1 Surface de jeu. Marelle où les corps vont, chaotiques, parfois immobiles et tantôt rapides. Au sol dessinées des lignes – peut-être des cases, mais si vastes qu’il est difficile et peut-être périlleux de les percevoir. De les dire. Platitude absolue de la surface sans relief apparent. Nul ne sait si plateau ou sphère convexe ou concave. Limites de la Surface comme Cyclorama indistinct ou peut-être Vrai Ciel au-delà des lignes supposées être cases. Toujours cherchant ( ?) à tracer des fuites et atteindre cette autre ( ?) surface (lisse ? non-striée ? comment dire ?), errants et nomades (voir plus bas : Joueurs) invariablement ramenés au carré Départ. Etrange départ que ce carré : chaque case, d’après certains (tout en langues étrangères, idiolectes sectaires et hérétiques). Soit : départ partout, partir, nulle part.
2 Le Jeu. Le Jeu, sa Règle et sa Surface varient sans cesse, s’énonçant parfois rudes et tantôt souples. Nul ne peut prétendre énoncer la Règle, qui reste obscure, autant qu’est lumineuse sa Surface. Cependant il est possible de repérer et d’extraire quelques données possiblement peu variantes. Jouer semble consister à rester dans le creux des vagues carrés, car suivre les lignes sur leur tracé ténu risque le hors-jeu (voir : fuite, plus haut ; voir Joueurs, plus bas). Le Jeu est un Ordre combinant mouvements incessants et stations définies, vitesses et rythmes ; possible longer voire franchir les lignes mais les suivre sur le fil en aucun cas : sortie possible, potentiellement dangereuse. Certains mauvais esprits affirment dans leur sabir hermétique que ces lignes (difficiles aussi à entrevoir) se tordent se déforment – se déchirent ? – comme un mauvais tissage dès que l’on ose s’aventurer en funambule sur leur étroite crête.
3 Les Joueurs. Tous sont contraints au Jeu, où le Je est de rigueur et le Nous le Grand Toutou (voir plus bas). Des Mains-Images (voir plus bas) semblent les animer incessamment et redessiner de même modifiées les cases supposées. Jouer semble consister à rester dans le creux des vagues carrés, car suivre les lignes sur leur tracé ténu risque le hors-jeu déjà dit si lecteur suit dans l’ordre (voir : fuite, Jeu, plus haut). Jouer dans l’Ordre du Jeu, respecter sa Règle, possible longer et franchir voir plus haut déjà dit et caetera. Les Joueurs jouent d’instinct et d’apprentissages par observation ou déduction, sans nécessaires interventions des Mains-Images, voir plus bas. Des camps se forment voir plus bas le Jeu étant semble-t-il à la fois équipes et solitaires sans limitation de nombre et de solitaires et d’équipes chaque Joueur pouvant semble-t-il stratégie payante jouer as et chœur simultanés voir plus bas. Non-joueurs : errants et nomades voir plus haut et ici-même. Errants errent mais ne se meuvent pas – mouvements indispensables au Jeu voir plus bas – et nomades n’habitent pas la Surface en bons joueurs voir plus bas.
4 Les Mains-Images. Planent en nombreportées au-dessus de la Surface et de ses Joueurs comme nuages faisant tantôt pluie et parfois beau temps. Semblent animer Joueurs incessamment et redessiner de même modifiées les cases supposées de la Surface de Jeu déjà partiellement dit voir plus haut. Préciser que déplacements de Joueurs = reconfiguration des chœurs possible, éloignement, assignation, mise à plat, disparition ou effacement de ceux-ci. Selon certains mauvais esprits – voir plus haut – ces mains, ces images, n’existeraient pas en tant que séparées – non les unes des autres, ici mains et images symbioses pas de doute possible – mais des joueurs eux-mêmes ; être ou (ne) par-être (le Jeu Lui-Même), telle étant la question méta-ludique posée de tout temps soi-disant que les temps existent de Jeu et Joueurs s’en souviennent semble-t-il. Soit : qui ?, quoi ?, où ?, comment ? et caetera et que tout cela devient fatigant. En d’autres termes, les Mains-Images existeraient et n’existeraient pas dans un état d’âme incertain pour certains (mauvais esprits voir plus bas). Cependant cette théorie ôte-bonheur (voir Grand Toutou, aller à 6 si trop ou pas lassé) semble démentie semble-t-il par les faits (les Joueurs croyant ce qu’ils voient, Mains-Images bien que peu visibles rebienprésentables et protectrices).
5 Fond sonore ou Mère des oreilles ou Grand Toutou. Le Fond est Mère des oreilles, Langue douce aux papilles : flux de Bruits et de Rumeurs, musiques et cris en boucle torsadée. Ainsi les Récits de Mains-Images qui alimentent le fond sonore chantent les Parties de simples Joueurs ayant à leur tour atteint la condition de Mains-Images – de telles fables pourraient à première vue conforter les théories ôte-bonheur déjà décrites et pourtant les infirment et les combattent absolument, cette ascension espérée constituant probablement l’un des objectifs suprêmes du Jeu, une des cases centrales à atteindre. Pour que la fable soit probable, indispensable donc un Fond sonore (parfois agréable, tantôt gênant) partagé par tous : bulle Moi-Je et Dôme-Grand Toutou ; une langue bonne pour mastiquer bien, et notamment les rêves validés qui seuls sont valables (variabilité des rêves valables mais immuabilité de leur validation). Ainsi le Jeu se renouvelle tout en restant lui-même. Le Fond est aussi alimenté en grande quantité par les Joueurs eux-mêmes, rivalisant entre eux et auprès des Mains-Images, de bonneconduite. Ainsi la Mère est forte, douce ou déchaînée, as et chœurs (voir plus bas) façonnent le Jeu par le parcours de leurs ondes propres et bénéfiques que les Mains-Images reprennent à leur tour et répandent en offrandes spectaculaires aux Joueurs émerveillés. Le Fond fait Tout-Un ou Grand Toutou avec les Joueurs, le Jeu, Sa Surface et Ses Mains-Images. Tout comme le Jeu Son Nom n’a pas de nom, il les a tous, un et multiple (certains prétendent – mêmes mauvaises langues sans doute voir plus haut et plus bas et ici-même – que parfois un loup, des loups, chats noirs peut-être, humanimaux sans doute, franchissent les Limites Invisibles voir Cyclorama ou peut-être Vrai Ciel déjà dit pour agir d’un bras sur les sillons rayés du Fond sonore, déplacer voire changer de face le disque voire changer de disque mais rien n’est moins sûr). Pour que le Jeu résiste (voir plus haut déformation, fragilité et souplesse supposées de la Surface), un maillage organique est indispensable pour plus de solidité. Plan-sol d’autant plus ferme que la co-réglementation est la règle dans la Règle. Chacun et tous ont ainsi le devoir de maintenir l’équilibre du Grand Toutou, quelles que soient les animosités des as ou des chœurs les uns tout contre les autres, ce qui est bien normal, dans un Règlement co-décidé dans l’harmonie de rêves très généraux et généreux pour le maillage – Joueurs jouent souvent as et parfois chœur, mais rarement hors du blanc sein du Grand Toutou (car illicite). Les chœurs adverses ainsi cantiquent l’un tout contre l’autre, agrémentant le Fond sonore-Mère des oreilles de mélopées reconnaissables et aimables voir plus haut.
6 Les mauvais joueurs. Chaque joueur semble-t-il et malgré les efforts déployés par tous les éléments du Jeu, efforts considérables permanents courageux et généreux encore une fois voir plus haut, chaque Joueur peut devenir (ou nêtre) mauvais. La cause en est encore obscure, cependant les langues autorisées évoquent, bien que prudemment, ce que la Règle combat sourdement : le hasard. Il s’agirait de béances pouvant s’ouvrir à chaque instant et en tout point de la Surface de Jeu, en déchirer partiellement le tissage. Selon certains voir plus haut, il ne s’agirait pas de simples trous mais de passages indiquant l’irruption monstrueuse et la présence parasite d’un autre jeu – voire d’autres jeux – à l’intérieur du Jeu. Ces mauvaises rencontres dénatureraient le Joueur Bien Réglé, as et chœurs dès lors ni respectés ni respectables. Cette contamination est semble-t-il hautement proliférante. Nécessité de repérer, déplacer, isoler voire effacer les mauvais joueurs. Sécurité du Jeu première Liberté de son Ordre : prévenir néfastes rencontres avant l’événement ; surveillance accrue des lignes, failles supposées entre les cases, bords dont il faut se garder (cependant nécessité impérative de continuer le Jeu, sans quoi blocage par arrêts intempestifs ou insuffisance de mouvements).
7 Incertains. Malgré Soleil radieux – ou bien lentilles polies et lampes à incandescence, difficile repérer mauvais joueurs tant partout possibles mauvais. Forment-ils, à leur tour, des chœurs – auquel cas le Jeu peut les comprendre, s’en nourrir, les adopter – ?
Innombrables, indéchiffrables, innommables, meutes, ils sont dépeupleurs qui manquent à l’appel de la Règle.
Marco Candore
Chimères n°70 Dedans-Dehors / septembre 2009
Clins d’yeux ouverts à Samuel Beckett.
« Car en moi il y a toujours eu deux pitres, entre autres, celui qui ne demande qu’à rester où il se trouve, et celui qui s’imagine qu’il serait un peu moins mal plus loin. » / Molloy
Et par ordre d’hallucinations : Ievgueni Zamiatine, William Burroughs, Tex Avery, Peter Weir, André Breton, Lars von Trier, Stéphane Mallarmé, Erwin Schrödinger et Max Frisch.