Le 6 mai dernier, le parquet de Paris a décidé de réclamer, à l’issue de sept ans d’enquête, le renvoi pour terrorisme de trois des mis en examen de Tarnac, soupçonnés d’avoir saboté des lignes TGV en octobre et novembre 2008. Julien Coupat, son épouse, Yildune Lévy, et son ex-compagne, Gabrielle Hallez risquent ainsi d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel pour « participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».
Cette décision confirme certaines des dérives du système antiterroriste français, parfaitement mises en évidence dans l’ouvrage consacré à l’affaire de Tarnac par le journaliste David Dufresne. Dans son livre Tarnac magasin général, il décrivait comment un service policier en sursis, celui des RG, avait cru trouver sa planche de salut dans la lutte contre la menace anarcho-autonome, mot forgé pour les différencier des autonomistes bretons ou corses.
Cette prétendue nouvelle expertise avait alors rencontré la pensée d’une ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, persuadée de la résurgence de la violence d’ultragauche, un autre mot maison visant à la différencier de l’extrême gauche.
Mais la décision du parquet de Paris ajoute une affaire à l’affaire, puisque avec Julien Coupat, Yildune Lévy et Gabrielle Hallez, c’est aussi un livre, L’insurrection qui vient, publié par le Comité invisible en 2007, qui est renvoyé au tribunal et qui reste le pilier de l’accusation.
Le parquet estime que Julien Coupat, malgré ses dénégations, en est l’« auteur anonyme ou au moins la principale plume » et la procureure adjointe en fait une lecture littérale, voyant dans cet « opuscule présenté de façon faussement béate par plusieurs témoins comme un simple livre de philosophie » un programme d’action suivi à la lettre par le groupe de Tarnac.
Avec cette lecture, le parquet de Paris estime donc que « ce pamphlet expose les nécessités de provoquer une insurrection, laquelle serait conduite par des groupes isolés ayant adopté un mode de vie communautaire qui auront assuré leur clandestinité ».
Quelques mois après des manifestations rassemblant plus de 4 millions de personnes dans les rues des villes de France en défense de la liberté d’expression, la décision a de quoi surprendre, même si elle rappelle la manière dont la justice italienne inquiète aujourd’hui l’écrivain Erri de Luca, qui risque la prison pour ses propos à l’encontre des grands travaux de la ligne de train à grande vitesse Lyon-Turin.
D’où l’envie de discuter avec l’éditeur de ce livre, Éric Hazan, fondateur des éditions La Fabrique, dont un certain nombre de titres pourraient, selon la perception du parquet de Paris, valoir des accusations de terrorisme, sans compter quelques références classiques de cette maison d’édition, comme l’ouvrage Instructions pour une prise d’arme, d’Auguste Blanqui, dont il faudrait peut-être, à l’aune de la vision contemporaine du terrorisme, songer à débaptiser le boulevard qui porte son nom…
Medapart le 14 mai 2015
Propos recueillis par Joseph Confavreux et Michel Deléan
À lire sur le Silence qu parle
Alain Brossat / Tous Coupat, tous coupables
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