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Archive mensuelle de décembre 2014

Page 3 sur 3

Nocturama / G. Mar

1.
Je suppose que je suis au seuil de revoir toutes les images stockées de jour comme de nuit débouler avec incohérence par blocs anamnésiques à la fois distincts et miscibles selon un processus d’osmose proprement psychique comme cette fois où Jo, un Hongrois de Chicago rencontré au Celtic Cross, un pub situé dans North Clark me dit cette nuit est ta nuit et m’entraîne à travers tout un tas de bars qu’on enfile de taxi en taxi avant de finir par bouffer des pâtes à trois heures du matin dans un Italien improbable, sauf que là je ne suis pas à Chicago mais bien dans les Ardennes – sur les hauteurs de mon village d’enfance face au paysage d’un plateau recouvert de champs surplombant le massif – je marche sur une ligne de sable jaune avec au loin les quatre pruniers qui me servirent gamin de grenier à ciel ouvert – une fois gravie la côte du cimetière – et voici que tous les éléments du paysage arbres piquets cailloux brins d’herbe pressent à distance par réfraction contre l’os qui me surplombe les joues comme s’ils cherchaient à s’effondrer une fois franchi le seuil de l’épiderme vers ce que je pressens comme mon intériorité : un aimant de masse égale à celle d’une étoile noire faisant ployer à son contact la lumière vers quelque chose d’à la fois solide et sans fond. A la tangente de mon front le volume du ciel se rétracte et l’horizon se replie comme un nœud d’orvets au niveau du nombril et Jo, la tête penchée sur son plat de pennes qui m’annonce que ce n’est pas fini : prochaine étape le Blue Frog et là ambiance de fous – Jo s’empare du micro pour un karaoké marathon et pousse Franck Sinatra pas moins de quatre fois dans la tombe tandis que je sens les relents de l’ivresse me rouler sous la peau depuis les biceps jusqu’aux avant-bras avant de se diviser en QUATRE-VINGT-DOUZE chemins asymétriques de phalanges… Une fille sans doute jolie est assise à côté de moi au comptoir – c’est la vairon de mes treize ans – elle me regarde avec son œil noir et son œil bleu métallescent – de quelle couleur je lui apparais reste une vraie question – nous sommes assis côte à côte entre les deux parois de schiste qui encadrent la côte du cimetière passé le virage à hauteur du toit de l’église – en suspens à mi-chemin entre le monde des vivants (c’est soir de fête au village) et celui des morts.

2.
UNDERGROUND 1989 – Isabelle se glisse un buvard sous la langue le temps d’un feu rouge puis le vert revenu fait chauffer la gomme en direction d’une route de campagne le long de la Meuse à quelques kilomètres de Sedan – il fait nuit – nous nous arrêtons au bord du fleuve dans un champ – elle descend avec sa boîte de mouchoirs en papier – je la regarde les allumer au briquet du haut de ses dix-huit ans (je dois en avoir quatorze) – puis les jeter en direction du cours comme de spontanées lucioles parties rejoindre les eaux du Styx où elles s’éteignent en faisant de petits nuages gris – caractère épiphanique et éphémère de la vie plongée dans le cours héraclitéen du fleuve trois minutes d’éternité plus tard on se retrouve à boire des bières à trente kilomètres de là

murs de moellons nus parcourus par des lueurs de chandelles mortuaires paroles inaudibles des autres clients feu orange sur son visage flouté et ses grands yeux bleus injectés de sang qui vacillent et dessinent au milieu du bar des arabesques aux lignes imprévisibles telles des mouches ses lèvres n’appartiennent plus au reste de son visage les verres de bière s’empilent et roulent depuis la table sur le plancher où ils s’enfoncent et nos corps enlacés à leur suite

– nous avons passé la nuit à poil dans sa bagnole campée sur les hauteurs de Sedan. Derrière le pare-brise la lumière trop vive pour nos yeux semble vouloir faire éclater les toits – il a plu en fin de nuit et l’ardoise est devenue comme du chrome sous les premiers assauts du soleil. Une masse compacte de bâtiments se rassemble en une boule de feu sous nos regards aux paupières plissées à force d’éblouissement. Sous nous le plus vaste château d’Europe s’écroule quelques jours après la chute du mur de Berlin comme un trop vieux rempart sous la lumière pressante. Des cercles d’acier chauffés à blanc s’impriment en surface de nos pupilles pour se superposer à tout ce que l’on verra du monde passée l’embellie – quand les nuages fugaces et rapides comme des chiens en chasse viendront de nouveau chapeauter notre misérable ville et tout le paysage gonflé d’industries en déconfiture qui lui servent de ceinture à l’horizon quand j’aperçois un grand navire au loin sur la Meuse chargé de tous nos morts. Un jour peut-être qu’ils se réincarneront en buissons et le soir même prendront feu et les gaz de tous leurs corps décomposés recomposés parleront la langue de l’éphémère dans un grand pschitt instantané comme l’éclair ou un pétard mouillé dans la nuit de l’Être. Au seuil nihiliste d’un grand cauchemar qui commence…
G. Mar
Nocturama / 2014
Article à lire ici : http://membrane.tumblr.com/

Et entretien

+ la suite

Note du Clavier cannibale

Publié chez le Grand Os

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Kurdistan / Sinjar : “J’avais peur de fermer les yeux après avoir vu cette tragédie” / Feleknas Uca / entretien

Kurde yézidi, députée au Parlement européen de 1999 à 2009 pour Die Linke (en Allemagne), Feleknas Uca travaille aujourd’hui pour la municipalité de Suruç, petite ville du Kurdistan de Turquie à quelques kilomètres de la frontière syrienne et de la ville de Kobané. Suruç fait face à l’afflux de milliers de réfugiéEs de la région de Kobané attaquée par les bandes de l’État islamique-Daesh. C’est là que nous l’avons rencontrée.

Quelle est l’attitude de la Turquie par rapport à Daesh ?

On peut voir les relations qui existent entre les autorités turques et les soldats de l’État islamique à leur coopération à la frontière. Cela se passe ouvertement, et ces derniers jours, des images ont été montrées par plusieurs médias. On y voit que des combattants de l’État islamique et des soldats turcs parlent ensemble à un contrôle de frontière. Le ministère turc a confirmé cette conversation assurant qu’il s’agissait d’une simple rencontre.
Quand le courant est totalement coupé, la lumière éteinte à la frontière, nous savons que des combattants de Daesh sont emmenés via la Turquie à Kobané ou bien que des ravitaillements en armes sont transportés en Syrie. Tout va dans cette direction.
Il ne faut pas oublier que divers médias ont publié plusieurs fois des informations selon lesquelles les combattants de l’État islamique font un trajet en Turquie de Gaziantep vers Kilis pour rejoindre Daesh. Il y a aussi beaucoup de jeunes qui viennent d’Europe pour rejoindre l’État islamique – on en a vu venir d’Allemagne. Nous les avons arrêtés et renvoyés dans leur pays. Ils étaient ici pour aller se battre à Kobané contre les Kurdes.
Le gouvernement turc n’a toujours pas qualifié l’État islamique de groupe terroriste. Le président turc dit : « l’État islamique et le PKK, c’est la même chose. » La différence, c’est que le PKK est justement en train de se battre à Sinjar pour sauver des gens. Le PKK se bat aussi à Kobané, à Kirkouk, à Mahmour… Si cela, c’est aux yeux de la Turquie une organisation terroriste, je pose la question : que fait la Turquie ? C’est maintenant clair pour le monde entier. Pourquoi le Premier ministre turc n’est-il pas venu ici à la frontière ? Pourquoi est-ce qu’on n’aide toujours pas les gens d’ici ? Pourquoi est-ce qu’on n’a pas mis à disposition plus d’argent pour les réfugiéEs ?
Pourquoi l’Union européenne paye tout pour le camp AFAD, le camp des réfugiéEs du gouvernement, au lieu de rendre visite à l’administration de la ville (Suruç), au lieu de soutenir la ville ? Tout cela montre comment la coopération avec l’État islamique fonctionne. L’AFAD prend en charge 6 000 réfugiéEs alors que nous en avons près de 120 000 dans et autour de Suruç. Tout ce que nous faisons ici, le gouverneur turc dit que c’est son œuvre. Nous fournissons de l’alimentation, de l’aide, des vêtements, de la nourriture, des tentes… Nous en avons envoyé beaucoup à Kobané, des médicaments aussi. Alors, quand le gouverneur turc dit que 87 camions remplis ont été envoyé en soutien à Kobané, c’est un grand mensonge. Tout ce qui a été envoyé, ce sont les gens d’ici qui l’ont envoyé.

Vous étiez dans votre famille à Sinjar, dans le Kurdistan irakien, quand Daesh a attaqué…

Ce 3 août 2014 a été, dans l’histoire des Yézidis, une tragédie, un jour où, pour les Yézidis, toute l’humanité est morte… Sous la pression de l’État islamique, les peshmergas, les forces kurdes du Kurdistan d’Irak, se sont retirés, ils ne nous ont pas protégés, et ont emmené avec eux toutes les armes. On n’a pas aidé les Yézidis. Plus de 7 000 personnes ont péri, et 5 000 femmes sont vendues à Tel Afer ou à Mossoul comme de la marchandise. Des milliers de personnes sont mortes, et des milliers d’autres sont encore aujourd’hui entre les mains de l’État islamique.
Sans l’aide des YPG et JPG venus à notre secours, qui ont repoussé Daesh et ouvert un corridor pour que nous puissions fuir, nous serions tous morts. J’étais moi-même à Sinjar dans les environs quand cela s’est passé. Nous étions à Rojava dans un camp de Newroz. Nous avons, ici dans le Kurdistan turc, érigé des camps où nous avons abrité 32 000 Yézidis.
Nous avons couru avec les gens, avons vécu cette tragédie et entendu cette histoire d’enfants qui ont été achetés. Nous avons entendu le témoignage de ces mères qui nous ont raconté comment les hommes ont été décapités sous leurs yeux. Des filles de 13 ou 14 ans ont été violées et ont été tuées parce qu’elles refusaient de se convertir à l’islam.
Aujourd’hui encore, en ce moment même, environ 1 650 familles yézidies, 12 000 à 15 000 Yézidis, sont encerclées dans la montagne du Sinjar par les combattants de l’État islamique. Le corridor a été fermé. Aucune aide n’arrive, pas de nourriture, pas de vêtements et l’hiver arrive. Il pleut constamment. Les gens ont besoin d’armes, de nourriture, des vêtements chauds pour survivre… Les États européens ont tous aidé Erbil, dans le Kurdistan irakien : ils leur ont donné des armes, mais aucune de ces armes ni de ces provisions ne sont arrivées à Sinjar. À chaque moment, un massacre peut avoir lieu contre les civils dans la montagne de Sinjar. 70 % de ces personnes sont des femmes et des enfants. Et si l’Union européenne et les États européens ferment les yeux, si Bagdad, Barzani et Erbil, ferment les yeux, alors un deuxième massacre de Sinjar aura lieu.
J’ai travaillé au Parlement européen pendant 10 ans. Je suis allée dans beaucoup de régions en crise : en Palestine, en Afrique, en Afghanistan, dans beaucoup de pays du Proche-Orient… Mais ce que j’ai vu là, la tragédie, l’histoire des gens, les scènes que j’ai pu voir sur place, je ne les oublierai jamais. Ce sont des images que personne ne peut oublier. Les images de petits enfants qui n’ont rien à manger ni à boire pendant des journées entières, qui doivent vivre avec un demi-litre d’eau pour toute une famille de 15  personnes, cela alors qu’il fait 40 à 50 degrés.
Il faut se poser la question : qu’est-ce qui se passe ? La situation était tellement mauvaise qu’au début j’avais peur de fermer les yeux après avoir vu cette tragédie. Le pire, ce sont ces femmes, des jeunes femmes, qui se sont donné la mort pour ne pas tomber dans les mains des combattants de l’État islamique, elles se sont jetées dans le vide. Elle en sont arrivées à se dire que pour sauver leur honneur, il ne restait que le suicide. C’est la pire des responsabilités à laquelle quelqu’un doive se résoudre. J’ai vu ces mères qui ont perdu leurs enfants, qui ont vu des enfants mourir de faim et de soif, sous les yeux de leurs frères et sœurs, et je n’oublierai jamais ces images.
C’est une situation très dure pour moi aussi. J’ai du mal à parler de ce que moi-même et les gens là-bas, nous avons vécu. Le pire que j’ai jamais vu.
Propos recueillis par Mireille Court et Yann Puech

Publié sur le site du NPA

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Atelier de philosophie plébéienne samedi 6 décembre 2014 / Ferme Courbet de Flagey

Ferme Courbet de Flagey (25)
Samedi 6 décembre 2014
Atelier de philosophie plébéienne
2014-2015 

Atelier… cela veut dire un essai d’abandon de l’autorité  du maître et de la posture d’élève au profit d’une tentative de production en commun

Centre de Documentation et de Réflexion sur les Philosophies Plébéiennes
Association « Voyons où la philo mène »
Ouvert à tous et interventions gratuites

13h30 -15h30 « Les mondes possibles de Charles Fourier » Alexandre Costanzo
S’il appartient à Fourier d’avoir imaginé selon un « poème mathématique » un monde possible, c’est toujours en ramassant des restes, des rebuts, des sortes de déchets. En partant de ce principe et de cet usage de la pensée, je voudrais au fond reconsidérer la notion de possibilité.

16h-18h « Jonas Mekas, une esthétique plébéienne » Alain Naze
Il s’agira d’indiquer comment le cinéaste privilégie le fragment, au détriment d’une histoire bien construite, en recueillant un matériau le plus souvent assez pauvre (éclats de scènes de la vie de famille en particulier). C’est un cinéma de « chiffonnier » pourrait-on dire en écho à Walter Benjamin, dans le sens où il s’agit chez Mekas, pour l’essentiel du moins, de monter un matériau dévalué – celui que la convention narrative aurait écarté, et que ce cinéma conserve, puisqu’il s’agit seulement non de raconter, mais de montrer.

18h30 Nous vous proposons de continuer les échanges autour d’un verre et d’un repas au gîte « Le Closet » de Fertans ( tarif : 10 €, prestation sous réserve d’un nombre suffisant de participants, inscription obligatoire si possible avant le 28/11. Possibilité d’hébergement au gîte vendredi soir et/ou samedi soir, tarif 15 € la nuitée)

Ferme Courbet de Flagey
28 grande rue 25 330 FLAGEY
Depuis Besançon, suivre Ornans puis Chantrans
Possibilités de transport depuis les gares de Besançon
Inscription et renseignements :
crdpp25@gmail.com ou Philippe Roy 06 51 38 43 45
http://centre.philoplebe.lautre.net/

Ces ateliers se déroulent dans le cadre de l’ethnopôle Pays de Courbet, pays d’artiste

Image de prévisualisation YouTube
Jonas Mekas Leave Chelsea Hotel / 1967

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