Archive pour la Catégorie 'Foucault'

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Confrontation Deleuze – Derrida / l’Anti-Œdipe en question / Désir et plaisir / Deleuze – Foucault

Précédemment, nous avions suivi une la confrontation entre Derrida et Deleuze sur le thème de la bêtise.
Dans cet épisode, nous revenons cette fois sur l’étrange opposition entre Foucault et Deleuze, entre « désir » et « plaisir », à une période où Foucault semblait s’interroger sur « le désir de révolution » et la notion de « répression », pour nous demander si la pulsion de pouvoir interprétée par Derrida ne déborderait pas leurs deux positions respectives. Proposerait-elle une autre voie ?

http://antioedipe.unblog.fr/2014/08/01/confrontation-deleuze-derrida-fragments-groupe-facebook-1607-au-01082014/

À lire sur le Silence qui parle :
Désir et Plaisir, lettre de Gilles Deleuze à Michel Foucault
Bêtise, marasme de la gauche et déni de la pulsion de pouvoir

Maurizio-Cattelan-2

La société punitive / Michel Foucault

Dans le régime pénal de l’âge classique, on peut retrouver, mêlées les unes aux autres, quatre grandes formes de tactique punitive – quatre formes qui ont des origines historiques différentes, qui ont eu chacune, selon les sociétés et les époques, un rôle, sinon exclusif, du moins privilégié.
1/ Exiler, chasser, bannir, expulser hors des frontières, interdire certains lieux, détruire le foyer, effacer le lieu de naissance, confisquer les biens et les propriétés.
2/ Organiser une compensation, imposer un rachat, convertir le dommage provoqué en une dette à rembourser, reconvertir le délit en obligation financière.
3/ Exposer, marquer, blesser, amputer, faire une cicatrice, déposer un signe sur le visage ou sur l’épaule, imposer une diminution artificielle et visible, supplicier ; bref, s’emparer du corps et y inscrire les marques du pouvoir.
4/ Enfermer.
À titre d’hypothèse peut-on distinguer, selon les types de punition qu’elles ont privilégiés, des sociétés à bannissement (société grecque), des sociétés à rachat (sociétés germaniques), des sociétés à marquage (sociétés occidentales à la fin du Moyen Âge) et des sociétés qui enferment, la nôtre?
La nôtre, depuis la fin du XVIIIe siècle seulement. Car une chose est certaine : la détention, l’emprisonnement ne font pas partie du système pénal européen avant les grandes réformes des années 1780-1820. Les juristes du XVIIIe siècle sont unanimes sur ce point: « La prison n’est pas regardée comme une peine suivant notre droit civil [...] quoique les Princes, pour des raisons d’État, se portent quelquefois à infliger cette peine, ce sont des coups d’autorité, et la Justice ordinaire ne fait pas usage de ces sortes de condamnations » (Serpillon, Code criminel, 1767). Mais on peut dire déjà qu’une telle insistance à refuser tout caractère pénal à l’emprisonnement indique une incertitude qui croît. En tout cas, les enfermements qui se pratiquent au XVIIe et au XVIIIe siècle demeurent en marge du système pénal, même s’ils en sont tout voisins et s’ils ne cessent de s’en approcher :
– enfermement-gage, celui que pratique la justice pendant l’instruction d’une affaire criminelle, le créancier jusqu’au remboursement de la dette, ou le pouvoir royal quand il redoute un ennemi. Il s’agit moins de punir une faute que de s’assurer d’une personne ;
– enfermement-substitut, celui qu’on impose à quelqu’un qui ne relève pas de la justice criminelle (soit à cause de la nature de ses fautes, qui sont seulement de l’ordre de la moralité ou de la conduite; soit par un privilège de statut: les tribunaux ecclésiastiques, qui, depuis 1629, n’ont plus le droit de prononcer des peines de prison au sens strict, peuvent ordonner au coupable de se retirer dans un couvent ; la lettre de cachet est souvent un moyen pour le privilégié d’échapper à la justice criminelle; les femmes sont envoyées dans les maisons de force pour des fautes que les hommes vont expier aux galères).
Il faut noter que (sauf dans ce dernier cas) cet emprisonnement- substitut se caractérise en général par le fait qu’il n’est pas décidé par le pouvoir judiciaire; que sa durée n’est pas fixée une fois pour toutes et qu’elle dépend d’une fin hypothétique : la correction. Punition plutôt que peine.
Or une cinquantaine d’années après les grands monuments du droit criminel classique (Serpillon, Jousse, Muyart de Vouglans), la prison est devenue la forme générale de pénalité.
En 1831, Rémusat, dans une intervention à la Chambre, disait: « Qu’est-ce que le système de pénalité admis par la nouvelle loi ? C’est l’incarcération sous toutes ses formes. Comparez en effet les quatre peines principales qui restent dans le Code pénal. Les travaux forcés [...] sont une forme de l’incarcération. Le bagne est une prison en plein air. La détention, la réclusion, l’emprisonnement correctionnel ne sont en quelque sorte que des noms divers d’un même châtiment.» Et Van Meenen, ouvrant le IIe Congrès pénitentiaire à Bruxelles, rappelait le temps de sa jeunesse où la terre était encore couverte « de roues, de gibets, de potences et de piloris », avec « des squelettes hideusement étendus ». Tout se passe comme si la prison, punition parapénale,avait à la fin du XVIIIe siècle fait son entrée à l’intérieur de la pénalité et en avait occupé très rapidement tout l’espace. De cette invasion aussitôt triomphante le Code criminel autrichien, rédigé sous Joseph II, donne le témoignage le plus manifeste.
L’organisation d’une pénalité d’enfermement n’est pas simplement récente; elle est énigmatique.
Au moment même où elle se mettait en plan, elle était l’objet de très violentes critiques. Critiques formulées à partir de principes fonda- mentaux. Mais aussi formulées à partir de tous les dysfonctionnements que la prison pouvait induire dans le système pénal et dans la société en général.
1/ La prison empêche le pouvoir judiciaire de contrôler et de vérifier l’application des peines. La loi ne pénètre pas dans les prisons, disait Decazes en 1819.
2/ La prison, en mêlant les uns aux autres des condamnés à la fois différents et isolés, constitue une communauté homogène de criminels qui deviennent solidaires dans l’enfermement et le resteront à l’extérieur. La prison fabrique une véritable armée d’ennemis intérieurs.
3/ En donnant aux condamnés un abri, de la nourriture, des vêtements et souvent du travail, la prison fait aux condamnés un sort préférable parfois à celui des ouvriers. Non seulement elle ne peut avoir d’effet de dissuasion, mais elle attire à la délinquance.
4/ De prison sortent des gens que leurs habitudes et l’infamie dont ils sont marqués vouent définitivement à la criminalité.
Tout de suite, donc, la prison est dénoncée comme un instrument qui, dans les marges de la justice, fabrique ceux que cette justice enverra ou renverra en prison. Le cercle carcéral est clairement dénoncé dès les années 1815-1830. À ces critiques il y eut successivement trois réponses:
– imaginer une alternative à la prison qui en garde les effets positifs (la ségrégation des criminels, leur mise hors circuit par rapport à la société) et en supprime les conséquences dangereuses (leur remise en circulation). On reprend pour cela le vieux système de la transportation que les Britanniques avaient interrompu au moment de la guerre d’Indépendance et restauré après 1790 vers l’Australie. Les grandes discussions autour de Botany Bay ont lieu en France autour des années 1824-1830. En fait, la déportation-colonisation ne se substituera jamais à l’emprisonnement; elle jouera, à l’époque des grandes conquêtes coloniales, un rôle complexe dans les circuits contrôlés de la délinquance. Tout un ensemble constitué par les groupes de colons plus ou moins volontaires, les régiments coloniaux, les bataillons d’Afrique, la Légion étrangère, Cayenne, viendra au cours du XIXe siècle fonctionner en corrélation avec une pénalité qui demeurera essentiellement carcérale ;
– réformer le système interne de la prison, de manière qu’elle cesse de fabriquer cette armée des périls intérieurs. C’est là le but qui a été désigné à travers toute l’Europe comme la « réforme pénitentiaire ». On peut lui donner comme repères chronologiques les Leçons sur les prisons de Julius (1828)6, d’une part, et, de l’autre, le Congrès de Bruxelles en 1847. Cette réforme comprend trois aspects principaux : isolement complet ou partiel des détenus à l’intérieur des prisons (discussions autour des systèmes d’Auburn et de Pennsylvanie) ; moralisation des condamnés par le travail, l’instruction, la religion, les récompenses, les réductions de peines ; développement des institutions parapénales de prévention, ou de récupération, ou de contrôle. Or ces réformes, auxquelles les révolutions de 1848 ont mis fin, n’ont en rien modifié les dysfonctionnements de la prison dénoncés dans la période précédente ;
– donner finalement un statut anthropologique au cercle carcéral ; substituer au vieux projet de Julius et de Charles Lucas (fonder une « science des prisons » capable de donner les principes architecturaux, administratifs, pédagogiques d’une institution qui «corrige») une « science des criminels » qui puisse les caractériser dans leur spécificité et définir les modes de réaction sociale adaptés à leur cas. La classe des délinquants, à laquelle le circuit carcéral donnait une part au moins de son autonomie, et dont il assurait à la fois l’isolement et le bouclage, apparaît alors comme déviation psychosociologique. Déviation qui relève d’un discours « scientifique » (où vont se précipiter des analyses psychopathologiques, psychiatriques, psychanalytiques, sociologiques) ; déviation à propos de laquelle on se demandera si la prison constitue bien une réponse ou un traitement approprié.
Ce qu’au début du XIXe siècle et avec d’autres mots on reprochait à la prison (constituer une population « marginale » de « délinquants ») est pris maintenant comme fatalité. Non seulement on l’accepte comme un fait, mais on le constitue comme donnée primordiale. L’effet « délinquance » produit par la prison devient problème de la délinquance auquel la prison doit donner une réponse adaptée. Retournement criminologique du cercle carcéral.

Il faut se demander comment un tel retournement a été possible; comment des effets dénoncés et critiqués ont pu, au bout du compte, être pris en charge comme données fondamentales pour une analyse scientifique de la criminalité; comment il a pu se faire que la prison, institution récente, fragile, critiquable et critiquée, se soit enfoncée dans le champ institutionnel à une profondeur telle que le mécanisme de ses effets a pu se donner pour une constante anthropologique; quelle est finalement la raison d’être de la prison ; à quelle exigence fonctionnelle elle s’est trouvée répondre.
Il est d’autant plus nécessaire de poser la question et surtout plus difficile d’y répondre, que l’on voit mal la genèse « idéologique » de l’institution. On pourrait croire en effet que la prison a bien été dénoncée, et très tôt, dans ses conséquences pratiques; mais qu’elle était si fortement liée à la nouvelle théorie pénale (celle qui préside à l’élaboration du code du XIXe siècle) qu’il a bien fallu l’accepter avec elle; ou encore qu’il faudrait remettre en chantier, et de fond en comble, cette théorie si on voulait faire une politique radicale de la prison.
Or, de ce point de vue, l’examen des théories pénales de la seconde moitié du XVIIIe siècle donne des résultats assez surprenants. Aucun des grands réformateurs – qu’ils soient théoriciens comme Beccaria, juristes comme Servan, législateurs comme Le Peletier de Saint-Fargeau, l’un et l’autre à la fois comme Brissot – ne propose la prison comme peine universelle ou même majeure. D’une façon générale, dans toutes ces élaborations, le criminel est défini comme l’ennemi de la société. En cela, les réformateurs reprennent et transforment ce qui avait été le résultat de toute une évolution politique et institutionnelle depuis le Moyen Âge: la substitution, au règlement du litige, d’une poursuite publique. Le procureur du roi, en intervenant, désigne l’infraction non seulement comme atteinte à une personne ou à un intérêt privé, mais comme attentat à la souveraineté du roi. Commentant les lois anglaises, Blackstone disait que le procureur défend à la fois la souveraineté du roi et les intérêts de la société. En bref, les réformateurs dans leur grande majorité, à partir de Beccaria, ont cherché à définir la notion de crime, le rôle de la partie publique et la nécessité d’une punition, à partir du seul intérêt de la société ou du seul besoin de la protéger. Le criminel lèse avant tout la société ; rompant le pacte social, il se constitue en elle comme un ennemi intérieur. De ce principe général dérive un certain nombre de conséquences.
1/ Chaque    société,    selon    ses    besoins    propres,    devra    moduler l’échelle des peines. Puisque le châtiment ne dérive pas de la faute elle- même mais du tort causé à la société ou du danger qu’elle lui fait courir, plus une société sera faible, mieux elle devra être prémunie, plus il lui faudra se montrer sévère. Donc, pas de modèle universel de la pénalité, relativité essentielle des peines.
2/ Si la peine était expiation, il n’y aurait pas de mal à ce qu’elle soit trop forte; en tout cas, il serait difficile d’établir entre elle et le crime une juste proportion. Mais, s’il s’agit de protéger la société, on peut la calculer de manière qu’elle assure exactement cette fonction: au delà, toute sévérité supplémentaire devient abus de pouvoir. La justice de peine est dans son économie.
3/ Le rôle de la peine est entièrement tourné vers l’extérieur et vers l’avenir : empêcher que le crime ne recommence. À la limite, un crime dont on saurait à coup sûr qu’il est le dernier n’aurait pas à être puni. Donc, mettre le coupable hors d’état de nuire et détourner les innocents de toute infraction semblable. La certitude de la peine, son caractère inévitable, plus que toute sévérité, constituent ici son efficacité.
Michel Foucault
La société punitive / 1972-1973
Résumé du cours (extrait) – notes absentes

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Subjectivité et vérité (2) / Michel Foucault

L’étude faite cette année a délimité ce cadre général de deux façons. Limitation historique : on a étudié ce qui, dans la culture hellénique et romaine, avait été développé comme « technique de vie », « technique d’existence » chez les philosophes, les moralistes et les médecins dans la période qui s’étend du Ier siècle avant Jésus-Christ au IIe siècle après. Limitation aussi du domaine : ces techniques de vie n’ont été envisagées que dans leur application à ce type d’acte que les Grecs appelaient aphrodisia ; et pour lequel on voit bien que notre notion de « sexualité » constitue une traduction bien inadéquate. Le problème posé a donc été celui-ci : comment les techniques de vie, philosophiques et médicales, ont-elles, à la veille du développement du christianisme, défini et réglé la pratique des actes sexuels, la khrêsis aphrodisiôn ? On voit combien on est loin d’une histoire de la sexualité qui serait organisée autour de la bonne vieille hypothèse répressive et de ses questions habituelles (comment et pourquoi le désir est-il réprimé ?). Il s’agit des actes et des plaisirs, et non pas du désir. Il s’agit de la formation de soi à travers des techniques de vie, et non du refoulement par l’interdit et la loi. Il s’agit de montrer non pas comment le sexe a été tenu à l’écart, mais comment s’est amorcée cette longue histoire qui lie dans nos sociétés le sexe et le sujet.
Il serait tout à fait arbitraire de lier à tel ou tel moment l’émergence première du « souci de soi-même » à propos des actes sexuels. Mais le découpage proposé (autour des techniques de soi, dans les siècles qui précèdent immédiatement le christianisme) a sa justification. Il est certain en effet que la « technologie de soi » – réflexion sur les modes de vie, sur les choix d’existence, sur la façon de régler sa conduite, de se fixer à soi-même des fins et des moyens – a connu dans la période hellénistique et romaine un très grand développement au point d’avoir absorbé une bonne part de l’activité philosophique. Ce développement ne peut pas être dissocié de la croissance de la société urbaine, des nouvelles distributions du pouvoir politique ni de l’importance prise par la nouvelle aristocratie de service dans l’Empire romain. Ce gouvernement de soi, avec les techniques qui lui sont propres, prend place « entre » les institutions pédagogiques et les religions de salut. Par là, il ne faut pas entendre une succession chronologique, même s’il est vrai que la question de la formation des futurs citoyens semble avoir suscité plus d’intérêt et de réflexion dans la Grèce classique, et la question de la survie et de l’au-delà plus d’anxiété à des époques plus tardives. Il ne faut pas non plus considérer que pédagogie, gouvernement de soi et salut constituaient trois domaines parfaitement distincts et mettant en oeuvre des notions et des méthodes différentes ; en fait, de l’un à l’autre, il y avait de nombreux échanges et une continuité certaine. Il n’en demeure pas moins que la technologie de soi destinée à l’adulte peut être analysée dans la spécificité et l’ampleur qu’elle a prise à cette époque, à condition de la dégager de l’ombre que rétrospectivement a pu jeter sur elle le prestige des institutions pédagogiques et des religions de salut.
Or cet art du gouvernement de soi tel qu’il s’est développé dans la période hellénistique et romaine est important pour l’éthique des actes sexuels et pour son histoire. C’est là en effet – et non pas dans le christianisme – que se formulent les principes du fameux schéma conjugal dont l’histoire a été fort longue : exclusion de toute activité sexuelle hors du rapport entre les époux, destination procréatrice de ces actes, aux dépens d’une finalité de plaisir, fonction affective du rapport sexuel dans le lien conjugal. Mais il y a plus : c’est encore dans cette technologie de soi qu’on voit se développer une forme d’inquiétude à l’égard des actes sexuels et de leurs effets, dont on a trop tendance à attribuer la paternité au christianisme (quand ce n’est pas au capitalisme ou à la « morale bourgeoise » !). Certes, la question des actes sexuels est loin d’avoir alors l’importance qu’elle aura par la suite, dans la problématique chrétienne de la chair et de la concupiscence ; la question, par exemple, de la colère ou du revers de fortune occupe certainement beaucoup plus de place pour les moralistes hellénistiques et romains, que celle des rapports sexuels ; mais, même si leur place dans l’ordre des préoccupations est assez loin d’être la première, il est important de remarquer la manière dont ces techniques du soi lient à l’ensemble de l’existence le régime des actes sexuels.

sappho

On a retenu, dans le cours de cette année, quatre exemples de ces techniques de soi dans leur rapport au régime des aphrodisia.

1/ L’interprétation des rêves. L’Onirocritique d’Artémidore, dans les chapitres 78-80 du livre I, constitue, dans ce domaine, le document fondamental. La question qui s’y trouve posée ne concerne pas directement la pratique des actes sexuels, mais plutôt l’usage à faire des rêves [dans lesquels] ils sont représentés.
Il s’agit dans ce texte de fixer la valeur pronostique qu’il faut leur donner dans la vie de tous les jours : à quels événements favorables ou défavorables peut-on s’attendre selon que le rêve a présenté tel ou tel type de rapport sexuel ? Un texte comme celui-ci ne prescrit évidemment pas une morale ; mais il révèle, à travers le jeu des significations positives ou négatives qu’il prête aux images du rêve, tout un jeu de corrélations (entre les actes sexuels et la vie sociale) et tout un système d’appréciations différentielles (hiérarchisant les actes sexuels les uns par rapport aux autres).
2/ Les régimes médicaux. Ceux-ci se proposent directement de fixer aux actes sexuels une « mesure ». Il est remarquable que cette mesure ne concerne pratiquement jamais la forme de l’acte sexuel (naturelle ou non, normale ou non), mais sa fréquence et son moment. Seules sont prises en considération les variables quantitatives et circonstancielles. L’étude du grand édifice théorique de Galien montre bien le lien établi dans la pensée médicale et phi- losophique entre les actes sexuels et la mort des individus. (C’est parce que chaque vivant est voué à la mort mais que l’espèce doit vivre éternellement, que la nature a inventé le mécanisme de la reproduction sexuelle) ; elle montre bien aussi le lien établi entre l’acte sexuel et la dépense considérable, violente, paroxystique, dangereuse du principe vital qu’il entraîne. L’étude des régimes proprement dits (chez Rufus d’Éphèse, Athénée, Galien, Soranus) montre, à travers les infinies précautions qu’ils recommandent, la complexité et la ténuité des relations établies entre les actes sexuels et la vie de l’individu : extrême sensibilité de l’acte sexuel à toutes les circonstances externes ou internes qui peuvent le rendre nuisible ; immense étendue des effets sur toutes les parties et les composantes du corps de chaque acte sexuel.
3/ La vie de mariage. Les traités concernant le mariage ont été très nombreux dans la période envisagée. Ce qui reste de Musonius Rufus, d’Antipater de Tarse ou de Hiéroclès, ainsi que les œuvres de Plutarque montrent non seulement la valorisation du mariage (qui semble correspondre, au dire des historiens, à un phénomène social), mais une conception nouvelle de la relation matrimoniale ; aux principes traditionnels de la complémentarité des deux sexes nécessaires pour l’ordre de la « maison » s’ajoute l’idéal d’une relation duelle, enveloppant tous les aspects de la vie des deux conjoints, et établissant de façon définitive des liens affectifs personnels. Dans cette relation, les actes sexuels doivent trouver leurs lieux exclusifs (condamnation par conséquent de l’adultère entendu, par Musonius Rufus, non plus comme le fait de porter atteinte aux privilèges d’un mari, mais comme le fait de porter atteinte au lien conjugal, qui lie aussi bien le mari que la femme). Ils doivent ainsi être ordonnés à la procréation, puisque celle-ci est la fin donnée par la nature au mariage. Ils doivent enfin obéir à une régulation interne exigée par la pudeur, la tendresse réciproque, le respect de l’autre (c’est chez Plutarque qu’on trouve sur ce dernier point les indications les plus nombreuses et les plus précieuses).
4/ Le choix des amours. La comparaison classique entre les deux amours – celui pour les femmes et celui pour les garçons – a laissé, pour la période envisagée deux textes importants : le Dialogue sur l’amour de Plutarque et les Amours du pseudo-Lucien. L’analyse de ces deux textes témoigne de la permanence d’un problème que l’époque classique connaissait bien : la difficulté à donner statut et justification aux rapports sexuels dans la relation pédérastique. Le dialogue du pseudo-Lucien se termine ironiquement sur le rappel précis de ces actes que l’érotique des garçons cherchait à élider au nom de l’amitié, de la vertu et de la pédagogie. Le texte, beaucoup plus élaboré, de Plutarque fait apparaître la réciprocité du consentement au plaisir comme un élément essentiel dans les aphrodisia ; il montre qu’une pareille réciprocité dans le plaisir ne peut exister qu’entre un homme et une femme ; mieux encore dans la conjugalité, où elle sert à renouveler régulièrement le pacte du mariage.
Michel Foucault
Extrait du résumé du cours / notes absentes
Sur le Silence qui parle
Présentation de l’Abécédaire Foucault / Alain Brossat / Marco Candore / Librairie Texture 27 juin Paris
Abécédaire Foucault / Alain Brossat

visuel texture 27 juin

Catégorie Foucault

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