l’Emergence de l’inconscient réel chez Lacan et Deleuze/Guattari :
Artaud et Joyce
L’émergence de l’inconscient réel est indissociable chez Lacan d’une critique de l’œdipe. Lacan, dès 1962, critique Totem et tabou et prend des distances résolues avec Freud (1). L’œdipe ne « sert à rien aux psychanalystes », et le « pire » c’est qu’il « est contraire à l’expérience clinique » (2). Dans cette critique, Deleuze et Guattari trouvent le motif essentiel qui motive l’Anti-œdipe en 1972. C’est également à partir de Lacan qu’ils vont affirmer radicalement l’hypothèse de l’inconscient réel. Cette précipitation du sens de l’œuvre lacanienne permettra vraisemblablement à Lacan d’approfondir à son tour sa conception de l’inconscient (3). Car, dès la décennie suivante, son ton se fait plus virulent, et l’écart avec Freud plus net. Lacan n’hésite pas à renvoyer la notion de « père primitif » à la névrose de Freud, et parle à cet égard du « père orant », et du « pérorant outang »(4).
Que s’est-il passé ? D’un point de vue interne à la doctrine lacanienne, le passage de la primauté du symbolique au Réel (à l’hypothèse de l’inconscient réel) peut rendre compte de ce mouvement. Mais il faut bien voir que ce mouvement est aussi bien épistémique que politique. Lacan, en délestant la psychanalyse du mythe de l’œdipe, peut à la fois repenser la psychose et approfondir son élaboration théorique de « l’objet a » qu’il va combiner à une analyse politique inspirée de Marx.
C’est également dans ce sillage poststructural ouvert qu’il faut penser l’enjeu de la schizo-analyse. Il s’agit d’une réfutation du structuralisme psychanalytique qui se soutient de la primauté d’une conception du symbolique articulé à l’œdipe.
Dès 72, D/G affirment en effet que « toute autre était la voie tracée par Lacan. Il ne se contente pas, tel l’écureuil analytique, de tourner dans la roue de l’imaginaire et du symbolique, de l’imaginaire œdipien et de la structure œdipianisante [...] » (5).
N’est-ce pas en effet la raison pour laquelle Lacan a bien pris soin de rappeler en 1962 qu’il parlait non pas de l’œdipe mais de la « métaphore paternelle » dans « La question préliminaire » ? Le père a la fonction de métaphore par où tient le symbolique : il s’agira de se passer du « père », de son ordre ou de sa loi, « à condition de savoir s’en servir ». Seulement rien n’est moins sûr que ses disciples l’aient entendu. Les lacaniens sont clairement visés par D/G :
« Ce n’est pas un hasard si l’ordre symbolique de Lacan a été détourné, utilisé, pour asseoir un œdipe de structure applicable à la psychose et pour étendre les coordonnées familialistes hors de leur domaine réel et même imaginaire. » (6)
« [...] et même une tentative aussi profonde que celle de Lacan pour secouer le joug d’œdipe a été interprétée comme un moyen inespéré de l’alourdir encore, et de le refermer sur le schizo ». (7)
Ils profiteraient des dernières élaborations structurales de Lacan afin de les détourner pour mieux réinstaurer œdipe et « l’exclusion du Schizo ». Cette critique est malheureusement loin d’être inactuelle : bien souvent la théorie de la forclusion ne dégage pas d’heuristique clinique (8) et, bien que cet aspect soit souvent négligé, la critique schizo-analytique ne se départit pas de la clinique (Guattari travaille à la clinique psychiatrique de La Borde depuis les années 1950). Or, l’hypothèse du sinthome formulé par Lacan quelques années plus tard semble reprendre ces enjeux cruciaux. En effet, celle-ci ouvre en revanche de véritables perspectives. Elle s’appuie sur une transformation majeure de la conception de l’inconscient : le Symbolique va être destitué au profit du Réel. Les gains dans la clinique de la psychose (et de la névrose) sont immenses. On en tire encore les conséquences aujourd’hui (9). Dès 1972, c’est tout l’enjeu de ce que Deleuze appelle « l’inconscient machinique » dès la page suivante. Il s’agit bien pour D/G de mettre le Réel au centre des investigations analytiques, en même temps que de s’écarter du despotisme de « l’inconscient structural symbolique » :
« Car l’inconscient lui-même n’est pas plus structural que personnel, il ne symbolise pas plus qu’il n’imagine ou ne figure : il machine, il est machinique. Ni symbolique, ni imaginaire, il est le Réel en lui-même, le “réel impossible” et sa production. » (10)
On peut remarquer qu’une des catégories centrales de D/G réside certainement dans cette idée de « production » directement empruntée à Marx (11). Mais nous pouvons d’ores et déjà noter que Lacan recourra, trois ans plus tard, également à l’œuvre de Joyce comme « production sinthomatique » de sa psychose (12). Comme chez D/G, l’œuvre réussie du schizo nous renseigne sur un rapport singulier qu’il entretient avec le Réel. C’est par son œuvre qu’il peut se faire un « escabeau », son « escabeaustration ». Ce néologisme n’est pas seulement un équivalent de la castration mais une opération par où Lacan met en exercice la lalangue dans la psychanalyse. Qu’est-ce à dire ? Lacan s’interroge sur la nomination au sujet de l’écriture de Finnegans Wake de Joyce. De son aveu, Joyce devient son guide. C’est que Joyce, par ses jeux de langues, indique directement les procédés de l’inconscient. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Lacan s’y arrête et s’y met à son tour : « LOM », « l’esp d’un laps », « l’une bévue », etc. L’artiste devient l’explorateur de l’inconscient… en avance sur le psychanalyste. Il illustre qu’en multipliant le jeu sur les signifiants, on fait sortir la langue ordinaire de ses gonds par une connexion avec la jouissance. De cette expérience Lacan tire un concept, la lalangue, qu’il définit comme : « [...] rien de plus que l’intégrale des équivoques que [l’]histoire [singulière] y a laissé persister. » (13)
Cela ne signifie pas que la lalangue serait seulement la langue maternelle qui renverrait à la seule histoire singulière. Cette même année, Lacan définit en effet la « lalangue » : « C’est le lieu d’un dépôt, l’alluvion, la pétrification qui s’en marque du maniement par un groupe de son expérience inconsciente. » (14)
La lalangue est le lieu des jouissances déposées dans la langue. C’est la raison pour laquelle l’artiste-psychotique et son œuvre deviennent exemplaires quant à l’investigation analytique. Son œuvre pose la question des formes agissantes ou productrices de l’inconscient dont est capable un sujet dans ses rapports à l’Autre. C’est de ce « rapport privilégié » à la lalangue que Joyce peut faire œuvre littéraire. Cette place tout à fait singulière de l’artiste, ou de la « psychose réussie », et de son rapport à la lalangue impliquent évidemment l’hypothèse d’un inconscient réel producteur, c’est- à-dire en prise avec les choses de l’Histoire. Si l’œuvre donne un nom à Joyce pour les « petits autres » en le réintroduisant à un rapport imaginaire, c’est aussi bien qu’elle a une incidence sur le symbolique. Dit autrement, la lalangue a des incidences sur la langue, c’est de là que l’artiste tire sa faculté créatrice ou plus exactement ses productions. C’est aussi en cela qu’il est l’éclaireur du psychanalyste. Tout cela, on le pressent, n’est pas sans implications politiques. Or, dès 1972, peu avant Lacan, à partir d’Artaud, D/G proposent leur formalisation. Le recours à la figure « d’Artaud-le-schizo » et à son œuvre trouve précisément à s’articuler à l’hypothèse d’un « inconscient Réel producteur ». Voyons comment ils procèdent et quels concepts ils dégagent.
S. Leclaire, dans un article, avait cherché à dégager « l’envers de la structure », « l’Autre du signifiant ». Il l’avait défini « comme pur être de désir » où il voyait « une multiplicité de singularité pré-personnelles, où d’éléments quelconques qui se définissent par l’absence de liens » (15). C’est en s’appuyant sur cet article que D/G font l’hypothèse de ce qu’ils appellent « processus schizophrénique » (à ne pas confondre avec la maladie du même nom) ou « flux de désir ». Il s’agit d’approcher le moment où le langage « ne se définit plus par ce qu’il dit, encore moins par ce qui le rend signifiant mais par ce qui le fait couler, fluer, éclater ». C’est de ce point de vue, précisent D/G, que la littérature est tout à fait comme la schizophrénie : « Un processus et non pas un but, une production et non pas une expression. »
Aussi, comme chez Lacan, il s’agira d’approcher le moment où le langage « ne se définit plus par ce qu’il dit, encore moins par ce qui le rend signifiant mais par ce qui le fait couler, fluer, éclater ». C’est ainsi que la Beat Génération, contre l’écriture d’un Hemingway, indexe son expérience de l’écriture à celle de la drogue en visant le hors-sens. Lacan pourra ainsi dégager le concept de joui-sens : l’usage de la drogue permettant de « rompre le mariage avec le phallus » (16). On sait que ce champ de la littérature anglo-saxonne représentait une investigation analytique majeure pour Deleuze et Guattari dès les années 1960 qui en font, comme Lacan, le paradigme de l’inconscient réel. Car de Thomas Hardy, de Lawrence à Lowry, de Miller à Ginsberg et Kerouac, c’est cette connexion possible avec la jouissance qui est en jeu. C’est d’un certain usage de cette dernière, parce qu’il a un rapport particulier au Réel, que l’artiste et son œuvre nous instruisent, quitte à ce que ça se passe sur son corps, quitte à ce qu’il risque sa vie même. Le rapport de l’artiste à son œuvre est le paradigme ou la loupe grossissante du Réel mais aussi bien, le lieu de toute fabrique possible des semblants. C’est ainsi que la science nosographique de la psychiatrie et de la psychopathologique, dont Artaud eut à subir les pratiques, s’effondre devant la vérité de l’œuvre littéraire d’Artaud et de ce qu’elle exemplifie comme puissance créatrice au nom même de sa schizophrénie, c’est-à-dire de son rapport au Réel :
« Artaud est la mise en pièces de la psychiatrie précisément parce qu’il est schizophrène et non parce qu’il ne l’est pas. Artaud est l’accomplissement de la littérature précisément parce qu’il est schizophrène et non parce qu’il ne l’est pas. Il y a longtemps qu’il a crevé le mur du signifiant : Artaud le Schizo. Du fond de sa souffrance et de sa gloire, il a le droit de dénoncer ce que la société fait du psychotique en train de décoder les flux du désir (Van Gogh « le Suicidé de la société ») mais aussi ce qu’elle fait de la littérature quand elle l’oppose à la psychose au nom d’un recodage névrotique ou pervers [...]. » (17)
Si le schizo comme l’artiste ont un rapport privilégié à la lalangue, c’est aussi bien que leur rapport au corps ne va pas de soi (comme il ne va pas de soi pour tout homme). Le « Corps sans organes » signifie la limite de toute organisation signifiante et même de toute organisation physique toujours déjà domestiquée par le symbolique et l’imaginaire. En effet, ce « corps-limite du schizo », rétif à toute organisation, est aussi bien la possibilité de faire un trou dans les codes. C’est à ce processus que se reconnaît la créativité où vient puiser l’artiste en général dont la littérature anglo-américaine est paradigmatique :
« Étrange littérature anglo-américaine : de Thomas Hardy, de Lawrence à Lowry, de Miller à Ginsberg et Kerouac, des hommes savent partir, brouiller les codes, faire passer des flux, traverser le désert du corps sans organes. Ils franchissent une limite, ils crèvent un mur, la barre capitaliste. Et certes il leur arrive de rater l’accomplissement du processus, ils ne cessent pas de le rater. Se referme l’impasse névrotique – le papa- maman de l’œdipianisation, l’Amérique, le retour au pays natal [...], ou pire un vieux rêve fasciste. Jamais le délire n’a aussi bien oscillé d’un de ses pôles à l’autre. Mais à travers les impasses et les triangles, un flux schizophrénique coule, irrésistible, sperme, fleuve, égout, blennorragie ou flot de paroles qui ne se laissent pas coder, libido trop fluide, et trop visqueuse : une violence à la syntaxe, une destruction concertée du signifiant, non-sens érigé comme flux, polyvocité qui vient hanter tous les rapports. » (18)
On ne peut être plus clair : l’œuvre de l’artiste comme sa vie sont dans un rapport au Réel qui lui permet sa créativité par laquelle il dépasse les limites des prescriptions des codes de son époque, et par où, se déjouant des signifiants institués (ici les signifiants de l’œdipe et de sa norme), il les fait fuir pour leur imprimer de nouvelles formes. C’est « tout cet envers de la structure » que Lacan « avait découvert avec l’objet a », concluent Deleuze et Guattari. En effet, là encore on peut noter que D/G ont bien lu Lacan. C’est « l’objet a » qui permet de détrôner la suprématie familialiste de l’œdipe et de s’ouvrir sur le « dehors de la représentation ». « L’objet a », en tant qu’il pointe la jouissance, indiquait déjà le processus de l’inconscient réel à même le social et définit l’éthique du psychanalyste sous l’horizon historique du capitalisme. L’enjeu est en effet aussi bien politique puisqu’il s’agit d’éviter d’arraisonner l’inconscient au paralogisme du rabattement : ne pas réduire l’inconscient à la fonction du nom, mais s’ouvrir à la question du nom comme processus de production. Ne plus rabattre les noms de l’Histoire sur le nom du père : c’est la résistance spécifique qui se révèle chez l’artiste-psychotique, aussi bien que chez le chaman ou chez le chasseur-nomade.
Florent Gabarron-Garcia
Pensée magique et inconscient réel : jouissance et politique dans la psychanalyse chez Lacan et chez Deleuze/Guattari (extrait)
Cliniques Méditerranéennes n°85 : la Pensée magique / 2012 / Erès
liens ajoutés par le Silence qui parle :
l’Unebévue
Ecole Lacanienne de Psychanalyse
Œuvre représentée : Zoulikha Bouabdellah / Two Lovers – La Roue, 2010 / Leds Unique / @ 2010 Zoulikha Bouabdellah
1 J. Lacan, Le Séminaire X, l’Angoisse (1962-1963), Paris, Le Seuil, 2004 cité ans G. Deleuze, F. Guattari, l’Anti-œdipe, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 62.
2 Ibid., p. 389.
3 F. Gabarron-Garcia, « l’Anti-œdipe, un enfant fait par Deleuze-Guattari dans le dos de Lacan, père du sinthome », Chimères, n° 72, 2009.
4 J. Lacan, « l’Etourdit », Scilicet, n° 4, Paris, Le Seuil, 1973, p. 13.
5 G. Deleuze, F. Guattari, l’Anti-œdipe, op. cit., p. 65.
6 Ibid., p. 431.
7 Ibid., p. 206-207.
8 F. Gabarron-Garcia, « Critique épistémologique de la présentation clinique », Chimères, n° 74, 2011.
9 G. Michaux, De Sophocle à Proust, de Nerval à Boulgakov : essai de psychanalyse lacanienne, Toulouse, Erès, 2008 ; G. Morel, La loi de la mère. Essai sur le sinthome sexuel, Paris, Économica- Anthropos, 2008 ; F. Hulack, La lettre et l’œuvre dans la psychose, Toulouse, érès, 2006.
10 G. Deleuze, F. Guattari, l’Anti-œdipe, op. cit., p. 62.
11 Sur ces questions, nous renvoyons à l’excellent ouvrage de G. Sibertin-Blanc, Deleuze et l’anti- œdipe, la production du désir, Paris, PUF, 2009.
12 J. Lacan, Le Séminaire XXIII, le Sinthome (1975-1976), Paris, Le Seuil, 2003.
13 J. Lacan, « l’Etourdit », op. cit., p. 490.
14 J. Lacan, « La Troisième », Lettre de l’école freudienne, n° 16, 1975, p. 9.
15 S. Leclaire, « La réalité du désir », Sexualités humaines, Paris, Aubier, Montaigne, p. 242-249 (cité dans G. Deleuze, G. Guattari, l’Anti-œdipe, op. cit., p. 369).
16 Il est d’ailleurs curieux de lire certaines productions lacaniennes qui découvrent « avec horreur » que le champ de la littérature américaine fut exploré par Lacan comme « envers de la castration ». En effet, celles-ci y voient « le pire » : soit certainement le signe de leur erreur structurale. « Mais le pire était à venir avec la Beat Generation et sa volonté farouche d’écrire autrement qu’Hemingway ». Dominique Laurent, « Introduction à la lecture du séminaire XVIII », Revue de la cause freudienne.
17 G. Deleuze, F. Guattari, l’Anti-œdipe, op. cit., p. 160.
18 Ibid., p. 158.
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« Pour moi, ce type était un putain de saint ». Le putain de saint en question est Michel Foucault. Le type qui a écrit la phrase est David Halperin, dans son livre Saint Foucault : Towards a Gay Hagiography.
Vie des hommes illustres, chroniques des rois, hagiographies, épopées des grands bandits populaires, ces genres de récits dans lesquels la description tient une large place deviennent-ils immanquablement aujourd’hui des procédures d’objectivation et d’assujettissement s’ils ont pour sujet ce que le XIXe siècle a stigmatisé comme « vies déviantes »? « La béatification de Foucault par Halperin est une absurdité réfléchie », dit Catherine Lord, « à la fois une éviscération de l’homophobie et une ode à la fabrication d’un moi queer ». Elle ajoute : « On ne devient pas un saint sans réaliser un miracle ou deux. L’histoire de la sexualité de Foucault fut à l’époque la plus grande source intellectuelle d’inspiration des militants de la lutte contre le sida.»
Le combat pour avoir le dernier mot dans l’interprétation et le contrôle de la représentation, inhérent à la situation biographique en général, prend une dimension politique irréductible quand il s’agit d’une vie gaie, rappelle Halperin.
Sans pour autant lâcher ce qu’il développe dans Surveiller et punir, qui fait de la description à partir du XIXe siècle une des technologies politiques d’examen produisant des corps dociles, dressés, individués, classés, Foucault a par la suite évoqué le « grondement de la bataille ». Celle des anormaux, dont les «récits de vie», sous toutes leurs formes artistiques, ne sont pas des psychobiographies mais des faits d’écriture, de création, points intenses des vies infâmes, sources de lignes de fractures, de collisions, d’inventions. Celle également des « récits de soi », des pratiques des arts de l’existence, peut-être porteuses d’une nouvelle subjectivité. «Les mutations du capitalisme ne trouvent-elles pas un vis-à-vis inattendu dans la lente émergence d’un nouveau Soi comme foyer de résistance ? » questionne Deleuze dans son Foucault. « Faire de sa vie une œuvre éclatante »…
Dès lors, comment accéder à une visibilité nécessaire à la proclamation d’une sexualité déviante, rendre visibles les coupures, les bleus, les taches qui forment la culture queer, tout en sachant que cette visibilité est ironiquement utilisée par la norme indispensable à la surveillance de ceux dont la vie est ainsi mise en écriture ?
Saint Foucault, un miracle ou deux ?
Colloque de l’ELP organisé par l’Unebévue
A Paris les 12 et 13 mai 2012
9h30/12h30 – 14h30/17h30
Maison de l’Europe
35 rue des Francs-Bourgeois
75004 Paris
inscriptions à envoyer à
ELP 110 Bd Raspail 75006 Paris
ou sur place le samedi 12 mai de 9h à 9h30
60 euros, chèque à l’ordre de l’ELP
80 euros sur place
PROGRAMME
Il y avait une erreur quelque part / Louis Althusser et le « groupe Spinoza » / François Matheron
Derrière la reprise de la philosophie conçue comme tâche politique numéro un se dissimule sans doute une transformation beaucoup plus profonde de l’idée même de politique, immédiatement vécue comme impossible, et le « groupe Spinoza » est peut-être, avant tout, un groupe Machiavel dénié. Le « Spinoza » en question est un Spinoza machiavélisé. On le sait aujourd’hui : Althusser s’est profondément identifié, souterrainement, à Machiavel : lorsqu’il réfléchit sur lui-même, il y a toujours Machiavel en toile de fond, et lorsqu’il travaille sur Machiavel, il pense toujours en même temps à lui-même.
Le sujet du sacrifice : Lacan devant Spinoza / Gabriel Albiac
Nous avons fait le détour par Spinoza – écrivait Althusser – pour voir un peu plus clair dans le détour de Marx par Hegel. Lacan ne se trompait pas lorsqu’il voyait, en 1964, dans ce rapport à Spinoza, le point d’accord avec ce renouveau du marxisme qui trouvait son noyau chez Althusser dans les années 1960. Il y a du malentendu là, peut-être. Il faudrait, toutefois, prendre le risque de jouer sur ce problème. Il fixe un point de non-retour dans l’histoire du marxisme, mais aussi dans la formulation définitive de la refondation lacanienne de Freud : le spinozisme comme lieu obligé d’une théorie matérialiste de la subjectivité.
Court billet / Jean-Paul Abribat
Si dans la philosophie, et éminemment celle de Spinoza, la psychanalyse a à reprendre son bien, elle ne peut le faire qu’en perdant la philosophie, et éminemment Spinoza, mais elle ne peut le faire que de traviol.
Deux tourniquets ou une topique : Althusser comme Missing link entre la philosophie, la psychanalyse et la politique / Yoshihiko Ichida
Examinons de près le rapport entre les trois composantes des « tourniquets » : le concept, le réel appelé événement ou lutte des classes, et le désir ; la philosophie, la politique et la psychanalyse. Le « tourniquet des concepts » est composé des deux premières, et celui « du désir », de la première et de la troisième. Notre intérêt est d’observer ce qui se passe entre les composantes avant qu’elles n’aient deux points nodaux, deux « tourniquets ». Il s’agit d’un rapport à trois termes, d’un système de trois « lieux », qui produit deux sortes de rapport à deux termes.
Fragments de la machine d’écriture d’Althusser. Les lettres à Franca / Marie-France Basquin
Malgré l’enchantement du style et la richesse des propos, force est de constater qu’un envahissement progressif oblige, à plusieurs reprises, à arrêter la lecture, à délaisser ce livre imposant de plus de 700 pages. À travers les mises au point récurrentes de Louis à l’occasion des rendez-vous avec Franca, rendez-vous prévus, rêvés, et parfois annulés par lui ou par elle, les lettres, insidieusement, créent peu à peu un enfer. Quelle machine à lettres s’est donc mise alors à fonctionner, entre eux, et pour le lecteur ? On pense évidemment à Kafka, et à la si belle étude de Deleuze et Guattari. S’agirait-il de la même sorte de machine littéraire ?
Le concept est-il l’apanage du philosophe ? / Stéphane Nadaud
S’il est une question que pose le livre d’Attal, la Non-excommunication de Jacques Lacan, c’est bien celle du concept. Pluriel plutôt que singulier : questions quant à sa construction, ses déplacements, ses transformations, ses dénominations. Sautant de Spinoza à Lacan (avec ou sans Spinoza), de Machiavel à Althusser (avec ou sans Machiavel), d’Althusser à Lacan et de Lacan à Althusser, le livre de José Attal invite à se demander, de l’Amor intellectualis Dei au désir de l’analyste, passant par le prince, si tout cela est encore, in ou out la philosophie, une question de concepts.
Un flagrant délit de légender / Mireille Lauze et Jean Rouaud
Pour Gilles Deleuze il y a le cinéma politique classique qui exalte la présence d’un peuple existant, et le cinéma politique moderne, celui de Pierre Perrault, qui «contribue à l’invention d’un peuple là où le maître a dit : pas de peuple ici ». Le cinéma de Perrault est exigeant : voir ce peuple qui manque, peuple mineur et invisible, exige un décentrement du regard car il est plus facile d’enfermer l’autre dans une identité culturelle représentée que de le saisir dans le mouvement d’un peuple à venir.
Une expérience palpitante / Yan Pélissier
Le 22 novembre 2011, Stéphane Nadaud était l’invité de Book-en-train à l’hôpital de jour pour adolescents de la rue Bayen, à Paris dans le 17e arrondissement, pour un débat autour de son livre Fragment(s) subjectif(s).
La guerre du soin n’aura pas lieu / Nunzio d’Annibale
J’ai donc écrit mon mémoire de Master 1 sur le déménagement du Centre de jour de Châtelet-Les-Halles, au 5 rue Saint-Denis dans le 1er arrondissement, sur une péniche dans le 12e. Un mémoire de psychologie clinique sur une question aussi futile, sur un déménagement, je peux vous dire que ça n’a pas plu à tout le monde. Vous avez dû lire un tas de petits articles plus idiots les uns que les autres, sur le sujet. Ce bateau fait un tabac. Ça enfume la Psychiatrie. Après n’avoir parlé que des schizophrènes meurtriers et des Unité pour Malades Difficiles, les voilà qui nous font le coup de la croisière s’amuse. Poor Adamant !
Lacan en crise. Fantaisie / Christian Simatos
La façon dont Lacan jouait de sa personne déconcertait. C’est cela qui produisait la question « que me veut-il ? ». Question que je pourrais formuler autrement : quelle est cette dette qu’il creuse en moi par un discours qui me parle sans s’adresser à moi et auquel je manque à savoir répondre ? Vous voyez que nous ne sommes pas loin du discours amoureux. Il va sans dire que je n’ai pas adopté cet éclairage sans un sérieux recul. J’en déduis, et mon interprétation se résume à cela, j’en déduis qu’on l’aura lâché par dépit, et je me permets d’imaginer que ceux qui l’ont lâché auraient renoncé aux avantages d’une reconnaissance par l’IPA s’ils n’avaient pas été pris dans cette dimension du dépit amoureux.
Documents sur l’histoire des rapports de la SFP et Lacan, 1953-1967 / Traduit par José Attal
Compte rendu d’une réunion à Londres entre les représentants d’Edimbourg de la SFP et les membres londoniens de la Commission – 25 novembre 1962. Traduit par José Attal.
Stein chez Lacan, Lacan chez Stein : moments / Jean Allouch
Dans le débat qui les opposa, à moment donné, ce ne fut plus Stein mis en danger par Lacan, mais Lacan par Stein. Lacan dit alors : « L’Autre n’est en aucun cas un lieu de félicité. » Ou encore : « Ce n’est pas le paradis qui est perdu. C’est un certain objet. » Au regard du mysticisme, la seule position tenable, selon Lacan à ce moment-là, fut de ne rien vouloir en savoir. Et c’est donc le mysticisme qui fit ce jour-là point d’achoppement, de rupture. Disposant aujourd’hui d’un certain recul, on sait que Lacan n’a pas pu s’en tenir à ce radical rejet du mysticisme qu’il brandissait contre Stein. Le registre de l’amour chez Lacan, je crois l’avoir montré, est précisément celui-là : mystique.
Le point de retournement de Lacan. Création-Dissolution / José Attal
« C’est vous, par votre présence, qui faites que j’ai enseigné quelque chose ». Lacan n’a jamais varié là-dessus, non seulement il n’y a aucun gradus, mais les analysants sont une part active du public. Lacan parle à ceux qui sont en tension avec sa personne, tension produisant une configuration des limites, et qu’il appelle, selon l’usage de la physique quantique et de l’électrostatique : écrantage. Quand il sera mort, et « il est sûr que c’est l’avenir », comment se fera le réglage de la limite dans la configuration des résistances ? Le séminaire Dissolution continue de résister, ce n’est guère étonnant puisque la dissolution, c’est l’acte analytique même.
Jacques Lacan. Séminaire Dissolution, séances de novembre et décembre 1979 / Notes de Mayette Viltard
Les trois premières séances du séminaire Dissolution furent brèves, devant un public très clairsemé. La question soulevée était pourtant d’importance : en quoi est-il différent qu’un nœud borroméen se défasse ou se rompe ? On trouvera l’ensemble du séminaire, 1979-81, sur le site www.unebevue.org
L’intimité des diagrammes / Claude Mercier
Peirce retient surtout la dimension analogique du diagramme réduit à un rôle d’icône relationnel, alors que Jakobson affirme la dimension virtuelle de tout diagramme, le devenir. En tordant Peirce et en détournant Hjelmslev, Deleuze et Guattari font du diagramme la déterritorialisation absolue, lui donnant toute sa puissance de virtualité. Diagramme et dispositif, le débat entre Deleuze et Foucault, en particulier à propos de Surveiller et punir, doit être étudié, ce qui donne un éclairage inattendu sur la fonction diagrammatique des entretiens que Foucault donnait, en France ou à l’étranger.
Un rêve mathématique / Colette Piquet
Ce rêve, je l’ai rêvé après avoir lu la veille l’article enchanteur de Gilles Châtelet, « L’enchantement du virtuel ». J’ai rencontré Gilles Châtelet et son enchantement du virtuel un jour où je me demandais quel statut donner aux fantômes du Tour d’écrou de Henry James. Je me suis sentie dans une telle proximité avec les mots, les phrases de Gilles Châtelet que je me suis laissée avaler par lui ou que je l’ai avalé, le temps d’un rêve. Tant je l’ai aimé qu’en lui encore je vis, pourrais-je dramatiquement écrire avec Wittig.
« J’espère que non ! » La dénégation de Royaumont / Jean-Claude Dumoncel
En 1958, à Royaumont, eut lieu un colloque publié sous le titre La philosophie analytique, avec un Avant-Propos de Leslie Beck dans lequel Beck affirmait qu’entre philosophie analytique et philosophie continentale « plusieurs oppositions se montrèrent irréductibles ». Pour les illustrer, il donnait entre autres cette version de la confrontation entre Ryle et Merleau-Ponty : quand Merleau-Ponty demanda : « notre programme n’est-il pas le même ? », la réponse ferme et nette fut : « J’espère que non ».
Approche de la notion d’autopoïèse chez Félix Guattari. Quelle capacité certains systèmes ont-ils de reconstituer en permanence leur structure ? / Françoise Jandrot
Guattari écrivait, à propos du livre de Pierre Lévy : « L’ère machinique qui s’ouvre devant nous n’est donc pas nécessairement corrélative de maléfice et de catastrophe ! Tout dépend ici des options éthico-politiques des agencements collectifs d’énonciation qui prendront en charge cette « mécanosphère ». Une des directions prometteuses de ce travail serait sa jonction – toujours les interfaces ! – avec la réflexion de Francisco Varela sur l’autopoïèse, à savoir la capacité des certains systèmes de reconstituer en permanence leur structure ».
La prison de Lascaux et la grotte du temps logique / Xavier Leconte
Le titre se présente comme un lapsus ; il y a une inversion qu’on voudrait corriger : la grotte de Lascaux et la prison du temps logique ! Sous sa forme inversée, il répond cependant assez bien à ce dont il va être question. Des choses se sont passées entre la grotte de Lascaux et la prison du temps logique, des effets de contamination, d’altération de l’une par l’autre, de la prison par la grotte et réciproquement, des effets qui justifient plutôt ce désordre, cette anomalie liminaires.
l’Unebévue
Lacan devant Spinoza, Création – Dissolution / n°29 / 2012