Archive mensuelle de mai 2013

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Une petite machine asignifiante – hasards polyphoniques et grotesques / Mireille Lauze et Jean Rouaud / Place publique de l’Unebévue / samedi 25 mai / Cinéma l’Entrepôt

Que peut faire un enfant quand est nichée dans son cerveau une petite cellule en trop héritée d’un grand-père ?
Se créer un père étranger via une insémination végétalement assistée
Se faire une mère bloc amoureux d’odeurs, de lumière et de chaleur
Lire écrire et rêver dans le noir pour se tenir à distance du « gouffre familial »
Faire un film.
Film pour lequel les « critiques » n’ont pas résisté à la tentation de monologiser, de donner des définitions achevantes, de rechercher le vraisemblable, d’œdipianiser, de pathologiser…
Film donc à voir autrement.

Détournement d’un texte de Gilles Deleuze :
Il y a deux manières de voir un film,
Ou bien on le considère comme une boîte qui renvoie à un dedans et alors on cherche ses signifiés, et puis si l’on est encore plus pervers ou corrompu, on part en quête du signifiant,
ou bien on considère ce film comme une petite machine asignifiante.
Comment ça fonctionne pour vous ? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne se passe, prenez un autre film…
Cette autre vision est une vision en intensité. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter.
Cette manière de voir en intensité, en rapport avec le dehors, flux contre flux, machine avec machine, mise en fonctionnement avec autre chose, n’importe quoi… c’est une manière amoureuse…

Nous brancherons les machines d’un film à deux autres machines, l’une polyphonique, l’autre grotesque, pour tenter des connexions hasardeuses non-hiérarchisées.
Pour tomber amoureux du film…
l’Unebévue
revue de psychanalyse
Ecole lacanienne de psychanalyse

samedi 25 mai à l’Entrepôt, 7 à 9 rue Francis de Pressensé Paris 14ème
matin 9h30 à12h salle de ciné
après-midi 14h à 16h30 à la Galerie verte
Participation aux frais 10 euros / tarif réduit 5 euros

Télécharger le documentfichier pdf 25 mai Lauze Rouaud
Une petite machine asignifiante - hasards polyphoniques et grotesques / Mireille Lauze et Jean Rouaud / Place publique de l'Unebévue / samedi 25 mai / Cinéma l'Entrepôt dans Cinéma unebevue

Revue Théâtre(s) Politique(s) / Edito n°1 / Christian Biet / Les représentations de la Commune de Paris / Rencontre à la Parole errante, Montreuil, 18 mai 2013

On appelle encore, dans les Universités françaises, « équipes d’accueil » ce que bien d’autres nomment « centres de recherche ». C’est une bonne chose, même si souvent on en oublie le sens. L’équipe d’accueil HAR (Histoire des Arts et des Représentations) de Nanterre revendique ce sens : elle souhaite être et demeurer accueillante, et c’est là l’un de ses buts essentiels. Accueillir les idées, les réalisations, les volontés, prêter main forte à ce qui vient et à ceux qui y viennent, pour qu’ils restent et qu’ils s’épanouissent, sans idée de concurrence ou de hiérarchie administrativo-universitaire. Accueillir et, ensemble, tenter de penser. Il y a, dans la recherche une place pour toutes sortes de chercheurs, aussi surprenant que cela paraisse, estampillés ou pas, titulaires ou non, pourvu qu’ils soient exigeants. Nous croyons aussi qu’il est bon de tenter d’être généreux, malgré tout, malgré les politiques publiques relatives à la recherche, aussi globales que dangereuses parce que fondées sur la rivalité de tous. Accueillir certes, mais pas n’importe quel texte : en effet, on est en droit de supposer qu’il est nécessaire, pour être lu, d’avoir cherché quelque chose de nouveau à dire, de nouveau à trouver. Accueillir certes, mais pas n’importe quelles idées sous le prétexte que tout se vaut et que tout se vend, parce qu’il faut rester exigeant et conscient, autrement dit engagé dans ce qu’il convient d’appeler la politique. Car la recherche en sciences humaines est politique, et la recherche en études théâtrales est, nécessairement, politique.

« Théâtre(s) politique(s) » donc. La formule est pléonastique, ou doit l’être, tant le théâtre a pour objet la cité, pour sujet son fonctionnement, et pour dispositif d’en figurer l’organisation, la dynamique, et les questions qu’elles posent. Le théâtre est politique : il se prononce sur la politique. Mieux, il est une/la politique située dans et hors de la cité, une politique à blanc et pourtant performative au sein du lieu où il s’effectue et, de là, il appartient à cette cité qu’il a pour objet de figurer. Ce sont des évidences qu’il est nécessaire d’inscrire régulièrement comme bannière, titre, drapeau, et maintenant revue : « Théâtre(s) politique(s) ».
Mais il faut aussi dépasser les évidences, prendre le théâtre au mot. Politique. Autrement dit soutenir la politique comme champ du théâtre, en dénoter la présence et en faire le sujet de nos travaux. C’est ce que fait le Groupe (GTP) depuis quelques années, avec peu de moyens, sous l’impulsion de quelques-un(e)s — des obstiné(e)s. C’est maintenant ce qu’entreprend la Revue (RTP) dite « numérique », toute entière consacrée à ce champ d’études : le théâtre politique. Et ce que l’un et l’autre — le GTP et, par extension, sa revue — ambitionnent, c’est qu’un travail collectif anime cet espace. Lieu commode, aisément accessible, la revue numérique sera faite de rencontres et d’échanges entre diverses disciplines universitaires — dont les études théâtrales et les arts du spectacle, mais pas seulement — et l’ensemble des milieux artistiques. Dynamiser les réflexions, les solliciter et les encourager en utilisant le support numérique, là sera donc le rôle de cette revue.
Si ce genre de support est encore trop peu reconnu et relativement peu exploité dans les universités, il s’implante de plus en plus nettement dans les centres de recherches et entre peu à peu dans les mœurs des milieux artistiques, car ses avantages pour la recherche sont nombreux : accessibilité élargie, possibilité de varier les formes d’articles — film documentaire, entretien audio, documents (reproduction de pièces, captations de spectacle) peuvent s’ajouter aux analyses et commentaires —, plus grande marge de manœuvre d’un point de vue quantitatif — nombre d’articles, longueur des articles, types de documents, notamment iconographiques — et possibilité d’enrichir, après coup, les numéros — si la recherche est poursuivie, si la parution d’un numéro permet de rencontrer de nouveaux contributeurs, etc. On comprendra donc que la revue Théâtre(s) politique(s), consacrée au théâtre politique dans la diversité de ses conceptions et manifestations, puisse être ainsi, d’abord, le lieu d’un partage.
Pluriel et transversal dans ses approches (dramaturgique, historique, littéraire, philosophique, sociologique, etc.), attaché à l’articulation dynamique de la perspective historique et de la recherche très contemporaine, en dialogue avec les autres arts et médias (arts vidéo, chanson, cinéma, internet, marionnettes, peinture, photographie, télévision, etc.), ouvert aux regards non-universitaires (d’artistes, acteurs de la politique), chaque numéro de cette revue aura pour souci le partage, donc, et l’ouverture, en d’autres termes, une certaine générosité. Comme ce numéro présent, chaque livraison comprendra trois parties (ou rubriques) : un dossier thématique (« Dossier »), des articles indépendants (« Varia »), des comptes rendus de parution, de spectacle, de colloque ou de tout autre événement (« Comptes rendus »). Et pour clairement marquer les intentions, les buts et les thématiques de la revue, on notera qu’elle est inaugurée avec un dossier sur « les représentations de la Commune de Paris ». C’est un dossier de volumineux de 27 articles qui prend pour objets toutes sortes d’œuvres et d’artistes connus – Vallès, Brecht, Adamov, Ernest Pignon-Ernest – et peu connus – Ludger, Birster, Les Lorialets… L’enjeu de ce dossier est double puisqu’ s’agit de rendre compte des représentations théâtrales et artistiques de la Commune, passées et actuelles, de leur offrir une visibilité jusqu’ici peu évidente, mais aussi d’amorcer leur étude en soulevant les questions qu’elles posent, en défrichant leur terrain…

L’équipe d’accueil HAR est donc honorée, et ravie, d’accueillir cette Revue Théâtre(s) Politique(s) en son sein. Une revue politique : partageuse, exigeante, enthousiaste. Une revue dont l’efficacité tiendra à ceux qui la liront tout autant qu’à ceux qui la composent. Une revue nécessairement engagée dans les luttes du Théâtre, de l’Université, de l’Art et de la Cité.
Une vraie revue donc. Pour que ça change.
Au moins un peu.
Christian Biet
Edito du n°1 de la revue Théâtre(s) Politique(s) / mai 2013
http://theatrespolitiques.fr/
http://theatrespolitiques.fr/2013/03/presentation/
Rencontre autour des représentations de la Commune de Paris
Samedi 18 mai 2013 à partir de 14h à la Parole errante
(9, rue François Debergue – 93100 Montreuil – métro Croix de Chavaux – ligne 9)

PROGRAMME
14h : ouverture de l’exposition et présentation de la revue
14h30 : spectacle Morte ou vive… ? Vive la Commune ! de la Compagnie Même si
17h : table ronde sur les représentations de la Commune
19h : lecture d’Armand Gatti
19h30 : banquet communard
Participation libre
Télécharger le programme : fichier pdf representations commune de paris
Revue Théâtre(s) Politique(s) / Edito n°1 / Christian Biet / Les représentations de la Commune de Paris / Rencontre à la Parole errante, Montreuil, 18 mai 2013 dans Agora barricade-joliemome
Photo Carine Boeuf – Compagnie Jolie Môme

Deleuze et l’Anti-Œdipe – la production du désir / Guillaume Sibertin-Blanc / Etat, machine révolutionnaire et schizo-analyse (1)

Luttes de classes et conflits inconscients
Scizophrénie-paranoïa : l’Etat dans le désir et l’inconscient capitaliste. – Si Œdipe devient possible dans les formations despotiques, les conditions formelles n’en sont montées que dans une organisation libidinale elle-même surdéterminée par un appareil d’Etat qui en bloque simultanément l’actualisation. L’investissement désirant de cet appareil ne se « rabat » pas sur un agence ment familialiste privatisé. L’inceste lui-même demeure tout entier localisé dans une symbolique objective déterminée (les rites de la famille royale) (1). Chose du despote, il ne passe pas dans le registre fantasmatique des identifications imaginaires des sujets. Dans le sillage de la généalogie nietzschéenne de la morale, Deleuze et Guattari accusent cette différence : la loi transcendante n’y signifie pas encore un « manque-à-être » que le sujet devrait assumer pour pouvoir reconnaître son désir. La voix sacrée reste un silence éminemment signifiant tout en hauteur, et n’est pas encore intériorisée dans la voix d’un Surmoi chargé des valeurs dominantes et des idéaux de la morale sociale. Présupposé divin et cause transcendante apparente, le corps du despote fait bien de l’existence même des sujets une « dette » insurmontable ; mais cette dette infinie, précisément parce qu’elle est encore rapportée à ce créancier éminent déterminable dans l’objectivité sociale, ne peut pas être métabolisée et spiritualisée comme culpabilité de l’homme privé (A Œ, 256-257). Surtout, l’effectuation du complexe d’Œdipe comme mode de subjectivation du désir suppose, selon Deleuze et Guattari, une multiplicité de facteurs qui appartiennent directement à la généalogie du capitalisme. En dépend la manière dont l’Urstaat transcendant disparaît, ùais aussi fait retour dans les formes « évoluées » ou modernes de l’Etat, et finalement trouve à prendre de nouvelles positions tant dans le champ social que dans l’inconscient. Il faut d’abord, suivant la tendance de l’histoire universelle au décodage des flux, que ces derniers échappent de plus en plus au surcodage d’Etat, et contraignent l’Etat à inventer lui-même de nouveaux codes pour limiter, régler et s’approprier une production sociale qu’il contrôle de moins en moins (A Œ, 258-259, 263-265). Dans un tel processus de transformation créatrice des formes et des fonctions de l’appareil d’Etat, ce dernier n’organise plus par surcodage les flux de production, par exemple en limitant le grand commerce et en contrôlant l’émission et la circulation monétaires (A Œ,232-234). il tend à devenir un régulateur immanent à un champ de flux décodés, marchands, industriels et financiers. Il ne détermine plus lui-même sa propre domination de caste, mais se subordonne à des rapports de classes devenus des déterminations disctinctes découlant des modes de conjonction et d’appropriation de ces flux économiiques décodés. Il ne projette plus un manque symbolique dans un signifiant-maître vide et transcendant (Urstaat) ; il concourt à aménager et reproduire le manque dans l’immanence des rapports sociaux de production (A Œ, 279-283). Il ne constitue plus une forme transcendante du public, mais fait du public la forme dans laquelle s’affrontent des groupes d’intérêts privés, le pouvoir d’Etat s’intériorisant lui-même dans leurs antagonismes et passant au service des classes dominantes, de leurs contradictions internes, de leurs luttes et compromis avec les classes dominées (A Œ, 257-258, 261-263).
L’ensemble de ces facteurs définissent une socialisation ou un « devenir immanent » de la forme Etat qui, dans le retrait de l’Urstaat, n’affecte pas ses fonctions politiques, économiques, et même symboliques, sans transformer sa place dans les productions de l’inconscient et, partant, dans les positions subjectives des individus sociaux. En particulier la composante « paranoïaque » de l’Urstaat cesse d’être le monopole du souverain. La tension que lui confère sa transcendance, et son impuissance face à tout ce qui glisse sous ses prises et échappe à son contrôle – l’angoisse des lux décodés ou inappropriés -, passe dans le désir des sujets privés de l’âge moderne, comme un mode d’investissement inconscient de la formation sociale capitaliste comme telle. C’est dire que l’Urstaat ne disparaît pas purement et simplement. Seul disparaît ou passe à l’état latent le corps du despote comme être objectif du désir, au profit d’un nouveau corps plein : le capital, nouveau présupposé naturel ou divin attirant et repoussant les organes et les flux sociaux, se les appropriant comme leur quasi-cause et les réprimant. Si tel est désormais l’être objectif du désir, ou la façon dont l’instance dominante de la structure sociale passe dans l’inconscient et se subordonne la production désirante du réel historique, c’est en fonction de cette détermination de base que doit être conçue la paranoïa des « civilisés ».
Un telle situation doit être expliquée du point de vue de l’économie propre à cette formation. Nous avons vu en quel sens Deleuze et Guattari entendaient « l’affinité » entre le capitalisme et la schizophrénie, du point de vue d’une logique de la production qui tendanciellement ne présuppose plus de codes sociaux. Il importe d’autant plus à présent de souligner le caractère partiel, et ambigu, de cette affinité. La contradiction immanent du capitalisme, a-t-on dit, tient à ce qu’il ne peut se développer qu’en accusant sans cesse sa tendance au décodage des flux de production vers sa limite (processus schizophrénique) mais à la condition expresse de contrarier sans cesse cette tendance même, d’en différer la fin en l’intériorisant et en la déplaçant comme ses propres limites internes. L’instance qui prend principalement en charge ce déplacement, et qui en concentre donc les contradictions, est l’Etat. Il lui revient d’appuyer le décodage capitaliste de la production sociale, mais simultanément aussi de différer les effets de saturation du système en intervenant directement dans les formes de conjonctions économique, en réprimant les flux décodés non intégrables, et en déléguant sa répression à un appareil qui intériorise la limite et l’étouffe dans un agencement de subjectivation privée (famille). C’est cette localisation de l’intervention du pouvoir d’Etat dans la dynamique contradictoire du capitalisme, au niveau précisément du jeu mobile des limites de ce système, qui rend compte selon Deleuze et Guattari de la forme sous laquelle l’Urstaat, la forme-Etat paradigmatique, fait retour au sein des sociétés capitalistes (A Œ, 446-449).
« Nés du décodage et de la déterritorialisation, sur les ruines de la machine despotique, ces sociétés sont prises entre l’Urstaat qu’elles voudraient bien ressusciter comme unité surcodante et reterritorialisante, et les flux déchaînés qui les entraînent vers un seuil absolu. Elles recodent à tour de bras, à coups de dictature mondiale, de dictateurs locaux et de police toute-puissance, tandis qu’elles décodent ou laissent décoder les quantités fluentes de leurs capitaux et de leurs populations (…). L’axiomatique moderne au fond de son immanence reproduit l’Urstaat transcendant, comme sa limite devenue intérieure, ou l’un de ses pôles entre lesquels elle est déterminé à osciller. » (A Œ, 309-311)
Ainsi fondée dans la contradiction interne de la dynamique capitaliste de la production sociale, la bipolarité schizophrénie/paranoïa définit les deux pôles de l’investisssement libidinal immédiat de la formation historique correspondante (A Œ, 329-331, 407-408, 435-441). Elle révèle la façon dont cette contradiction, et l’Etat capitaliste qui y intervient, passe dans les productions primaires de l’inconscient. C’est pourquoi les investissements paranoïaque et schizophrénique ne désignent pas des catégories nosologiques distinctes, mais expriment le caractère inévitablement ambivalent de tous les investissements capitalistes du désir, les « oscillations de l’inconscient de l’un à l’autre des pôles », l’intrication de leurs valences pourtant antagoniques (A Œ, 125, 309, 330, 451). Pour le dire inversement, cette ambivalence marque l’efficace, dans l’inconscient, du rapport complexe du mode de production capitaliste aux limites de sa propre reproduction (A Œ, 435).
Le repérage d’un tel plan d’investissements inconscients immédiats des structures sociales capitalistes, donne à une « schizo-analyse » la tâche de discerner ces dynamiques schizophréniques et paranoïaques de notre formation historique. Cette tâche n’est toutefois pas une fin en soi. Elle ouvre à son tour le problème de suivre et de diagnostiquer les incidences de ces polarités libidinales, de leurs oscillations et contradictions, sur un autre plan qui s’en distingue formellement (les deux plans d’investissement étant toujours donnés ensemble, en interaction constante). Cette distinction suppose trois formulations (A Œ, 301-306, 411-419, 449-450). La première hérite de la topique freudienne et distingue des investissements inconscients et des investissements conscients ou préconscients. La seconde distingue des positions de désir (inconscient) et des positions d’intérêt (préconscient), et place l’argumentation sur un terrain théorique marxiste, celui d’une détermination des classes et de leurs rapports antagoniques en fonction « d’intérêts objectifs » assignables dans la structure sociale. La troisième en prolonge les répercussions pratiques sur le plan d’une politique de masse, en distinguant les désirs inconscients de groupe et les intérêts préconscients de classe. Cerner les raisons de cette distinction, mais aussi l’articulation de ces trois manières de la formuler, est capital : occupant l’ensemble de la dernière section de l’Anti-Œdipe, ce problème en concentre l’objectif pratique – celui que visent de façon programmatique ce régime d’analyse dénommé schizo-analyse, la détermination de ses tâches concrètes, et sa signification sous le double rapport d’une clinique des formes de subjectivité et d’une politique révolutionnaire d’émancipation des masses. Le paragraphe conclusif du livre récapitulera en ce sens : « La tâche de la schizo-analyse est enfin de découvrir dans chaque cas la nature des investissements libidinaux du champ social, leurs conflits possibles intérieurs, leurs rapports avec les investissements préconscients du même champ, leurs conflits possibles avec ceux-ci » (A Œ, 458).

La détermination de classe capitaliste – La distinction d’un « investissement libidinal inconscient de groupe ou de désir » et « d’un investissement préconscient de classe ou d’intérêt » faut d’abord fond sur un réexamen du problème de la détermination de classe. D’allure provocante, directement étayée cependant sur le dispositif conceptuel de l’histoire universelle du chapitre III, l’argumentation de Deleuze et Guattari commence par établir la thèse d’une unicité de classe du système capitaliste : « Il n’y a qu’une seule classe à vocation universaliste, la bourgeoisie » (A Œ, 301). Si d’un point de vue matérialiste la détermination théprique de classe doit être fondée en dernière analyse sur les rapports d’exploitation qui structurent les rapports socioéconomiques, alors cette exigence même n’est pleinement valide à son tour que lorsque ces rapports cessent d’être conditionnés par des codes sociaux extra-économiques présupposés. C’est ce qui distingue un rapport de classe des rapports d’exploitation précapitalistes – rapports de « rangs », de « castes » ou « d’ordres » – qui ne se laissent pas définir sans la dominance de tels codes (lignagers, coutumiers ou statutaires, politico-religieux ou politico-juridiques…) sur les rapports de production. Si au contraire la notion de « classe » implique la détermination immédiatement économique de ces rapports, et la subordination directe des divisions sociotechniques du travail à la production pour le capital, alors l’opposition théorique primaire de la formation capitaliste ne passe pas entre deux classes (et entre deux formes d’universalité). Elle passe entre les rangs, états, castes, qui codent et surcodent la production sociale, et la classe bourgeoise qui les combat, et qui les supplante en se mettant elle-même au service de l’accumulation élargie du capital et de l’universalisation de sa tendance au décodage des rapports et flux de production (A Œ, 303).
Cette thèse d’une unicité de classe des formations capitalistes impose une nouvelle opposition théorique à l’intérieur du capitalisme. celle-ci ne passe pas entre les travailleurs et les propriétaires des moyens de production, ou entre les salariés et les détenteurs des moyens d’investissement. Elle passe entre la bourgeoisie en tant qu’elle suffit à remplir le champ d’immanence capitaliste et à opérer ses déplacements de limites internes, et les flux décodés qui en esquissent chaque fois la limite extérieure, la ligne de rupture sans cesse conjurée, à la fois précaire et itérativement insistante : « elle est entre la classe et les hors-classe » (A Œ, 303). N’est-ce pas retrouver la première acception du prolétariat, cette « plèbe » déclassée qu’évoquait déjà Hegel, échappant )à la double dialectique des structures socioéconomiques des Stände et des structures sociopolitiques des Klassen (2) ? L’Anti-Œdipe avance une figure bien plus inattendue, creusant entre les deux termes de l’opposition une asymétrie radicale qui compromet la possibilité même de les rapporter l’un à l’autre : « Elle est entre la classe et les hors-classe. (…) Entre le régime de la machine sociale et celui des machines désirantes. Entre les limites intérieures relatives et la limite extérieure absolue. Si l’on veut : entre les capitalistes et les schizos, dans leur intimité fondamentale au niveau du décodage, dans leur hostilité fondamentale au niveau de l’axiomatique, (d’où la ressemblance, dans le portrait que les socialiste du XIXème font du prolétariat, entre celui-ci et un parfait schizo) » (A Œ, 303). Qu’il n’y ait là qu’une opposition théorique, qui ne livre nullement par elle-même son éventuelle signification pratique et politique, cela va de soi. Mais il faut en dire davantage : c’est l’impossibilité de lui donner un sens immédiatement politique qui en fait l’intérêt en en éclairant l’effet théorique. En effet, formulée dans un si énigmatique vis-à-vis, « les capitalistes et les schizos… », cette opposition bloque d’emblée toute identification subreptice des « hors-classe » – cet « autre » du capitalisme que désigne depuis Marx le terme de « prolétariat » – à sujet de l’histoire, à un agent collectif susceptible d’être identifié et de s’identifier lui-même au porteur de son sens et de sa destination vers une société sans classe. Plus profondément elle bloque toute possibilité de replier l’un sur l’autre le plan théorique et le plan politique, dans l’illusion d’une transparence réflexive qui ferait de l’organisation politique d’une classe prolétarienne la simple expression pratique des contradictions structurelles du capitalisme. En somme, en posant l’unicité théorique de classe, « terrible classe unique des bonshommes gris », Deleuze et Guattari reposent sur fond de contingence la question de l’antagonisme des classes dans l’histoire des société industrielles. A rebours d’une interprétation prompte à y projeter la signification transhistorique d’une forme politique invariante, le problème est de réinterroger à la fois la nécessité, et les limites de cette nécessité, de la bipolarisation de la lutte contre le capitalisme dans la forme politique et stratégique que lui a donnée l’histoire effective des mouvements ouvriers et de leurs partis : la forme d’un antagonisme entre ouvriers organisés en classe prolétarienne et capitalistes organisés en classe bourgeoise.
Guillaume Sibertin-Blanc
Deleuze et l’Anti-Œdipe – la production du désir / 2010
lire également sur le silence qui parle :
Y a-t-il moyen de se soustraire au modèle d’Etat
Trois problèmes de groupe 1 et 2

Deleuze et l'Anti-Œdipe - la production du désir / Guillaume Sibertin-Blanc / Etat, machine révolutionnaire et schizo-analyse (1) dans Anarchies kusama
1 Sur l’histoire symbolique initiatique de l’inceste royal, qui ne fait d’abord intervenir que le roi, sa soeur et sa mère (« père et fils n’existent pas encore »), cf A Œ, p. 236-250.
2 G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, § 243-245.

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