouvoirs modernes n’inscrivent plus la conduite des gouvernés dans l’horizon d’un quelconque « bonheur public » qui serait susceptible de passer pour une version laïcisée du salut. Le « faire vivre » très imparfait dont ils s’efforcent de proroger les conditions suffit à leur peine.
Troisièmement, il s’agit de tenter de comprendre « dans quel domaine à la fois pratique et réflexif le christianisme a (…) innové – en quoi et dans quelle mesure il s’est progressivement arraché à l’Antiquité gréco-romaine ». Ici, la grande innovation de Foucault va consister à envisager cette question non pas sous l’angle historiciste de la succession des âges et des époques identifiés à de grandes formes culturelles, politiques, sociales, mais sous celui des conditions de possibilité de l’existence des sujets dans leurs rapports à la vérité, au pouvoir, aux conduites, au présent…
La recherche conduite par Philippe Chevallier doit ici franchir une porte étroite : d’un côté, il convient de se rappeler constamment que « le terme ’christianisme’ n’est pas exact, [qu’]il recouvre en vérité toute une série de réalités différentes », de l’autre que des motifs comme le pastorat, la chair, la rechute, jalonnent des pratiques discursives et des formes du souci de soi qui n’appartiennent qu’au christianisme et qui font que l’on peut opposer un modèle chrétien du rapport à soi à d’autres – un modèle « platonicien », un modèle « hellénistique », un modèle « confucéen », etc. Foucault insiste constamment pour attester non pas en général et comme une évidence établie à priori la réalité d’une rupture par paliers entre monde gréco-romain et monde chrétien en référence à des notions, des pratiques, des enjeux discursifs spécifiques : baptême, seconde pénitence, pratiques de l’examen de conscience, de l’aveu et de l’obéissance, etc. Il note, dans Du gouvernement des vivants : « L’idée même de rechute était une idée (…) étrangère aussi bien à la culture grecque, héllénistique et romaine qu’à la culture hébraïque ». Si, donc, « la subjectivation de l’homme occidental est chrétienne », c’est toujours sur un mode relatif à des pratiques, discursives et autres, et donc conditionnel, variable : à chacun de se montrer plus ou moins docile ou indocile, porté à l’examen de conscience ou non, soucieux de la vérité ou pas, inquiet de son salut ou indifférent à lui, etc.
Aux antipodes de ceux qui glosent sur « les fondements chrétiens de notre civilisation » (en vue de proscrire tout rapprochement de la Turquie avec l’Union européenne ou justifier un traitement de défaveur de l’Islam en France, par exemple), Foucault explore ce que l’on pourrait appeler des points de spécificités du christianisme engageant aussi bien la constitution éthique des sujets que les modes de gouvernement, les formes de pouvoir, etc. Le christianisme étant une religion du salut dans la non-perfection, il se pose la question (en forme de prosopopée – ce n’est pas lui, mais son chrétien imaginaire qui parle) : « Par quelles techniques vais-je pouvoir continuer à vivre alors même que la vérité n’est pas ce que je découvre sans cesse un peu plus tous les jours mais ce que je manque constamment ? » . Ou bien, insistant une nouvelle fois sur la « spécificité » de la forme de pouvoir qui se dégage du christianisme non pas comme système idéologique mais comme champ pratique et stratégique : « Le pastorat est bien la traduction, en termes de relations concrètes de pouvoir, de ce processus spécifique au christianisme par lequel une religion s’est constituée en Eglise, c’est-à-dire comme une institution prenant en charge la vie quotidienne de chacun de ses membres pour les mener au salut ». Sur tous ces points, le livre de Philippe Chevallier enchaîne sans défaillance sur le geste de Foucault. Il fait mieux que restituer avec scrupule et précision les articulations des rencontres de l’analytique foucaldienne avec le « christianisme », il les prolonge et les enrichit.
D’une toute autre tournure est l’essai de Diogo Sardinha Ordre et temps dans la philosophie de Foucault.
D’emblée, l’auteur en énonce le dessein : reconstruire « une architectonique intérieure de la pensée de Foucault », comme le dit Etienne Balibar qui préface le livre et fut le directeur de thèse de l’ouvrage, restituer le sens fondamental de l’oeuvre tel qu’il a jusqu’alors échappé aux spécialistes, lequel s’agence autour de la notion d’une « systématicité libre ». A l’encontre de ceux qui placent la recherche de Foucault sous le signe de la discontinuité, voire de la dispersion et du « décousu », et qui, selon l’auteur, représentent le mainstream des études foucaldiennes, Diogo Sardinha entend mettre en évidence ce qui ne se détecte que dans les profondeurs de l’œuvre et se dérobe au regard exclusivement fixé sur son contenu manifeste ou sur les déclarations d’intention de l’auteur – une « cohérence synthétique » de l’œuvre qui ne se comprend bien que si l’on établit un parallèle entre les topiques de la recherche foucaldienne et l’architectonique de l’œuvre kantienne – les trois Critiques. C’est ce rapprochement qui permet de faire émerger la notion d’une « systématicité sans fin » du travail de Foucault, laquelle, certes, récuse la notion d’une œuvre qui doive se concevoir comme totalité close ou « tout sans fissure », mais doit s’entendre comme déploiement d’un même sens, d’oeuvre en œuvre et sans rupture fondamentale. Même si, dit l’auteur, l’appréhension de la forme de systématicité qui se dégage de l’œuvre de Foucault « met en cause les concepts classiques de la systématicité », elle n’en demeure pas moins la condition pour que soit (enfin…) produite une intelligence vraie de cette philosophie originale, de sa dynamique et de son intention « profonde ». Le moins que l’on puisse dire est que cette thèse ne manque ni d’originalité ni d’ambition. Pour aller à l’essentiel, disons que pour Diogo Sardinha, toute la recherche de Foucault converge vers la dernière partie de l’œuvre, celle qui met en évidence la qualité propre du sujet éthique, qui est de ne pas être inclus dans un événement et un dispositif général à son corps défendant, comme le sont les sujets du savoir et du pouvoir. « Dans l’éthique, écrit l’auteur, aucune instance ne joue un rôle semblable à celui de la disposition épistémologique ou du dispositif politique ». Dans l’élaboration du rapport de soi à soi et de soi aux autres est à l’œuvre un élément de liberté qui était radicalement absent dans la relation du sujet aux substrats épistémiques du savoir ou aux rapports de pouvoir – lesquels reposent sur des conditions de possibilité renvoyant à un événement antérieur qui se tient hors de sa portée.
Le sujet du savoir et le sujet du pouvoir sont captifs d’éléments de discontinuité (ceux qui président à la constitution de topographies déterminées du savoir et du pouvoir – epistémè, dispositif…) sur lesquels il est sans prise. Même quand il entre dans des conduites de résistance, il demeure inclus dans le champ de rapports de pouvoir qui limitent d’emblée la portée de l’effort qu’il produit pour contrarier le dispositif. « La résistance, écrit Diogo Sardinha, est encore trop proche du pouvoir pour ne pas entretenir avec lui des affinités équivoques ». Tout se passant comme si « à l’intérieur d’une époque, le temps n’existait pas », aucune révolution que ce soit dans l’ordre politique ou dans celui du savoir n’y est possible.
Dans le domaine éthique, par contraste, ces conditions draconiennes de radicale discontinuité (découlant du primat absolu du spatial sur le temporel décrété par Foucault) sont levées. Le sujet libre se trouve établi dans une continuité au fil de laquelle il élabore ses conduites sur un mode qui s’apparente de façon saisissante à ce que Kant nomme héauto-assujettissement et dans l’horizon de la question : « que suis-je aujourd’hui ? » dans ce présent, tel qu’il est. Le sujet éthique dispose de la capacité de s’affecter soi-même, d’établir un « rapport de (la) force avec soi » qui lui permet de « trouver le lieu à partir duquel le regard de l’âme peut embrasser tous les endroits » (Foucault, avec Sénèque).
Pour Diogo Sardinha, il ne fait aucun doute que le dernier chantier de Foucault, tout entier voué à l’élaboration des conditions dans lesquelles le sujet éthique eut exercer sa liberté, constitue le point d’aboutissement de toute la recherche de Foucault, ce lieu de la pensée où se dévoile, dans sa substance intime, la logique et la cohérence de l’œuvre : « Foucault invite à saisir après coup [ je souligne, AB] et comme un ensemble structuré ce qui tout au long du chemin n’est apparu que comme des inflexions et des détours ». L’auteur fait ici référence à l’autorité de Pascal : « Pour entendre le sens d’un auteur, il faut accorder tous les passages contraires (…) Tout auteur a un sens, auquel tous les passages contraires s’accordent, ou il n’a point de sens du tout » (Pensées et opuscules, fragment 684).
La thèse, explicitement présentée par Diogo Sardinha comme destinée à faire date et à jeter un éclairage inédit sur la philosophie de Michel Foucault, a le mérite de la clarté. Elle est exposée avec un allant qui ne se dément à aucun instant. Elle met l’accent à bon escient sur l’importance chez Foucault du motif de la critique, sur le fil kantien de sa pensée – se détachant à bon escient des approches défiantes et péjoratives qui ont longtemps contribué à faire du contempteur de l’idéologie humaniste le tenant d’un néo-nietzschéisme en forme de machine de guerre contre la pensée des Lumières. Mais c’est, du même coup, une lecture qui s’expose à toutes sortes d’objections. La première d’entre elle aurait trait à la façon dont, de manière toute subreptice, ses présupposés, affichés comme audacieuse conceptualisation ou mise en forme du travail de Foucault ne font que reproduire les conditions tout autant implicites qu’implacables de la normalisation universitaire d’un auteur, de tout auteur philosophique : le primat de l’unité sur la dispersion, la coïncidence optimale entre un nom et une œuvre, le culte du profond ou du fondamental par opposition au visible ou au superficiel, etc. A l’aide de termes ou d’énoncés aussi flous que « projet » (ce qui envers et contre tout unifie l’œuvre en dépit des ruptures st disparités béantes qui la scandent), « systématicité sans fin », « jeu libre », « sens fondamental », « systématicité synthétique »… se construit une tenace téléologie fondée sur l’évidence indiscutée selon laquelle le sens d’un travail philosophique agencé autour d’un nom propre ne peut se dévoiler à la fin que dans l’apparition terminale du sens d’une œuvre, indissociable de son unité envers et contre tout. Le fait est qu’une telle lecture ne peut imposer son dogme qu’au prix de l’oubli, voire du déni de nombre d’énoncés dans lesquels Foucault se prononce sur les dispositions qui inspirent son travail, sur les gestes qu’il met en œuvre dans sa pratique intellectuelle : la critique en règle de la notion d’auteur et de celle d’œuvre (Qu’est-ce qu’un auteur ?), le jeu perpétuel de désassujettissement par rapport aux conditions de la philosophie entendue comme champ institutionnel (« Je ne suis pas philosophe… »), la validation de la qualité heuristique des discontinuités (la « discontinuation » comme déploiement d’une puissance propre au chercheur – « J’écris pour oublier… »), etc. La quête éperdue et impensante de ses propres conditions d’une vérité affichable de l’œuvre est fondée sur un ensemble de présomptions qui, toutes, renvoient à l’autorité du penser/classer : la prévalence du continu sur le discontinu, de l’homogène sur l’hétérogène, du même si le disparate… (si le caractère de champ de dispersion de l’ensemble des écrits assignables au nom de Foucault demeure irréductible, quel casse-tête pour les historiens de la philosophie et les profs de philo !). Ainsi se trouve éludée la question pourtant primordiale ici : et si c’était précisément aux seules conditions de cet état de dispersion et de discontinuité que se déployaient les pleines puissances de la pratique philosophique et du geste intellectuel de Foucault ? Et si la déconstruction de la monarchie de l’auteur et de la tyrannie de « l’oeuvre » étaient la condition expresse d’une lecture émancipée de ses textes ? La tentative de faire entrer le parcours proliférant de Foucault dans le schéma rigide d’une copie conforme de l’architectonique rigoureuse de la pensée kantienne conduit inéluctablement à simplifications et des distorsions de sa pensée – dont certaines ne sont pas négligeables. Ainsi : pourquoi porter exclusivement l’accent sur la qualification du marxisme par Foucault comme se trouvant dans la pensée du XIXème siècle « comme un poisson dans l’eau » et éluder l’énoncé non moins mémorable, et prononcé dans d’autres dispositions, selon lequel Marx compte, avec Nietzsche et Freud, parmi les « fondateurs de discursivité » de notre époque ? On entend bien : il s’agit de démontrer que pour le Foucault de la « Première Critique » (Les mots et les choses…), nul n’échappe, en son temps, aux « systèmes de positivité » établis. Mais du coup, avec l’élimination des écarts, de l’indice de la différence d’avec soi qui travaille sans relâche au cœur de la pensée de Foucault, n’est-ce pas constamment la variabilité (et donc la complexité) de ces flux de pensée qui se trouve éliminée au profit des conforts de la domestication d’un auteur ? Plus fâcheux encore me paraît être le forçage que subit la pensée de Foucault au chapitre des relations de pouvoir. Après avoir rappelé à bon escient que « société disciplinaire ne veut pas dire société discipliné », que « le pouvoir peut bien être producteur d’ordre, cela n’empêche qu’à tout moment il se heurte aux résistances qui brisent ses rêves et démasquent ses projets », Diogo Sardinha va rabaisser brutalement le motif de la résistance, affectant de considérer que, pour le Foucault des années 1970, il s’agissait surtout de montrer qu’en toutes circonstances le dernier mot revient au pouvoir : « Le signe du statut mineur des résistances actives, c’est qu’elles ne suffisent jamais à provoquer un changement d’époque (…) tout renversement des positions par l’effet d’une auto-inclusion violente des exclus tend avant tout à reconduire les technologie du pouvoir déjà en fonctionnement (…) l’analyse des liens entre le pouvoir et la résistance nous fait comprendre le plan du pouvoir comme le seul qui mérite d’être considéré comme une base qui demeure et sur laquelle des résistances peuvent se produire ». On en vient alors à se demander ce qui a bien pu inciter Foucault à mettre l’accent sur des motifs comme les résistances de conduite, les contre-conduites, les insurrections de conduite, tout au long de cette séquence, en relation avec des enjeux aussi divers que les révoltes dans les prisons françaises, le soulèvement iranien contre le Shah, les luttes des dissidents en Europe de l’Est, les grèves polonaises, etc. La dénaturation de la position que Foucault occupe alors aussi bien dans le champ de la pensée (l’inversion de l’énergie du pouvoir) que dans celui de l’action politique (le GIP, l’expertise psychiatrique devant les tribunaux, les bavures policières…) devient tout à fait manifeste lorsque l’auteur du tranchant « Inutile de se soulever ? » (en contrepoint des reportages sur l’Iran) se transforme en spectateur passif du cours répétitif de l’Histoire : « Peut-être devrait-on dire que si, pour Foucault, il n’y a pas de projet substantiel d’avenir, c’est que l’avenir n’est que la répétition inlassable du même (…) Dans l’histoire spatialisée, le temps se présente comme un calendrier où l’on pourrait inscrire les moments d’un retour interminable dont on connaît pourtant, dès le départ, le résultat ». Et comme pour enfoncer le clou : « Ici comme ailleurs, l’action est entachée d’impuissance, comme si une certaine dimension lui restait interdite, comme si elle n’était jamais radicale ». Les dispositifs de pouvoir enveloppant toujours l’action des individus, surdéterminant toutes leurs velléités de se dégager de l’emprise des rapports de pouvoir, toute espèce de résistance, de lutte ou d’action de déprise, de la simple rétivité d’un sujet individuel au soulèvement de tout un peuple est vouée à s’échouer sur cet inflexible a priori : « Seul demeure le pouvoir ». Et tant pis si des centaines de pages des Dits et écrits inscrivent noir sur blanc la trace de l’éloignement radical de Foucault d’une tel fatalisme (le chapitre que Diogo Sardinha consacre à ce motif s’appellerait sans dommage « Michel le fataliste »…). Au fond, et sans que cela fasse l’objet d’une distincte explicitation, l’approche du travail de Foucault qui nous est ici proposée relève d’une parfaite orthodoxie marxiste : constamment, la méthode généalogique et archéologique sont rabattues sur la bien connue « détermination en dernière instance », comme si tout l’objet de la recherche consistait à détecter, en partant de la surface des choses (l’apparent, le visible, le manifeste) le substrat, « la région fondamentale », l’événement enclencheur à partir duquel tout s’élucide et s’explicite : « Comment Foucault conçoit-il l’aménagement intérieur du savoir, du pouvoir et de l’éthique ? – la réponse est désormais claire : lisant les ouvrages majeurs, on retrouve toujours l’idée d’une surface visible et peu importante qui dissimule un fond déterminant de l’ordre des choses ». Ce n’est pas le moindre inconvénient de cette formule péremptoire que l’impasse qu’elle fait sur le soin avec lequel Foucault s’est attaché à combattre la religion des « déterminations » (causales) et celle de l’origine au profit d’un travail de fouille et d’enquête destiné à exhumer et exposer des éléments de provenance (Herkunft) de ce qui constitue le tissu d’un « à présent » dans sa spécificité. L’archéologie et la généalogie ne sont pas la religion des causes cachées ni la quête infinie de la détermination première, mais la méthode d’explicitation (de démystification), par forage, plongée, prélèvement et exploration des strates composant ce présent, de ce qui en fait la singularité effective. Il n’est pas question ici de « fond [qui] détermine la surface », mais de ce qui s’explicite par le truchement des gestes propres à la généalogie (identifier des éléments de provenance) et l’archéologie (identifier des sites en traversant des strates). Pour le reste, Foucault est un immanentiste convaincu : tout est là, dans les objets du présent, la capacité de détecter le stratifié est une question de regard : pour qui sait voir, ce n’est pas un « vestige moyenâgeux » qui se détecte dans la prison pénitentiaire d’hier et d’aujourd’hui, mais bien un dispositif d’ordre, un outil politique, destiné à exposer la perpétuelle dangerosité de la plèbe délinquante.
L’étrangeté de la situation présente des études foucaldiennes, en France, est que leur croissance exponentielle présente un contraste saisissant avec une rigoureuse absence de débats sur le fond ou tel aspect particulier de ce travail qui, dans le temps de sa publication, n’a cessé de soulever les plus vives controverses. Tout se passe aujourd’hui, à l’heure où l’ostracisme s’est retourné en unanimité (ou presque), comme si la philosophie de Foucault, ayant cessé d’être cette agora où tous s’empoignent, était devenu la place du marché où chacun vient se servir – à chacun selon ses besoins, ses goûts, ses usages disciplinaires et ses appétits. Et pourtant… avec toutes leurs respectives qualités, les essais de Philippe Chevallier et Diogo Sardinha montrent que les temps sont encore bien éloignés, où nous nous entendrons sur une lecture moyenne, savante et patrimoniale, de Foucault. Dieu (qui n’existe pas) fasse que la croissante prospérité de la foucaldologie et de la foucadocratie ne supplante de sitôt le salutaire « grondement de la bataille » autour de Foucault !
Alain Brossat
Lectures de Foucault / septembre 2012
Philippe Chevallier : Michel Foucault et le christianisme, ENS Editions, Lyon, 2011
Diogo Sardinha : Ordre et temps dans la philosophie de Foucault, avec une préface d’Etienne Balibar, L’Harmattan, « La philosophie en commun », 2011.
Publié sur Ici et ailleurs
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