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Archive mensuelle de février 2013

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L’Art de la sieste / Thierry Paquot

(à la manière de G.P.)

Je me souviens, à la frontière irano-afghane, sur la route de Meched à Hérat, de la queue des cars, des voitures, des taxis, des chevaux, des routards, qui attendaient la fin de la sieste des douaniers afghans pour continuer leurs pérégrinations.

Je me souviens, dans la grande mosquée des Omeyyades, à Damas, de musulmans endormis, se protégeant de la forte chaleur, et siestant, sous la protection d’Allah.

Je me souviens de mon plaisir, proche de la gourmandise, à raconter un livre à Aurélie, ma fille, pour qu’elle entre dans sieste parée d’histoires et d’images. Après quelques mois de lectures choisies (ah ! Max et les maximonstres), je me croyais rodé et pourtant, malgré moi, mes yeux aussi se fermaient, je roulais sur l’étroit lit et nous dormions paisiblement. Ce temps est à jamais révolu…

Je ne me souviens pas du tout de ma première sieste.

Je me souviens de siestes, à même le sable de la plage des Porteaux, à l’île d’Yeu, où j’étais bercé, à la fois par le chant rythmé de la mer et le gazouillis des enfants, édifiant d’invraisemblables châteaux de sable…

Je me souviens, avec C., endormis, entrelacés, sur un matelas pneumatique bleu, face à une mer bleue teintée de vert, sous le ciel bleu et brillant de l’été breton, après l’amour. J’en ai, à nouveau, l’eau à la bouche…

Je me souviens d’une sieste inconfortable, dans un minibus surchargé, entre Douala et Yaoundé, serré – coincé serait plus juste, tel un frêle morceau de bois dans la mâchoire inflexible d’un étau d’acier – entre deux impressionnantes matronnes, qui ne cessaient de converser.

Je me souviens d’une sieste interrompue par un léger tremblement de terre, à proximité du lac de Van, à l’est de la Turquie.

Je me souviens d’une sieste impossible, dans un « hôtel » en plein air, près de Mokka, au Yémen, où, dévoré par les moustiques, immobilisé par une chaleur épaisse et dense, je ne pus fermer l’oeil…

Je me souviens d’une sieste voluptueuse, à deux, sous la protection de pins au garde-à-vous, au bord d’une piscine-miroir, le tout baignant dans la lavande fleurie et aromatisante, sur une colline isolée, à l’ouest de Manosque. « Que demander de plus ? » pensais-je alors. L’amour partagé, en début d’après-midi, a des vertus que la sexualité nocturne ne pourra jamais concurrencer : la lumière que le plaisir donne aux yeux de l’autre…

Je me souviens d’une sieste voluptueuse, solitaire, l’après-acmée me conduisit en un sommeil peuplé de créatures à la Delvaux. sans aucun train à prendre.

Je ne me souviens pas d’une sieste voluptueuse à trois ou quatre ? Trou de mémoire ? Mais peut-on bien dormir, si nombreux ?

Je me souviens d’une sieste brisée par une stridente sonnerie téléphonique. Le numéro demandé n’était pas le mien ! Maudits les empêcheurs de siester en rond !

L'Art de la sieste / Thierry Paquot dans Anarchies courbet-le-hamac

Je me souviens de siestes réglées comme du papier à musique, à Albany, après une légère et rapide collation, et avant la causerie de la fin de journée, je m’effondrais, heureux, sur un transat placé près de la piscine du motel middle-class, où l’université m’avait réservé une chambre. Là, dans un sommeil d’entre-deux, je méditais et préparais mes futurs enseignements. La sieste a ce grand mérite de faciliter le classement des idées, de vider la tête et de reposer notre esprit.

Je me souviens d’une chaude sieste, où le dormeur, en nage, comme un lutteur après le combat, se mit lui-même K.O.

Je me souviens d’une maison de vacances qui n’appréciait guère la sieste, il me fallait m’exiler au fond du jardin, à l’ombre des pin parasols. Il y a des maisons strictement autoritaires et sectaires.

Je me souviens d’une sieste éveillée particulièrement agréable, au cours de laquelle je fis le tour du monde et de mes amis. Comme par télépathie.

Je me souviens d’une sieste chrysanthème, prétexte à honore la mémoire de mes morts.

Je me souviens d’une sieste volée par une tablée de bons amis que je ne pouvais, ni ne voulais abandonner.

Je me souviens d’une sieste aérienne au cours de laquelle j’ai pu planer à mon aise, visiter des territoires inconnus, repérer les méandres d’un fleuve cool, cartographier le pays du sommeil désiré.

Je me souviens de très nombreuses siestes, à propos desquelles je n’ai rien à dire.

Je me souviens d’une sieste lourdement pesante qui me laissa un arrière-goût de gueule de bois…

Je me souviens d’une auto-interdiction de siester, le colloque reprenait avec mon intervention !

Je me souviens d’une sieste joyeuse enveloppée de mille bonheurs, comme pour rien. Et au réveil, un envol de rires enfantins…

Je me souviens d’une courte sieste, quelques secondes d’une rare intensité de concentration et néanmoins de détente.

Je me souviens d’une très longue sieste qui m’accompagna jusqu’à la nuit épaisse et protectrice. Ce jour pénétrant dans la nuit m’évoqua la pluie se mariant avec la mer.

Je me souviens de siestes sucrées, musicales, parfumées, illimitées, joyeuses, mais aussi de siestes amères, fades, étroites, fermées, ou encore agitées, chahutéees, capricieuses, couleur chair, couleur mer, de siestes élémentaires, primaires, primitives, et puis des siestes civilisées, policées, et d’autres dévergondées, débraillées, ou suspendues, azurées, insolites, monacales, extatiques, bref des siestes bigarrées et parfois opposées dans leurs effets comme dans leurs causes. La vérité de la sieste nous échappe toujours…

Je me souviens de tellement de siestes que parfois je me surprends à me les remémorer, comme le chercheur de sommeil compte les moutons, pour m’envoler plus vite et gaiement au pays des songes.

Thierry Paquot
l’Art de la sieste / 2008

Et les « Je me souviens » d’une qui n’arrive pas à dormir : ICI
courbet-le-sommeil Désir dans Désir

Le Luxurieux / Marc-Antoine Legrand / Théâtre érotique du XVIII° siècle

Je me vois chaque nuit dans un pays nouveau,
Je me trouve serpent, arbre, poisson, oiseau,
Si je me vois jument, un maquignon me dompte,
Un palefrenier me sangle, un cavalier me monte.
Je deviens quelquefois matelas et coutil
Pierre où le rémouleur affute son outil,
Barre que l’on rougit et martèle à l’enclume,
Lampe que l’on remplit, chandelle qu’on allume.
Si je me vois perdrix, un braconnier m’abat,
A moins que son fusil ne vienne à prendre un rat.
Je suis aussi souvent en chose inanimée,
Par exemple en maison, en porte, en cheminée ;
L’on me couvre, l’on m’ouvre, on me ramone enfin ;
L’on ne peut éprouver plus bizarre destin !
Le Luxurieux / Marc-Antoine Legrand / Théâtre érotique du XVIII° siècle dans Eros nue-allongee
Tantôt je suis fagot, tantôt je suis bourrée ;
Tantôt je suis marteau, tantôt je suis cognée ;
On me charge, décharge, on m’emmanche, on me vend,
Avec moi l’on se chauffe, on cloue, on tape, on fend ;
Je sers à tous métiers : si je deviens aiguille,
Il survient un tailleur qui sur-le-champ m’enfile ;
Tantôt en accolade, ainsi qu’un lapereau,
Et tantôt embrochée ainsi qu’un dindonneau.
Farine, l’on me blute, et son, l’on me ressasse ;
Noix muscade, on me râpe, et poivre on me concasse ;
Frontière, on m’avitaille, et brèche, on m’élargit.
Compote, l’on me sucre, et prune, on me confit ;
Déchirure, on me coud ; tonneau, l’on me bondonne ;
Beurre frais, on m’étend, et barbe, on me savonne.
Air à boire, air de cour, air de Pont-Neuf, flonflon,
Je m’accorde toujours au son du violon ;
Gaillarde, traquenard, branle, loure, chacone,
Celui-ci me solfie et cet autre m’entonne,
Enfin, air d’Italie, ou sonate, ou motet,
M’ayant bien fredonnée, on tourne le feuillet !
Marc-Antoine Legrand
le Luxurieux / vers 1731-1738
Publié dans Théâtre érotique du XVIII° siècle
A lire également les Plaisirs du cloître 1 et 2
Et aussi : le Jardin parfumé
Ainsi que : Ils épient les baigneuses sensuelles et Eros
bouguereau-drew-barrymore le jardin parfumé dans Pitres

Lettre ouverte du Collectif « 8 mars pour toutes » au NPA

ChèrEs camarades féministes,
Nous apprenons que lors de votre prochain Congrès du 1er au 3 février 2013 portant sur les questions féministes un débat aura lieu sur la prostitution à l’issu duquel nous comprenons qu’un vote décidera si le NPA se revendique comme abolitionniste, et s’il défend la pénalisation des clients des travailleuSEs du sexe.
Notre collectif féministe est connu pour rassembler des femmes dites minoritaires habituellement exclues des autres organisations féministes, dont notamment des travailleuses du sexe. Nous voudrions donc vous interpeller sur les risques politiques d’un tel vote.
Dans l’article de Tout est à nous du 3 janvier 2013 qui présente votre Congrès, vous posez la question de la « place pour la parole des prostituées elles-mêmes dans la mesure où leur expression est très difficile ». Nous voudrions donc vous rappeler en tant que parti participant à notre collectif que cette parole existe belle et bien, que vous pouvez l’entendre par exemple pendant nos réunions, où lors des manifestations auxquelles vous participez avec nous.
Il est dommage d’oublier, ou d’ignorer, l’existence de cette parole dont la difficulté de s’exprimer ne tient pas au manque de capacité politique des travailleuSEs du sexe, mais au refus délibéré de leur donner un espace politique pour les entendre. Votre Congrès aurait pu être l’occasion d’accorder un tel espace en invitant des membres de notre collectif.Si tel n’était pas le cas, nous aimerions savoir pourquoi, dans la mesure où nous avons déjà l’habitude de travailler ensemble sur des actions féministes communes.
Vous devriez savoir que les travailleuses et travailleurs du sexe s’organisent politiquement en France depuis 1975, qu’elles et ils militent dans de nombreuses associations que ce soit pour leur santé, la reconnaissance de leur travail ou contre leur criminalisation. La plus ancienne organisation encore existante a été fondée en 1989, il s’agit des Amis du bus des femmes. Qu’en est-il par exemple de leur parole ? Qu’en est-il aussi de celle du Syndicat du travail sexuel dit STRASS qui pourtant porte des revendications similaires au reste de la classe ouvrière ?
Ces paroles sont aujourd’hui multiples et incluent celles de femmes, d’hommes et de trans, celles de personnes françaises et migrantes, travaillant dans la rue, dans les industries du porno, du strip-tease, et d’autres secteurs. Qu’y a-t-il de si « difficile » à entendre dans leur expression ?
Cet oubli est politique.  Il nous rappelle celui de la LCR sur d’autres questions de société au début des années 1970 quand les mouvements féministes et homosexuels l’interpellaient déjà. En tant que féministes nous ne devons pas reproduire envers les travailleuses et travailleurs du sexe ce que nous avons-nous-mêmes subi.
Nous sommes inquiètes car jusqu’à présent le NPA était un des rares partis à ne pas soutenir de politiques répressives à l’égard de la prostitution. Nous sommes même en accord avec l’ensemble des mesures d’urgence proposées afin que les personnes qui désirent arrêter le travail sexuel puissent le faire.
Nous déplorons cependant que rien ne soit proposé pour améliorer les conditions de travail des personnes qui désirent continuer d’exercer le travail sexuel hormis la fin de leur criminalisation qui n’est pour nous qu’un minimum requis.
En discutant d’une possible pénalisation des clients, vous vous rangez du côté des partis de gouvernement qui ont l’habitude d’utiliser l’appareil de la police et de l’Etat afin de régler des questions sociales. Cela nous surprend et nous fait peur.
Une telle politique ne serait en effet pas sans conséquences sur les travailleuses et travailleurs du sexe elles/eux-mêmes. La pénalisation des clients ne fera en rien disparaitre la prostitution. Les systèmes capitaliste et patriarcal continueront d’exister et de créer les conditions qui poussent de nombreuses personnes à préférer le travail sexuel à un autre travail.
Cette pénalisation risque au contraire d’empirer leur situation, la précarité, la clandestinité, le manque d’accès aux soins et à la prévention, les violences, les discriminations et le stigma.
La pénalisation des clients induit que les travailleuses et travailleurs du sexe ne seraient pas capables d’exprimer leur consentement face à un client et qu’il faudrait les protéger contre leur gré, en les empêchant de se prostituer. C’est pour nous une position éloignée du féminisme, car elle les essentialise en tant que victimes sans espoir au lieu de leur donner les moyens de leur émancipation.
Nous croyons dans le fait que la libération des travailleuSEs sera l’œuvre des travailleuSEs elles et eux-mêmes. Nous ne pensons pas qu’une intervention policière de l’Etat protègera les travailleuses et travailleurs du sexe mais au contraire risque de renforcer l’arbitraire du pouvoir policier, en particulier envers les personnes étrangères.
La pénalisation des clients nous semble également une mesure éloignée de l’abolitionnisme originel de Joséphine Butler qui si elle espérait un monde sans prostitution, avait toujours mis en garde contre la pénalisation de la prostitution. Nous pensons donc qu’il est possible d’être abolitionniste sur une base non répressive, et espérons que les militantEs de votre parti qui se positionnent comme telLEs ne choisiront pas sa tendance dite moderne et pro-pénalisation.
Nous vous demandons donc de rejeter toute pénalisation des clients et de favoriser plutôt des espaces où la parole ET l’écoute des travailleuSEs du sexe ne sera pas difficile. Nous vous invitons par exemple à participer à la manifestation du samedi 16 mars 2013 pour l’abrogation de la loi de sécurité intérieure (LSI), pendant laquelle vous pourrez rencontrer de nombreuSEs travailleuSEs du sexe.
Solidarités féministes,
Le collectif « 8 mars pour touTEs »
23 janvier 2013
Publié sur le site de STRASS
http://www.facebook.com/events/206934059431277/

fichier pdf bulletin STRASS-3-janvier-2013
Lettre ouverte du Collectif

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