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L’Entretien infini / Maurice Blanchot

Ce que Kafka nous apprend – même si cette formule ne saurait lui être directement attribuée -, c’est que raconter met en jeu le neutre. La narration que régit le neutre se tient sous la garde du « il », troisième personne qui n’est pas une troisième personne, ni non plus le simple couvert de l’impersonnalité. Le « il » de la narration où parle le neutre  ne se contente pas de prendre la place qu’occupe en général le sujet, que celui-ci soit un « je » déclaré ou implicite ou qu’il soit l’événement te qu’il a lieu dans sa signification impersonnelle (1). Le « il » narratif destitue tout sujet, de même qu’il désapproprie toute action transitive ou toute possibilité objective. Sous deux formes : 1) la parole du récit nous laisse toujours pressentir que ce que ce qui se raconte n’est raconté par personne : elle parle au neutre ; 2) dans l’espace neutre du récit, les porteurs de paroles, les sujets d’action – ceux qui tenaient lieu jadis de personnages – tombent dans un rapport de non-identification avec eux-mêmes : quelque chose leur arrive, qu’ils ne peuvent ressaisir qu’en se dessaisissant de leur pouvoir de dire « je », et ce qui leur arrive leur est toujours déjà arrivé : ils ne sauraient en rendre compte qu’indirectement, comme de l’oubli d’eux-mêmes, cet oubli qui les introduit dans le présent sans mémoire qui est celui de la parole narrante.
Certes, cela ne signifie pas que le récit relate nécessairement un événement oublié ou cet événement de l’oubli sous la dépendance duquel, séparées de ce qu’elles sont – on dit encore, aliénées -, existences et société s’agitent comme dans le sommeil pour chercher à se ressaisir. C’est le récit, indépendamment de son contenu, qui est oubli, de sorte que raconter, c’est se mettre à l’épreuve de cet oubli premier qui précède, fonde et ruine toute mémoire. En ce sens, raconter est le tourment du langage, la recherche incessante de son infinité. Et le récit ne serait rien d’autre qu’une allusion au détour initial que porte l’écriture, qui la déporte et qui fait que, écrivant, nous nous livrons à une sorte de détournement perpétuel.
Ecrire, ce rapport à la vie, rapport détourné par où s’affirme cela qui ne concerne pas.
Le « il » narratif, qu’il soit absent ou présent, qu’il s’affirme ou se dérobe, qu’il altère ou non les conventions d’écriture – la linéarité, la continuité, la lisibilité – marque ainsi l’intrusion de l’autre – entendu au neutre – dans son étrangeté irréductible, dans sa perversité retorse. L’autre parle. Mais quand l’autre parle, personne ne parle, car l’autre, qu’il faut se garder d’honorer d’une majuscule qui le fixerait dans un substantif de majesté, comme s’il avait quelque présence substantielle, voire unique, n’est précisément jamais seulement l’autre, il n’est plutôt ni l’un ni l’autre, et le neutre qui le marque le retire des deux, comme de l’unité, l’établissant toujours au-dehors du terme, de l’acte ou du sujet où il prétend s’offrir. La voix narrative (je ne dis pas narratrice) tient là de son aphonie. Voix qui n’a pas de place dans l’oeuvre, mais qui non plus ne la surplombe pas, loin de tomber de quelque ciel sous la garantie d’une Transcendance supérieure : le « il » n’est pas l’englobant de Jaspers, il est plutôt comme un vide dans l’oeuvre – mot-absence qu’évoque Marguerite Duras dans l’un de ses récits, « un mot-trou, creusé en son centre d’un trou, de ce trou où tous les autres mots auraient dû être enterrés », et le texte ajoute : « On n’aurait pas pu le dire, mais on aurait pu le faire résonner – immense, sans fin, un gong vide… » (2) C’est la voix narrative, une voix neutre qui dit l’oeuvre à partir de ce lieu sans lieu où l’oeuvre se tait.

La voix narrative est neutre. Voyons rapidement quels sont les traits qui en première approche le caractérisent. D’un côté, elle ne dit rien, non seulement parce qu’elle n’ajoute rien à ce qu’il y a à dire (elle ne sait rien), mais parce qu’elle sous-tend ce rien – le « taire » et le « se taire » – où la parole est d’ores et déjà engagée ; ainsi ne s’entend-elle pas en premier lieu et tout ce qui lui donne une réalité distincte commence à la trahir. D’un autre côté, sans existence propre, ne parlent de nulle part, en suspens dans le tout du récit, elle n’y dissipe pas non plus selon le mode de la lumière qui, invisible, rend visible : elle est radicalement extérieure, elle vient de l’extériorité même, ce dehors qui est l’énigme propre du langage en écriture. Mais considérons encore d’autres traits, les mêmes du reste. La voix narrative qui est dedans seulement pour autant qu’elle est dehors, à distance sans distance, ne peut s’incarner, elle peut bien emprunter la voix d’un personne judicieusement choisi ou même créer la fonction hybride du médiateur (elle qui ruine toute médiation), elle est toujours différente de ce qui la profère, elle est la différence-indifférence qui altère la voix personnelle. Appelons-la (par fantaisie) spectrale, fantomatique. Non pas qu’elle vienne d’outre-tombe ni même parce qu’elle représenterait une fois pour toute quelque absence essentielle, mais parce qu’elle tend toujours à s’absenter en celui qui la porte et aussi à l’effacer lui même comme centre, étant donc neutre en ce sens décisif qu’elle ne saurait être centrale, ne crée pas de centre, ne parle pas à partir d’un centre, mais au contraire à la limite empêcherait l’oeuvre d’en avoir un, lui retirant tout foyer privilégié d’intérêt, fût-ce celui de l’afocalité, et ne lui permettant pas non plus d’exister comme un tout achevé, une fois et à jamais accompli.
Tacite, elle attire le langage obliquement, indirectement et, sous cet attrait, celui de la parole oblique, laisse parler le neutre. Qu’est-ce que cela indique ? La voix narrative porte le neutre. Elle le porte en ceci que : 1) parler au neutre, c’est parler à distance, en réservant cette distance, sans médiation ni communauté, et même en éprouvant le distancement infini de la distance, son irréciprocité, son irrectitude ou sa dissymétrie, car la distance la plus grande où régit la dissymétrie, sans que soit privilégié l’un ou l’autre des termes, c’est précisément le neutre (on ne peut neutraliser le neutre); 2) la parole neutre ne révèle ni ne cache. Cela ne veut pas dire qu’elle ne signifie rien (en prétendant abdiquer le sens sous l’espèce du non-sens), cela veut dire qu’elle ne signifie pas à la manière dont signifie le visible-invisible, mais qu’elle ouvre dans le langage un pouvoir autre, étranger au pouvoir d’éclairement (ou d’obscurcissement), de compréhension (ou de méprise). Elle ne signifie pas sur le mode optique ; elle reste en dehors de la référence lumière-ombre qui semble être la référence ultime de toute connaissance et communication au point de nous faire oublier qu’elle n’a que la valeur d’une métaphore vénérable, c’est-à-dire invétérée ; 3) l’exigence du neutre tend à suspendre la structure attributive du langage, ce rapport à l’être, implicite ou explicite, qui est, dans nos langues, immédiatement posé, dès que quelque chose est dit. On a souvent remarqué – les philosophes, les linguistes, les critiques politiques – que rien ne saurait être nié qui n’ait déjà été posé préalablement. En d’autres termes, tout langage commence par énoncer et, en énonçant, affirme. Mais il se pourrait que raconter (écrire), ce soit attirer le langage dans une possibilité de dire qui dirait sans dire l’être et sans non plus le dénier – ou encore, plus clairement, trop éclairement, établir le centre de gravité de la parole ailleurs, là où parler, ce ne serait pas affirmer l’être et bnon plus avoir besoin de la négation pour suspendre l’oeuvre de l’être, celle qui s’accomplit ordinairement dans toute forme d’expression. La voix narrative est, sous ce rapport, la plus critique qui puisse, inentendue, donner à entendre. De là que nous ayons tendance, l’écoutant, à la confondre avec la voix oblique du malheur ou la voix oblique de la folie (3).
Maurice Blanchot
l’Entretien infini / 1969
Maurice Blanchot sur le Silence qui parle : cliquez ICI
A écouter sur Ubuweb : Roland Barthes, le Neutre, Collège de France, 1978
Espace Maurice Blanchot
Sur le silence qui parle : Ecrire déloge / Mathilde Girard
Dedans / Dehors
L'Entretien infini / Maurice Blanchot dans Blanchot
1 Le « il » ne prend pas simplement la place occupée traditionnellement par un sujet, il modifie, fragmentation mobile, ce qu’on entend par place : lieu fixe, unique, ou déterminé par son emplacement. C’est ici qu’il faut redire (confusément) : le « il », se dispersant à la façon d’un manque dans la pluralité simultanée – la répétition – d’une place mouvante et diversement inoccupée, désigne « sa » place à la fois comme celle à laquelle il ferait toujours défaut et qui ainsi resterait vide, mais aussi comme un surplus de place, une place toujours en trop : hypertopie.
2 le Ravissement de Lol V Stein (Gallimard).
3 C’est cette voix – la voix narrative – que, peut-être inconsidérément, peut-être avec raison, j’entends dans le récit de Marguerite Duras, celui que j’ai évoqué tout à l’heure. La nuit à jamais sans aurore – cette salle de bal où est survenu l’événement indescriptible que l’on ne peut se rappeler et qu’on ne peut oublier, mais que l’oubli retient – le désir nocturne de se retourner pour voir ce qui n’appartient ni au visible ni à l’invisible, c’est-à-dire de se tenir, un instant, par le regard, au plus près de l’étrangeté, là où le mouvement se montrer/se cacher a perdu sa force rectrice – puis le besoin (léterne voeu humain) de faire assumer par un autre, de vivre à nouveau dans un autre, un tiers, le rapport duel,, fasciné, indifférent, irréductible à toute médiation, rapport  neutre, même s’il implique le vide infini du désir – enfin l’imminent certitude que ce qui a lieu une fois, tours recommencera, toujours se trahira et se refusera : telles sont bien, il me sembles les « coordonnées » de l’espace narratif, ce cercle où, entrant, nous entrons incessamment dans le dehors. Mais ici, qui raconte ? Non pas le rapporteur, celui qui prend formellement – du reste un peu honteusement – la parole, et à la vérité l’usurpe, au point de nous apparaître comme un intrus, mais celle qui ne peut raconter parce qu’elle porte – c’est sa sagesse, c’est sa folie – le tourment de l’impossible narration, se sachant (d’un savoir fermé, antérieur à la scission raison/déraison) la mesure de ce dehors où, accédant, nous risquons de tomber sous l’attrait d’une parole tout à fait extérieure : la pure extravagance.

Constructions de la réalité / Paulo Roberto Ceccarelli

« Seigneurs, reprit don Quichotte, n’allons pas si vite, car dans les nids de l’an dernier il n’y a pas d’oiseaux cette année. J’ai été fou, et je suis raisonnable ; j’ai été don Quichotte de la Manche, et je suis à présent Alonzo Quijano le Bon. Puissent mon repentir et ma sincérité me rendre l’estime que Vos Grâces avaient pour moi ! »
Avant de sombrer dans la folie, Alonzo Quijano s’adonnait pendant tout son temps de libre, soit la plus grande partie de sa journée, à lire des livres de chevalerie. Le plaisir et le goût qu’il en éprouvait étaient tels, qu’il en avait presque entièrement oublié l’administration de ses biens. Il lui est même arrivé de vendre de bons arpents de terre pour acheter de tels livres. Parmi tous les ouvrages qui s’entassaient dans sa maison, aucun ne lui semblait aussi parfait que celui de Feliciano de Silva qui se remarquait par la clarté de sa prose. C’était en particulier le cas des lettres galantes dans lesquelles on pouvait trouver : « La raison de la déraison qu’à ma raison vous faites, affaiblit tellement ma raison, qu’avec raison je me plains de votre beauté » ; ou encore : « Les hauts cieux qui de votre divinité divinement par le secours des étoiles vous fortifient, et vous font méritante des mérites que mérite votre grandeur ». De telles démesures l’avaient amené à perdre le jugement : des nuits entières il se torturait à fin d’essayer de comprendre le sens caché dans ses entrailles. En vain. Et ainsi, à force de peu dormir et de beaucoup lire, son cerveau se dessécha de manière qu’il en vint à perdre le jugement… Les enchantements, galanteries, défis et batailles, amours et blessures, et bien d’autres extravagances qui se fourrèrent dans sa tête firent de ces récits chevaleresques la plus certaine des histoires du monde. Il est alors apparu à Alonzo Quijano, dit « le Bon » absolument nécessaire et convenable, pour sa propre gloire et celle de son pays, de se faire chevalier errant et de s’en aller de par le monde. Don Quichotte déambule, alors, pour démontrer, preuves à l’appui, la véracité des livres, et le fait qu’ils traduisent bien le langage du monde. Mais, ses prouesses se font en sens inverse : tandis que les aventures des livres de chevaleries racontent la mémoire des exploits de ses auteurs, Don Quichotte, lui, part des signes pour prouver le bien fondé des récits (Foucault, 1966). Il lit le monde à travers ces signes. Si quelque chose ne va pas, c’est dans monde, et non pas dans les récits qui disent toujours le vrai. Il faut adapter le monde aux signes sans jamais les questionner. C’est pour cela que la victoire, ou l’échec, face à l’ennemi – les moulins à vent transformés en géants démesurés – importe peu : ce qui compte c’est de combler la réalité des signes. Mais, sa folie n’est pas tout à fait sans repère : de temps en temps il consulte ses livres pour savoir quoi faire, quoi dire et pour être certain que les signes, qui se donnent à voir, sont de la même nature que ceux du texte qu’il lit.Après des années d’errance, don Quichotte reprend ses esprits, redevient Alonzo Quijano et…s’apprête à mourir. Il est entouré de ses amis parmi lesquels son fidèle écuyer Sancho Panza. Tel le chœur antique, Sancho n’aura jamais abandonné son maître, même quand celui-ci se sera embarqué dans des aventures aussi insensées qu’inusitées. Tout au long des mésaventures de ces voyageurs hors temps, venus d’un village oublié dans une province retirée de l’Espagne et situé dans un lieu incertain, se bâtant contre des adversaires imaginaires portant des noms extravagants – le géant Pentapolin – ou oniriques – Le Chevalier des Miroirs -, Sancho parle sans retenue et à haute voix, afin que le Chevalier de la Triste-Figure pût entendre son refus du monde, de la réalité environnante. Sancho fut, sans doute, le premier accompagnant thérapeutique à part entière. Si son seul souci, comme son nom l’indique, était, en début d’ouvrage de se remplir la panse, il se métamorphose au cours de ces périples d’un paysan lourd en un être tellement éduqué qu’il suscite, par la finesse de son jugement, l’étonnement de ceux qu’il a en charge d’administrer dans l’île dont il est nommé gouverneur.Après avoir dormi d’un seul tenant plus de six heures au point que sa nièce et la gouvernante crurent qu’il avait passé dans son sommeil, Don Quichotte s’adresse à ses amis par ces mots : « Félicitez-moi, mes bons seigneurs, de ce que je ne suis plus don Quichotte de la Manche, mais Alonzo Quijano, que des mœurs simples et régulières ont fait surnommer le Bon. Je suis à présent ennemi d’Amadis de Gaule et de la multitude infinie des gens de son lignage; j’ai pris en haine toutes les histoires profanes de la chevalerie errante; je reconnais ma sottise, et le péril où m’a jeté leur lecture; enfin, par la miséricorde de Dieu, achetant l’expérience à mes dépens, je les déteste et les abhorre » (ch. LXXIV, p.1021). Au moment de faire son testament Alonzo Quijano semble n’avoir rien oublié de Don Quichotte ni de son écuyer ainsi que du caractère et de la fidélité de ce dernier : « Ma volonté est qu’ayant eu avec Sancho Panza, qu’en ma folie je fis mon écuyer, certains comptes et certains débats (…) on ne lui réclame rien. (…) Si, de même qu’étant fou j’obtins pour lui le gouvernement de l’île, je pouvais, maintenant que je suis sensé, lui donner celui d’un royaume, je le lui donnerais, parce que la naïveté de son caractère et la fidélité de sa conduite méritent cette récompense » (ch. LXXIV, p.1024). Et se tournant vers Sancho, il ajoute : « Pardonne-moi, ami, l’occasion que je t’ai donnée de paraître aussi fou que moi, en te faisant tomber dans l’erreur où j’étais moi-même, à savoir qu’il y eut et qu’il y a des chevaliers errants en ce monde » (ch. LXXIV, p.1024). »Enfin, la dernière heure de don Quichotte arriva, après qu’il eut reçu tous les sacrements, et maintes fois exécré, par d’énergiques propos, les livres de chevalerie. Le notaire se trouva présent, et il affirma qu’il n’avait jamais lu dans aucun livre de chevalerie qu’aucun chevalier errant fût mort dans son lit avec autant de calme et aussi chrétiennement que don Quichotte. Celui-ci, au milieu de la douleur et des larmes de ceux qui l’assistaient, rendit l’esprit » (ch. LXXIV, p.1027). Don Quichotte de Miguel de Cervantes Saavedra, œuvre majeure de la littérature mondiale, s’impose comme le premier roman moderne ; en 2005, il fêta ses 400 ans. Considéré comme le meilleur roman de tous le temps (Fuentes, 2005), il a connu un énorme succès lors de sa première édition en 1605 et continue à se vendre sans interruption. Traduit en toutes les langues, Don Quichotte a fait l’objet de quelques adaptations cinématographiques ainsi que d’une comédie musicale assez connue. Ce chef-d’œuvre, l’un des ouvrages les plus lus au monde, ne laisse pas le lecteur indifférent et cela à travers des siècles et dans toutes les classes sociales. De même, les savants, tous horizons confondus, ne sont pas restés insensibles aux effets de Don Quichotte qui fut et continue d’être, l’objet d’innombrables commentaires, critiques et analyses en tous genres.Quoi qu’il en soit, Don Quichotte nous envoûte. L’on y lit chaque mot, comme l’on apprécie un grand cru : en en savourant chaque goutte. L’on est captivé par l’apparente folie de son récit, ainsi que par son vertigineux effet onirique et, en même temps, plus d’une fois étonné par la lucidité de sa folie. « Avec du jugement, aurait-il été si héroïque ? » (Unamuno). Don Quichotte meurt une fois « guéri ». Mais, guéri de quoi sinon de sa certitude ? Il était fou parce que figé dans l’imaginaire dépeint dans les livres de chevalerie. C’est la certitude, et non pas le doute, qui rend l’individu fou : « Dans tous les asiles il est tant de fous possédés par tant de certitudes ! » (Pessoa, F. le Bureau de tabac).Chez Don Quichotte, la certitude possède le statut d’un mythe fondateur. S’appuyant sur les vérités dépeintes dans les livres de chevalerie, Don Quichotte part pour retrouver, dans la réalité, la « vison du monde » de ces livres: si les deux ne concordent pas c’est la réalité qui doit être modifiée ; les récits, sacrés, sont eux immuables. Néanmoins, on connaît le personnage, comme on connaît un mythe, c’est-à-dire, sans bien savoir en quoi il consiste. Et c’est sur l’aspect mythique de la réalité, si perceptible chez l’Homme de la Mancha, que je voudrais aujourd’hui proposer quelques pistes de réflexions. Mythes et réalité(s) : les mythes représentent le patrimoine fantasmatique de la culture. Il y a autant de mythes d’origine que de groupements humains (Yvanoff, 1995). Ce sont des récits construits par les peuples pour répondre à des questions restées sans réponse et pour expliquer les causes premières ainsi que l’essence de la réalité. Les mythes de création décrivent le début du monde, de la vie, de la planète, et de l’humanité à partir d’un acte délibéré de création d’un être supérieur. Ils déterminent les règles de conduites, les devoirs et les droits des humains en étroite relation avec le projet divin. Grâce à la cosmologie qu’ils soutiennent, un point de départ permettant de fonder historiquement l’origine de l’homme, des animaux et des choses est créé, ce qui assure le passage du chaos au cosmos, de l’irreprésentable aux représentations langagières. Cela veut dire que les mythes fondateurs de la culture ont, pour les peuples, la même fonction que celle des mythes individuels pour le sujet : une manière d’attribuer des représentations aux affects, permettant (et au sujet et à la culture) de se situer dans l’espace et de se repérer dans le temps. Ses récits jalonnent le chemin, toujours imaginaire, à travers la barre du refoulement reliant le processus primaire au secondaire. Pour Freud, au-delà du fait que la psychanalytique soit imprégnée de mythes : Œdipe, Narcisse…, les théories qui soutiennent notre pratique théorique-clinique, ainsi que toute science, relèvent de la mythologie : « nos théories sont une manière de mythologie ». « En va-t-il autrement pour vous dans le domaine de la physique ? » demande-t-il à Einstein ? (Freud, 1933b, 17). La théorie des pulsions est « notre mythologie », écrit Freud. « Les pulsions sont des êtres mythiques à la fois mais définis et sublimes » (Freud, 1933, 59). Ferenczi disait qu’une des grandes contributions de Freud et de ses élèves fut d’établir que les mythes « sont l’expression symbolique des pulsions refoulées de l’humanité » (Ferenczi, 1913, 21). Par ailleurs, le mythe de l’ordre primitif, tel que Freud l’a dépeint dans Totem et Tabou, n’est que la fin de l’odyssée du « devenir humain » lequel a commencé par un autre mythe, celui d’une catastrophe écologique sans précédent et qu’il nous propose dans Vue d’ensemble des névroses de transfert. Nos théories puisent leur force du postulat, rarement questionné, selon lequel il y aurait une réalité « derrière ». Mais, il ne s’agit, en fait que de représentations. Et « ces représentations, ensuite, nous les qualifions et puis, c’est tout » (Moscovici, 1985, 15). Bion va dans le même sens en écrivant: « Les théories psychanalytiques, ainsi que les énoncés du patients et de l’analyste, sont des représentations d’une expérience émotionnelle » (Bion, 2002, 13). C’est pour cela, que je soutiens que du point de vue de l’économie libidinale, les mythes ont le même statut que celui de la réalité psychique : un récit qui offre des représentations aux pulsions ; et que leur perte peut être expérimentée, et pour le sujet et pour la culture, comme une perte des références identificatoires puisqu’elle déchaîne la circulation pulsionnelle, provoquant le collapsus de la fonction imaginaire et symbolique. (Ceccarelli ; Lindenmeyer, 2006). Pour illustrer la question de la construction de la réalité, j’aimerais évoquer certains énoncés de la physique quantique et montrer quelques points où psychanalyse et physique quantique se recoupent. Nous ne développerons pas ces points car nous ne cherchons pas à nous installer dans une interdisciplinarité que ne peuvent permettre des sciences aux épistémologies si différentes. Néanmoins, les postulats d’une théorie peuvent nous aider à aborder les nôtres sous un autre angle. Par ailleurs, il n’est pas sans intérêt de rappeler que les bouleversements provoqués par les propos freudiens dans notre « vision de monde » sont très proches de ceux introduits par les théories quantiques.La physique mécaniciste fut une conséquence de la sécularisation de la vision sacrée du monde selon laquelle le cosmos était une grande machine conçue et mise en mouvement par Dieu et, par conséquent, non passible d’une analyse plus approfondie. La division entre le « je » et le « monde », basée sur la physique classique, proposait une compréhension rigoureuse et déterministe du monde : le principe de la causalité, selon lequel tout possède une cause spécifique avec un effet prévisible. L’objectivité devient alors l’idéal de la science, qui émerge comme une « religion » avec ses mythes propres et complexes. « Une conséquence du dualisme cartésien est que la plupart des individus se perçoivent comme des sujets isolés existant à l’intérieur’ de leurs corps » (Capra, 2004, 23). Les travaux d’Albert Einstein sur l’espace-temps publiés en 1905 – l’année même de parution des Trois essais, texte de Freud tout aussi révolutionnaire – ont irrémédiablement ébranlé la vision newtonienne du monde, déjà fortement touchée par les travaux de Faraday et de Maxwell sur les phénomènes électromagnétiques. De la même manière que les avancées d’Einstein ont mis en question la physique newtonienne, la perspective freudienne du fonctionnement psychique va, on le sait, tout à fait dans le sens d’une intégration corps/esprit, à l’opposé du cogito ergo sum cartésien qui avait conduit l’homme occidental à s’identifier à sa conscience au détriment de l’ensemble de son être.La dualité onde-particule concernant la nature de la matière est l’affirmation la plus déconcertante de la physique quantique. Selon elle, au niveau subatomique les éléments peuvent également être décrits tantôt comme des particules solides (volume, espaces définis), tantôt comme des ondes qui se propagent dans toutes les directions. Cela veut dire que l’on ne peut songer à un passage linéaire, continu et discret du monde quantique au visible, ce qui amène à poser que la réalité est une construction. Plus on pénètre dans les profondeurs du monde subatomique, et plus on se confronte aux vastes espaces vides et à des champs indistincts de pulsations d’énergie électrique, magnétique, acoustique et gravitationnelle. Avec l’avènement de l’univers quantique, où l’on ne peut jamais dire que la matière existe mais seulement qu’elle présente une probabilité ou une « tendance » à exister et où, de même, les événements possèdent seulement une probabilité ou une « tendance à se produire », le concept de « réalit »», si cher à la vision mécaniciste, fut détruit une fois pour toutes.: l’ordre se soutient du chaos, et les objets solides qui nous entourent sont, au plus profond d’eux-mêmes, composés de vide. Pour la physique quantique, la matière n’est rien d’autre que de l’énergie confinée dans une forme. En plus, parce que nous, les observateurs, nous faisons partie de la « »danse continue d’énergie » qui constitue la totalité de l’univers, parce que, nous aussi, nous sommes faits d’atomes, notre présence dans le dispositif d’observation interviendra forcément dans le résultat final. Il ne s’agit pas seulement de la subjectivité de celui qui observe – le regard de celui qui regarde n’est pas indépendant de sa propre organisation subjective – mais, plutôt, d’une modification dans les étalons énergétiques produite par l’interaction des toiles dynamiques d’énergies et de l’observateur et de l’élément observé. Par exemple : la présence de l’observateur – que ce soit un homme ou une machine – modifie la vitesse de l’atome qui fait l’objet de l’observation, de sorte qu’il est impossible de savoir où était et ou sera cet atome une fois éloignée l’influence perturbatrice. Or, l’impossibilité d’accéder à la réalité « en soi » de la matière ne serait-elle pas un équivalant, sur le mode quantique, de l’impossibilité de vérifier la véracité de la scène originaire (Urszene), dont le rôle est si important pour le développement et la genèse de la névrose et de ses symptômes? L’enfant l’a-t-il vraiment observée, ou n’est elle qu’une représentation (d’une expérience émotionnelle) sur un mode fantasmatique ? Donner une représentation psychique à la pulsion ne serait-ce pas une « tendance à exister » de la réalité psychique ? Le principe d’incertitude, introduit par la physique quantique, – l’on ne sait jamais où se trouve une particule – n’est-il pas assez proche de la notion psychanalytique de l’inconscient, dont on ne connaît que les formations, telles que les lapsus, les oublis, les rêves, le sentiment d’étrangeté (Unheimlich), enfin l’émergence d’une autre scène en des lieux et place les plus inattendus ? Quel(les) est (sont) la(es) corrélation(s) entre les postulats d’Einstein relatifs à l’espace-temps et l’intemporalité de l’inconscient freudien ? Et entre les perturbations énergétiques produites dans une observation par la présence de l’observateur, et les effets de transfert et de contre transfert dans la dynamique psychique qui lie l’analysant et l’analyste dans la cure ? « La séance analytique est un équivalent de situation expérimentale où sont mobilisées et déchaînées des forces passionnelles sans commune mesure avec celles qu’on peut percevoir dans la vie courante, même si elles y sont présentes » (Kipman, 166). En plus, il n’est pas sans intérêt de rappeler que le mot Übertragung (transfert) désigne aussi une transmission au sens de la transmission radiophonique où l’on a une source d’émission d’un côté et, un récepteur de l’autre. Il n’existe aucun lien entre le thème qui fait l’objet de la transmission – de la musique, de la publicité, des nouvelles -, la source de l’émission et l’appareil récepteur.Freud n’a pas été insensible à certains propos quantiques bien qu’il ne les ait jamais nommés comme tels. Trois de ses textes, Psychanalyse et télépathie, Rêves et télépathie et Rêves et occultisme, traitent de phénomènes difficiles à expliquer. Dans Rêves et occultisme, en discutant sur la transmission de la pensée, il semble finir par admettre l’existence de processus télépathiques où, à travers un processus physique, un processus mental est transformé, transmis et, finalement, retransformé au niveau du récepteur. La conclusion de Freud nous invite à la réflexion : « Je dirais même que la psychanalyse nous a préparés à admettre des phénomènes comme la télépathie, en insérant l’inconscient entre le physique et ce qu’on a appelé jusqu’ici le psychique. » (Freud, 1917, 79). Ce texte suggère, enfin, que, pour Freud, les processus mentaux possèdent de la matérialité, dans le sens quantique du mot, et qu’ils peuvent, pour cette raison, être transformés en énergie, être transmis et reconvertis en processus mentaux à l’autre extrémité. Une premières découvertes freudiennes et des plus précoces a été celle de la pluralité des acteurs psychiques, ce qui ne peut se comprendre qu’à partir du point de vue dynamique qui prend en compte les rapports de forces conflictuelles, et donc les dépenses d’énergie sous-jacentes à toute formation psychique. C’est grâce au dynamisme pulsionnel, c’est-à-dire, aux mouvements de déplacement et de transfert d’énergie, que l’on peut appréhender les divers aspects du Moi ainsi que la diversité des fonctions responsables de l’interface monde extérieur, monde intérieur et du corps. Les mouvements identificatoires constitutifs du Moi et les cas dits de multiples personnalités y trouvent aussi leur compréhension (Freud, 1923). Bref, pour Freud le Moi, résultat conscient des processus inconscients de l’identification, est vécu par des forces inconnues, et n’est qu’une synthèse ponctuelle, forcément fantasmatique, que l’individu est obligé de faire, malgré l’impossibilité inhérente de le faire, dès qu’il essaie de parler de lui-même. Le Moi serait une espèce de « toile de fond », établie à chaque instant dans ce mouvement autant particulier que paradoxal répété pour toujours, et ayant pour soubassement les contenus toujours en mouvement du refoulé, ce qui donne, à chacun, le sentiment d’être toujours la même personne. (Peut-on déceler certains points de tangence entre la mobilité des représentations constitutives du Moi et les concepts de déterritorialisation et reterritorialisation chez Deleuze et Guattari ?) Malheureusement, comme le remarque Bompart-Porte (2006), beaucoup de l’originalité de la pensée freudienne s’est égarée avec l’introduction en psychanalyse, par Lacan, de la notion de structure et de celle du sujet d’inspiration augustinienne. Toujours selon Bompart-Porte, l’importance attribuée par Freud à l’hétéronomie du psychisme l’a amené à restreindre volontairement la notion de sujet à sa fonction grammaticale. Quoi qu’il en soit, tant la physique quantique que la psychanalyse, deux sciences contemporaines l’une de l’autre, « rompent avec la prétention de vérité et de réalité fixées et immuables, avec la conception de temps et d’ordre efficace » (Xavier de Albuquerque, 2000). Toutes deux sont des tentatives – chacune avec la mythologie qui lui est propre, au sens avancé par Freud et rappelé plus haut – de parler des origines, et, donc, de créer et de lire, de décrire et de justifier le monde. Ces créations, bien qu’elles ne soient que des modèles sans aucune référence à une Vérité Ultime, nous permettent de mettre de l’ordre dans le chaos, de passer, dans la terminologie psychanalytique, des processus primaires aux représentations du processus secondaire. Bref de créer un état « d’ordre », par le bais du refoulement, décrit comme civilisation, avec tout le malaise qu’il renferme (Freud, 1930). Le chevalier de la Triste-figure Don Quichotte a lu et compris les récits des livres de chevalerie comme l’unique possibilité de saisir le monde. Et quand le monde n’y correspondait pas il lui fallait, le corriger, le récrire, pour que la seule lecture du monde, en accord avec les idéaux de la noble chevalerie, soit maintenue. Le notaire qui a témoigné de ses derniers instants affirma que Don Quichotte mourut avec un calme et de façon si chrétienne qu’il n’en avait jamais lu chez aucun chevalier dépeint dans les livres de chevalerie. Alonzo Quijano le Bon meurt en paix après avoir quitté l’incertitude de la réalité, fait un détour par la folie de la certitude, et avoir, finalement, compris que toute approche de la réalité n’est qu’une construction. C’est-à-dire, qu’il n’y a pas de réalité ultime, de mythe premier. Cervantès appartient, certes, à la tradition intellectuelle d’Érasme de Rotterdam, « une chandelle rapidement soufflée par les vents froids et dogmatiques de la Contre-réforme » (Fuentes, 2005), dont les œuvres se virent jeter l’anathème par l’Inquisition, et dont le testament restera un secret. Don Quichotte déambule à travers l’univers érasmien dans lequel toute vérité est suspecte, et tout baigne dans l’incertitude. Et le roman, tel que nous le comprenons, et le résultat du mariage entre la sagesse de Rotterdam et la folie de la Manche. Mais en renonçant à un mythe fondateur Cervantès annonce aussi, des siècles à l’avance, certains propos quantiques, par rapport à l’appréhension de la réalité, ainsi que des propos psychanalytiques concernant les fonctions des mythes, donc la réalité psychique, dans la constitution du psychisme et du délire comme tentative de guérison. Don Quichotte est « guéri », rappelons le, lorsque, soulagé, il comprend qu’il n’y a pas une réalité préalable à saisir. Don Quichotte ne fait pas qu’exprimer la naissance du roman moderne, il montre aussi que la réalité n’est pas fixe, mais changeante, qu’elle ne peut être approchée qu’après que l’on a renoncé à la définir une fois pour toutes. À travers son Don Quichotte, Cervantès dépasse le « su » et transgresse, au sens que Piera Aulagnier donne à ce mot, « une vérité jusqu’alors pensée comme sacrée et comme garantie d’un savoir (et donc d’une maîtrise possible) sur le monde » (Aulagnier, 1969, 70). La transgression produit alors des points tournants, sans qu’il existe, bien entendu, une transgression « ultime », ce qui équivaudrait à récréer le mythe d’un absolu de la connaissance. Don Quichotte est troublant parce que d’une actualité déconcertante. Réflexions finalesNous l’avons vu, nos théories sont une forme de mythologie. Cela dit, il est toujours important de rappeler que c’est le fait que diverses lectures du réel soient possible qui permet l’existence du discours scientifique, du discours mystique, du discours religieux, du discours politique etc.. Ces discours, chacun à partir de ses propres référentiels, proposent différentes constructions de la réalité. Néanmoins, ce qui caractérise le discours scientifique c’est la possibilité de mettre en cause la certitude de ses énoncés. En même temps, lorsqu’un discours ne supporte pas de critiques, quand les références théoriques qui le soutiennent se transforment en dogmes, le discours se transforme en religion, et leurs présupposés en lois sacrées. Parce que nous sommes des animaux de horde conduits par un chef (Freud, 1921), nous nous regroupons selon la pensée – qui occupe ici la place du chef – qui nous semble la plus « correcte ». Mais, la plus correcte par rapport à quoi, si ce n’est par rapport aux modèles qui, transférentiellement, pansent le mieux nos angoisses ? Nous parlons, alors, d’objets internes, dynamiques pulsionnelles, mouvements identificatoires, signifiants constitutifs du sujet, d’éléments alpha et bêta, d’objets transitionnels… Mais, au fond, qu’est-ce qui est en jeu si ce n’est le transfert vers la théorie qui nous offre les représentations qui nous semblent les plus adéquates, les plus capables de mettre en parole les souffrances, jusque là vécues sous des expressions diverses de l’angoisse qui nourrissaient les symptômes névrotiques. C’est-à-dire, les paroles constitutives du mythe individuel. Regroupés autour d’elles, nous créons des institutions qui s’appuient sur leurs référents tant théoriques que cliniques dans la tentative d’expliquer l’inexplicable, de parler de l’indicible. Hélas, nous oublions, assez fréquemment, que le transfert est un investissement imaginaire (Ceccarelli, 2005). En même temps, croire qu’une configuration pulsionnelle est plus vraie qu’une autre, la seule productrice de « santé psychique », risque de traiter les mythes fondateurs dans une perspective fondamentaliste entendue comme la seule capable de produire de la « normalité ». À partir de là, nos théories, transformées en instruments idéologiques, ne serviraient qu’à dicter comment la circulation pulsionnelle doit se produire. L’on n’entend pas une dynamique psychique qui nous paraît étrange (Unheimlich), et l’on renferme notre écoute dans notre façon de concevoir la circulation des affects. Un tel mécanisme de défense nous fait oublier que les constructions syntagmatiques que nous utilisons pour « lire » le monde ne sont qu’une possibilité, parmi tant d’autres, de conforter notre détresse (Hilflosigkeit). Cela veut dire que les mythes ont, aussi, une fonction idéologique très importante : celle d’assurer que l’ordre symbolique, qui soutient l’ordre social, soit perçu comme une chose sacrée, universelle et immuable, plutôt que comme une construction socio-historique arbitraire datée dans le temps et dans l’espace. (Sousa Filho, 2003). A côté des grands « transgresseurs » de l’histoire – Galilée, Darwin, Freud, pour ne citer que les plus connus, auxquels j’ajouterais volontiers Cervantès, et sans oublier ceux qui furent brûlés comme « hérétiques » – la petite histoire est riche d’exemples de « petites transgressions » perpétrées par ceux, et celles, qui ont osé s’élever contre l’ordre établi. Quand cela arrive, le savoir en place est renversé par un nouveau savoir qui, le temps venu sera, lui aussi, remplacé par un autre issu d’une nouvelle transgression. Et ainsi de suite. La vérité est une invention interprétative, dont les concepts sont datés, et qui dure jusqu’à ce qu’une autre vérité vienne la remplacer (Foucault, 2000 pour l’édition brésilienne). C’est ce mouvement transgresseur qui fait avancer la réflexion théorico-pratique, et cela dans n’importe quel champ de la connaissance. Aussi, la transgression a-t-elle une dimension éthique liée à l’idée de nouvelles voies vers d’autres vérités : elle est une création qui marque la potentialité de résistance [à la répétition du même]. Voilà ce qui manque parfois à la pratique clinique actuelle : la transgression qui nous ferait quitter l’abri (sécurisant ?) d’une vérité acquise, laquelle se manifeste sous la forme d’un transfert passionnel vers une pensée, une théorie ou encore vers un pouvoir idéalisé. Ce cas de figure produit une négation de toute perception qui risquerait de mettre à jour la pathologie du rapport. L’état apparemment a-conflictuel qui en découle a comme conséquence la création de groupes de professionnels « unis par le transfert ». En contrepartie, tous les autres professionnels affectés par d’autres mouvements transférentiels risquent de devenir la cible par excellence des projections issues des motions pulsionnelles agressives produites à l’intérieur du groupe, ce qui leur donne parfois l’appellation de « mauvais analystes ». Et là… la possibilité d’écoute de la souffrance de l’autre se voit compromise.

Paulo Roberto Ceccarelli
Article publié dans Chimères n°68 / 2008

voir aussi le site de Paulo Roberto Ceccarelli

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