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Utopies nomades (2) / René Schérer

L’hospitalité est inhérente à l’implantation de l’homme sur la terre. Et il convient ici d’entendre : de l’agriculteur, du défricheur de sol fixé à sa demeure. Car la première condition de l’hospitalité est de pouvoir offrir pain et vin : » ici, le « il faut » (es braucht) désigne une appartenance essentielle du rocher et des fentes, de la terre et des sillons. Mais cette appartenance essentielle, de son côté, est déterminée par l’essence de l’hospitalité et du séjour. Donner et recevoir l’hospitalité, et séjourner, caractérisent la demeure des mortels sur la terre. »
Ce texte est incontestablement profond. Il est le seul qui, dans la philosophie contemporaine, accorde à l’hospitalité une fonction qui, dans l’ordre ontologique, puisse être mise en parallèle avec celle que lui accorde Kant. Mais nous avons dit que cette ontologie allait en sens inverse de la démarche kantienne : la sédentarité paysanne.
Au regard de l’errance
Et, à se référer maintenant au poème de Hölderlin dans son intégralité, il apparaît même que le fragment détaché induirait un contresens. Car, l’hymne à l’Ister, nom ancien du Danube, ne célèbre pas le paysan souabe, mais les peuples barbares qui, depuis l’orient, sont venus s’installer sur ses rives. De sorte que la rêverie poétique sur le Danube devient une vision grandiose sur l’orient originel, l’asie par-delà la Grèce même :
« Mais voici que ce fleuve semble presque vouloir
remonter vers sa source
et il me semble venir de l’orient  »
(14).
Le poème de Holderlin, dont l’idéal est cosmopolitique, n’est pas célébration de la permanence de l’Être, mais du Devenir. Celle de la provenance orientale des peuples d’europe, encore plus nettement saluée dans un hymne antérieur, À la source du Danube (15) : « Asie, ô mère, je te salue ! », évoquant la « voix formatrice des humains », « l’étrangère », « l’éveilleuse ». Le contraire apparemment de ce que Heidegger suggère et « fonde » sur sa lecture de Hölderlin dans Qu’appelle-t-on penser ? mais seulement « apparemment », et pour une lecture tout aussi tronquée. Plus attentive, plus complète, elle permettrait de découvrir que :
1 L’objet de la recherche heideggerienne, la « Demeure » de l’Être et de la pensée (finalement le langage) ne s’identifie pas au séjour hospitalier ; ce dernier est un des jalons de cette recherche, d’ailleurs non close dans les leçons de 191 ;
2 L’Ister de Hölderlin a fait l’objet en 192 de tout un séminaire, aujourd’hui seulement publié (16). Ce séminaire est du plus haut intérêt, car il nous révèle un Heidegger pas du tout « sédentariste » ni « paysan » souabe (du moins apparemment), mais attentif à dégager du poème de Hölderlin tout ce qui accorde à l’étranger, à l’hôte, une place de choix, une fonction constitutive auprès du résident : « L’appropriation de ce qui nous est propre n’est que dans la confrontation et le dialogue hospitalier avec l’étranger ». Le fleuve est lieu de passage ; en lui le séjour, le site (die ortschaft) se conjugue avec l’errance (die Wanderschaft).
Plus intéressante encore, pour ce qui concerne notre idée d’utopie nomade, est, dans ce cours de 1942, la notation que « le rapport au propre (das Eigene) ne peut jamais consister en la simple affirmation autosuffisante de ce qu’on appelle le naturel et l’organique », que « le propre est le plus lointain » (das Eigene, das Fernste). Écho de Nietzsche, distances prises avec une idéologie de la race et du sang. Manière également, peut-être, comme l’avait fait Être et temps avec Wilhelm Dilthey et sa « philosophie de la vie », de reprendre en compte certaines analyses de Georg simmel sur l’importance de l’étranger, sa fonction critique. Mais de les reprendre en les détournant, dans un cadre où l’abstraction ontologique élude le juif de simmel, où tout converge, comme plus tard dans Qu’appelle-t-on penser ?, vers l’ontologie de la langue. L’objet du séminaire devient finalement l’apport à la langue poétique allemande de la langue philosophique grecque.
Cette inflexion de l’hospitalité de l’homme vers celle de la langue, ne saurait du reste être traitée simplement comme une manière d’éluder de plus pressants problèmes. Jabès, de son côté, célébrera aussi « l’hospitalité du livre » (17). Ce n’est pas là ce qui nous retient, qui fait que nous ne pouvons adopter la voie ontologique que Heidegger propose. Le différend est ailleurs. L’essentiel de cette divergence est encore le présupposé de sédentarité : le langage, « demeure » de l’être, sa maison. Là où Hölderlin évoque des flux, Heidegger pense des demeures. Un instant inspirée à la suite du poète cosmopolitique, cette pensée en change le ton et le cours, comme elle le fait pour Nietzsche, pendant la même période : une absorption de la puissance passionnelle, de l’affirmation du mouvement et du devenir, de la vision utopique d’un nouveau monde, dans la calme ontologie du retour.
Car, toujours dans l’ontologie heideggerienne, il s’agit d’un retour aux Grecs, et d’un retour à partir d’un oubli (oubli de l’Être) qui en rend impossible l’accès ; qui immobilise toute pensée dans l’attente d’une impossible présence. Il projette sur les autres – les poètes avec lesquels il entre en « dialogue », Hölderlin, Nietzsche – ce mouvement arrêté. Tandis que pour Hölderlin et nietzsche, il s’agit moins d’un retour aux Grecs que de faire revenir leurs dieux, d’épouser leur passion : le Dionysos de Nietzsche, utopiquement porté parmi nous.
L’esprit de l’utopie, à reformuler dans l’ouverture du plan d’immanence de la terre, n’est pas une ontologie de la présence – pas plus que d’une supposée absence qui lui est corollaire. Il ne se préoccupe pas du tout de « l’être » oublié ; ce qui aurait pu être suggéré par l’assimilation de l’utopie à « l’âge d’or ». Mais cette image, qui reste parfois suggestive, n’a jamais correspondu au concept de l’utopie moderne. Celle-ci se développe dans une ouverture « au- delà de l’être », dans un « autrement qu’être, au-delà de l’essence » que ces expressions, empruntées cette fois à emmanuel Lévinas (18), expriment parfaitement. Comme l’exprime aussi l’idée levinassienne que la priorité « ontologique » revient à « l’autre », non au moi-sujet, à « l’égoïté », ou, dit plus simplement, à l’égoïsme auquel Fourier opposait la « passion foyère » de « l’unitéisme ».
l’Utopie selon son pli
L’utopie nomade – mais est-il même besoin, désormais, de lui adjoindre ce qualificatif impliqué dans la plénitude de son concept et de son jeu ? – est, par elle-même, unitéiste. L’unitéisme est la propriété de son sujet, mieux, des processus de subjectivation, des productions de subjectivité qu’elle entraîne. Processus de subjectivation : langage de Foucault, de Guattari, de Deleuze, qu’il me convient d’associer pour nommer les subjectivités nouvelles, individuelles et collectives, qui appellent aujourd’hui à de nouveaux modes d’habiter : que ce soit relativement aux « habitations » proprement dites ou aux villes, aux « sans domicile fixe », aux vagabonds et aux nomades, aux voyageurs de tous genres, aux déplacements forcés de peuples, ou à leur recherche obsessionnelle d’un territoire portant leur nom. En tout cela, de multiples processus sont engagés, souvent antagonistes les uns des autres, comportant des objectifs incompatibles, se déroulant dans des temporalités de différents niveaux.
Le monde est tout entier dans chacun de ces points de vue, et n’existe nulle part ailleurs que dans leur entrecroisement. Il y est, selon le mot-concept choisi par Deleuze, plié. Tous coexistent, sont « compossibles » dans le langage de Leibniz qui s’impose ici. Le plan de l’utopie est celui de ces compossiblités, qui sont toutefois de principe seulement, sans avoir trouvé le mécanisme de leur accord. On peut concevoir l’utopie, s’en former l’image, comme un pli, « pli de subjectivation » (19) qui parcourt la terre la réfléchit en soi dans la pensée, l’exprime, en formule « le problème » et lui donne sens.
L’utopie est alors le plissement – plissement de subjectivation de la terre. Ou si l’on veut, énoncé de façon plus « humaniste » : la manière dont nous sommes décidés à habiter la terre en tant que sujets.
Mais cette formulation est précisément trop humaniste, de cet humanisme du sujet abstrait du droit, du sujet raisonnable qui a été pris du vertige de son identification européenne dont on sait les désastres auxquels elle a conduit et continue de conduire.
La subjectivation en tant que pli élude le sujet et sa transcendance. La concevoir dans l’immanence, c’est-à- dire non comme transcendance vers l’être (ou identification à l’être transcendant), est l’enrichir de virtualités multiples, de singularités sans point de convergence « au-dedans », mais tendant au contraire vers des points de fuite « au-dehors ». Le pli est le dehors, la « force du dehors » (Blanchot) pénétrant le sujet du droit, lui donnant accès à l’autre, le rendant perméable à toutes les autres conditions.
Plissement de subjectivation est l’hospitalité sur le plan de la terre, où elle vient courber, ployer les forces hostiles, révéler leur compossibilité et les transformer en bienveillance.
L’utopie de Fourier ne fut pas davantage dépendante d’un sujet du droit, idéalement rationnel, en ce sens « humaniste ». Elle recourbe le mouvement cosmique en une sujectivation passionnelle qui assure l’unité des « quatre mouvements » et finalement les commande, conférant à l’utopie, non le sens d’un projet volontariste de l’homme seul, mais d’une expression de l’univers ; ou, selon sa vision qui procède toujours par multiplicités, des univers, de « l’omnivers ».
Clausule : fin d’une illusion
Ce pli, on s’en aperçoit, est loin d’être celui de l’europe frileuse et repliée sur soi, incapable de se déplier pour s’adresser au monde. pourtant, selon son pli, elle fut longtemps une utopie positive et crédible qui allait dans le sens de la terre, qui occupait son plan d’immanence. Ce pli a laissé ses traces en paul valéry, Romain Rolland, Thomas mann, Husserl, Nietzsche aussi. « Nous européens » pouvait vouloir dire quelque chose ; mais quoi, au juste ?
En ce cas, comme en d’autres, l’hospitalité est le critère. Mort de l’hospitalité européenne, mort de son utopie, mort de l’europe pour la pensée. Schengen et Maastricht en ont signé la fin. Je lis – entre autres, et les exemples peuvent se ramasser à la pelle – dans le Monde du 8 janvier 1996, le titre Inhospitalité occidentale, avec le commentaire : « Chaque jour un peu plus, l’Occident – Europe de l’ouest et États-Unis confondus – ferme ses portes aux demandeurs d’asile politique ». Un autre article antérieur, du journal Libération celui-là, et concernant plus spécialement la France, établissait, chiffres à l’appui, qu’elle tenait le premier rang en europe dans les refus d’asile (novembre 1995), sans compter les innombrables tracasseries administratives auxquelles les étrangers sont soumis (20).
Oui, l’utopie européenne est morte, morte de son inhospitalité. Cette mort donne à penser. Donne à se retourner sur l’europe elle-même, sur une europe de l’esprit qui, bien que ne s’étant jamais confondue avec l’europe politique, et encore moins avec l’europe présente, n’est pas sans avoir été entachée de ses limitations.
On a, au cours de ces dernières années, et à juste titre, pointé dans Hegel et sa philosophie de l’histoire, des jugements à l’emporte-pièce, excluant les peuples non-européens du développement du Concept : Afrique, Asie. mais plus près de nous, Edmund Husserl, dans sa conférence la Crise de l’humanité européenne et la philosophie (1935), ne compte pas non plus dans l’Europe « au sens spirituel », « les Esquimaux ou les Indiens des ménageries foraines (sic), ni les Tsiganes qui vagabondent perpétuellement en europe » (21).
Il ne peut être question, bien sûr, de jeter unilatéralement la pierre à ce philosophe rationaliste, victime lui-même, en tant que juif, de l’ostracisme nazi, mais de mettre le doigt sur une curieuse cécité, une étrange étroitesse de la raison dite universelle. Tout se passe comme si l’europe avait toujours fonctionné, non comme un principe d’accueil et d’ouverture, mais comme une machine d’exclusion. Tout au moins en ce qui concerne les dits, les auto-proclamés « grands européens » autour d’une pensée majoritaire et consensuelle. Chaque fois que l’europe s’est auto-affirmée en prétendant positivement se définir, elle s’est sédentarisée, refermée sur soi, a éliminé toute autre forme de pensée, nié toute pensée et forme de vie autres. Nié l’autre même, en tant que tel, s’est refusée à lui. Et aujourd’hui, concrètement, en sa personne et en sa chair, le refuse et le chasse.
Si l’europe a voulu, à un certain moment et dans un certain contexte, signifier quelque chose, c’est dans son mouvement affirmatif contre les frontières nationales et les États. Contre la France fermée et cocardière, contre une allemagne impérialiste. L’affirmation européenne de Nietzsche a ce sens. Européen synonyme d’apatride, d’anarchiste, d’immoraliste : « Nous sans patrie. » « Il ne manque pas aujourd’hui d’européens qui puissent se dire des sans-patrie, au sens flatteur, avec quelque raison de le faire ; c’est à eux que je recommande ma secrète sagesse, mon gai savoir » (22). ou plus loin : « Nous, sans patrie, nous sommes encore d’origine trop diverses, nous sommes de races trop mêlées pour faire des « hommes modernes » ; nous sommes donc peu tentés d’aller participer à ces auto-admirations ethniques et à ces impudicités dont on fait parade en allemagne comme d’une cocarde loyaliste. » Paroles aisément transposables contre le nouveau patriotisme européen qui se mijote sous nos yeux. Le « bon européen » que Nietzsche, toutefois, se dit être, n’est pas le citoyen de l’Europe chrétienne, mais le voyageur de l’incroyance, le perpétuel émigrant. non pas le majoritaire se ralliant, mais le minoritaire refusant toutes les idéologies en cours, qu’elles soient ou non « progressistes ». Minoritaire comme se dit Kafka – cet autre européen, grand par sa marginalité, par son appartenance à ce que Deleuze et Guattari ont appelé une « littérature mineure ». Autour de ceux-ci : Nietzsche, Kafka – et j’ajouterais Jean Genet qui l’a bien incarnée,
A l’étranger, aux États-Unis parmi les Blacks Panthers, en Palestine –, pourrait se définir une utopie pour laquelle le qualificatif d’européen ne serait pas une tache ou un signe de suspicion ; et qui prendrait en considération et en compte les exclus, les vagabonds, les nomades. Leur invocation illustre, allégorise le mouvement, en europe même ou ailleurs, des sans-lieu, que l’on nomme aussi personnes « déplacées ». Elles seules deviennent aujourd’hui porteuses et révélatrices de l’utopie qui vient (23). C’est en ayant les yeux fixés sur elles qu’on s’oriente ; elles sont « boussole d’harmonie », aurait dit Fourier.
Mais si leur destinée nous guide, les perspectives utopiques qu’elles ouvrent ne sont pas pourtant celles d’une « nouvelle demeure ». Elles donnent le sens au mouvement. Relativement à elles, en elles, la pensée utopique doit se faire inventive de sociétés enfin libérées de la quête obsessionnelle des identités, des « racines », des territorialisations archaïques. Une utopie aussi, qui assurera, autrement que des déclarations creuses, une ouverture de la terre et de ses chemins à la circulation et à la différence.
Une utopie dont les tenants pourraient retrouver leurs aspirations dans cette poétique phrase que j’emprunte à Nietzsche pour conclure : « Nous, les prodigues et les riches de l’esprit, nous nous tenons au bord des routes comme des fontaines et ne pouvons empêcher personne de venir puiser dans nos eaux » (24).
Une utopie du voyageur.
René Schérer
Utopies nomades / 1996
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Texte écrit pour le colloque « Crollo del communismo sovietico » qui se tint à Lecce, en 1992, entièrement remanié en 1999. Une version italienne (trad. Laura Tundo) a paru dans les actes de ce colloque sous le titre Spostamenti dell’utopia dopa il crollo in Crollo del communismo sovietico e ripresa dell’utopia, sous la dir. de arrigo Colombo, edizioni oedalo, Bari, 199, p. 120-129.

14 Cité d’après Friedrich Hölderlin, Poèmes, Paris, Aubier, 1943, p.433 (trad. Geneviève Bianquis).
15 ibid. p 38.
16 Martin Heidegger, Hölderlin’s Hymne « Der Isrer », Klosrermann, Francfort, 198, 1 et suiv.
17 Edmond Jabès, le Livre de l’hospitalité, Paris, Gallimard, 1991.
18 Emmaneul Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, Martinus Nijhoff, 1974.
19 Sur tout ceci, voir Gilles Deleuze, Foucault, Paris, Éd. de Minuit, p.101 et suiv.
20 Complément, en 1996, d’un texte rédigé en 1992.
21 Edmund Husserl, la Crise des sciences européennes et la phénoménologie trancendantale, Paris, Gallimard, 1976, p.352 (trad. Gérard Granel).
22 Friedrich nietzsche, le Gai savoir, Gallimard, paris, 1950, livre V, n°277, p.210 (trad. Alexandre Vialatte).
23 À l’instar de la Philosophie qui vient de Walter Benjamin (1925), (Gesammelte schriften, II, 1, p.1, Francfort, suhrkamp, 1972 : Über das progtamm der kommenden philosophie) et de Giorgio agamben, la Communauté qui vient, Paris, seuil, 1990.
24 Friedrich Nietzsche, op. cit., n°378, p.212.

Utopies nomades (1) / René Schérer

« Le concept est le contour, la configuration, la constellation d’un événement à venir. » / Gilles Deleuze, Félix Guattari / Qu’est-ce que la philosophie ?
l’Utopie Reformulée [1992]
Ce qui est en cause à l’orée du XXIe siècle, le problème de notre temps – le problème jeté devant nous comme une énigme à résoudre et comme une tâche –, c’est incontestablement l’habitation de la terre.
Le XIXe siècle a vécu sur l’illusion de la conquête du Globe par une civilisation dominatrice, et le XXe, encore tout assombri par les désastres que cette tragique bévue a provoqués, s’achèvera sans leur avoir trouvé d’issue.
Philosophie, Utopie
Il s’agit donc de penser d’ores et déjà ce que va pouvoir être, dans l’immédiat futur, une occupation enfin humaine de notre monde habité. projet ambitieux, certes, mais philosophiquement incontournable. en lui utopie et philosophie se rejoignent, toutes deux ne pouvant penser et se prononcer qu’à l’échelle de la terre, c’est-à-dire à la fois sur la base d’un sol qui offre sa résistance à tous les déplacements possibles – y compris ceux, aériens, qui ont besoin de l’air : que l’on songe à la colombe de Kant, désemparée dans le vide –, un sol sans transcendance ; et au sein d’un espace idéal dépassant toutes les divisions ou stratifications intermédiaires, restrictives, contraignantes. Cet espace de la pensée sera dit « lisse » relativement à tout ce qui le morcelle en le hérissant de frontières. selon l’expression frappante de Deleuze et Guattari (1) un « plan d’immanence » où s’abolissent toutes les transcendances des divisions « territoriales » de la morale et de la politique : celles de la famille, de la nation, de l’État… bien d’autres encore auxquelles la « distribution nomade des singularités » se heurte sur son parcours.
Le plan d’immanence de l’utopie et celui de la philosophie ne font qu’un : c’est la terre entière dont elles affirment toutes deux, d’emblée, l’unité indivisible. Elles n’ont que faire des territoires partiels, tant symboliques que réels. Pas d’utopie, pas plus que de philosophie « provinciale », qui ne vaudrait que pour un canton. L’utopie comme la philosophie sont les ennemies-nées des « racines ». Et s’il arrive – la philosophie surtout – qu’elles se sédentarisent en ce sens, c’est à contresens de leur vocation. Elles sont, d’origine et de principe, ouvertes, cosmopolites et cosmopolitiques ; elles procèdent à d’incessantes « déterritorialisations » relativement aux patries, institutions, habitudes et croyances.
Bien assises sur la terre et l’arpentant dans la totalité de son étendue, géo-philosophie et géo-utopie sont requises d’inventer le concept et l’image selon lesquels cette terre deviendra pensable, c’est-à-dire vivable, c’est-à- dire en tous points hospitalière à tous, habitable humainement.
induit par l’image de la terre, ce concept n’est autre que celui d’hospitalité. Tout au moins est-ce celui que j’estime le mieux approprié pour correspondre à tous les problèmes qu’une terre disloquée, dispersée, propose et pose à la réflexion. Le premier concept, qui est, sans doute, aussi une image et un mot d’ordre : l’hospitalité. Ou : laisser circuler, accueillir, installer. Et il n’est pas besoin de réfléchir très longuement pour s’apercevoir à quel point ce concept parmi nous fait sentir sa force corrosive et utopique, déjà. Corrosive parce qu’utopique, à l’encontre de tout le mouvement historique réel en train de s’accélérer.
Concept simple, trop simple même, à première vue,
Naïf et fragile, qui ne semble tenir d’autre recommandation pour la pensée que d’avoir été allégué par Kant dans son Projet de paix perpétuelle (1795) (2) comme premier et, à vrai dire, seul principe inconditionnel du droit international. Sans entrer dans le détail de l’exposition kantienne, ce qui n’est pas ici mon propos (3), je me contenterai d’en retenir l’idée : celle de la remarquable relation établie par Kant entre le principe d’une « hospitalité universelle », c’est-à-dire qui ne refuse à nul étranger « le droit de visite », et la forme même de la terre, sa rotondité. Cette sphère offrant au parcours un plan fini mais illimité est l’image immanente au concept. C’est parce que la terre est ronde que les hommes ont fini et finiront toujours par se rencontrer et que personne n’est ni plus ni moins qu’un autre, au lieu qui, en propre, lui revient. Principe de condition de possibilité : en langage kantien « transcendantal » ; mais plus « réfléchissant » que déterminant, ou, en d’autres termes, n’ayant valeur et sens que pour l’homme empirique fait de corps, l’habitant de cette terre. L’homme qui marche est celui qui rencontre et qui accueille. Éclair fulgurant sur la priorité du nomade dans l’hominisation. on y reviendra.
Une existence terrestre en commun est le corollaire de cette rencontre inscrite nécessairement dans le destin de l’espèce humaine, en laquelle se forge la notion polysémique d’Humanité.
Retenons soigneusement ce présupposé théorique qui, quelque lointain et général qu’il paraisse, est inhérent à l’habitation d’une terre qui n’a jamais permis de dissocier de l’installation des hommes, leur circulation.
Habitation, peuplement
Habitation n’est pas un synonyme de peuplement, ni d’occupation totale. C’en serait plutôt le contraire. L’idéologie du peuplement qui a fait fortune dans l’histoire est celle de la colonisation, dont on connaît les méfaits passés. C’est la même qui, sous d’autres noms – par exemple, celui de « purification ethnique » – implante un peuple sous l’égide de l’État conquérant et refoule, annihile, un autre occupant.
Cette même idéologie dévastatrice a son correspondant dans l’idéologie d’une exploitation intégrale de la terre et de ses ressources. Terre domestiquée, épuisée pour les besoins d’une agriculture elle-même déréglée, pour l’alimentation d’une industrie affolée. Fertilisation forcée d’un sol qui s’épuise, détérioration matérielle de la planète, de l’air et des climats, devenues les thèmes de l’écologie récente, Fourier les dénonçait déjà dès le début du siècle dernier en une utopie préfiguratrice (4).
L’idéologie du peuplement, de même que celle connexe du progrès industriel, ravage la terre et ne l’habite pas. Une habitation humaine de la terre a besoin de zones sauvages, désertiques même, de steppes, d’espaces de liberté et de parcours, aussi bien pour les espèces animales que pour les peuples nomades. Mais les unes et les autres, on ne songe, dans l’idée d’un progrès irrésistible, qu’à en restreindre le développement ou à les éliminer. Bévue, étourderie, crime des « philosophies » régnantes. La philosophie et l’utopie, la philosophie de l’utopie trouvera son lieu tout désigné dans cette absence de lieu que la civilisation leur ménage.
il ne s’agirait d’ailleurs pas, sur ce point, de suivre littéralement Fourier. La terre de son temps est encore, en grande partie, inexplorée, inexploitée. Ses ressources paraissent inépuisables. Le problème, la hantise des inventeurs sociaux et des faiseurs de rêve, est l’abondance ; sans crainte de surproduction ni d’épuisement de la nature. L’économie domestique de Fourier se glisse dans ce moule, bien qu’elle ne s’y soit trouvée jamais à l’aise et le fasse, par endroits, éclater. Mais c’est encore pour mieux multiplier à l’infini ses paysages de terres cultivées, de campagnes riantes, d’animaux féroces familiarisés. L’alliance ne s’étend pas plus loin. Sans mauvais jeu de mots, cette économie domestique est celle de la domestication d’une flore et d’un bestiaire apprivoisés.
Nous ne croyons plus à cette acculturation de la nature ni à ses bienfaits, n’en ayant que trop éprouvé les effets pervers. Aussi, un des déplacements fondamentaux d’une utopie requise aujourd’hui est-il de ne plus admettre, en tant qu’idéal et fin, une maîtrise et possession intégrale de la nature par l’homme. Elle se détournera, par principe, de cette forme brutale que le cours de l’histoire a imposée.
Alliance, équilibre
S’il est possible encore de tracer, pour les déplacements actuels de l’utopie, une ligne directrice, elle passe, pour les repérer et les formuler en autant de problèmes, par tous ces déséquilibres mortels qui mettent la terre en péril. Déséquilibre entre les « mondes », classés « Tiers », « Quart », et bientôt cinquième ; entre la prodigieuse avancée technologique dans les domaines du spatial et de l’informatique, et la pénurie quotidienne croissante ; entre la libération possible du travail entrevue et les affres de l’asservissement et du chômage ; entre la proclamation verbale des libertés, et même des « laxismes » sur tous les fronts : social, national, individuel, sexuel, et l’exacerbation des contrôles, des contraintes, l’obscurcissement des consciences.
On peut prendre pour nous, sans abusive transposition, ce que le poète Schiller écrivait sur ses contemporains : « Ainsi voit-on l’esprit du temps hésiter entre la perversion et la sauvagerie, entre l’éloignement de la nature (Unnatur) et la simple nature, entre la superstition et l’incrédulité morale, et seul l’équilibre du mal lui assigne quelquefois des limites » (5).
En réplique à ces déséquilibres ou à l’équilibre du mal, l’utopie déroule le plan d’immanence d’une terre rééquilibrée.
Un double équilibre. Premièrement, celui d’une répartition équitable des biens et des forces entre les nations et les régions inégalement pourvues : la « mise en attraction industrielle du genre humain », selon Fourier, sans tenir compte de frontières ni d’inégalités de développement. Mais en tenant compte, deuxièmement, et même en priorité, de l’équilibre entre l’exploitation de la terre et de ses populations animales et végétales avec leurs habitats.
Il ne s’agit plus alors de maîtrise, de possession unilatérale, mais d’alliance (6), ou d’une harmonie que Fourier avait nommée déjà, même s’il ne l’entendait pas comme nous. Le concept propre à dessiner le contour de cette utopie restera encore, avec les modifications requises, celui de l’hospitalité : une hospitalité élargie, « généralisée », au sens où Bataille l’entendait de l’économie (7).
Hospitalité, car c’est bien la terre qui, dans toutes ses productions, ses richesses manifestes ou latentes, est, en tout premier lieu, hospitalière à l’homme, « fils de la terre » dans l’immanence qui le lie à elle. D’où il découle que l’homme, par son travail, abuserait de cette hospitalité s’il la transformait en entreprise destructrice de son équilibre vital.
La même proportion se rencontrera ici à propos de cette hospitalité universelle dont parle Kant, qui s’est retournée en son contraire lorsque, au nom du « droit de visite », les conquérants et colonisateurs ont abusé d’elle en se livrant au pillage, au massacre, au génocide des populations autochtones.
Le sens de l’événement
C’est dans ce contexte qu’il convient de situer et d’évaluer le sens d’une europe qui a cessé d’appartenir à la sphère exaltante et inventive de l’utopie pour se faire, au contraire, repliement sur soi, territorialisation exclusive. D’évaluer tout d’abord, le sens complexe de l’événement autour duquel nous n’avons pas fini de débattre : la chute du communisme soviétique et la dislocation de son empire.
Il ne saurait être question évidemment, pour nous ici, que de quelques notes d’orientation, et de tracer certaines lignes permettant de replacer l’événement dans le champ de l’utopie à reformuler.
En guise de préliminaire, il faut avant tout dissiper une équivoque, puisque, à l’effondrement du communisme, l’idée d’une fin, autrement dit d’une disparition, d’une liquidation de « l’utopie », a été associée. Mais quelle utopie ? Que concernait-elle, quel était son plan, là où, au contraire, s’exerçait la plus dure des lois d’un réel dépouillé de ses virtualités, où régnaient les plus pesantes et archaïques territorialisations ?
La classification que j’ai adoptée en commençant, d’origine deleuzienne, permet de voir plus clair et de décider contre cet abus de langage qui a fait dénoncer, en l’Union soviétique, en ses satellites, la domination de l’utopie, et célébrer, en leur chute, avec sa disparition, le triomphe de la simple réalité ; une réalité sans préjugés, sans idéologies de couverture, enfin libérée dans sa fraîche nudité matinale, heureuse.
Les choses ne vont pas ainsi. S’il faut parler d’utopie à propos des régimes soviétiques et similaires – car pourquoi avoir peur d’un mot, même si nous en contestons l’usage ? –, alors ce sera d’une utopie détournée de son sens d’origine, pervertie, d’une utopie « transcendante », reprenant à son actif toutes les formes et idéologies de domination, tous les mythes de recouvrement (8) ; à l’opposé même de la vie, comme de l’utopie qui l’accompagne, qui lui est immanente.
Idéologie transcendante de l’exploitation à outrance de la terre, d’une illusoire transformation forcée de l’homme, idéologie de peuplement et de transferts de population ; bref, tout ce qui est désormais dénoncé comme ayant été imposé par une machine despotique d’État, par la terreur bureaucratique.
Sans doute, du bien connu ; inutile d’y insister. L’idée inverse qu’en regard il convient d’ériger et de faire prévaloir est que la chute de ce régime et de cet empire n’est due qu’à l’entretien d’une foi utopique qu’aucun réalisme, qu’aucune Real politik n’a jamais suffi à éteindre. L’événement, loin de signer la fin de l’utopie, en sera bien plutôt la manifestation et le nouveau départ. Il est devenu le signe que l’utopie, ou l’aspiration à l’impossible, selon toutes les prévisibilités des calculs politiques réalistes, cette « faible force » dont parlait Walter Benjamin, est indestructible et, à l’échelle du devenir, prévalente. Du devenir, du devenir-humain, devenir-habitable, de la terre ; du devenir plus que d’une histoire aux probabilités sans cesse déjouées. Mais le devenir est le mouvement invincible de la vie immanente pour elle-même. Le réel même, mais en un tout autre sens que celui d’un réalisme politique ; un réel tissé de ses virtualités, et non contradictoire avec l’utopie.
En d’autres termes, il est cette utopie qui ne fait qu’un avec les passions, les désirs, invincibles, incoercibles, résistant aux répressions, aux Terreurs. Cette utopie que Fourier a refusé de nommer telle, car elle est bien, en face de tous les revêtements trompeurs, le réel « tel qu’en lui-même » il consiste et devient.
L’événement ne peut être séparé de son devenir. Il n’est jamais une chose figée, un fait établi une fois pour toutes, un acquis. On ne sait que trop, l’on n’a que trop sous les yeux ce que valent les retombées. Mais l’événement en lui-même conserve son sens et son importance en fonction de l’utopie – pourrait-on formuler de « l’utopisme », voire de « l’utopicité » ? – de sa production. L’événement dans l’instant de son surgissement, de son explosion ; dans cet instant, qui soulève la fatalité de l’histoire, l’ouvre sur d’autres destinées. C’est cet instant du devenir, où la vie et la liberté surmontent tout abandon à la fatalité qu’il faut désigner comme utopie.
Un tel phénomène…
La dimension utopique ainsi entendue confère à l’événement le plus marquant, je crois, de cette fin de siècle, cet étonnant aspect de contingence mêlée de nécessité qui est le signe de toute une aspiration vitale. De nouveau, pour parer au risque de voir la notion d’utopie sombrer sous les ricanements de ses détracteurs, ayons recours à Kant, à son extraordinaire acuité. Kant, auquel le communisme soviétique a voulu opposer le réalisme de la dialectique hégélienne ; Kant, dont Ernst Bloch écrivait qu’il « avait ouvert les voies que Hegel a refermées » (9).
Cette fois, il s’agit du Conflit des facultés (1798), où la Révolution française est saluée et présentée comme le « signe historique » d’une tendance irréversible de l’humanité au « progrès moral », ou, en d’autres mots, à l’affirmation de sa liberté. Sans doute « l’utopie » est- elle étrangère au vocabulaire kantien (mais, on ne le dira jamais assez, au vocabulaire de Fourier aussi !) ; elle est dans l’idée, l’inspiration, le ton. Or, c’est bien une utopie, le moment de l’utopie moderne à son lever que Kant célèbre, avec l’événement de la Révolution française, et, plus encore, avec le poids qu’il accorde à la réception universelle, chez ses « spectateurs », de l’événement.
Une analyse de détail de ce texte fondamental étant hors de propos ici, qu’il suffise d’un aperçu et d’un extrait.
D’abord l’événement en lui-même et sa marque indestructible dans l’histoire : « Un tel phénomène dans l’histoire de l’humanité ne s’oublie plus, parce qu’il a révélé dans la nature humaine une disposition et une faculté pour le mieux, telle qu’aucune politique n’aurait pu, avec toute sa subtilité, la dégager de la marche des événements jusqu’à aujourd’hui, et que seules la nature et la liberté réunies dans l’espèce humaine suivant les principes intérieurs du droit, pouvaient promettre, mais, en ce qui concerne le moment, seulement d’une manière indéterminée et comme un événement contingent ». (10)
Contingence essentielle par où l’imprévisible utopique participe au jeu, au coup de dé auquel est suspendue l’histoire et qui, par-delà elle, lui permet de toucher à une temporalité plus profonde, sans programmation, sans la précipitation dans laquelle l’historique est emporté. Contingent, l’événement utopique a tout son temps, tout le temps pour lui. Ce qui n’empêche que, simultanément, il soit, en tout temps, à tout instant, à la fois requis et possible. Une tension, un paradoxe constitutif de l’utopie au moment où elle se formule, à la fois comme impératif dans le temps présent et comme pouvant attendre ; exigence transtemporelle.
C’est là ce qui entraîne la conséquence que l’événement ne se mesure pas à ses suites, à ses retombées. C’est en son sein seulement, dans son moment naissant que l’utopie explose et se conserve, quoi qu’il arrive après.
« Cependant, écrit Kant, même si le but visé par cet événement n’était pas aujourd’hui atteint, même si la révolution ou la réforme de la constitution d’un peuple échouait finalement, ou bien si, après une durée de quelque temps, tout retombait dans la primitive ornière (comme maintenant certains politiques l’annoncent), cette prédiction philosophique néanmoins ne perd rien de sa force. »
Ce serait conçu à notre intention, on ne pourrait mieux dire. La déception post-communiste, à la suite des méfaits de l’économie libérale, aggravée par les antagonismes jaloux des nationalités naissantes, par les guerres ethniques ou de résonance colonialiste, ne saurait porter atteinte, au sens premier, à son « influence trop étendue dans le monde et toutes ses parties » (Kant).
il faut ajouter, à la composition de l’utopie de l’événement, ou de « l’événement utopique », cette autre composante, cet « ingrédient » utopique (pittoresque expression de Cioran) qu’est son effet de « publicité ». À cet effet Kant attache la plus haute signification, le plaçant même au premier rang dans son analyse. il vient parfaire le contour conceptuel qui risquerait de se dissiper en considérations floues et incontrôlables sur « les actions ou méfaits importants commis par les hommes ». Tout cela, écrit Kant, n’appartient pas à l’événement : « non, rien de tout cela. il s’agit seulement de la manière de penser des spectateurs qui se trahit publiquement dans ce jeu des grandes révolutions ».
Et de quelle manière les spectateurs, par définition extérieurs à l’événement, « sur la touche », « stratèges de café du commerce » (là, c’est moi qui parle) interviennent-ils ? par leur sympathie, par leur enthousiasme.
L’on me permettra de citer encore ce passage magnifique : « Que la révolution d’un peuple spirituel que nous avons vu s’effectuer de nos jours réussisse ou échoue ; qu’elle amoncelle la misère et les crimes affreux au point qu’un homme sage, s’il pouvait espérer, l’entreprenant une seconde fois, l’achever heureusement, se résoudrait cependant à ne jamais tenter l’expérience à ce prix – cette révolution, dis-je, trouve néanmoins dans les esprits de tous les spectateurs (qui ne sont pas engagés dans ce jeu) une sympathie d’aspiration qui touche de près à l’enthousiasme. »
Je m’arrête ici, car c’est l’essentiel pour notre propos, la suite concernant une « disposition morale du genre humain » dont cet enthousiasme est l’effet. Mais cela nous engagerait dans une discussion sur la sublimité d’un tel spectacle, trop complexe, sinon hors sujet. Ce qui importe plutôt à la compréhension de la dimension utopique de l’événement, c’est sa communicabilité au spectateur, ce renvoi à l’autre, c’est cette réflexion dans le regard de l’autre.
En cet échange, en son lieu insituable d’une rencontre spirituelle où l’événement se constitue, jaillit l’étincelle. À une autre occasion, mais répondant à la même structure de communication, Fourier concevra son Harmonie sociétaire comme une « traînée de poudre » s’embrasant sur toute la surface du Globe. L’immanence de l’utopie, c’est cela : cette instantanéité, cette extra- temporalité, cette omniprésence, cette réceptibilité d’un langage enfin commun à toute la terre. Non pas par la diffusion d’idées, mais en raison du partage de la même expérience existentielle.
Certes, c’est bien « la raison universelle » dont l’idée s’exprime et se manifeste ainsi. Mais l’expérience, l’évidence vécue de la quotidienneté est toujours singulière, et c’est à son niveau que l’utopie opère, qu’elle entre dans l’événement.
Nous disions « habiter », et que cela signifie plus et autre chose qu’occuper un territoire, que cela signifie même le contraire de l’occupation, lorsqu’il s’agit d’habiter la terre et l’espace lisse de son plan déterritorialisé. Il convient maintenant de qualifier cet « habiter », en le reliant à l’événement, « d’utopique », puisqu’il est en relation avec l’utopie de l’événement qui, loin d’avoir clos le temps des utopies, ouvre sur la possibilité de leur nouvelle énonciation.
L’hospitalité au regard du séjour
Reprenons : les utopies – la philosophie de l’utopie – que l’écroulement du communisme soviétique a rendu possibles ne peuvent plus être les mêmes que celles accréditées par la tradition, ou mieux, par la pensée routinière des classifications. À celles-ci, les déviations du socialisme d’État ont porté une atteinte fatale. Il ne s’agit plus de savoir si une utopie peut ou non être appliquée, réussir ou non, est libératrice ou mortifère, en la traitant comme un type particulier d’idéologie, comme le faisait Karl Mannheim dans son livre classique Idéologie et Utopie (11). Mais il s’agit de débarrasser l’utopie de cette confusion, en la délivrant de son aspect idéologique, autrement dit de dissimulation du réel.
Opération que l’on peut déceler chez Kant, que les révolutions qui ont abattu le communisme européen prolongent, si l’on sait comment les évaluer à la faveur de cette lecture.
En rangeant l’utopie et la philosophie dans une même classe, en raison de la Terre qu’elles revendiquent ensemble, nous posons en principe que l’utopie tire sa force de n’être pas une idéologie, ou encore qu’elle n’est pas un recouvrement du réel par les idées, mais le chemin qui mène à celui-ci. Un réel qui, périodiquement, se réveille et s’affirme, après avoir été maintenu dans l’ignorance et la servitude.
Ce réel, dans l’ère qui succède à la fin d’un empire – et qui n’est, faut-il le préciser, ni fin de l’histoire ni celle de la modernité – a pour nom l’habitation de la terre ; à quoi, pour éviter toute équivoque, il conviendra d’adjoindre un qualificatif : habitation utopique. Le retour au réel, après les masques idéologiques, rend l’habitation problématique, il la formule en problème. Le concept offrant à ce problème une solution est l’hospitalité. Voilà ce que nous avons dit.
« Habiter »
Depuis le début de cet entretien, ce mot a, certainement, suggéré sourdement un nom, celui de Heidegger. C’est ce philosophe, en effet, qui, vraisemblablement le premier dans la pensée contemporaine, a attiré l’attention sur l’ontologie de « l’habiter », en le mettant en relation fondatrice avec l’être même de l’homme, avec la pensée (12).
Le penser devient le mode de séjour auprès de l’Être, de même que l’habiter est le mode de séjour de l’homme sur la terre. Et qu’est-ce que séjourner, sinon découvrir ou rendre la terre accueillante, hospitalière ? L’hospitalité primordiale de la terre est une invitation faite à chacun à pratiquer l’hospitalité de l’hôte, à présenter au voyageur les biens que la terre prodigue. Ainsi s’enchaînent, en renvoyant à une commune ontologie fondamentale, l’hospitalité de la terre et celle de l’homme en son séjour.
Par d’autres voies que Kant, et d’une certaine manière en opposition géométrique avec lui, puisque le mouvement de sa pensée mène au « site » au lieu d’ouvrir à l’exploration des lointains, Heidegger, dans sa méditation ontologique sur « le penser », affirme la dignité éminente d’une hospitalité donatrice d’être et de sens.
Le domaine de son intérêt méditatif n’est pas celui où se nouent et se défont les relations entre nations, car elles sont simplement du ressort des volontés conscientes et des règles juridiques relatives, circonstancielles. L’hospitalité en cause n’est pas de l’ordre d’un principe juridique rationnel. Dans son rapport avec « l’habiter », dans le rapport de celui-ci avec l’être et le penser, se manifeste une connexion « sans raison » plus fondamentale que la relation du discours rationnel. Elle est de l’ordre du poétique, non du discursif. Du poétique, en tant que « l’homme habite en poète », comme il est écrit dans un texte célèbre de Heidegger sur Hölderlin.
C’est de Hölderlin aussi qu’il est question dans le passage de Qu’appelle-t-on penser ? où il est fait recours à l’hospitalité pour orienter une longue digression sur le Poème de Parménide. au risque de trahir et d’appauvrir la pensée complexe qui ici s’exprime, la langue qui ne cesse de s’enrouler autour de la sentence parménidienne pour en faire la patiente exégèse sans la clore, disons que tout gravite d’abord autour du mot grec « il faut » (krè) dans le vers : « Krè to legein te noein t’eon emmenai ». (13)
Mot que ni « il faut », ni « il est d’usage », ni « il est nécessaire » ne traduisent correctement. Il s’agit d’une « appartenance essentielle » qu’approcherait le « il est besoin » allemand (es braucht). C’est à ce point que le poème l’Ister de Holderlin vient donner « accompagnement » à Parménide : « Es braucht aber stiche der Fels… » :
« Mais il faut des fentes à la roche
Des sillons à la terre
Où serait l’hospitalité sinon
le séjour ? »

René Schérer
Utopies nomades / 1996
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Texte écrit pour le colloque « Crollo del communismo sovietico » qui se tint à Lecce, en 1992, entièrement remanié en 1999. Une version italienne (trad. Laura Tundo) a paru dans les actes de ce colloque sous le titre Spostamenti dell’utopia dopa il crollo in Crollo del communismo sovietico e ripresa dell’utopia, sous la dir. de arrigo Colombo, edizioni oedalo, Bari, 199, p. 120-129.

1 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Éd. de minuit, p.82-108. Cf. également Mille plateaux, op. cit., « le Lisse et le strié », p.592-625.
2 Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuelle, Paris, vrin, 1948, p.29.
3 Pour un plus ample commentaire, se reporter à Zeus Hospitalier, Paris, Armand Colin, 1993, chap. II, p.0 ; 2ème édition, Paris, la Table ronde, 2006.
4 Manuscrits de Fourier : Détérioration matérielle de la planète, la Phalange, 1848. Le manuscrit est d’avant 1822, date de la parution du Traité d’association domestique agricole. Cf. Œuvres, III, Anthropos, 1966. Publié dans : René schérer, l’écosophie de Charles Fourier, Paris, Anthropos- Economica, 2001.
5 Friedrich Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (19), Paris, Aubier-Montaigne, trad. p. Leroux, 1943, p.99.
6 Ilya Prigogine et Isabelle stengers, la Nouvelle alliance, Paris, Gallimard, 1979.
7 Cf. Georges Bataille, la Part maudite, Paris, Éd. de Minuit, 1967.
8 Sur cette notion, voir notre Pari sur l’impossible, p.U. Vincennes-Saint- Denis, 1989, p.185-210.
9 Ernst Bloch, l’Esprit de l’utopie, Paris, Gallimard, 1964, p.212 et suiv.
10 Emmanuel Kant, le Conflit des facultés, Paris, Vrin, 1955, p.105-106.
11 Karl Mannheim, Idéologie et utopie, Paris, Marcel Rivière, 1956.
12 Martin Heidegger, Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 198, Bâtir, Habiter, penser (1951).
13 Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, Paris, PUF, 199, p.179-181, puis p.254-255.

La crise à l’épreuve de l’utopie / René Schérer, Jean-Claude Polack / Chimères n°70

Jean Claude PolackToute ton œuvre philosophique, et particulièrement tes livres récents, témoignent d’une fidélité indéfectible aux grands thèmes de l’anarchisme et de l’utopie.Ils disent aussi la place essentielle que tu accordes au désir et à la sexualité dans l’histoire et l’économie des sociétés capitalistes. J’aimerais que tu nous parles de l’actualité de ces quatre termes aujourd’hui, dans ces temps de crise de la mondialisation.
Parce que tu vois en Fourier le penseur d’un monde différent, alternatif, plus juste, plus apte à s’émanciper des différents modes d’aliénation, je suis tenté de te demander comment on pourrait aujourd’hui, – au delà d’une résistance passive, donner consistance à ce fameux « rêve générale » apparu sur les banderoles des récentes manifestations.

René Scherer – Tu me soumets de bien grandes questions, et je ne sais si je vais pouvoir y répondre. Je les retournerai plutôt vers moi-même en me demandant ce que je pense et fais exactement.
Je ne me pose pas du tout en homme politique, pas tellement en philosophe ; de préférence en enseignant, en professeur ayant à éclaircir certaines questions devant des étudiants, selon les circonstances. Donc pas tellement avec la prétention de faire un système, mais d’introduire des liaisons, du systématique. En suivant la distinction très juste, à mon sens, que faisait Barthes à propos de Fourier. Il y a en lui du systématique, certainement du systématique, puisqu’il relie tout à tout, mais ça ne forme pas un système, comme celui de Hegel, par exemple. Je serais heureux de pouvoir en dire autant de ce que j’ai écrit. Il n’y a pas de système, mais du systématique, du moins en intention. Des thèmes. Ceux que tu mentionnes : utopie, anarchisme, désir, – j’ajouterais hospitalité, enfance, forment un noyau, un centre à la fois attractif et rayonnant. Une constellation comme disait Benjamin. C’est ça, mon systématique, qui peut, je crois, servir à penser, au besoin, la mondialisation.
Quant à pouvoir transposer ou transporter cela sur le plan d’injonctions ou de projet politique, ce n’est pas exactement mon rayon ; je ne suis pas fait pour cela, je ne suis pas – ou ne suis plus, en tout cas, militant. Toutefois, je suis du côté, en effet, des micropolitiques de Foucault, de celles du désir de Deleuze et Félix. En insistant surtout sur le micro. Proposer quelque chose qui soit à l’échelle des individus, des petits groupes. Ce qui n’empêche pas les spéculations pour le Globe, la planète entière ; mais à titre de « vues », comme chez Fourier. C’est là mon aspect fouriériste, ce qui m’a attiré vers cette démystification du politique, toujours tenté par une paranoïa : celle de légiférer, de décréter, constante chez les philosophes tentés par le langage des généralités et non de la singularité qui est celui du désir. Idée assez proche, à mon avis du moins, de « l’aller aux choses elles-mêmes » de la phénoménologie husserlienne.
C’est pourquoi j’ai passé, à un moment, de Husserl à Fourier. Ce qui peut paraître bizarre mais qui, quand j’y repense, se rattache à cela.
Pour en revenir au premier point que tu fais ressortir, celui de la mondialisation, celui du monde alternatif, oui, en gros, je me sens près des idées alter-mondialistes, mais sans entrer dans le détail. Si je pense à partir de Fourier, c’est justement que, chez lui, l’attention au changement local, domestique, est liée à une extension à la planète entière, qui correspondrait, dans le langage actuel, à la mondialisation. Donc, philosophiquement, je ne peux qu’être pour la mondialisation. Mais, – et c’est toujours une formule fouriériste, en spéculant sur « ses propriétés encore inconnues », c’est-à-dire précisément qui vont à l’inverse de ce que la mondialisation a été.
Profiter de la mondialisation pour faire sauter les barrières nationalistes, pour enrichir l’Occident de la diversité des manières de vivre, en particulier dans l’ordre du désir, – de la vie sexuelle, pour supprimer les inégalités économiques et sociales. Bref, tout ce qui est rigoureusement à l’inverse de ce qui se fait. Mais qui est potentiellement contenu dans l’idée de mondialisation si l’on comprend celle-ci comme la diffusion de proche en proche des expériences réussies ; ou, si l’on veut, du flux vital bloqué à l’intérieur des frontières, par des institutions coercitives. Fourier appelait cela la remise en marche des passions, du mouvement. C’est le réveil des différences, la possibilité pour tous les infinitésimaux du désir de s’exprimer et de se satisfaire.
La catastrophe de la mondialisation actuelle est, on ne le sait que trop, qu’il n’y a plus d’opposition à l’uniformisation des pensées, des mœurs, du règne de l’argent, etc. Il n’y a plus de contre-pouvoir, de puissance différente qui pourrait mettre un frein à l’extension frénétique des monopoles, sonner le holà !
J’y pensais hier à propos de l’attaque de Gaza. L’ancienne division du monde en deux blocs aurait freiné l’arrogance d’Israël. Même si c’était un secours illusoire, de façade, l’Union soviétique était, pour les pays arabes, une sorte de contrepoids. Et un peu, aussi, pour tous les mouvements d’émancipation. Certes, à double tranchant. Mais enfin, elle introduisait une sorte de variété dans la politique mondiale, comme dans tous les horizons politiques, d’ailleurs. Mais, aujourd’hui, il n’y a plus aucune autre perspective que le triomphe indéfini du capitalisme.
Au reste, je dis cela, non pas pour défendre ou réclamer à nouveau une telle coupure du monde, mais pour mettre en relief que, s’il faut spéculer sur une alternative, c’est en repensant complètement les catégories politiques. Il faut les déplacer, faire intervenir tout ce que Fourier appelait le domestique et qui a été classé sous le nom d’utopie, négligé, repoussé ou refoulé, à ce titre.
Il y a beaucoup de choses qui vont en ce sens dans la pensée de Guattari, et, en particulier dans les Années d’hiver. Ou encore, avec les idées exprimées dans les Trois écologies, Chaosmose, sous les formules de « subjectivation », « production de subjectivités ». Si on ne les pense pas seulement comme du « subjectif » ou psychologique, au sens ordinaire, mais dans la perspective des groupes, des regroupements, de l’activation des attractions passionnelles, on rejoint tout à fait Fourier, avec, si l’on peut dire, l’alliance de la géopolitique et de l’existentiel. J’emploie ici ces mots peut-être plus familiers à des oreilles saturées du « jargon » philosophique. Mais les expressions plus simples et pittoresques de Fourier lui-même me plaisent davantage.
Seulement, il faut se déshabituer, et cela est très difficile, tant ils sont enracinés, il faut se défaire des langages politiques et philosophiques courants, ceux de la famille, de l’école, du sujet, de la nation, de l’Etat, etc., centrés sur le moi, le couple hétérosexuel et la procréation, le ménage, le commerce, la morale…et leurs évidences.
Il y aurait là un effort surhumain, pratiquement impossible. C’est pourquoi j’ai toujours borné ma réflexion au petit, au détail, au petit canton où l’on peut apporter la critique, dans une sphère restreinte, où l’on peut entrevoir, pourtant, des lueurs de transformation globale.

Venons-en, si tu veux, à une question plus précise, celle de la crise actuelle. Cette situation de crise, bien sur, est de nature économique, mais on sent bien que quelque chose déborde de beaucoup la simple question des accidents monstrueux de la « financiarisation ».

C’est certain. D’ailleurs, la crise, on en parle depuis qu’il y a du capitalisme. C’est, pour ainsi dire, le mode d’existence du Capital. Ce n’est donc que tout à fait approximativement et relativement que l’on peut parler d’un fonctionnement normal où il n’y aurait pas de crise. Au sein même des systèmes justifiant le capitalisme, le considérant comme l’économie la plus naturelle, les idées de « juste salaire », de « plein emploi », ont toujours apparu comme des vues de l’esprit, des utopies.
Je ne suis pas du tout économiste, donc je suis incapable de dire de quelle manière la crise n’est pas un accident de la mondialisation, mais son mode d’existence. Ce serait intéressant, toutefois, à chercher.
Je me borne à un point qui est aussi connexe, et qui touche à l’aspect, non pas directement économique, mais géopolitique de la mondialisation : l’engendrement des conflits, la succession de poussées nationalistes, de guerres qui ont suivi la chute du bloc soviétique et qui font de la mondialisation actuelle un état de guerre permanent.
Voilà encore une crise, non pas accidentelle, mais en quelque façon, constitutive ou, si l’on veut, structurale. La mondialisation, à la manière dont elle a été menée, engendre la guerre. On peut y voir aussi un problème à poser, à savoir poser et à résoudre, au moins virtuellement.
S’il y a un problème qui effectivement se pose à l’heure actuelle du point de vue philosophique et humain, c’est bien celui là qui en terme justement de pensée comme je la pratique en disant que c’est une pensée utopique, est celle de la pacification du monde. La pensée utopique actuelle, n’est que celle là. De quelle façon le monde peut-il être pacifié ? De quelle façon- je l’exprimais dans un livre sur l’hospitalité-, peut-il être procédé à une hospitalité universelle ?
La question fut posée par Kant, à la fin de la Révolution française.
A l’époque, en disant que c’était par l’intermédiaire d’Etats nationaux démocratiques. A l’heure de la mondialisation, ce sont d’autres réponses qui sont attendues, qu’il faut penser ; repenser une notion de citoyen du monde qui a été abandonnée depuis les Stoïciens, qui paraît aujourd’hui ridicule, utopique, alors que seule elle peut assurer une hospitalité que refusent universellement les Etats.
Le rôle de la philosophie est de savoir repérer, d’indiquer et délimiter le problème, avec ses contours. Or, le problème premier de la mondialisation actuelle, c’est cela : ce que j’appelle l’hospitalité universelle ou la paix universelle. Si, depuis 1795, l’énoncé du problème est le même, les conditions de la solution ont varié ; et il s’agit de les formuler. C’est ce que j’avais tenté de faire, en prenant comme centre la notion d’une hospitalité, non restreinte, comme chez Kant, à un simple droit de visite limité au gré des Etats, mais étendue au droit d’être chez soi sur toute la terre.
René Schérer et Jean-Claude Polack
la Crise à l’épreuve de l’utopie
Extrait de l’article publié dans Chimères n°70
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