Le point de départ de la dernière version d’Un amour d’UIQ marque une ligne de fuite et en même temps de recommencement, en sortant d’une situation bloquée, d’une atmosphère congelée, qui semble la quintessence des « années d’hiver ».
« Je suis de ceux qui vécurent les années soixante comme un printemps qui promettait d’être interminable ; aussi ai-je quelque peine à m’accoutumer à ce long hiver des années quatre-vingt ! L’histoire fait quelques fois des cadeaux, mais jamais de sentiments. Elle mène son jeu sans se soucier de nos espoirs et de nos déceptions. Mieux vaut, dès lors, en prendre son parti et ne pas trop miser sur un retour obligé de ses saisons. D’autant qu’en vérité rien ne nous assure qu’à cet hiver-là ne succédera pas un nouvel automne ou même un hiver encore plus rude ! » (1)
C’est dans cette ambiance glaciale que le personnage du biologiste Axel descend des nuages avec son ampoule d’élixir vital, la souche de phytoplancton qui contient l’Univers infra-quark. Echappé des expérimentations biologiques échouées en Belgique, il arrive dans les alentours de Francfort où, comme on l’a déjà vu, avec l’aide des squatters il répète ses tentatives de communiquer avec l’intelligence microbiologique qu’il a découverte. Le plateau principal du film est l’espace crépusculaire et paranoïaque de ces naufragés d’une nouvelle catastrophe cosmique, à l’intérieur d’une grande usine, dans un quartier à l’abandon. Le squat, les hangars qui l’entourent et les cours qui se succèdent forment les images les lus marquantes que Guattari nous donne à « voir » : une texture visuelle qu’on peut (simplement) imaginer – selon l’esthétique cyberpunk émergeante de l’époque – comme glauque, pluvieuse, bleuâtre, éclairée par des écrans et des lampes aux néons tremblotants, un univers où l’élégance délabrée, délavée des décors de Blade Runner (1982) fusionnent avec les frémissements chromatiques d’une nouvelle vague « noire » genre Mauvais sang (1986). une successions de lieux semi-vides dans lesquels résonnent des couches sonores faites de bruits métalliques lointains, angoissants.
Séparé du monde extérieur, et constitué de « territoires » multiples aménagés par les différents résidents qui s’y réfugient, le squat devient avec l’apparition d’UIQ un espace potentiel où i y a la possibilité de composer de nouveaux agencements trans- et infra-personnels, d’expérimenter avec le corps de leurs désirs. A un moment donné du film, grâce à la prolifération des interfaces, l’usine subit même une mutation animale : « Des câbles partent du dernier étage où se trouve le laboratoire pour entrer dans d’autres pièces. On a l’impression que la façade est aux prises avec une pieuvre… » L’autopoïesis machinique d’UIQ exploitera les compétences et les investissements affectifs des membres de la communauté, ramassés sur fond du bestiaire des créatures exotiques et ensommeillées des années 1980 : punks, orphelins, techno-junkies autodidactes, hackers, soixante-huitards baba-cool, schizos, voyageuses astrales. Ce casting place Guattari dans une famille de cinéastes marginaux « dysfonctionnels » : Jarman, Cronenberg, Ossang, Tarkovski, Carax, Jarmusch et, bien sûr, Kramer, tous habitants de la vie quotidienne d’une catastrophe à venir.
UIQ : re-mix d’images qui deviennent inédites, DJ et DIY, ou comment se rebeller contre la standardisation industrielle du cinéma dominante. Ce que Kramer avait trouvé trop « théâtral » dans le scénario marque ici en revanche une forme de résistance au moteur narratif du film. Le décor de l’usine-squat – avec ses compartiments contigus mais hétérogènes – ouvre des possibilités de temporalités et de rythmes multiples, mille plateaux d’un film hybride entre cinéma, théâtre, installation, peinture, danse et performance.
Silvia Maglioni et Graeme thomson
Un Amour d’UIQ / 2012
Félix Guattari
Extrait de la préface
Voir également : Terminal Beach
1 Félix Guattari, les Années d’hiver, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009.
0 Réponses à “Un amour d’UIQ (scénario pour un film qui manque) / Félix Guattari / Silvia Maglioni et Graeme Thomson / Isabelle Mangou”