Je me vois chaque nuit dans un pays nouveau,
Je me trouve serpent, arbre, poisson, oiseau,
Si je me vois jument, un maquignon me dompte,
Un palefrenier me sangle, un cavalier me monte.
Je deviens quelquefois matelas et coutil
Pierre où le rémouleur affute son outil,
Barre que l’on rougit et martèle à l’enclume,
Lampe que l’on remplit, chandelle qu’on allume.
Si je me vois perdrix, un braconnier m’abat,
A moins que son fusil ne vienne à prendre un rat.
Je suis aussi souvent en chose inanimée,
Par exemple en maison, en porte, en cheminée ;
L’on me couvre, l’on m’ouvre, on me ramone enfin ;
L’on ne peut éprouver plus bizarre destin !
Tantôt je suis fagot, tantôt je suis bourrée ;
Tantôt je suis marteau, tantôt je suis cognée ;
On me charge, décharge, on m’emmanche, on me vend,
Avec moi l’on se chauffe, on cloue, on tape, on fend ;
Je sers à tous métiers : si je deviens aiguille,
Il survient un tailleur qui sur-le-champ m’enfile ;
Tantôt en accolade, ainsi qu’un lapereau,
Et tantôt embrochée ainsi qu’un dindonneau.
Farine, l’on me blute, et son, l’on me ressasse ;
Noix muscade, on me râpe, et poivre on me concasse ;
Frontière, on m’avitaille, et brèche, on m’élargit.
Compote, l’on me sucre, et prune, on me confit ;
Déchirure, on me coud ; tonneau, l’on me bondonne ;
Beurre frais, on m’étend, et barbe, on me savonne.
Air à boire, air de cour, air de Pont-Neuf, flonflon,
Je m’accorde toujours au son du violon ;
Gaillarde, traquenard, branle, loure, chacone,
Celui-ci me solfie et cet autre m’entonne,
Enfin, air d’Italie, ou sonate, ou motet,
M’ayant bien fredonnée, on tourne le feuillet !
Marc-Antoine Legrand
le Luxurieux / vers 1731-1738
Publié dans Théâtre érotique du XVIII° siècle
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