Le remède classique pour quelqu’un qui est abattu, c’est de penser à ceux qui souffrent de misère véritable ou de maux physiques. C’est une recette de bien-être éprouvée, contre le cafard en général, et un conseil assez salutaire pour tout le monde le jour durant. Mais à trois heures du matin, un colis oublié prend une importance aussi tragique qu’une condamnation à mort et le remède est sans effet ; or, quand l’âme plonge dans une vraie nuit noire, il est constamment trois heures du matin, jour après jour. A cette heure-là, on a tendance à refuser tant qu’on peut de voir les choses en face et à se réfugier dans un rêve infantile, mais il est sans cesse interrompu par les divers contacts avec le monde. On y fait front de façon aussi expéditive que possible pour se retirer de nouveau dans le rêve, avec l’espoir que quelque grande aubaine matérielle ou spirituelle arrangera les choses. Mais à mesure que la retraite persiste les aubaines se font de plus en plus improbables – on n’attend plus de voir s’effacer le moindre chagrin, et on devient le témoin forcé d’une exécution, de la désintégration de sa propre personnalité.
« Toute vie est bien entendu un processus de démolition, mais les coups qui font le travail spectaculaire – les grandes poussées soudaines qui viennent ou semblent venir du dehors, celles dont on se souvient, auxquelles on attribue la responsabilité des choses, et dont on parle à ses amis aux instants de faiblesse – restent sans effet apparent dans l’immédiat. Il existe des atteintes d’une autre espèce, qui viennent de l’intérieur ; on les sent seulement lorsqu’il est trop tard pour y remédier et qu’on s’aperçoit, de façon irrévocable, que dans une certaine mesure on ne sera plus jamais le même. La casse de la première espèce donne une impression de rapidité, l’autre se produit sans qu’on le sache, mais on en prend conscience brusquement. »
Francis Scott Fitzgerald
la Fêlure / 1936
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