Les histoires du mouvement ouvrier racontent en détail les désaccords, conflits et affrontements entre marxistes et anarchistes. Les partisans des deux courants n’ont pas manqué de rédiger des travaux théoriques ou historiographiques dénonçant les turpitudes de l’adversaire. Certains se sont fait une spécialité dans cette « exécution » morale de l’autre. Un exemple illustre, qui est bien révélateur : le titre de l’un des premiers livres de Joseph Staline, Anarchisme ou Socialisme ? (1097). Le futur secrétaire général du PCUS y écrit : « Nous estimons que les anarchistes sont de véritables ennemis du marxisme. Par conséquent, nous reconnaissons aussi qu’il faut mener une lutte véritable contre de véritables ennemis. » On connaît la suite…
L’objectif de notre livre est exactement l’inverse. Il est placé sous le signe de la Ière Internationale – dont on célèbre en 2014 le 150° anniversaire de fondation (28 septembre 1864) -, Association révolutionnaire pluraliste qui avait connu, au moins pendant ces premières années, des convergences significatives entre les deux courants de la gauche radicale. Il existe donc un autre versant de l’histoire, non moins important, mais souvent oublié, et parfois même délibérément écarté : celui des alliances et des solidarités agissantes entre anarchistes et marxistes. Cette histoire est longue, bien que méconnue, de plus d’un siècle, et ce jusqu’à aujourd’hui. Certes, nous ne sous-estimons pas les conflits, en particulier l’affrontement sanglant de Kronstadt (1921), auquel nous consacrons tout un chapitre. Mais la fraternité dans un combat commun n’en a pas moins existé, depuis la Commune de Paris. En témoignent les grandes figures, de Louise Michel au sous-commandant Marcos, qui ont attiré l’attention et la sympathie aussi bien des marxistes que des libertaires, ainsi que des penseurs qui ont incarné une sensibilité marxiste libertaire, tels que Walter Benjamin, André Breton ou Daniel Guérin. Un certain nombre de ces questions ont été le point d’achoppement entre socialisme et anarchisme, elles ont toujours divisé marxistes et libertaires ; il ne s’agit plus tant de « trancher le débat » que d’exploiter ces réflexions pour trouver des pistes de convergence possible. Les questions ici posées n’ont pas vocation à être exhaustives. Nous avons choisi de discuter de la « prise du pouvoir », de l’écosocialisme, de la planification, du fédéralisme, de la démocratie directe, du rapport syndicat/parti.
Notre espérance est que l’avenir sera rouge et noir : l’anti-capitalisme, le socialisme ou le communisme du XXI° siècle devra puiser à ces deux sources de radicalité. Nous voulons semer quelques graines de marxisme libertaire, dans l’espoir qu’elles trouveront un terrain fertile pour croître et des donner des feuilles et des fruits.
Olivier Besancenot et Michael Löwy
Affinités révolutionnaires / 2014
À lire sur le Silence qui parle :
Daniel Guérin et la révolution française / Denis Berger
également : La Révolution française et nous