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Coréam / Sébastien Boussois / Chimères n°71, Dedans-dehors 2

L’UN DES TOUT PREMIERS FANTASMES de mon adolescence fut, dans la pénombre amortie de vitraux incandescents, celui d’un corps cru, dépouillé, dépenaillé, haillonneux, scarifié et, malgré tout cela, beau, serein, sage dans la souffrance. En pénétrant tous les dimanches matin dans l’église de mon enfance, afin d’y mettre en pratique la souplesse de mon catéchisme, à l’époque déjà quelque peu en sursis, je m’extasiais, sur le Jésus qui trônait au-dessus du maître-autel.
J’aurais voulu le déposer. Magnifiquement monté, il avait le torse ferme, les tétons stimulés, les cuisses viriles, la serviette en fichu découvrant le plus bas du ventre que j’étais le seul à chercher à percevoir, les mains pendantes, le nombril bien en chair. La statue de ce Jésus-ci avait dû faire le bonheur de nombreux hommes. Des hommes à genoux. J’étais un garçon d’église et de confessions, en adoration devant cet homme si simple.
J’éprouvais avec mesure de la piété pour ce corps beau, du respect et une délicate ferveur pour un homme aimé et reconnu de tant de monde. On est beau lorsque l’on est aimé et admiré. Il me fascinait et je crois bien qu’à huit ans, Jésus fut l’un de mes premiers amours idéalisés. Un amour absolu qui détenait déjà tant de qualités humaines rares. Quelque chose que l’on sent mais que l’on ne peut toucher. Quelqu’un qui sent bon avant que la vie ne vous rende mauvais. Une personne qui veille sur vous, vous donne confiance, vous rend bien et qui vous paraît être la personne idéale pour faire un bon chemin de vie. Mais comme tout absolu, on le fantasme bien plus qu’on ne doit le vivre. En tout cas, cela est mon cas. J’aimerai être un cas rare et précieux comme du marbre. L’Amour absolu peut me forger.
Comme le messie que l’on attend avec ferveur, je me demande si justement, cela n’est pas mieux qu’il ne survienne jamais. Justement parce qu’il tient en haleine toute une vie. Justement, parce que je m’imaginerai ainsi pouvoir avoir encore un peu plus, encore un peu mieux. En attendant, soit je consommerai, soit je me consumerai. Et je piocherai du relatif à gauche à droite pour recomposer patiemment l’absolu.
À trente-trois ans, Jésus respirait encore l’adolescence et ce corps d’éphèbe en bois ne devait être qu’une projection fantasmagorique des désirs de l’artiste. Tout comme certains de ces tableaux où Marie tient son fils avec amour, Christ descendu mort. Je suis allé à Rome. J’y ai vu plus tard et plus grand, il faut être grand pour voir cela, la Piéta de Michel-Ange à la Basilique Saint-Pierre. Je m’y suis fait draguer. La statue magistrale du Christ, beau dans l’au-delà, attire tous les fervents adorateurs d’ici bas, invertis ou non, de l’esprit mais surtout du corps. De toute façon, je pense que l’enveloppe charnelle de Jésus ne pouvait être que divine pour tout ce qu’elle représentait et devait symboliser. Moi aussi j’aurais aimé comme lui être battu de verges ! Est-il si loin de ce que j’aurais exécuté moi-même en qualité d’artiste si l’on m’avait passé commande d’un dieu Éros ? J’aurai fait un tableau encore plus provocant. Jésus aurait été nu, complètement nu.
Comment un fichu peut-il résister à tant d’atrocités d’ailleurs et être si peu souillé ? J’aime la provocation et je n’aurais sûrement pas manqué de devenir la verge de la fureur de Dieu en réalisant cela. J’ai aimé très tôt l’art et je m’en fous bien des foudres divines : je continuais enfant à regarder Jésus avec désir parce qu’il m’a offert avec précocité des chairs auxquelles je n’aurai véritablement eu accès que bien plus tard. Chaque semaine, je touchais les pieds de Jésus et je crois bien que cela excitait chaque fois un peu plus mon désir. Oui, je sentais de l’excitation à lui caresser les pieds. Mes parents appréciaient ma religiosité et mon sérieux à me rendre à la messe. Je crois qu’ils étaient fiers de m’avoir fait découvrir un nouvel univers, auquel eux-mêmes n’adhéraient finalement plus. Ils avaient ainsi mis toutes les chances de mon côté.
Mon âme et mon corps aiment depuis toujours les âmes et les corps des jeunes hommes. L’Église m’a quitté depuis comme une maîtresse ingrate. Une maîtresse qui n’était plus une pièce maîtresse de mes échappées lyriques et sexuelles. Je passais à un autre stade. Aujourd’hui, je suis loin d’être redevenu un enfant de choeur. De la stimulation, de la perdition, de l’amour, de la déperdition. Voilà ce que je ressens au quotidien lorsque je traîne mes guêtres dans la vie habillée de ce tissu social qui nous étreint parfois à nous étouffer. Je regarde. Je détourne les yeux, mais jamais le regard. Je le soutiens même. Sur une chevelure, un nez, une oeillade, des mains fines, des épaules larges, un pantalon tombant, un caleçon rose froncé apparent, des chaussures converse bleues marine, une belle paire de pieds dessous comme ceux de Jésus. Une posture élégante ; du naturel.
J’aime me rassurer et inquiéter. Je renvoie la balle. L’arrogance du jeu de séduction. Parce que souvent, j’indispose. Mais je suis enfin devenu moi-même pour ne pas avoir à me soucier de ce que l’un ou l’autre de mes objets de contemplation pourrait penser ou dire. Ça accroche ou ça glisse. Tellement peu de fois les deux l’un dans l’autre. Trop souvent l’un à côté de l’autre. On dit que tous les enfants sont des « pervers polymorphes ». Serais-je demeuré l’enfant aux amours infantiles ? Et pourquoi ma passion de la jeunesse ne pourrait-elle être un chemin de vie ? La question serait de savoir ce que je recherche vraiment : ça, je pense le savoir enfin, c’est le bonheur de l’instant qui conduit ma conduite et rien d’autre. Je jouis. Des fois, je ne veux pas toucher. Exprès. Un corps frêle et féminin, des mains aux ongles soignés, de longs cils courbés, un regard doux et rassurant, j’aime tant tout ce qu’il y a de féminin en un jeune homme. Pour le simple plaisir d’irriguer son regard de plénitude. Platon dans son Lysis est comme moi. Nous sommes tous, comme tous les autres. Comment refréner nos pulsions ? Et pour quoi faire ? Socrate n’était pas qu’un précepteur sans désirs détournés.
Il faut cesser avec cela: Socrate avait des ardeurs, des envies humaines, comme tout le monde.
Nous ne sommes pas que des précepteurs, non. Nous aimons l’enveloppe charnelle. Socrate aimait aussi les jeunes pour leur corps. Des organismes particuliers. À la croisée des chemins, des corps comme l’androgyne et le bonheur de l’amour pour le troisième sexe. Platon s’explique à ce sujet dans le Banquet : « D’abord, il y avait chez les humains trois genres, et non pas deux comme aujourd’hui, le mâle et la femelle. Il en existait un troisième, qui tenait des deux autres ; le nom s’en est conservé de nos jours, mais le genre, lui, a disparu; en ce temps-là, en effet, existait l’androgyne, genre distinct, qui pour la forme et pour le nom tenait des deux autres, à la fois du mâle et de la femelle. Aujourd’hui, il n’existe plus, ce n’est plus qu’un nom déshonorant. »
Sébastien Boussois
Coréam / 2009
Extrait du texte à paraître en janvier 2010
dans Chimères n°71 Dedans-Dehors, 2

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La résistance en morceaux / Elias Jabre / Valentin Schaepelynck / Marco Candore / Chimères n°71, Dedans-Dehors 2

« J’ai volé trop loin dans l’avenir : un frisson d’horreur m’a assailli.
Et lorsque j’ai regardé autour de moi, voici, le temps était mon seul contemporain.
Alors je suis retourné, fuyant en arrière – et j’allais toujours plus vite : c’est ainsi que je suis venu auprès de vous, vous les hommes actuels, je suis venu dans le pays de la civilisation.
Pour la première fois, je vous ai regardés avec l’œil qu’il fallait, et avec de bons désirs : en vérité je suis venu avec le cœur languissant.
Et que m’est-il arrivé ? Malgré le peu que j’ai eu – j’ai dû me mettre à rire ! Mon œil n’a jamais rien vu d’aussi bariolé !
Je ne cessai de rire, tandis que ma jambe tremblait et que mon cœur tremblait, lui aussi : « Est-ce donc ici le pays de tous les pots de couleurs ? » – dis-je.
Le visage et les membres peinturlurés de cinquante façons : c’est ainsi qu’à mon grand étonnement je vous voyais assis, vous les hommes actuels !
Et avec cinquante miroirs autour de vous, cinquante miroirs qui flattaient et imitaient votre jeu de couleurs !
En vérité, vous ne pouviez porter de meilleur masque que votre propre visage, hommes actuels ! Qui donc saurait vous – reconnaître ?
Barbouillés des signes du passé que recouvrent de nouveaux signes : ainsi que vous êtes bien cachés de tous les interprètes !
Et si l’on savait scruter les entrailles, à qui donc feriez-vous croire que vous avez des entrailles ? Vous semblez pétris de couleurs et de bouts de papier collés ensemble.
Tous les temps et tous les peuples jettent pêle-mêle un regard à travers vos voiles ; toutes les coutumes et toutes les croyances parlent pêle-mêle à travers vos attitudes.
Celui qui vous ôterait vos voiles, vos surcharges, vos couleurs et vos attitudes n’aurait plus devant lui que de quoi effrayer les oiseaux.
En vérité, je suis moi-même un oiseau effrayé qui, un jour, vous a vus nus et sans couleurs ; et je me suis enfui lorsque ce squelette m’a fait des gestes d’amour. »

Friedrich Nietszche
Du pays de la civilisation in 
Ainsi parlait Zarathoustra

Dans ce chaos peinturluré, il n’y a d’autre recours que la posture narcissique consistant à tirer son épingle du jeu au nom d’un « Moi » global, aussi morcelé soit-il, fantôme d’unité retrouvée tout en étant décomposé par les milliers de lieux et de discours qui le tiraillent (et auquel il ne croit pas) à défaut de réussir à bâtir un agencement à partir d’énoncés désirants.
Le foyer de l’individualisme, c’est l’incapacité de croire à quoique ce soit au-delà des limites de son « Moi » : le narcissisme d’un être évidé (Stirner, l’Unique et sa propriété). Mais il croit encore en Dieu, puisqu’il croit encore en son Moi, aussi vide qu’il lui paraisse.
Un Moi « total » (totalisant, totalisé) traversé de tous les flux du capitalisme : chaînon polymorphe de la Matrice : précaire, salarié, propriétaire, auto-entrepreneur, militant, indifférent, étranger, inactuel, actionnaire, révolté, blasé, sarcastique, ennuyé, rêveur, déterminé, loser, zombie etc, nous sommes débités par petits bouts, c’est donc en morceaux que nous résistons.
L’Armée des ombres de Melville met en lumière la résistance héroïque d’hommes et de femmes dans un monde devenu indigne. La violence des résistants les ronge eux-mêmes, notamment lorsqu’ils décident d’exécuter celui des leurs qui les a donnés. Face au pouvoir barbare de l’occupation et de Vichy, la réplique se doit d’être aussi radicale : ne pas hésiter à exécuter les traîtres, si atroce que soit le geste justicier. C’est également une société où derrière la façade de vies ordinaires, se vivent des identités clandestines formant communauté autour de l’œuvre de résistance : « Je ne l’avais croisée que quelques minutes, et elle me semblait plus proche que mon frère que j’aimais pourtant toujours autant » ; résistance et sens de l’honneur où surmoi et idéal du moi se conjuguent au service d’une valeur transcendante dans un projet commun. Rendre sa dignité à une nation incarnée par de Gaulle qui décorera le chef des résistants : structure hiérarchique, verticale et paternaliste qui renvoie à la structure de l’ennemi et de son Führer. Mois capables de douter de leur combat, peut-être sans issu, mais ne doutant jamais de la plénitude de leur Moi.
Politique-people, camps pour sans-papiers, hyper-médias, catastrophisme écologique, modes d’existence calés sur la marchandise, etc. : aujourd’hui également, notre temps pourrait être qualifié d’indigne, mais nous utilisons le conditionnel, car nous en sommes moins sûr : nous avons avalé tant de couleuvres que nous avons perdu le sens un peu théâtral de l’indignation. Nous sommes en paix, dit-on aussi, ça n’a donc rien à voir.
La barbarie a donc pris des formes nouvelles et l’ennemi bien cadré de l’époque a perdu ses traits. Il se déplace désormais sur tous les visages jusqu’à parfois s’emparer du nôtre quelques instants ou bien une tranche de vie. Les résistants jouaient double jeu, mais ils savaient de quel côté ils se trouvaient – même les brouilleurs de frontières qui essayaient de sauver leur amour-propre avec leur peau. Nous ne jouons plus double jeu : nous avons une multitude de visages et sur ces multiples visages, une multitude de masques circulent, et seuls les plus naïfs pensent qu’ils demeurent toujours du bon côté. Il devient évident que le moi a disparu – alors même qu’il semble avoir partout triomphé.
Inévitable déconfiture du moi suivie de sa dissolution puisque le « dedans » n’est que le reflet du « dehors », et quiconque tentera de préserver un dedans en vivant en dehors du bocal ou contre lui, s’évidera. Or le dehors est à notre image, déconstruit, et même décomposé : ainsi les discours qui l’habillent sont en lambeaux.
Alors, s’il s’agissait de monter de nouveaux noyaux de création, et, au lieu d’y engager tout notre être avant d’abandonner le navire ou de tuer les autres, si nous nous engagions désormais… en morceaux : pratiques communes du dissensus. La politique consisterait à trouver des moyens de ne pas s’entendre ensemble, dans des espaces temporaires et à chaque fois renouvelés : anarchie couronnée, règne des incompossibles !
Se battre dans des espaces morcelés, les multiplier ailleurs avec d’autres morceaux d’autres individus, sous d’autres agencements pour que des lignes transverses les traversent à leur tour et renouvellent d’autres énoncés : résistance en morceaux, pour et par de nouvelles formes de clandestinité, créant des espaces proliférants, insaisissables.
Dessiner des contours mouvants pour accueillir nos singularités actives, nos implications, plis et replis de pratiques, de concepts, pour ouvrir des échappées.
Car vingt ans après la « chute » d’un célèbre Mur, le capitalisme total-démocrate strie l’espace de tous ses murs archéo-high-tech, formant la carte impossible-impensable d’un corps plein schizophrénique : murs de l’asile, de l’école, de la prison, de tous ces équipements collectifs de contrôle qui s’abattent sur notre désir pour notre bien : on serait perdus sans eux ! Paradoxe (?) d’un monde désormais sans « dehors » qui pourtant le fantasme en permanence : l’ennemi, plus que jamais, est intérieur. Et hors comme derrière les murs, il y a toute la série des petits enfermements, des sales petits secrets, des compromis que chacun passe avec lui-même pour que jamais la parole ou l’écriture ne rencontrent une pensée du dehors – et le dedans préoccupé du mythe de sa propre identité il faudra le défoncer à coup de mariages gris, d’hybridations et de transes, de vocations définitivement migratoires, de droit au logement, au travail et au non-travail, à la communauté et à la solitude, à la raison et à la folie.
Dedans-dehors, 2 : le « - » qui relie les deux mots fait signe vers quelque chose, un branchement, une connexion d’hétérogènes, une écriture en quête de ce qui la borde et la déborde, le liant, la relation, ce qu’on ne voit pas, qu’on ne quantifie pas, qu’on ne cote pas (Oury : combien ça coûte, un sourire ?), ce qui assemble les éléments de la chimère qui dans nos têtes fait résonner la possibilité d’une clinique, d’une politique qui soient l’affaire de tous, c’est-à-dire de toutes nos minorités, la (schizo)analyse infinie de nos aliénations et de nos désirs.
« Moi qui le plus souvent ai manqué d’indépendance, j’ai une soif infinie d’autonomie, d’indépendance, de liberté dans toutes les directions (…). Tout lien que je ne crée pas moi-même, fût-ce contre des parties de mon moi, est sans valeur, il m’empêche de marcher, je le hais ou je suis bien près de le haïr. »
(Kafka, lettre à Félice Bauer, 16 octobre 1916)
Elias Jabre / Valentin Schaepelynck / Marco Candore
Chimères n°71 : Dedans-Dehors, 2 / à paraître en janvier 2010
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Au sommaire du numéro 71 de Chimères :
Concept
Remi Hess Sur la théorie des moments – Explorer le possible
Frank Jablonka Déconstruction de l’identité nationale d’Etat dans le rap et le contre-modèle du Sud
Monique Sélim et Anne Querrien Vers des normes sexuelles globales
Terrain
Anne Ducloux Tyrannie domestique et clientélisme au féminin : enjeux de pouvoirs entre femmes à Samarcande
Sandrine Aumercier le Galop de l’histoire
Monique Sélim Echos de crise
Politique
Françoise Attiba la Part de l’incomptable
Mario Blaise et Elizabeth Rossé Tous addicts et toujours pas heureux ?
Roger Ferreri Contre la rétention de sûreté – Pour une séparation de la science et de l’État
Clinique
Patrick Chemla Au-delà de l’Utopie, une posture subversive
Florent Gabarron Politique psychanalytique : entre clinique institutionnelle et schizo-analyse
Miguel Matrajt la Comitragédie de Baltasar – Neurosciences et psychanalyse
Esthétique
René Schérer Empreintes et diffraction
Fiction
Sébastien Boussois Coréam
Daniel Cabanis Absents qui ont raison
Luis de Miranda Fluxx
Anne-Marie Faux l’Un seul, peut-être – De quelques figures instituées du chaque 1 chez soi
Agencement
Gonzague de Montmagner Insectes urbains
LVE
Manola Antonioli Luis de Miranda : Une vie nouvelle est-elle possible ?




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