La semaine dernière deux tribunes successives sont parues dans votre journal [« Notre-Dame-des-Landes : la démocratie en question » – 5 déc. 2012, par Catherine Conan, Geneviève Lebouteux, Sylvie Thébaud, Françoise Verchère, Pierre Giroire et Frank Meyer, et « Notre-Dame-des-Landes, un creuset pour les mouvements citoyens » – 6 déc. 2012, par Susan George, présidente d’honneur d’Attac et Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac]. Elles sont le fait de « présidentes », « porte-paroles », élu.e.s d’organisations et partis politiques. Elles portent un point de vue qui paraît englober tout le mouvement d’opposition à l’aéroport de Notre Dame des Landes. Elles ont en commun d’affirmer que le mouvement a toujours été non-violent, que l’hostilité face à la police était le fait d’infiltrés policiers, que la manifestation du 17 novembre était pacifique… [Quelques citations parmi d’autres : « Les opposants dans leur diversité ont multiplié les formes de contestation mais sont toujours restés intransigeants sur le fait que la lutte contre ce projet doit être non-violente », « (…) toutes les ruses de la répression ont été mises en œuvre : (…) La manipulation en infiltrant des éléments provocateurs pour pousser à l’affrontement avec les forces de l’ordre ou à l’agressivité envers les journalistes », « Le pari de la non-violence et de la démocratie. Notre détermination reste aussi intacte que notre volonté de lutter pacifiquement contre ce projet ruineux pour les finances locales, destructeur de l’environnement et de la vie des gens qui habitent sur ce territoire et y travaillent. »] Quand on retrouve en quelques paragraphes, les termes « non-violents » et « pacifique » martelés à ce point, on peut se dire que l’on a affaire à une opération de recadrage idéologique et en l’occurrence de réécriture de notre histoire commune.
Pour nous qui partageons cette lutte, cette réécriture de l’histoire est pour le coup violente. Nous ne pouvons laisser quelques tribuns et porte-paroles auto-proclamés rayer d’un coup de plume ce que nous avons vécu ces dernières années. La complexité de notre réalité, faite de longs débats et de contradictions, de pratiques multiples mais aussi de liens qui se tissent, s’est encore intensifiée depuis le 16 octobre et le début de la vague d’expulsion, appelée « opération César ». Nous savons que l’écriture de l’Histoire est généralement le privilège des dominants. Qu’ils soient premier ministre ou président d’honneur d’une association citoyenne, ceux-ci semblent toujours estimer que, quand bien même on viendrait piétiner nos maisons et nos cultures, il nous faudrait rester calmes et polis. Mais l’Histoire ne s’écrit pas seulement sous les projecteurs médiatiques et dans les cénacles politiques. Nous ne renoncerons pas à ce qu’elle nous appartienne aussi.
On peut se demander si la « non-violence » invoquée par certain.e.s inclue aussi les barricades en feu et les projectiles lancés sur la police pour ralentir son avancée, les sabotages d’engins de chantier, et les marques laissées sur les permanences et bureaux de ceux qui nous attaquent. Ce « pacifisme » parachuté serait alors sans doute comparable à celui attribué en Occident aux « révolutions arabes » tandis que les rues du Caire ou de Tunis s’embrasaient.
En attendant, il faut un sacré toupet, après un mois et demi d’expulsion et de résistance acharnée dont les images ont été montrées en boucle sur toutes les télés et journaux, pour claironner à tout va sur le « pari de la non-violence ». Si nous ne nous étions pas défendu.e.s, de toutes ces manières-là aussi, il n’y aurait probablement plus grand monde pour parler de la ZAD aujourd’hui, moins encore pour y vivre. Mais cette réalité là semble à ce point déranger les habituels détenteurs de la bonne morale militante, tellement pressé.e.s de se positionner, qu’ils et elles ne comprennent même pas qu’il est peut-être encore un peu tôt pour gommer les coups échangés.
Nous avons lancé, il y a plus d’un an, l’appel à une grande manifestation de réoccupation en cas d’expulsion et avons participé à son organisation jusqu’au bout, par le biais d’une assemblée ouverte réunissant jusqu’à 200 personnes. Nous pouvons affirmer ici qu’il ne s’est jamais agi de mettre en avant un défilé « pacifique », mais bel et bien une action directe d’occupation en masse. Son objectif n’était certes pas l’affrontement et nous avions décidé dans ce contexte de porter une attention particulière à ce que celles et ceux qui ne le souhaitaient pas puissent l’éviter. Pour autant nous nous étions préparé.e.s en amont aux possibilités de barrages et à la nécessité d’auto-défense des manifestant.e.s en cas d’agression policière. Si certain.e.s peuvent dire a posteriori que cette action collective a été « pacifique » c’est bien parce que les forces de l’ordre ont choisi de s’effacer ce jour-là face à la force du mouvement.
Quelques jours plus tard, quand les troupes sont revenues pour expulser, détruire et blesser – des centaines de personnes de tous horizons ont éprouvé côte à côte cette capacité d’auto-défense, avec des chants, des sittings mais aussi des cailloux et des bouteilles incendiaires. Tou.te.s celles et ceux qui ont partagé ces journées savent bien que cette diversité de réponse n’a pas été tant source de scissions et de séparations, mais bien plutôt de rencontres et de solidarités mutuelles. L’avenir de cette lutte s’est écrit pendant ces moments-là, et pas depuis un bureau.
Pour notre part, il ne nous viendrait pas à l’esprit d’affirmer, que « le mouvement pratique toutes les variétés de résistance, toujours violentes » [Dans sa tribune, Susan George affirme : « Aujourd’hui comme hier, les opposants pratiquent toutes les variétés de résistance, toujours non-violente. »]. La réalité du mouvement c’est une multitude de personnes qui font de la logistique, des repas, de la communication, des collages, des dossiers juridiques, des lance-pierres, des pansements, des chansons, qui construisent des maisons, cultivent, se couchent sur les routes ou y courent masqués… Beaucoup d’entre nous partagent ces différentes manières de se rapporter au mouvement suivant les heures, les jours, les montées de colère, de joie ou les réflexions tactiques… Ce que nous vivons sur le terrain, ce n’est pas une nécessité de s’affirmer comme violent ou non-violent, mais une volonté de dépasser ces catégories idéologiques et séparations neutralisantes. Nous sommes un peu trop complexes pour rentrer dans les caricatures du pouvoir : « ultras », « gentil écolos », « opposants historiques », « jeunes zadistes »… Fort heureusement et malgré les tentatives désespérées d’Auxiette [Jacques Auxiette, président PS de la région Pays de Loire, qui sur France Inter avait demandé au Préfet « de passer au Kärcher la frange la plus radicale des opposantes de Notre Dame des Landes »] ou de Lavernée [Christian de Lavernée, préfet de la région Pays de Loire, artisan de l’opération César qui a dénoncé à de nombreuses reprises « la violence d’une minorité autonome, venue d’ailleurs » et marqué la différence qu’il faisait entre « entre les opposants violents et les personnes et associations qui font connaître leur opinion dans un cadre légal »], les divisions posées en ces termes n’ont plus eu tellement de prises sur les dynamiques de ces dernières semaines. Quand des paysans mettent en jeu leurs tracteurs et les enchaînent auprès des barricades, quand des trous sont creusés dans les routes, quand la police est prise en embuscade, il s’agit de se donner les moyens adéquats pour répondre à la situation. Ce que nous voulons mettre en avant, maintenant, ce ne sont pas des mots magiques brandis en totems comme autant de brides sur nos potentialités collectives, mais une détermination commune à ce que cet aéroport ne se fasse pas.
Quant aux profiteurs et aménageurs, nous ne nous faisons pas d’illusion sur le fait qu’ils continuent d’imposer leurs projets par la force. À nous de faire en sorte que les concrétiser finisse par leur nuire plus que de les abandonner.
Des résistant.e.s à l’opération César
Version originale du texte complet jugé trop long pour le Monde de la réponse à quelques tribunes publiées la semaine passée dans ce même journal
version parue dans le Monde ICI
Publié le 13 décembre 2012
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Archive mensuelle de décembre 2012
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Il n’est pas aisé de définir ce qui se passe à la ZAD, ni de comprendre comment autant d’endroits et de personnes, à travers la France, ont été touchés par cette situation. Pour autant, on sent que ce mouvement respire la sécession : une nouvelle géographie s’esquisse, de nouveaux rapports s’expérimentent, une discipline du partage s’élabore, une attention à ne pas s’accomoder de la présence policière s’aiguise. Depuis Rennes, c’est ce mouvement que nous aimerions prolonger. C’est pourquoi nous soumettons au débat des 15 et 16 ces trois propositions.
La ZAD à tous
La ZAD n’est plus une affaire de quelques-uns et déborde amplement la seule construction d’un aéroport. Après des semaines de bataille à quelques centaines contre les gendrames mobiles, des milliers de personnes ont conquis un nouveau terrain dit « la Châtaigneraie ». En ça, on peut dire que la victoire n’est pas seulement devant nous, elle est déjà présente dans ce que nous avons réussi à assumer en termes de pratiques et de désirs politiques. Nous devons prolonger sur place la multiplicité des présences. Comment faire ? Ce que nous proposons c’est de s’organiser en vue d’un roulement continu des comités, bandes ou amicales anti-aéroport sur la ZAD, et ce, jusqu’à la fin de l’hiver – dans un premier temps. En plus des allers-et-venues plus ou moins réguliers, des semaines particulières voient le jour : aux dix jours de résistance contre l’occupation militaire à la Châtaigneraie répond une invitation du 27 décembre au 3 janvier par Kulon Progo à défendre la Sècherie et fêter le nouvel an. Il suffirait que chaque ville prenne en charge une semaine : cuisiner, construire, animer la radio, tenir la NO-TAVerne, organiser des discussions, accueilir ceux de passage, etc. Selon les désirs, des visages différents peuvent se dessiner au cours des semaines. L’important est de maintenir une présence sur la ZAD qui corresponde au pari du 17 novembre, à l’ampleur européenne qu’a pris la situation.
La ZAD partout
Un mouvement d’un nouveau type est né avec une puissance de contamination qui nous a tous surpris. Les 22 et 23 novembre, quand des centaines de personnes se battent contre la police qui veut expulser les Rosiers et perquisitionner la Châtaigneraie, partout surgit actions, blocages et occupations, de toutes sortes. Ce qui se répand dépasse largement le soutien, ce qui sort des bocages ce sont les rapports de force qui serpentent la zone. Ici et là, on s’organise pour faire du bruit, occuper la police, les mairies, les chantiers. Et nous avons raison. Comme nous l’indiquait récemment un syndicat de police dans le Télégramme : « Il ne faudrait pas qu’il y ait d’autre gros événements de ce type en France ou des manifestations dans tout le pays. Il n’est pas possible de tenir dans la durée et de fixer autant d’effectifs sur un seul site ». Prenons-le au mot et insistons encore et encore sur ce double mouvement qui allie concentration et décentralisation. En même temps que nous décidons des moments forts où le nombre est nécessaire, notre capacité à maintenir une tension sur l’ensemble du territoire met les pouvoirs en difficulté. Accordons-nous donc sur ceci : chaque groupe choisit ses modalités d’actions, le sabotage de nuit renforce la manifestation bruyante, les soirées de soutien appuient les blocages d’axes routiers, et vice-versa.
La ZAD anticipe
Le gouvernement a retardé de six mois la destruction de la forêt et le début des chantiers. Ce temps, croit-il, lui sera suffisant pour sécuriser la zone, c’est-à-dire étendre l’occuaption militaire et empêcher toute possibilité d’habiter les lieux. Cette « reculade » nous laisse du temps pour anticiper au mieux. Alors, le jeu s’inversera : ce sera désormais à notre tour de déloger les machines. L’anticipation est une qualité de premier ordre. Si la manifestation de réoccupation du 17 novembre a été une résussite, c’est parce qu’elle avait été prévue bien à l’avance. Comme il l’a déjà été évoqué lors de l’assemblée du 18 novembre, nous pensons qu’il serait judicieux d’installer un presidio quelques jours avant le début des chantiers pour devancer l’arrivée des buldozers. Il serait mis en place à l’endroit même des chantiers. Dans un second temps, une manifestation dès les débuts des chantiers serait à prévoir. En Italie, le mouvement NO-TAV appelle presidio les campements où les moyens logistiques d’accueil, de nourriture et de couchage sont réunis pour la venue d’un grand nombre, en vue d’une offensive ciblée sur les chantiers. Le presidio est la condition matérielle pour combattre et habiter ensemble. L’habitude que nous prendrons à tourner entre les villes (proposition 1) nous aidera à construire et tenir les presidio.
Assemblée sur la ZAD, Maison de la Grève, 12 décembre 2012