La Cour constitutionnelle de la République dominicaine a publié jeudi une décision rendant « apatrides » les descendants d’Haïtiens nés sur le territoire dominicain après 1929. Cette Cour, dont la décision est « définitive », a octroyé un délai d’une année à la junte électorale dominicaine pour établir la liste de ces personnes « déchues de la nationalité dominicaine », a rapporté Associated Press. Ces personnes, certains descendants d’ouvriers haïtiens ayant travaillé dans les « batey », seront retirées de la liste électorale. Selon une étude réalisée avec le support de l’ONU, près de 210 000 Dominicains sont d’ascendance haïtienne. Quelque 34 000 personnes d’ascendance haïtienne issues de relations avec des ressortissants étrangers vivant en République dominicaine ont été dénombrées. Parallèlement, le gouvernement dominicain analysait déjà des actes de naissance de plus de 16 000 personnes alors que les autorités électorales avaient refusé d’émettre des documents d’identité à 40 000 descendants haïtiens. La décision sans appel de la Cour constitutionnelle de la République dominicaine a suscité une vague de réactions. Wade Mc Mullen, avocat du « Robert F. Kennedy Center for Justice & Human Rights », a confié à AP que beaucoup de personnes touchées par cette décision « sont effectivement des apatrides ». « Nous ne savons pas vraiment ce qui va leur arriver. Se basant sur ce que disent les autorités dominicaines, ces gens n’ont pas la citoyenneté dominicaine et devront effectivement quitter la République dominicaine pour aller en Haïti où ils n’ont pas la citoyenneté. Cela crée une situation extrêmement compliquée », a indiqué Mc Mullen, ajoutant que ces « apatrides » ont très peu de liens avec Haïti. Certains ne parlent même pas le créole, a-t-il dit. Ira Kurban, avocat spécialisé dans les questions d’immigration et de droits de l’homme, a indiqué que cette décision « peut conduire à des déportations massives ». « Elle conduira certainement à des discriminations massives ». « Ils s’apprêtent à démarrer le rassemblement des Haïtiens », a ajouté Ira Kurban. Roberto Rosario, président de la junte électorale, a souligné qu’il ne ne dénie le droit de personne à la nationalité dominicaine, ajoutant que « les gens seront en mesure de se légaliser à travers le plan de légalisation ». Cependant, ce plan n’a pas encore été monté, en dépit de l’existence d’une loi sur l’immigration votée en 2004. C’est frustrant pour tous ceux à qui on a dit subitement non, vous n’êtes pas Dominicains », a confié Elmo Bida Joseph, un étudiant de 21 ans, à qui on a refusé une pièce d’identité et une copie de son acte de naissance parce qu’il est le descendant de migrants haïtiens. « Tous mes rêves ont été brisés », a indiqué Bida, un joueur de baseball qui a besoin de ces documents pour s’inscrire à une académie, un centre de formation de baseball. « Je sens qu’à n’importe quel moment je peux être pris au coin de la rue pour être déporté en Haïti », a expliqué Elmo Bida Joseph. « La décision de la Cour constitutionnelle est extrêmement grave. C’est le génocide civil qui se poursuit », a commenté Colette Lespinasse du GARR sur Radio Kiskeya. Elle a appelé à la « mobilisation nationale et internationale » contre cette « décision raciste ». Par le passé, des décisions prises par les autorités judiciaires dominicaines ont été contestées par devant des juridictions internationale comme la Cour interaméricaines des droits de l’homme. « La funeste sentence du tribunal constitutionnel de la République dominicaine est l’évidence de la permanence dans certains secteurs dominicains d’une hostilité historique face à Haïti et aux Haïtiens. Elle donne lieu à la fois à un dangereux précédent, qui peut être reproduit, si elle n’est pas fermement combattue, contre d’autres communautés d’immigrants, y compris les Dominicains dans plusieurs pays à travers le monde », a réagi Edwin Paraison de la Fondation Zile et ex-ministre des Haïtiens vivant à l’étranger. « Le rejet dans l’ opinion publique de cette triste décision judiciaire est cependant la preuve palpable que le peuple dominicain reste un peuple solidaire avec la communauté haïtienne et qu’ il nous faut renforcer nos liens avec les secteurs démocratiques de la République dominicaine qui, comme nous, pensent que les relations entre les deux pays doivent prendre un autre cap », a-til dit. En 1929, il y eut une grande vague de migration haïtienne en République dominicaine. Dans la nuit du 2 octobre 1937, l’Etat dominicain, avec Rafael Trujillo en tête, avait organisé le massacre du « Persil » « perejil » à la machette et aux fusils qui avait fait entre 15 000 et 30 000 morts selon des sources. Rafael Trujillo, dès le premier jour de cette tuerie se déplace à Dajabon et prononce une allocution commentant l’événement : « Depuis quelques mois, j’ai voyagé et traversé la frontière dans tous les sens du mot. Pour les Dominicains qui se plaignaient des déprédations par les Haïtiens qui vivent parmi eux, les vols de bétail, des provisions, fruits, etc., et sont ainsi empêchés de jouir en paix des fruits de leur travail, j’ai répondu, « Je vais corriger cela ». Et nous avons déjà commencé à remédier à la situation. 300 Haïtiens sont morts aujourd’hui à Banica. Ce remède va se poursuivre. » Les atrocités se sont poursuivies jusqu’au 8 octobre 1937. Aujourd’hui, après des années mouvementées ponctuées de déportations d’Haïtiens dans des conditions inhumaines dénoncées par des militants des droits de l’homme, les deux pays entretiennent des relations commerciales importantes. La République dominicaine a annexé en douceur le marché Haïti. Même des allumettes sont importées de la République dominicaine qui applique une politique tarifaire plus que protectionniste. Après le séisme du 12 janvier 2010, grâce aux relations privilégiées du président Leonel Fernandez avec le président René Préval, des compagnies dominicaines ont raflé d’importants contrats. Rofi et Hadom, des compagnies du sénateur Felix Bautista construisent plusieurs édifices publics. Des dizaines de milliers de jeunes Haïtiens étudient en République dominicaine. Sur la Toile, certains disent être « choqués » mais pas surpris par la décision de la Cour constitutionnelle de la République dominicaine. Depuis l’embargo d’Haïti sur les produits avicoles dominicains, des propos guerriers et racistes ont été véhiculés dans la presse dominicaine.
Roberson Alphonse
Des descendants d’Haïtiens deviennent des « apatrides »
en République dominicaine / septembre 2013
Publié sur Le Nouvelliste
- Accueil
- > Plèbe
Archive pour la Catégorie 'Plèbe'
Page 5 sur 7
Ce que vous voyez là :
… est un dispositif anti-plèbe tout à fait exemplaire.
Je m’explique.
Traditionnellement, lorsque vous alliez à la Fête de l’Huma, qui dure trois jours et se tient en banlieue nord de Paris, dans une zone où abondent les cités, lorsque vous quittiez la Fête donc, le vendredi soir ou le samedi, vous étiez assailli à la sortie par des gamins du coin qui vous demandaient de leur refiler vos billets, encore valables pour les jours suivants, au cas où vous n’auriez pas l’intention de revenir. Les militants et membres du Parti responsables refusaient, bien sûr, mais certains visiteurs insuffisamment éduqués politiquement cédaient, pensant faire là un geste charitable, insoucieux du manque à gagner pour le Parti, et, éventuellement, des perturbations pouvant résulter de l’intrusion dans la Fête, de ces gamins turbulents, se déplaçant généralement en bandes.
Les responsables de la Fête ont donc inventé ce bracelet qui est à la fois un dispositif économique et sécuritaire. Lorsque vous sortez, avec l’intention de revenir, vous placez votre bras sous une machine qui le scelle autour de votre poignet. Commentaire de mon fils, dont vous voyez l’avant-bras sur l’image : on se fait une petite frayeur – la machine ne va-t-elle vous trancher l’avant-bras ? Sans aller jusqu’à ces extrémités, il reste que c’est là, distinctement, un moyen de marquer les corps, et qui en rappelle nécessairement d’autres : dès lors que vous êtes affublé de ce bracelet, vous appartenez à une espèce spéciale qui vous distingue du reste de l’humanité, sans jeu de mots – celle des revenants à la Fête. Les esprits mal tournés, du genre Olivier Razac, vous diront que ça fait quand même pas mal bracelet électronique du pauvre (car sans électronique), un dispositif punitif dit « alternatif », avec ce moment où l’autorité scelle la chose et fait de vous, dès lors, une sorte de captif à distance de l’institution. Comme vous le savez, pour des raisons bien évidentes qui renvoient aux moments liés aux pires des épreuves du XX° siècle, nous autres, Européens, sommes extrêmement sensibles à ce motif du marquage des corps que nous associons infailliblement aux camps, à la violence totalitaire, etc. Ce n’est jamais sans un léger mouvement de recul que nous voyons, à la télé, des électeurs dont les corps sont marqués d’une façon ou d’une autre à l’encre indélébile après avoir voté, dans tel ou tel pays « exotique », histoire de lutter contre la fraude électorale.
À l’évidence, les ingénieurs qui veillent au bon fonctionnement du dispositif général « Fête de l’Huma » ne sont pas très sensibles à ce motif qui pourrait, aussi bien, d’ailleurs, se décliner du côté d’une généalogie de la traite, de l’esclavage de plantation – la chaîne. Ils ne voient pas le mal qu’il y a à sceller ce bracelet avec lequel vous serez astreint à dormir, prendre votre douche et vaquer à vos occupations trois jours durant, si vous êtes un revenant assidu à la Fête. Si vous vous avisez de la couper et de le recoudre maladroitement, vous devenez ipso facto une sorte de délinquant aux yeux de l’autorité de gestion de la Fête.
Mais surtout, ce bracelet a pour vocation de rendre opératoire le partage entre deux espèces populaires : le peuple légitime de la Fête, qui paie son entrée et fait de sa participation à celle-ci un geste politique, le peuple communiste au sens large, qui revient d’année en année à la Fête, avec ses traditions, sa mémoire, son espérance politique, sa culture propre, etc. Et puis cette autre figure d’une nébuleuse populaire ingouvernable, incommode, sans utilité politique (ils ne votent pas), constamment tentée par les illégalismes, petits et grands (ils veulent participer à la Fête sans payer) – la plèbe des banlieues et des cités. Pour des raisons historiques et symboliques, économiques aussi sans doute, l’Huma et le PCF tiennent à ce que la Fête continue de se tenir à la Courneuve plutôt que sur l’Esplanade de Vincennes, mais du coup, il leur faut, d’année en année, affronter cet incommode écueil de la contiguïté de cet événement si important dans la vie du Parti et du journal et de la vie de la plèbe (ces jeunes qui aspirent à assister gratis aux concerts proposés aux visiteurs payants et aux invités légitimes sont peu ou prou les mêmes qui ont salopé la « fête » du PSG au Trocadéro au mois de juin dernier…).
Le petit bracelet bleu scellé sur l’avant-bras des revenants légitimes à la Fête matérialise l’immémorial partage, césure, entre ce peuple légitime, citoyen, peuple de l’Etat et des partis, peuple-institution et cet autre peuple incommode aux gouvernants, à tous les gouvernants, ceux que Foucault nommait « les hommes infâmes ». Tout semble se passer comme si la « culture communiste » ne pouvait se survivre sans réactiver sans fin cette coupure litigieuse à tous égards.
Alain Brossat
Immémoriale guerre des deux peuples / septembre 2012
À écouter : les Gosses de Bagnolet