Le 12 avril, il ne s’agit pas d’une manifestation de plus, il ne s’agit pas de protester seulement, mais de se mettre en mouvement… C’est aussi simple qu’une envie soudaine de se remuer, de se secouer, aussi simple qu’une chanson de Lou Reed : Take a Walk On The Wild Side. Traduisez comme vous voudrez, « prendre la tangente », « suivre la mauvaise pente » ; surtout s’ensauvager !
C’est l’évidence qui s’impose à nous. Ces hommes et ces femmes que nous avons portés au pouvoir le 6 mai 2012 dans un remake essoufflé du scénario du 10 mai 1981 : eh bien tout simplement, ils ne sont pas de gauche. Ces hommes et ces femmes à qui nous avons confié nos espoirs de changement n’avaient ni l’idée, ni la capacité, ni même la volonté de changer quoi que ce soit.
Être de gauche c’est une affaire de perception, et la perception que nous avons de ces hommes et ces femmes c’est celle d’hommes et de femmes de pouvoir, prêts à tous les arrangements, à toutes les manipulations, pour y rester.
Sans doute pour les plus lucides, c’était prévisible.
Depuis 2002, les candidats au pouvoir ont continué à faire de la politique à l’ancienne, avec fiefs, régions et affidés, comptant seulement sur le retour de balancier que leur offrirait l’alternance sans même essayer de comprendre ce qui se passait: les uns louchant sur le vieux blairisme que les mensonges sur la guerre en Irak ont pourtant démasqué, d’autres sur Gerhard Schröder et son « agenda 2010 » dont la date d’expiration est largement dépassée. Clinton, Blair, Zapatero, Obama leur ont servi successivement de modèles et les voilà qu’ils découvrent dans le communiquant Matteo Renzi leur maître et leur inspirateur.
Ils se sont leurrés et nous ont leurrés considérant que rien n’avait changé que, par exemple, ils pourraient compter à jamais sur l’Europe, à laquelle une majorité d’électeurs avait dit non il y a plus de dix ans, sans qu’ils ne changent rien politiquement à leur conception de l’Europe, à leur relation à l’Europe, sans se rendre compte que la crise des dettes souveraines creusait au sein de l’Europe un mur, non pas entre l’est et l’ouest mais entre le nord et le sud, et que ce mur traversait la France, la coupant en deux. Ils se sont leurrés à l’idée qu’ils pourraient continuer à compter sur une politique néolibérale à laquelle ils s’étaient abandonnés dès les années 1980 et dont la crise de 2008 avait pourtant montré les effets dévastateurs. Ils se sont leurrés en cédant à l’hypermédiatisation confiant aux médias corrupteurs leur survie dans les sondages, troquant la transformation réelle de la société contre la survie médiatique.
Ils ont eu l’illusion de pouvoir compter à jamais sur la police pour maintenir les graves inégalités dans les quartiers. Ils se sont laissés aller à stigmatiser les minorités, à pourchasser les étrangers, les Roms, pour rivaliser avec les politiques sécuritaires de la droite.
Ils ont cru pouvoir compter sur une armée nationale pour faire respecter, sous le masque des droits de l’homme, leurs intérêts économiques et stratégiques dans les ex-colonies, escomptant retrouver des couleurs régaliennes au prix d’interventions couteuses et déstabilisatrices. Ils ont cru pouvoir leurrer l’opinion en déclarant la guerre à la finance tout en signant un armistice avec le Medef. Ils ont cru pouvoir déplacer la bataille de la réindustrialisassions dans les rayons des supermarchés et faire de la carte bleue des consommateurs un substitut du bulletin de vote, transformant leur ministre de l’industrie en VRP tricolore alors que le pouvoir, qu’eux-mêmes continuaient à détenir et à gérer, continuait la même politique de l’offre, la même compression des soi disant coûts du travail, livrant l’industrie française à la concurrence déloyale.
Ils ont cru pouvoir retrouver une hégémonie culturelle en empruntant à la droite et à l’extrême droite son lexique et son imaginaire sous le prétexte de ne pas lui laisser le monopole de la Nation… Et surtout ils se sont persuadés et ils nous ont persuadés que pour gouverner aujourd’hui il suffit de contrôler la perception des gouvernés. Ils se sont persuadés et ils nous ont persuadés qu’il n’y avait pas d’alternative à leur morne gouvernance… qu’il fallait abandonner nos espoirs, nos désirs, nos révoltes à leurs calculs de comptables, à leurs ajustements de technocrates, à leur vision myope de bureaucrates… Ils ont pris pour du courage ce qui n’était qu’un lâche abandon à l’air du temps.
Le 12 avril il ne s’agit pas d’une manifestation de plus, il ne s’agit pas de protester seulement, mais de se mettre en mouvement…
C’est aussi simple qu’une envie soudaine de se secouer, aussi simple qu’une chanson de Lou Reed : Take a Walk On The Wild Side.
Traduisez comme vous le voulez, « prendre la tangente », « suivre la mauvaise pente » ; surtout s’ensauvager !
Contre l’assignation à résidence des politiques sécuritaires il faut sortir de chez soi,
Contre l’occupation de l’espace public et médiatique par les religieux et les extrémistes, il faut aller dans les rues,
Contre l’injonction à la raison néolibérale, il faut se mettre en mouvement, chercher d’autres chemins,
Contre la préférence médiatique pour le FN, il faut changer de fréquence, prendre la tangente…
C’est pourquoi je me joindrai à la marche du 12 avril.
Devant l’immobilisme du pouvoir mais aussi pour conjurer notre propre immobilisme, il faut se mettre en mouvement :
Take a Walk On The Wild Side.
Christian Salmon
Le 12 avril : « Walk On The Wild Side » / 10 avril 2014
Publié sur le blog Mediapart de l’auteur
lire les appels à manifester sur les sites d’Alternative libertaire et du NPA