Réparti sur les deux semestres 2008/2009, ce séminaire se propose de cheminer entre deux concepts, celui de communauté et celui de loi, non pas tant pour en faire la synthèse que pour les mettre à l’épreuve. Le concept de communauté sera abordé dans un premier temps par Mathilde Girard ; au second semestre, Stéphane Nadaud proposera une généalogie de la loi à partir de la méthode nietzschéenne. Alain Brossat assurera la modération des séances. Ce séminaire, les sujets sur lesquels il repose, le dispositif expérimental qu’il emprunte, s’inscrit peut-être dans le sillon de cette communauté « qui existe virtuellement du fait de l’existence de Nietzsche », communauté d’amis jaloux de la solitude, qui tenteront, ici, de se rencontrer.
Mathilde Girard / Expérience et communauté / Nous proposons de remettre à l’épreuve la question posée par la communauté à la philosophie en tant qu’elle ouvre un champ d’expériences subjectives et politiques au destin toujours incertain, mais s’inscrivant dans la dynamique de l’événement, du suspens, de la perturbation de l’ordre des choses. Mais qu´est-ce que la communauté ? En quoi peut-elle être saisie par la philosophie, est-elle même conceptualisable ? A partir des travaux de Georges Bataille, de Maurice Blanchot, de Jean- Luc Nancy et de Giorgio Agamben, travaux qui s’agencèrent et se pensèrent dans la communication d’une communauté littéraire, nous aborderons la communauté non du point de vue de sa définition sociologique, comme espace de cohésion homogène, mais dans l’expérience imminente de son déclin, dans l’événement de sa fragilité, de sa nécessaire précarité. C’est face à la déception de la proposition communiste que l’élaboration d’une pensée de la communauté s’est avérée nécessaire, qu’elle s’est imposée aussi, dans l’impossibilité de son projet, comme pensée de l’impossible. Pour Nancy, après Bataille, la question de la communauté est ainsi « la grande absente de la métaphysique du sujet » ; or elle lui est intimement liée, en tant qu’espace et expérience du déclin, de l’inclinaison du sujet, « sur ce bord qui est celui de son être-en-commun ». Les singularités quelconques (Agamben) ouvertes par la communauté n’existent qu’en rapport les unes avec les autres, au contact permanent de la défaite du mythe de la conjonction (chrétienne) dans l’immanence. En cela la pensée de la communauté n’a cessé d’affirmer son opposition d’avec toute idée absolutiste du mythe, chrétien ou nazi. Le même mouvement mobilise ainsi autour de la question de la communauté les relations entre l’individu, les singularités, la mort, le mythe, et la société : « La communauté, loin d’être ce que la société aurait rompu ou perdu, est ce qui nous arrive – question, attente, événement, impératif – à partir de la société. » Mais l’impossible – la question métaphysique – ne clôt pas les possibles de l’expérience, et il faudra donc engager la réflexion au plus près de ce paradoxe constitutif de la communauté : à savoir qu’elle fut pensée dans le mouvement de son désoeuvrement, de son inaboutissement, mais qu’elle correspond conjointement à des expériences politiques et subjectives réelles (politiques, littéraires, érotiques) – et non seulement rêvées – qui instaurèrent toujours une zone de conflit avec la société. Au coeur de cette expérience, toujours rare, éprouvante et dangereuse, « expérience-limite » dirait Blanchot, des affects inédits sont suscités, provoqués ou retrouvés : amitié, fraternité, désir, s’agencent au détour d’une communication qui ne fait pas communion, mais capable néanmoins de soutenir l’événement dans son apparition. Autant d’affects qui s’inventeront nomades, clandestins et secrets, dans la préscience d’une imminente dissolution.
Stéphane Nadaud / Généalogie de la loi / Il s’agira, en quatre séances, de tenter une généalogie, au sens où Nietzsche construit cette méthode, de la loi. Après avoir exposé, dans une première séance ladite méthode, nous ferons cette tentative en trois points : 1) le premier, partant de ce qu’on appelle couramment le structuralisme, analysera en quoi la loi se construit avant tout comme le paravent destiné à cacher le grand mensonge (Platon / Nietzsche), en l’occurrence celui de l’égalité des différents fragments sensés constituer la société : ce sera le point de départ d’un voyage qui tentera une histoire de la loi tout au long de l’humanité (nous considérerons l’histoire universelle comme plan de consistance) ; 2) nous essaierons ensuite, autour d’un noeud particulier (nous ne parlerons ni d’objet, ni de moment), de voir comment cette construction a pu s’opérer, d’où elle vient et où elle va – nous utiliserons alors le rapport, au XVIIe et XVIIIe siècles de la sodomie à la nature (la loi, issue des Lumières, vs Sade) ; 3) enfin, nous essaierons d’ouvrir un autre concept que la loi pour penser un désir qui, prescrivant sa propre transgression, permet de penser la communauté des vivants.
Séminaire animé par Mathilde Girard et Stéphane Nadaud sur la proposition d’Alain Brossat
Une séance par mois, le jeudi de 17h à 20h / renseignements supplémentaires revue Chimères