Dire l’évidence même, que personne ne dit. Nous constatons l’évidence tous les jours, cette douleur infinie qui rend malades un pays et sa population, son présent comme son avenir. Nous ne pouvons pas faire taire l’évidence. Nous sommes convaincus qu’il faut faire quelque chose, dès maintenant.
L’Iran souffre démesurément. Aucune loi ne peut cautionner une telle cruauté. Il faut mettre un terme dans les plus brefs délais à ces embargos qui pèsent sur le peuple iranien. Il faut rappeler à la communauté internationale l’inefficience de ses « sanctions », qui ne visent que le peuple iranien. Nous devons dire que cette situation ne peut plus durer. Chaque instant de plus, c’est un peu plus de douleur. Nous ne voulons plus de cette souffrance.
Une certaine responsabilité nous incombe : nous pouvons et nous devons prendre position. La situation iranienne nous préoccupe. Parler de l’Iran, c’est avant tout et surtout parler de sa population, c’est-à-dire de presque 80 millions de personnes, hommes, femmes, enfants, qui vivent un cauchemar sans fin. Il suffit de voir ce qui s’est passé ces dernières décennies : la révolution de 1979 ; une longue guerre, trop longue guerre, avec l’Irak, avec ses morts et ses conséquences désastreuses ; l’installation d’une théocratie dictatoriale ; l’oppression quotidienne de la population ; la révolte des étudiants, en 1999 ; les inégalités basées sur le « genre » : ségrégations au nom du sexe, de la religion et de l’opinion ; les prisons et les prisonniers politiques ; l’assassinat des intellectuels ; l’effacement de toute opposition ; l’absence de parti politique ; les élections truquées ; la naissance du mouvement vert ; les noms que l’on peut y associer : Kahrizak, la prison où les prisonniers étaient violés, torturés, achevés. Evin, Rajaï Shahr, d’autres prisons, d’autres noms pour « enfermement », pour « faire taire » ; Neda Agha Soltan, la jeune fille qui a reçu une balle en plein coeur dans une rue de Téhéran ; et ces hommes, ces femmes, ces jeunes, qui, les mains vides, étaient à la recherche d’un peu de liberté, d’un peu de dignité.
La réponse était claire : on vous tue de sang froid. Ces dernières années, en Occident, nous n’étions pas dans les rues d’Iran, nous n’étions pas des Iraniens. Nous avions oublié le peuple iranien et nous nous sommes concentrés sur d’autres choses : Ahmadinejad, le programme nucléaire, et c’est tout. Nous sommes entrés dans un jeu et, hélas, nous avons laissé de côté notre responsabilité.
Certes, Ahmadinejad est un personnage abominable, c’est en trichant qu’il est devenu le président de la République islamique et, certes, il a tenu des propos inadmissibles ; mais jamais, à aucun moment, il n’a été inquiété par l’Occident. On a voulu le punir, pour ses propos, pour son programme nucléaire – et jamais pour la censure ambiante, pour l’assassinat des manifestants, pour la destruction des opposants, pour les exactions pratiquées dans les prisons, non, pour rien de cela.
Quelle était la réponse des Occidentaux ? Faire payer le peuple iranien. Pour mesurer la gravité de la situation, il faut partir se rendre compte sur place. Aller voir la vie quotidienne, complètement paralysée depuis quelques années. Depuis plusieurs mois, il y a toute une série d’embargos et de boycotts pour isoler le pays. Le dernier en date a commencé le 1er juillet. On dit que cela consiste à mettre la pression sur le régime iranien. En vérité, c’est la population qui ploie et est anéantie.
Il conviendrait de voir les effets extrêmement graves et désastreux de ces embargos : inflation sans limite, souffrance des malades qui ne trouvent plus leurs médicaments, retraités et personnes âgées qui assistent à l’augmentation journalière des prix, difficultés liées au logement, chômage. A l’heure où nous rédigeons ces lignes, les femmes iraniennes n’ont plus accès aux pilules contraceptives. Par ailleurs, certaines pilules jugées dangereuses en Europe et aux Etats-Unis circulent toujours en Iran.
Dans ces conditions, le peuple iranien n’a que deux options : rester sur place et périr petit à petit, ou partir à l’étranger. Nous devons être attentifs à cette situation. Ce n’est pas la République islamique qui subit les conséquences de ces embargos, ce sont des millions d’habitants qui en paient les frais.
L’Occident a décidé de déclarer la guerre au régime iranien, soit. Mais nous ne pouvons pas fermer les yeux devant les dégâts causés par cette guerre « propre ». Pas de bombe, pas de sang, pas d’explosion… On achève en douceur.
Un régime dictatorial a décidé de malmener sa population. Cela laisse indifférent le monde entier. Non seulement rien n’est fait pour empêcher ou ralentir ces oppressions, mais, en plus, tout ce qui a été entrepris ces dernières années par l’Occident a fini par mettre encore plus de pression sur les épaules des Iraniens. Ainsi, nous pouvons dire que les Iraniens ont été doublement frappés : par leur régime et par les sanctions internationales.
A chaque fois que le peuple se lève, en 1999, en 2009, à chaque fois que l’oppression devient visible, l’Occident se retire et oublie la base même de la démocratie, qui ne devrait jamais être rien d’autre que la souveraineté populaire.
Nous ne pouvons pas oublier l’homme dans la politique. Une politique qui ne tient pas compte de la condition humaine ne peut pas être louée.
La politique qui est menée contre la République islamique d’Iran est une politique contre sa population. C’est pourquoi nous demandons à tous les pays occidentaux d’arrêter immédiatement ces embargos qui affaiblissent les populations locales. Ce n’est pas à elles qu’il convient de s’en prendre.
Nous devons avant tout nous inquiéter de ce qui se passe à l’intérieur du pays. Si nous ne faisons rien pour l’améliorer, si nous faisons le choix de faire avec, de laisser aller, qu’est-ce qui nous autorise à aggraver la situation ? Avec cette politique menée contre l’Iran, nous devons penser de nouveau à ce que signifie véritablement le droit d’ingérence.
Parham Shahrjerdi et Jean-Luc Nancy
Arrêtons sanctions et embargo contre l’Iran / 12 août 2013
Publié dans le Monde
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Arrêtons sanctions et embargo contre l’Iran / Parham Shahrjerdi et Jean-Luc Nancy
Publié le 14 août, 2013 dans Agora. 0 Commentaire Tags : Arrêtons sanctions et embargo contre l'Iran, Jean-Luc Nancy, le monde, Parham Shahrjerdi, tribune.