Archive mensuelle de mars 2014

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Psychanalyse et Pulp-Fiction lesbien / Une machine littéraire de subjectivation / Stelio Sardelas / Conférences de l’Unebévue / 8 mars 2014 au cinéma l’Entrepôt

« Il me semblait que tout agencement machinique, à la lettre, s’accrochait sur un certain type de corps sans organes. La question qu’on traite, à supposer que tout agencement machinique se passe, s’accroche, se monte sur un corps sans organes. Comment ça se fabrique un corps sans organes, qu’est-ce qui peut servir à telle ou telle personne, de corps sans organes ? C’est aussi le problème des drogués; comment font-ils, à supposer que ce soit vrai, que ce soit bien une formation de l’inconscient sur laquelle des ********* et que c’est comme une condition pour que des agencements, des connections s’établissent, qu’il y ait une telle qu’il puisse appeler corps sans organes. Les groupes ce sont des corps sans organes, les groupes politiques, les groupes communautaires, etc., impliquent des espèces de corps sans organes, parfois imperceptibles, parfois perceptibles, sur lesquels tout l’agencement de machine qui va être producteur d’énoncés va s’accrocher. L’archétype du corps sans organes, c’est le désert. Il est comme le support, ou comme le support du désir lui-même.
Qu’est-ce qui va s’accrocher ? Dans une schizo-analyse, le problème de l’inconscient, ce n’est pas un problème de générations : Green a envoyé un article sur l’anti-Œdipe et il dit : « quand même c’est des pauvres types, parce qu’ils oublient que un schizo, ça a quand même un père et une mère ». Alors là, c’est lamentable, écoutez un schizo. Un schizo n’a ni père ni mère, c’est tellement évident. Ce n’est pas en tant que schizo qu’il est né d’un père et d’une mère, un schizo, en tant que schizo, n’a pas de père ou de mère, il a un corps sans organes. Le problème de l’inconscient, ce n’est pas un problème de générations, mais de population. Qu’est-ce qui peuple le corps sans organes, qu’est-ce qui fait les agencements, les connections ? Le bonheur de quelqu’un, c’est sa manière à lui de se faire des corps sans organes. Comme différence fondamentale avec la psychanalyse, j’insiste encore une fois : on ne sait pas d’avance. Cette saleté de concept de régression, c’est une manière de dire : ce que tu es est ton affaire, au moins en droit, on la sait d’avance, puisque ce que tu es, c’est ce que tu es. Tandis que là, c’est le principe opposé, vous ne savez pas d’avance ce que vous êtes. C’est pareil pour les histoires de drogues : vous ne savez pas d’avance.
Il y a un très beau livre d’un monsieur qui s’appelle Castaneda, qui raconte son apprentissage du peyotl avec un indien, et l’indien, lui explique que de toutes manières, il faut un allié. Il faut un bienfaiteur pour te mener dans cet apprentissage, c’est l’indien lui-même, mais aussi il faut un allié, i.e. quelque chose qui a un pouvoir. Pour se faire un corps sans organes, tâche très haute, tâche très sublime, il faut un allié, pas forcément quelqu’un d’autre, mais il faut un allié qui va être le point de départ de tout un agencement capable de fonctionner sur un tel corps.

Baise-Moi_Despentes
On a vu, la dernière fois, sur ce corps sans organes, une espèce de distribution de masse, les phénomènes de masse, de population. Ils s’organisent pourquoi ? Parce que l’effet immédiat du corps sans organes, ça ne fait qu’un avec l’expérience, l’expérimentation d’une dépersonnalisation. Ce qui me paraît fascinant, c’est que c’est au moment même d’une tentative de dépersonnalisation, que on acquiert le vrai sens des noms propres, c’est à dire on reçoit son vrai nom propre au moment même de la dépersonnalisation. Pourquoi ?
Supposons qu’il y ait des groupements de masse, ce n’est pas forcément des masses sociales, c’est que, par rapport au corps sans organes, dans sa différence avec l’organisme d’un sujet, le sujet lui-même voilà qu’il se met comme à ramper sur le CSO, à tracer des spirales, il mène sa recherche sur le corps sans organes, comme un type qui se balade dans le désert. C’est l’épreuve du désir. Il trace, comme l’innommable dans Beckett, il trace ses spirales. Lui-même, en tant que dépersonnalisé sur le CSO, ou bien ses propres organes, qui en tant qu’ils sont rapportés maintenant, non pas à son organisme, mais au corps sans organes, ils ont complètement changé de rapports. Encore une fois, le CSO, c’est bien la défection de l’organisme, la désorganisation de l’organisme au profit d’une autre instance; et cette autre instance, les organes du sujet, le sujet lui-même, etc., est comme projeté sur elle, et entretient avec d’autres sujets, un nouveau type de rapports. Tout ça forme comme des masses, des pullulements, ou, à la lettre, sur le corps sans organes, on sait pas très bien qui est qui : ma main, ton œil, une chaussure. Un dromadaire sur le CSO du désert, un chacal, un bonhomme sur le dromadaire, ça fait une chaîne.

KKT
A ce niveau, de toutes manières, la masse inscrite sur le corps sans organes délimite comme un territoire. Les éléments de masse, quels qu’ils soient, définissent des signes. Et qu’est-ce qui assure la cohérence, les connections entre signes ?
Ce qui définit la masse, il me semble, c’est tout un système de réseaux entre signes. Le signe renvoie au signe. Ça c’est le système de masse. Et il renvoie au signe sous la condition d’un signifiant majeur. C’est ça le système paranoïaque. Toute la force de Lacan, c’est d’avoir fait passer la psychanalyse de l’appareil œdipien à la machine paranoïaque. Il y a un signifiant majeur qui subsume les signes, qui les maintient dans le système de masse, qui organise leur réseau. Ça me paraît le critère du délire paranoïaque, c’est le phénomène du réseau de signes, où le signe renvoie au signe. »
Gilles Deleuze
Un appareil œdipien / Vincennes, 12 février 1973

l’Unebévue

École Lacanienne de Psychanalyse

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conf sardelas 8 mars 2014-1

Du bestiaire au surhumain / Bruno Heuzé / Chimères n°81 / Bêt(is)es

« Et qu’est-ce que les Idées, avec leur multiplicité constitutive,
sinon ces fourmis qui entrent et sortent par la fêlure du Je ? »
Gilles Deleuze / Différence et répétition

Bestiaires singuliers pluriels
On connaît le grand bestiaire déployé par Nietzsche, dont chaque animal est comme une constellation faisant écho aux différentes latitudes de la psyché humaine, dont il sonde en éclaireur les multiplicités diagrammatiques avant que Freud n’aille y planter les bases dogmatiques de la psychanalyse. S’y côtoient le chameau et l’âne, emboitant le pas l’un de l’autre en portant le fardeau de la vie dans une acceptation tantôt courageuse tantôt résignée, le lion qui entend conquérir le désert et en faire le territoire de sa volonté en affrontant le dragon du devoir, le bouc dont le chant dionysiaque célèbre la naissance de la tragédie, mais aussi les tarentules qui empoisonnent la pensée dont elles enserrent le ciel dans la toile de la raison, ou encore l’oiseau qui au contraire lui fait côtoyer les cimes et dont les pattes portent ces mots silencieux qui mènent le monde ; sans oublier le cheval, dont Nietzsche parle peu, mais au cou duquel il se suspend alors qu’il quitte définitivement la compagnie humaine, trop humaine.
On se souvient en particulier des animaux de Zarathoustra, l’aigle et le serpent, qui l’accompagnent comme les doubles différenciés de son ombre de voyageur, ombre à deux têtes dissemblables en quelque sorte, avec laquelle il ne cesse de dialoguer parmi les terres accueillantes et hostiles. C’est ainsi sous l’égide du regard aquilin cerclé d’une sagesse ophidienne, que se trouve énoncée pour la première fois la doctrine de l’Éternel Retour, que Zarathoustra fait d’abord mine d’éluder avant d’en tirer l’affirmation suprême du surhumain, affirmation qui relaie son appel initial à retrouver le sens de la terre.
Éparse est le bestiaire deleuzo-guattarien, marqué avant tout d’empreintes territoriales et de lignes de fuite, animé de glissements de milieux et de pliages improbables, peuplé de meutes et traversé de noces contre nature. Une flore s’y parsème, comme une faune s’y distribue sans compter, mais en agençant leurs puissances : le trèfle et le bourdon, et bien sûr la guêpe et l’orchidée dont le célèbre mariage frappe de son emblème inter-règne l’héraldique métamorphique de Deleuze et Guattari. Mais il faut aussi évoquer ici les loups et les rats qui s’engouffrent et filent vers un intempestif horizon ; les langoustes et les saumons qui se mettent en route, pris dans une grande transhumance traversée par les flux de la terre ; ou encore, l’oiseau Scenopoïetes qui, tel l’acteur se mettant lui-même en scène, retourne les feuilles autour de lui pour dessiner de leur envers plus clair le podium sur lequel il chantera, conjuguant alors ritournelles sonore et graphique ; et le plus insolite peut-être, la tique qui ne perçoit de la lumière que ses intensités calorifiques, et qui semble faire signe sur la voie ombragée allant d’une pensée sans image vers une nouvelle image intensive de la pensée.
Chaque animal est ici une de ces régions du plan de Nature, faisant contrepoint avec les autres, et à travers lesquelles l’homme repasse lorsqu’il pense, agit et devient, au fil de trajectoires filantes, émaillées d’alliances intempestives et de pliures imprévisibles. Ainsi se dresse et s’étend la cartographie d’un inconscient machinique, spinoziste et intensif, fait de chimères, d’agencements et de métallurgie, d’hybrides, de centaures et de cyborgs. Territoires animaux, latitudes humaines, assemblées technologiques et sphères sociales s’y mélangent et se font écho dans un grand opéra à facettes, dont la scène n’est autre qu’une terre déstratifiée, « la légère », celle de Nietzsche précisément : terre de la ductilité et des métamorphoses, dont le bestiaire fabuleux joue par épiphanie des superpositions du surhumain et du moléculaire.
Bruno Heuzé
Du bestiaire au surhumain / 2014
Extrait du texte publié dans Chimères n°81 / Bêt(is)es
Photo : Lydie Jean-Dit Pannel / http://ljdpalive.blogspot.fr/
Lydie JD-Pannel

Jungle, basse-cour, labo zoologique – Projections et déjections de l’animal colonisateur / Christiane Vollaire / Chimères n°81 / Bêt(is)es

Frantz Fanon écrit et publie Les Damnés de la terre en 1961, non comme une analyse à froid, mais comme une arme en période de combat, pendant la lutte de décolonisation de l’Algérie dont il est un acteur-phare. L’ouvrage retourne directement contre le système colonial l’imputation d’animalité, que celui-ci a monté comme une vraie machine de guerre, et dont il va démonter pièce à pièce les mécanismes.
Au cœur de ce dispositif, la médecine coloniale, comme outil « scientifique » de représentation du colonisé en animal de laboratoire. Fanon montre que tout le montage en repose sur une tautologie, première faute logique : l’indigène est bête parce qu’il est bête, animal sauvage dont le mieux qu’on puisse en faire est de le transformer en objet d’observation ou, mieux, d’expérimentation.
Fanon, psychiatre cultivé d’origine antillaise épousant la cause du FLN, ne va pas simplement dénoncer la barbarie physique infligée aux colonisés par ceux-là même qui les traitent de barbares, mais la profonde bêtise de ces Bouvard et Pécuchet de la médecine positiviste que sont les médecins-chercheurs coloniaux. Leur faire rentrer dans la gorge l’abyssale prétention de leur ignorance, leur faire ravaler l’illogisme profond de leur prétention à la scientificité.

clown choco felix potin
S’occuper d’un débat d’experts psychiatres et de neurologues en pleine guerre d’Algérie, est-ce bien nécessaire ? Fanon montre que c’est précisément là, au sens propre, le nerf de la guerre.
C’est en 1935 au Congrès des aliénistes et neurologistes de langue française qui se tenait à Bruxelles que le professeur Porot devait définir les bases scientifiques de sa théorie. Discutant le rapport de Baruck sur l’hystérie, il signalait que « L’indigène nord-africain, dont les activités supérieures et corticales sont peu évoluées, est un être primitif dont la vie essentiellement végétative et instinctive est surtout réglée par son diencéphale » (1).
Selon les définitions classiques, le diencéphale est la partie de l’encéphale dont le rôle essentiel est l’intégration des fonctions sensorimotrices, neuro-végétatives et neuro-endocriniennes, fonctions identiques à celles de l’ensemble du monde animal. Le cortex cérébral est au contraire le siège des fonctions neurologiques élaborées : intelligence, mouvement volontaire, conscience, jouant un rôle indispensable dans les fonctions supérieures, et proprement humaines, que sont le langage et la mémoire.
Christiane Vollaire
Jungle, basse-cour, labo zoologique
Projections et déjections de l’animal colonisateur
/ 2014
Extrait du texte publié dans Chimères n°81 / Bêt(is)es

tais toi

1 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, in Œuvres, La Découverte, 2011, p. 665.

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