La plupart des textes réunis dans cet ouvrage s’inscrivent dans les traces de l’écosophie guattarienne, pour la prolonger, la critiquer ou la remettre en question. En 1989, dans Les Trois écologies, Félix Guattari affirmait qu’il est impossible de séparer les phénomènes de déséquilibre écologique qui menacent aujourd’hui la planète de la détérioration qui affecte en même temps nos intelligences, nos sensibilités, nos modes de vie : il s’agit désormais de penser « ensemble » la sauvegarde et la réinvention de notre environnement naturel, psychique et social. L’écosophie est présentée donc comme le projet (philosophique, politique et esthétique) d’une nouvelle articulation complexe et désormais indispensable « entre les trois registres écologiques, celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité humaine ». L’objet écosophique ne se ramène donc pas à un objectif défini de façon univoque ou à un projet politique traditionnel, mais constitue plutôt une passerelle transversaliste entre des domaines hétérogènes, dans une perspective fondamentalement hétérogénétique et re-singularisante. Il implique une remise en question permanente des institutions existantes, mais également une ouverture attentive aux mutations subjectives de notre époque, une vision radicalement transformée de la société, de la nature et de la technique, la nécessité de repenser et de réinventer sans cesse nos environnements.
(…) L’intention première de cet ouvrage est celle de donner un aperçu global des champs théoriques et pratiques où une nouvelle pensée des environnements et des natures/cultures est en train aujourd’hui de prendre forme, dans l’espoir qu’il puisse contribuer à l’ouverture des possibles que le philosophe Hicham-Stéphane Afeissa appelle de ses vœux dans sa contribution, ouverture nécessaire pour que nous puissions espérer nous soustraire aux menaces d’étouffement, d’ordre théorique, politique, esthétique et existentiel qui pèsent sur nous de toutes parts. Manola Antonioli Théories et pratiques écologiques :
de l’écologie urbaine à l’imagination environnementale / 2014 Présentation du livre / Installation et performance JEUDI 3 AVRIL 2014
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« La nuit dernière, vers 22 heures, la caserne des pompiers du centre-ville a été ravagée par un violent incendie d’origine criminelle. Surpris dans leur sommeil, aucun des 934 soldats du feu n’a eu la vie sauve : tous ont péri carbonisés rapidement, en moins de cinq minutes, mais dans d’atroces souffrances. Rapidement sur les lieux, le voisinage, en pyjama, muni de seaux d’eau, s’est inutilement agité pour maîtriser les flammes avant d’abandonner la tâche en haussant les épaules. L’attentat a immédiatement été revendiqué par téléphone auprès de notre salle de rédaction, qui partait déjà se coucher tranquillement, par le Mouvement France Fasciste et Pourtant Cool. Nous avons joint aussitôt son président, Boris Hightek, qui a confirmé la chose devant nos caméras, exprimant avec beaucoup de méchanceté envers les familles et les proches des victimes les raisons de cet acte politique patriote. Afin, sans doute, de ne pas être en reste, le chef de l’État et son parti Les Fils de la Vierge et du Chef, ont immédiatement appelé à une manifestation anti-pompière : « Que la Force de l’Ordre soit masse-populaire et cruelle et avec nous » a martelé Brice « Captain » Martel, Ministre des Intérieurs, amant officiel du Président et de son épouse Brûlante-Diva. En pleine nuit et moins d’une heure après le sinistre, pas moins de quatre millions de fonctionnaires, tous réquisitionnés, défilaient joyeusement en famille, brandissant pancartes et banderoles très hostiles envers les victimes, et massacrant avec méthode tous ceux qui, à tort ou à raison, pouvaient sembler éprouver de la compassion envers les allumés aux allumettes. Les partis de gauche, tout en dénonçant ce qu’ils estiment être une « opération politicienne » ont néanmoins solennellement appelé à l’Union nationale au-delà des clivages, face à « la terrible épreuve qui a bouleversé tous les Français », et appelé, pour ne pas paraître à la traîne de ce formidable mouvement bon-enfant masse-populaire, à dénoncer, je cite, « jusque dans les chiottes, publiques-privées réunies », les sympathisants de la caserne. Environ 100 000 morts ne sont donc pas à déplorer du côté des ratonnés, tandis qu’un jeune enseignant a été légèrement blessé au genou au cours de la manifestation et aussitôt soigné et décoré par le Président de la République en personne, présent sur les lieux du drame, où a été immédiatement apposée une plaque de marbre gravée de la terrible mention : N’oublions jamais – Ici a saigné injustement et un petit peu un genou de Hussard. »
(…)
Quelques rues désertes plus loin, Dick aperçoit un regroupement qui lui barre le chemin. C’est une des nombreuses Chorales Humanitaires des partisans de Boris Hightek, une douzaine de jeunes filles et gars, habillés aux joyeuses couleurs du MFFPC, le sourire béat, la moyenne d’âge aussi basse que leur plafond, chantant haut et fort Claretta For Ever et quêtant pour l’établissement d’une nouvelle colonie martienne Fasciste-Cool. Voyant arriver Dick, l’un des jeunes gens le hèle : Camarade ! Ce qui fige doublement le détective : et l’interpellation, et le terme. Viens chanter ta joie et partager ton amour avec nous ! dit une fille de l’âge de Lauren ou Eva, mais c’est bien tout ce qui peut les rapprocher – et encore. Je chante faux ! répond le Pussy dans un sourire crispé. Pas grave ! Nous aussi ! enchaîne un autre en riant. Et tout le monde s’esclaffe, c’est la fête. Dick ricane avec eux tandis que le groupe se resserre autour de lui, l’empêchant de passer.
Tout sourire, tous se mettent à scander Une chanson ! Une chanson !
Alors ça lui sort tout seul.
Il se met à siffler 24 000 Baci.
Et réalise l’erreur fatale. Mais c’est trop tard, et Dick se dit que son nom va bientôt délicatement orner la liste déjà longue des nombreuses victimes des lynchages humanistes.
Plus personne ne rit, tous le regardent, entre perplexité et tristesse, avec cependant une lueur qui monte dans les yeux exorbités : celle de la rage. Celle de la haine.
C’était la fête mais plus maintenant, maintenant ça va être sa fête. À lui.
Après un silence aussi glacé que la banquise ou ce qu’il en reste, une fille hurle Tu n’es pas biodémocrate ! et une autre Ce type n’est pas hygiénique ! un garçon surenchérit Il pourrait être notre père ! Le chœur ponctue par un Ooooohhh navré et désapprobateur. Pédophile ! vocifère une autre fille et elle enchaîne dans un cri, comme le signal sinistre de l’hallali : J’ai mal à ma France ! Et tous scandent Elle a mal dans sa France ! aussitôt enchaîné par le vrai signal : C’est un rouge !
C’est à ce moment qu’il se passe la chose la plus extraordinaire qui soit. Le groupe qui entoure le détective est à son tour cerné par une vingtaine de femmes surgies de nulle part. Elles sont en combinaisons noires très fines et par endroits presque transparentes, moulantes à en crever, silhouettes évoquant l’Irma Vep des épisodes muets de Louis Feuillade, le visage dissimulé par un loup agrandissant des yeux joliment maquillés et déjà très en amandes semble-t-il.
En moins de temps que rien du tout elles ont commencé à chanter et danser I’m singing in The Rain, très pro, comédie musicale de baston à la West Side Story, très classe, précises, impeccables, ponctuant chaque phrase de coups de poings et de pieds bien placés à l’intention des scouts de l’espace. La déroute de la Chorale est immédiate et l’instant d’après qui est déjà le présent tout ce beau monde a disparu. Évaporées les Irma Vep, dissous les fascistes cool.
Le Pussy a l’impression d’avoir rêvé. Marco Candore Real Star / 2013 Publié en décembre 2013 chez KMA éditions À voir également sur Mécanoscope Trailer audio :
Quand ça refroidit et surchauffe tout à la fois autour de Dick Pussy, ça énerve le détective. Surtout quand son pote et associé Didi-Eddy passe à la poële, haché menu au laser en pleine nuit pour une combine certes bien payée mais pas très nette. Alors ça tombe et lui tombe dessus de partout : les flics, les pompiers, les factures, les stars de cinoche, les Vénusiens, les vigiles, les fascistes, les Chinois, les androïdes, les sociétés secrètes, les cauchemars. Et les femmes. Pas besoin de faire le Privé à Babylone pour avoir une vie intense, rêvée ou pas : ici c’est Aubervilliers, Shangaï-Mon-Amour à la Nouvelle-Défense et autres nouvelles défonces servies accompagnées de café atomique, de dinde aux marrons, de poulpes marinés ou en friture, c’est selon.
« Un excellent produit. » Catalogue des Addictions Reconnues d’Utilité Publique, C. A. R. U. P.
« C’est terrifiant, de quel cerveau embrumé a donc pu surgir cet écrit de démoralisation publique ? Je souhaite vivement que le texte soit saisi dès sa publication et que les éditeurs qui l’auront publié soient conduits en prison. J’userai d’ailleurs de mon influence en ce sens. » A. B. Commissaire aux bonnes mœurs en Seine-St-Denis, philosophe à seize heures.
« Ce type est épatatant. » A. A. Étoile qui monte et qui danse, aussi, à seize heures elle aussi.
« Je soutiens entièrement la position d’A. B. sur l’œuvre de M. C., et j’écris de ce pas au ministère de l’Intérieur à propos des éditions KMA.» Kirsten Vogler, philosophe à minuit dans le siècle.
« Enfin un roman noir à l’eau de rose. » le Silence qui parle, enfin.
« Un grand auteur est natif. » M. C.
« Une merde. Mais on publie, ça va cartonner. » K. M. A.éditions
un film de Marco Candore
avec (par ordre d’apparition) :
Vincent de Larose, Evelyne Neuvelt, Dan Tesk, Ernesto del Vargas,
Ivy Velvet, Anaïs Bé, Aude Antanse, Marco Candore (texte & voix) réalisation & montage Marco Candore et Cherif Filali musique Alain Engelaere production Mécanoscope / décembre 2013
« Il y a deux manières de voir un film, ou bien on le considère comme une boîte qui renvoie à un dedans et alors on cherche ses signifiés, et puis si l’on est encore plus pervers ou corrompu, on part en quête du signifiant, ou bien on considère ce film comme une petite machine asignifiante. Comment ça fonctionne pour vous ? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne se passe, prenez un autre film… Cette autre vision est une vision en intensité. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter. Cette manière de voir en intensité, en rapport avec le dehors, flux contre flux, machine avec machine, mise en fonctionnement avec autre chose, n’importe quoi… c’est une manière amoureuse… » / Gilles Deleuze
Trou noir, figure de l’absen-t-ce, de l’effacement, de la masse manquante et du vide. Affabulations, réminiscences ou fantasmes, délire des mondes ; machine à rêves et d’écritures, Lipodrame ne raconte pas une histoire en particulier mais plusieurs, potentielles, tout à la fois.
« J’ai connu Pepe Giuliano quand elle était à Paris, et fréquentait les Chevaliers de Notre-Dame de l’Anarchie, une confrérie ultra-secrète dont les buts étaient si obscurs que ses membres eux-mêmes ne savaient pas ce qui les réunissaient, le nom même de la société ne semblaient rien signifier. Ils ne semblaient pas vraiment avoir le sens de l’humour, enfin je n’en sais trop rien, je ne les ai jamais vus, j’en ai peut-être croisés en draguant Pepe mais par définition, je ne peux pas le savoir, la clandestinité absolue n’est-ce pas. »
Il était une fois une coïncidence qui était partie faire une promenade
avec un petit accident. / Lewis Carroll
En guise de.Lipodrame est un court métrage de quinze minutes, tourné sans scénario. C’est aussi un film caché dans / pour un autre film à venir (plus long en métrage ; mais quid du métrage avec le numérique ? à méditer). Cornet : à dés, pistons, acoustique, de frites. « Faire » des images sans vraiment savoir où / vers quoi elles mèneront. Intuition vague problématique en forme de : spirale ; des disques de vinyle ; des galaxies – au centre, le trou noir dévore tout et poussières et étoiles s’y précipitent – ; tango-vertigo des lavabos et des latrines (plus ou moins étranges histoires trouées telles : un fromage suisse ou la surface lisse d’un espace-temps recomposé), gobant fluides et autres matières pour de longs et poétiques et incessants voyages de jour comme de nuit en de mystérieux tuyaux où guettent toutes sortes de minotaures et êtres aux aguets. Pavillon de l’oreille autre spirale et feuille timbrée à l’affût et tout dans le noir en case départ. Jeu-dé, jeté-e. Donc on jette les dés, le hasard et toute la clique de l’éternel retour qui n’en finit pas de revenir ni tout-à-fait-le-même-ni-tout-à-fait-un-autre, on a des musiques, des ritournelles obsessives, des bruits de toutes sortes dans la tête, mais aussi un fantasme de silence, un désir impossible du silence impossible ; une voix viendra, elle vient toujours. Qu’est-ce que c’est au juste, cette, heu, chose ? Il n’y a pas d’histoire, seules des cartes rebattues, redistribuées, combinant des potentialités. Is That Jazz. Est-ce du cinéma. Il y a bien une caméra, des lumières, des acteurs, de la musique et du mouvement – même celui, à peine perceptible, d’une respiration, les battements de cils de deux yeux clos feignant le sommeil. Capture de micromouvements. Voler l’image. Bande de pillards. Puis vient une voix, elle vient toujours celle-là, pour raconter, là où il n’y a rien a priori. La galerie des portraits ne propose rien mais un chemin se fait, qui surtout ne doit pas trop dire, trop remplir. Laisser du vide, du neutre – relatif. Une petite machine asignifiante. La voix donnant un semblant d’ordre, de sens, même et surtout si « tout est faux ». La fable est ténue et persistante. Mais il est possible, tout aussi bien, de raconter tout autre chose sur ces mêmes images. Pillage de visages et de corps, de mots, de jeu de citations, sans procédé ni méthode ou modèle. La voix, les mots, les noms sont venus après, au fil de la plume du montage. Puis celui-ci s’est calé sur la voix puis inversement ou le contraire. Ainsi de suite. Il n’y a pas vraiment de personnages, juste des noms, des vitrines sans boutique. Statut du décor de théâtre / de cinéma. Derrière, la coulisse, les loges avec des tables à repasser, des tickets de caisse à se faire rembourser, des issues de secours, et la rue où passent le temps réel et le monde. Réel ? Tom Bom, Ricki Pompola, Carmen Tortillas (dite aussi Pepe Giuliano ou Dolores ou Maria ou Mariem ou Fleur-de-Lotus entre autres), Ingeborg Vermeersson : des noms-machines, des noms-rhizomes, le magasin est la vitrine, le décor, les personnages n’ont pas d’autre profondeur que la surface offerte. Machines à continuer. En creux, par défaut, par une case vide, c’est là que se découvre un ou des passages, que peut se dérouler un des rubans possibles. Marco Candore Lipodrame (ou Comment j’ai réalisé incertain de mes films) / 2013 Extrait de l’article publié dans Chimères n°80