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Archive mensuelle de décembre 2013

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Harcèlements policiers, stigmatisation, agressions, viols : stop aux violences ! / Strass

Ces dernières semaines, dans le « débat » actuel autour de la prostitution, les travailleurSEs du sexe ont subi encore davantage de violences.
Des violences symboliques d’abord : de Causette, qui estimait faire de l’humour en les comparant à des pastèques trouées et en les désignant comme des mauvaises mères, aux 343 salauds qui se les réappropriaient en les désignant comme « leur pute », en passant par quelques médecins qui évoquaient, dans une tribune, des « vulves déformées » et des « vagins cicatriciels » et tous les autres tribunes, articles et débats parlementaires les désignant encore et toujours comme des incapables, des inadaptéEs socialEs, des victimes.
Des violences étatiques tout à fait concrètes ensuite, directes quand il s’agit de la police qui continue à les arrêter abusivement, à les harceler quotidiennement, ou indirectes quand restent impunis des agresseurSEs de tous ordres qui s’estiment dans leur bon droit en s’en prenant à des personnes toujours plus discriminées, stigmatisées, marginalisées.
Le 4 décembre dernier, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi renforçant la lutte contre le « système prostitutionnel ». Ce texte expose les travailleurSEs du sexe et prostituéEs à de plus grands dangers. Non seulement parce qu’elles et ils seront repousséEs dans la clandestinité, mais également parce que ce texte est discriminatoire et accroît la stigmatisation pesant sur les travailleurSEs du sexe et prostituéEs. Parce que les violences concrètes dont sont victimes les travailleurSEs du sexe se nourrissent de et sont favorisées et légitimées par l’exclusion, des lois répressives et des violences symboliques à leur encontre.
Nous ne voulons ni répression, ni protection contre la prostitution, nous voulons des putains de droits !
Tous les jours, des putes continuent d’être arrêtées, harcelées par les forces de l’ordre. Elles continuent d’être agressées, violées et parfois tuées, dans une indifférence généralisée. Parce que des idéologies paternalistes, moralistes, et hygiénistes, continuent de primer sur la santé, la sécurité, et la dignité des travailleurSEs du sexe, celles-ci continuent d’être sacrifiéEs.
La putophobie tue !
STRASS
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Flasball, peur et mutilation / Clément Alexandre, Florent Castineira, Joan Celsis, John David, Pierre Douillard, Joachim Gatti, Salim, blessés et mutilés par la police française

Nous avons en commun le fait d’avoir été blessés et mutilés par la police française après avoir reçu un tir de flashball en pleine tête. Etre touché par une de ces armes, c’est s’effondrer, être évacué, hospitalisé et subir par la suite un nombre considérable d’interventions chirurgicales lourdes qui s’étendent sur plusieurs mois. Les lésions sont nombreuses et irréversibles : œil crevé, décollement de la rétine, enfoncement du plancher orbital, multiples fractures, dents cassées, joue arrachée, etc. Pour plusieurs d’entre nous, l’implant d’une prothèse a été nécessaire. Sans parler des migraines, des cauchemars et de la peur chevillée au corps. A Marseille, un homme, Mostefa Ziani, est mort d’un arrêt cardiaque après avoir été touché en plein thorax. Le flashball peut donc tuer à bout portant et il produit des dommages qui ne sont en rien des accidents. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, équiper la police avec ces armes, c’est lui reconnaître le droit de mutiler. Ce qu’elle a bien compris.
S’il n’existe aucune réparation possible, il est difficile de laisser le terrain libre à la violence policière. Plusieurs d’entre nous ont porté plainte contre l’auteur du tir. Sans succès. A Nantes, le policier qui a tiré sur Pierre Douillard en 2007 et dont l’identité est clairement établie bénéficie d’une relaxe : sa responsabilité ne peut être engagée puisqu’il a obéi à un ordre. A Toulouse par contre, pour Joan Celsis, blessé en 2009, le juge ordonne un non-lieu au motif cette fois que l’identité du tireur n’est pas établie. A Montreuil, pour Joachim Gatti, le procureur bloque le dossier depuis maintenant deux ans. Sans surprise, la justice couvre la police. Il y a belle lurette en effet que l’action de la police s’est affranchie du droit. Pour le flashball, les distances de sécurité et les zones autorisées ne sont jamais respectées, pas plus que le tir ne correspond à un état de légitime défense comme le prescrit pourtant la réglementation officielle.
Face aux limites du pénal, nous nous sommes lancés dans une nouvelle procédure. Clément Alexandre, le collectif Face aux armes de la police et leur avocat, Étienne Noël, ont déposé en octobre 2012 une requête au Tribunal administratif qui consiste à attaquer directement la responsabilité du préfet de police et plus seulement le policier qui tire en pleine tête, même si celui-ci mérite tout notre mépris. Pour la première fois, l’État a été condamné mercredi, le 18 décembre, à verser une indemnité et sa responsabilité est reconnue, tout comme le lien entre la blessure et le flashball. D’autres jugements sont attendus. Nous pensons que sur le terrain juridique, il est capital de multiplier ce type de riposte.
Toutes ces blessures rendent lisible la façon dont la police maintient l’ordre. Chaque fois derrière nos noms propres, il y a des complicités et des amitiés – souvent des luttes. A Nantes, des lycéens et des étudiants occupent un rectorat. A Toulouse, des dizaines d’étudiants sortent d’un Monoprix sans payer pour protester contre la précarité étudiante. A Montreuil, des habitants se rassemblent contre l’expulsion d’un squat. Et des lycéens bloquent leur établissement pour protester contre une énième réforme des retraites. A Notre-Dame-des-Landes, des milliers de personnes résistent à un projet d’aéroport : parmi les centaines de blessés, certains se retrouvent avec des bouts de métal sous la peau. A Strasbourg, des métallos manifestent contre ArcelorMittal. A Montpellier, c’est un groupe de supporteurs qui est visé. Dans les quartiers populaires, le flashball fait partie de la vie quotidienne et intervient systématiquement quand les habitants se révoltent contre la violence de la police. C’est le cas à Trappes pour Salim, qui cet été, a eu le malheur de se trouver à proximité du commissariat où des habitants protestent contre une arrestation musclée. Mais aussi à Montbéliard, Villemomble, etc.
Ce que la langue policière appelle littéralement «neutraliser une menace» désigne de toute évidence la nature réelle du flashball : écraser et faire taire ce qui échappe au pouvoir. C’est là le travail normal de la police. Mais ce qui est nouveau, c’est la méthode utilisée. Le flashball est le nom d’un nouveau dispositif politique qui repose sur la peur et la mutilation – en un mot la terreur. Il s’agit cette fois de frapper les corps mais aussi les cœurs et les esprits en nous marquant dans notre chair et dans celles de nos amis. Présenté comme défensif, le flashball est clairement une arme offensive qui donne à nouveau à la police le pouvoir de tirer sur la foule. Le déploiement de la violence policière, en l’état actuel du rapport de force, ne doit pas entraîner la mort. Mais la police doit être assurée de rester la plus forte pour que l’ordre soit maintenu.
Cette militarisation des opérations de police exprime la vérité d’une époque : le développement de ces armes depuis maintenant dix ans s’explique par le fait qu’elles ont manqué dans certaines émeutes. Qu’en Tunisie, une foule déterminée puisse faire tomber un gouvernement dont la longévité semblait assurée indique assez l’angoisse qui habite le pouvoir à tout moment. Le terrain d’intervention véritable du flashball, c’est la révolte.
En maintes occasions, la police se présente comme un obstacle – à nos mouvements, à nos désirs et à nos luttes. La question de savoir comment le défaire mériterait d’être prise au sérieux. Si les blessures se produisent toujours dans des moments de tension, se défendre et se protéger devient une question pratique dont la nécessité a pu être éprouvée en Grèce, comme à Notre-Dame-des-Landes où des boucliers sont apparus ; de la place Tahrir à la place Taksim, où des milliers de manifestants venaient casqués. Quand Michèle Alliot-Marie propose d’exporter le savoir-faire de la police française en Tunisie, nous pensons plutôt à importer la puissance des révolutions arabes.
C’est parce que nous demeurons attachés à nos luttes et à nos amitiés que nous ne nous laisserons pas terroriser par le flashball. Là où nous sommes attaqués, il y a à riposter collectivement pour être capable de penser et de contrer les pratiques policières. Et ça, on ne le fait pas dans l’enceinte d’un tribunal, mais on l’élabore avec tous ceux qui les subissent. Ici, comme ailleurs, ce qui relève du possible dépend d’un rapport de force. Nous lançons un appel à toutes les personnes blessées avec la certitude que nous avons plus à partager que nos blessures.
Pour Salim, ce sont ses proches qui signent la tribune.

Clément Alexandre, Florent Castineira, Joan Celsis, John David, Pierre Douillard, Joachim Gatti, Salim blessés et mutilés par la police française
Flasball, peur et mutilation / 22 décembre 2013
Tribune parue dans Libération
Contact : http://faceauxarmesdelapolice.wordpress.com

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À propos du Plébien enragé d’Alain Brossat / Tony Ferri

Ce qui est d’emblée frappant à la lecture de ce livre, c’est qu’il est d’une densité rare, en ce qu’il mêle originalement littérature, cinématographie, philosophie et politique. Pour donner une idée de l’emboîtement de ces domaines disciplinaires, de leurs échos, de leurs circularités, de leurs compositions correspondantes, on pourrait dire que l’analyse y est conceptuelle et philosophique, que le matériau y est littéraire et cinématographique, et que l’enjeu y est politique. En effet, ceci se manifeste ici à plusieurs niveaux : d’une part, si les protagonistes des récits choisis par l’auteur ont fondamentalement rapport au politique, ce n’est pas parce qu’il s’agirait de nier leur lien avec l’aspect esthétique de l’œuvre de laquelle ils sont indissociables, c’est bien plutôt parce qu’ils acquièrent, tout au long de la réflexion, un statut particulier progressivement mis en lumière à l’aune des postures politiques singulières qu’ils adoptent ou s’inventent. Et il y a lieu de voir que ces postures, positives ou négatives, se présentent concrètement tantôt sous la forme d’une quête d’émancipation, tantôt sous l’aspect du calcul et de la ruse, tantôt encore sous la manifestation d’un aveuglement vindicatif, tantôt enfin sous les apparences de la fuite, du retrait ou de la veulerie. C’est donc sous une forme pour ainsi dire diffractée, éclatée, fracturée, que ces attitudes se matérialisent et s’enchaînent au cours de l’analyse. D’autre part, sur le plan philosophique, A. Brossat nous donne à voir comment, à partir de l’étude de ces récits riches et foisonnants, peuvent être cernés, là encore par-delà leur particularité esthétique indéniable rappelée par l’auteur, des personnages-concepts, un topos de la figure centrale de l’ouvrage, à savoir le plébéien. En d’autres termes, il y a lieu, pour l’auteur, d’élaborer philosophiquement un concept qui soit suffisamment opératoire pour délimiter les contours d’un théâtre, précisément celui de l’espace démocratique moderne, où le plébéien trouve encore, plus que jamais, à évoluer.
Où l’on voit que la portée aiguë, obsédante et stimulante de ce livre concerne la question de l’égalité dans les sociétés modernes. Insistons- y : cette question, qui interroge, en filigrane, les événements, les soubresauts, les insurrections, les revers qui ont accompagné le devenir des sociétés modernes occidentales, se donne comme le leitmotiv lancinant de l’analyse. Le fil conducteur philosophique du livre porte sur la promesse de l’instauration de l’égalité, telle que les idées neuves de la Révolution française l’avaient mise en exergue. Y a-t-il eu, au bout du compte, dépassement du clivage des origines sociales et des conditions d’existence ? Y a-t-il eu réellement l’établissement de l’égalité ? Les règles du jeu social ont-elles été objectivement changées, refondues,  aplanies ?, nous invite à nous demander, de manière insidieusement permanente, l’auteur. Ce type de questionnement est d’autant plus pressant qu’A. Brossat montre bien à quel point on assiste au quotidien à l’inobservation des règles que les démocraties occidentales se sont elles-mêmes pourtant prescrites :
« Pour autant que la démocratie serait le régime de la politique qui correspond à la condition de modernité, alors il conviendrait de dire : la démocratie moderne n’est pas le régime de l’égalité instituée, elle est le régime de la politique sous lequel sont constamment susceptibles de surgir des situations ayant l’égalité pour enjeu, dans lesquelles l’égalité se présente comme une ‘évidence’, mais une évidence constamment fuyante, démentie et bafouée ; moins comme une norme que comme un désir sans cesse renaissant, car alimenté par le manque ; comme l’objet d’un litige ou plutôt d’un différend inépuisable entre ceux d’en haut et ceux d’en bas ; comme l’ininstituable d’un côté, l’inoubliable (à quoi l’on ne saurait renoncer) de l’autre. La question de l’égalité va donc, désormais, être établie dans un champ d’indétermination, tout en constituant un horizon indépassable » (p. 133).
Disons-le d’ores et déjà : ce livre est d’une charge symbolique sombre, ombrageuse, ténébreuse, sinistre, dans la mesure où il se présente comme l’histoire de l’échec de cette promesse de l’établissement d’un monde nouveau ou meilleur, comme l’histoire de la défaite d’un idéal : celui de l’égalité au sens démocratique. La tonalité y est donc puissamment noire, nocturne, lunaire et pessimiste, et tranche avec l’autre livre d’A. Brossat, qui peut, et même doit être lu en miroir, à savoir Le serviteur et son maître. Essai sur le sentiment plébéien (Paris, Léo Scheer/Lignes, 2003), où les personnages de Jacques dans Jacques le fataliste de Diderot ou de Figaro dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais offraient des visages plus rieurs, joyeux, allègres. Ce pessimisme procède du fait que le projet de l’accomplissement de l’égalité se révèle ici être finalement un fiasco, et du fait que, selon nous, après la lecture du livre, le lecteur ne peut manquer de se poser, à de nouveaux frais, l’une des grandes questions kantiennes : dès lors, que nous est-il, ici et maintenant, permis d’espérer ?
De sorte que ce livre est un succès d’agitation et de bouillonnement. Non pas seulement en ce qu’il agite une question de fond sur la pertinence de la confiance dans les promesses et les institutions démocratiques, mais aussi en ce qu’il parvient à tourmenter gravement le lecteur, selon un procédé rhétorique ascensionnel fin : le mauvais goût dans la bouche va effectivement crescendo tout au fil de la lecture, avant de retomber, vers la fin du livre – après la tempête tumultueuse annoncée au lendemain de la Révolution française et le champ de ruines laissé par le retour lancinant de ce que l’auteur nomme « la guerre des espèces » (nous y reviendrons) -, sur une destruction des repères habituels et un aplatissement, voire une annihilation de l’espérance. Cependant, si la force de cet « accablement » retombe petit à petit, à mesure qu’on s’approche de l’épilogue du livre, et si une telle accalmie semble pouvoir soulager en conséquence le lecteur pris irrésistiblement dans la spirale infernale de l’agitation et du questionnement, il n’en demeure pas moins qu’une question reste, selon nous, en suspens, ou plutôt ouverte, du point de vue de la praxis, et qu’il y a lieu alors de se demander, au total, ceci : dans ces conditions, que pouvons-nous faire, plutôt que rien ?
Tony Ferri
Recension Le Plébéien enragé, par Alain Brossat / 2013
Suite et texte intégral à télécharger :
fichier pdf Le plébéien enragé recension Tony Ferri
Extrait à lire sur le Silence qui parle
Alain Brossat
le Plébéien enragé. Une contre-histoire de la modernité de Rousseau à Losey
Éditions Le Passager clandestin /2013
l'enragé

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