Occupy a été un porte-voix relayé par beaucoup de monde et résonne encore de manières différentes. Cette voix, que nous appelons maintenant « Occupy », est devenue audible grâce à des personnes dispersées sur de nombreux fronts, qui se battaient depuis longtemps contre diverses formes d’oppression et rassemblées pour la première fois. Occupy devenait l’attracteur visible de ces formes collectives invisibles, oppressées. New-York, ville connue pour son charme et si bien décrite dans les films d’Hollywood, devenait capable de produire un film différent. La réalité venait trouer la station touristique placide, fortement contrôlée par l’état, et la transformer en arène faisant voir au monde une nouvelle scène, celle du refus par un grand nombre de cette nouvelle forme d’économie perverse, le Capitalisme Libéral.
Cependant, l’occupation dont l’écho audiovisuel était propagé, devait constamment s’affronter, dans la réalité, avec les forces antagonistes de sa répression. Nous ne pouvons oublier les formes d’oppression qui ont été utilisées par l’État, tout le temps et encore maintenant, pour réprimer la formation d’une voix collective.
Il est nécessaire de rappeler comment cette voix polyphonique a été démantelée par la police, faisant appel à des forces et des tactiques militaires pour chasser le mouvement. Pendant tout ce temps, le parc Zuccoti a été isolé avec des barricades de métal et des cars de polices restés garés tout autour. La dispersion des occupants a été faite par des militaires. Des dizaines de soldats casqués ont surgi à trois heures du matin avec des menottes, exerçant un maximum de violence pour arrêter les gens en nombre. Les arrestations massives ont été une des principales tactiques utilisées par les forces de l’ordre pour empêcher le mouvement de se propager. Soudain, alors que le mouvement grandissait, de plus en plus d’agents du FBI circulaient dans le secteur, épiant les comportements et les propos des gens. Des policiers en civils s’infiltraient dans le mouvement, utilisant des gaz lacrymogènes et poussaient à la violence. Les policiers officiels perdaient facilement le contrôle d’eux-mêmes et arrêtaient pour un oui pour non. Des scènes de violence étaient enregistrées par les caméras de chaines de télévision pour dissuader les nouveaux arrivants. Des barrières métalliques de plus en plus nombreuses encerclait Occupy et des hélicoptères suivaient certains cortèges. Des policiers équipés de caméras filmaient le parc sans arrêt depuis des postes d’observation, tapant sur leurs téléphones mobiles, prenant les empreintes digitales, prélevant des échantillons ADN, scannant les iris. Des heures et des heures d’enregistrement vidéo ont été réalisées par la police avec des petites caméras portables à haute définition, ainsi que d’innombrables photos. Tout ce matériel a été déposé dans une grande banque de données. Pendant le mouvement, des millions de dollars ont été versés par les banques à la police pour leur permettre d’empêcher le mouvement de grandir.
L’opposition entre les gens et les forces de l’ordre, les tactiques utilisées pour démanteler toute possibilité de créer et de maintenir une demande collective pour un vrai changement, étaient évidentes et scandaleuses. Cette image doit être restituée dans tous ses détails. Il faut faire le relevé de la manière dont l’état contrôle et dissipe toute tentative de mouvement vers le changement, c’est l’une de nos stratégies possibles pour garder ce combat vivant. Les États Unis sont bien connus pour infiltrer et disséminer l’information et pour enseigner aux autres pays comment réprimer leurs propres citoyens. Ils sont experts dans la création de stratégies et de tactiques de répression. Il est par ailleurs intéressant de se souvenir que ces systèmes de contrôles sont financés par chaque individu présent sur la place, alors qu’un changement significatif est demandé. Nous étions en train de nous endetter pour nous faire observer, enregistrer, réprimer et exploiter.
Cependant, bien qu’il semble que ce soit un crime sérieux de créer des espaces où des luttes différentes se rassemblent et coexistent, ce porte-voix collectif reste aujourd’hui actif de manière souterraine, non moins que sa répression. La police continue de scruter l’histoire des occupants et cherche à assembler le puzzle qui révèlerait la manière dont cette voix s’est constituée. Ils poursuivent la constitution d’une banque de données toujours plus performante. Un autre aspect à mesurer concernant l’après Occupy est de discerner la façon dont, pendant ces mois, l’appareil d’état a développé une forme de contrôle plus sophistiquée que jamais. Aujourd’hui, l’internet gratuit est en train de disparaître et la circulation de n’importe quelle information est pratiquement traçable à tout moment. Il n’y a désormais plus aucune intimité. L’agencement collectif semble un concept bien lointain quand il se rapporte à des individus isolés, bien que cela reste certainement la seule façon d’agir réellement agir dans notre vie quotidienne et de créer différents groupes. Mais l’initiative doit partir de nous, de la manière dont nous coexistons avec l’autre, de la manière dont nous construisons un engagement commun. Elle doit rester une forme de production collective qui échappe aux règles démocratiques de la répression, aux relations abusives et perfides qui jouent en faveur du démantèlement de toute forme de singularité. Comment prendre possession de nos propres corps, comment ouvrir un espace de production détaché de ces formes d’échange qui valorisent toujours la quantification contre l’a-signifiance ? Comment produire des micro formations à partir de la dérive, de contingences réelles ?
Occupy a créé une image fantasmatique transitoire qui a réveillé les corps et engendré le désir de créer un espace de pure potentialité, déplaçant notre compréhension du mot « résistance » vers une pratique constante d’une forme de vie beaucoup plus animiste. C’est une forme qui refuse les logiques rationnelles de pensée lorsque les concepts de contrôle et de pouvoir sont en jeu.
Guattari Group New-York
A propos d’Occupy Wall Street / 2013
Publié dans Chimères n°79, Temps pluriels
- Accueil
- > Archives pour le Mardi 17 septembre 2013